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Pierre tumulaire

 pierre tumulaire d'un architecte de l'abbaye de Saint Ouen à Rouen

Cet homme au visage carré a vécu au 14e siècle. Le dessin stylisé qui paraît surgi d’une bande dessinée nous le rend étonnament proche, presque familier.  Il est saisi en pleine action. Muni d’un compas, il trace le détail d’une rosace rayonnante. Voilà qui nous révèle sa profession : c’est l’un des architectes de l’abbatiale Saint-Ouen de Rouen.

Cette représentation saisissante de vie est celle qui figure sur la pierre tumulaire de l’architecte, une grande dalle funéraire sous laquelle reposaient autrefois ses cendres. Au 19e siècle, la dalle a été dressée contre un mur, ce qui en a stoppé l’usure – auparavant, les fidèles marchaient dessus, comme sur la plupart des plates-tombes, qui servaient de pavement à l’église. C’était le but recherché : pour raccourcir son séjour au purgatoire, il fallait que des vivants prient pour vous. Plus on était sur le passage des fidèles, plus on avait de chance qu’ils pensent à dire une prière pour le salut de votre âme.    

Les plates-tombes médiévales obéissent à des règles précises. L’usage voulait que le milieu soit occupé par l’effigie du défunt, représenté sous un dais d’architecture gothique symbolisant le ciel. Le costume ou les attributs indiquent la qualité du  défunt, noble, ecclésiastique… Une inscription court en bandeau le long des bords. Elle est souvent en français quand il ne s’agit pas de membres du clergé, on peut donc en tenter la lecture, en commençant par le haut et en tournant dans le sens des aiguilles d’une montre.  L’épitaphe indique notamment le nom, le titre et la date de la mort.   

Concernant l’architecte de Saint-Ouen, la dalle a conservé la date de son décès mais le nom a été effacé par les pas des fidèles. Les lignes du dessin, qui étaient soulignées de plomb, se sont mieux conservées. En l’absence d’autre document,  voilà donc notre archi englouti par l’anonymat des siècles. Bien souvent il ne reste de nos aïeux que leur nom, nous n’avons aucune idée de leur visage. Ici c’est le contraire. 

Rien ne permet d’affirmer que les traits sous lesquels le maître d’oeuvre est représenté sont vraiment les siens, mais j’aime à le penser. N’est-il pas plausible que la pierre tombale ait été sculptée par quelqu’un qui le connaissait très bien, par exemple son second ? Quelqu’un qui le respectait et l’aimait, et qui nous le montre concentré sur son travail.

Et de nous, que restera-t-il dans 700 ans ? Les frères humains qui après nous vivront, pour reprendre la formule de Villon, seront-ils émus par nos pierres tombales ? Et s’il fallait choisir, que préféreriez-vous qu’il demeure de vous, une photo, votre nom ? Ou seulement une trace modeste ou glorieuse de votre passage sur la Terre ?    


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