Alice Hoschedé Monet, seconde épouse de Claude Monet, et sa petite-fille Lily Butler sur le pont japonais de Giverny, été 1910. Collection Monet, archives du musée Marmottan.
Claude Monet a eu la douleur d'être veuf à deux reprises. Alice Hoschedé, sa seconde épouse, s'est éteinte le 19 mai 1911, vaincue par une leucémie myéloïde. Les médecins étaient alors démunis devant ce cancer du sang et de la moelle osseuse. Assez rare, il se traite bien de nos jours par prise de médicaments.
Alice a d'abord souffert de fatigue et de crise hépatique. Elle s'alite trois semaines dès janvier 1909. Le 6 septembre de la même année, elle confie à son journal intime :
"La vie devient de plus en plus triste moralement et physiquement. Monet triste et découragé, souffrant, ne travaillant pas… moi si affaiblie. Me sentant si atteinte et le cachant."
En mars 1910, Monet écrit à son marchand Paul Durand-Ruel :
Cher Monsieur Durand, En réponse à votre lettre et à celle de M. Joseph, je viens vous donner des nouvelles de ma pauvre malade : elle était très fatiguée depuis des mois et a dû s'aliter voilà de cela quinze jours, dans un état de faiblesse extrême, ne pouvant rien prendre, bref nous donnant toutes les inquiétudes. Elle est un tout petit peu mieux aujourd'hui, mais ce sera long et nécessitera de grands soins.
Pendant toute l'année 1910, chacune des lettres de Monet à ses marchands et ses amis donne des nouvelles de la santé de son épouse. Le 19 avril, il précise à Julie Manet :
On la soigne par la radiothérapie, c'est le seul remède, la seule chose qui puisse la sauver.
La semaine suivante, Alice peut enfin se lever une heure chaque jour et s'alimenter un peu. Monet reprend espoir. Il sollicite son marchand Bernheim-Jeune :
Cher Monsieur et ami,
Vous m'avez si aimablement offert de me rendre service que je n'hésite pas à vous demander le suivant : il faudrait à ma femme une excellente chaise longue confortable, non pas un objet de luxe, mais bien la chaise longue pour malade. Ne pouvant m'absenter, j'ai pensé que vous voudriez bien vous charger de cette commission très urgente en ce moment.
Deux jours plus tard à peine, il rédige des remerciements confus :
Je suis honteux de vous avoir donné tout ce mal et vous en suis bien reconnaissant. Ma femme s'est trouvée si bien aujourd'hui, elle a pu, grâce à votre obligeance, rester allongée près de la fenêtre et profiter enfin de cette rare belle journée.
Fin mai, il écrit à Durand-Ruel :
Dimanche, nous devons avoir une consultation de trois médecins. Je vous tiendrai au courant.
A son ami Geffroy, ignorant de toute l'histoire, il donne ce résumé le 30 mai :
Depuis le mois de février, j'ai eu ma femme malade, entre la vie et la mort, et c'est miracle qu'elle ne soit pas partie. Une maladie très rare, partant que les plus grands médecins ne parviennent pas à guérir (Leucémie myéloïde) et dont ils ignorent la cause. Il n'y a que depuis peu d'années que, grâce à la radiothérapie (rayons X), on est parvenu à éviter la mort, mais on ne peut guérir. C'est atroce, et vous devez penser ce qu'est ma vie depuis cela. Depuis peu de jours, il y a un mieux sensible, elle peut manger, se lever quelques heures et pouvoir enfin espérer et vivre enfin.
Ce qui ressemble à une convalescence se dessine en juin. Le 1er juillet, à Julie Manet :
Je suis heureux de vous annoncer la continuation du mieux dans l'état de notre chère malade, les forces reviennent chaque jour, pas aussi vite qu'elle le voudrait, mais c'est plus qu'un progrès, c'est une véritable résurrection. Vous pensez si nous sommes tous heureux.
Pendant l'été, elle sort un peu au jardin – c'est de cette époque que datent les dernières photos connues d'Alice. Elle fait même "de courtes excursions en auto". Mais en décembre, la rémission est terminée. A Geffroy :
Ma chère malade a enduré trois nouvelles crises hépatiques qui l'ont mise à bas et sans force. Ne pouvant s'alimenter, elle perd tout courage, ce qui me désespère.
En janvier 1911:
Elle est si fragile maintenant que je n'ose la quitter, même une heure.
En mars 1911, un léger mieux survient, qui lui permet de passer une journée à Paris pour affaires. Ce sera le dernier. En avril, sa "femme va toujours s'affaiblissant". Le 7 mai, il annonce à Geffroy :
Des nouvelles, hélas ! ma chère femme est perdue. Ce n'est plus qu'une question d'heures. Je ne sais ce que je vais devenir, je suis anéanti.
Le 18 mai 1911, Alice est "à toute extrémité".
Enfin le 19 mai, Monet annonce par télégramme à Durand-Ruel : "Dénouement fatal ce matin quatre heures". Il envoie à Geffroy ce mot accablé :
Mon pauvre ami, c'est fini. Ma compagne adorée morte ce matin 4h. Je suis désemparé, perdu. Votre ami Claude Monet.
Elle avait 67 ans. Alice est enterrée dans le cimetière de Giverny, auprès de sa fille Suzanne et de son premier époux Ernest Hoschedé. Claude Monet les rejoindra quinze ans plus tard.
Très émouvantes ces correspondances de Monet,dans lequelles on ressent bien son inquiétude et sa tristesse.Je ne savais pas qu'elle avait cette maladie .
Oui, les lettres sont les meilleures sources pour entrer dans l'intimité de cette famille. Vous rencontrer dans les jardins a été un instant très joyeux, j'espère que nous nous reverrons !
oui, c’est pour cela qu’Alice Hoschédé a détruit toutes celles de Camille, la 1ère femme de Monet et ses photos; une teigne cette Alice!
Une teigne ? Pour moi c’est surtout une femme qui doute, qui craint de ne pas être aimée, qui a besoin d’exclusivité, même au-delà de la mort. Je pense qu’elle mérite notre compassion. La jalousie est un mal qui fait beaucoup souffrir.
Tout a fait d’accord avec votre commentaire.
Monet aimait peindre mais également écrire ce qui permet de mieux le connaître encore en 2022.
Merci Ariane pour cet émouvant article sur la maladie d'Alice qui a emporté celle-ci.
On y ressent l'attachement de Claude Monet à Alice,son espoir mélangée de tristesse impuissante face à cette maladie en ce temps là!
Les lettres restent le meilleur témoignage du passage sur terre de ceux et elles qui nous ont précédés où ils nous livrent leurs émotions et on perçoit leur présence.
J 'espère ne pas vous avoir trop dérangée dans votre travail Dimanche en quinze devant l'étang de Nymphéas mais je tenais vraiment à vous remercier pour votre générosité et votre qualité de conférencière sur ce merveilleux blog.
Bien cordialement.
Muriel
Très triste, je suis émue.
Merci pour ces détails que j'ignorais. Heureusement que les lettres restent.
Cette histoire m’a passionnée car Alice Raingo Hoschede fut une de mes arrière arrière grand tantes, c’est à dire la grand tante de ma grand-mère. Sa liaison avec Monet dont elle était le joli modèle, et qui n’était pas encore veuf, fut tenue secrète dans cette famille très catholique, d’autant qu’elle avait eu six enfants avec son premier mari (Hoschede) qui était aussi l’ami de Monet.
Il semblerait que la stature de Monet emportait l’indulgence et l’adhésion de tous. C’était une famille intelligente et heureuse.