Une pièce de théâtre en un acte d’Octave Mirbeau prend un relief particulier en ces temps de pandémie : il s’agit de l‘Epidémie (à lire sur Gallica). On est en 1898, et pourtant l’ironie de Mirbeau est d’une actualité étonnante. Elle porte sur la gestion de la crise.
J’ai retrouvé dans mon grenier, comme déjà La 628-E8, un volume passablement explosé des Farces et Moralités parues en 1904 chez Fasquelle, envoyé par l’auteur au directeur de l’Excelsior.
Un petit texte tapé à la machine est contenu dans le livre. On dirait un article prêt à être envoyé à la composition, à moins que ce ne soit le prière d’insérer, mais ils sont habituellement imprimés plutôt que dactylographiés. Une seule phrase, mais elle cogne bien.
Toutes les pages du livre ont été découpées, preuve qu’il a été lu. C’est l’Epidémie qui ouvre le recueil.
Mirbeau a placé l’action dans la salle des délibérations du Conseil municipal, dans une grande ville maritime. Le maire a convoqué une séance secrète et extraordinaire du conseil car il vient d’apprendre qu' »une épidémie de fièvre typhoïde vient de fondre sur la ville ». Le foyer en est la caserne de l’arsenal.
– Combien de décès ?
– Hier, douze soldats sont morts… ce matin, seize.
– Ah !… Combien de malades ?
– A l’heure actuelle, on compte cent-trente-cinq malades.
Le décompte, déjà…
Les conseillers ne se sentent pas concernés par ces soldats qui meurent. Ils bottent en touche :
Nous n’avons pas à prévoir des choses qui ne sont pas encore arrivées… Si contrairement aux avis de la science, une pareille éventualité se produisait… si des symptômes alarmants et que nous n’avons pas le droit de préjuger, se manifestaient… eh bien, nous aurions toujours le temps de prendre les mesures nécessaires… Dans l’état actuel, nous ne devons pas intervenir…
Au préfet maritime qui réclame de l’eau de source et des casernes salubres, ils répliquent :
– Il est inouï, le préfet… Il est inouï…
– Si les soldats n’ont pas d’eau, qu’ils boivent de la bière…
– Si les casernes sont malsaines, eh bien, qu’ils campent…
Bref, pas de crédits. Mais un huissier apporte l’annonce de la mort d’un bourgeois, emporté par l’épidémie. C’est alors le docteur Triceps, conseiller municipal et comité scientifique à lui tout seul, qui prend les choses en main d’un ton martial :
– Nous devons lutter ! Aux circonstances douloureuses, opposons les résolutions viriles… Aux périls qui nous menacent, l’énergie qui en triomphe… Etes-vous prêts à tous les sacrifices ?
– A tous… à tous…
– Il nous faut de l’argent…
– Nous en trouverons.
– Nous en inventerons… nous en forgerons…
– Les emprunts !
– Les octrois !
– Les expropriations !
– Il faudra démolir les vieux quartiers de la ville, ces foyers d’infection…
– Nous les démolirons…
– et les reconstruire…
– nous les reconstruirons…
Suivent des mesures délirantes, et enfin :
– Nous établirons des conseils d’hygiène en permanence… des commissions de salubrité… des syndicats de prophylaxie… Des congrès médicaux. Des instituts Pastoriens…
– Votons… Guerre aux microbes ! Guerre à la mort ! Vive la science !…
– Oui, Messieurs, nous allons voter… des choses inouïes… des mesures exceptionnelles…révolutionnaires même… des sommes formidables…
– Je demande dix millions.
– Que voulez-vous faire avec dix millions ?… Non, vingt millions!
– Cinquante millions !
– Eh bien 75 millions !
– Non… Cent millions !… (Hourrah formidable)
Un très vieux conseiller émet des doutes :
– Mais où trouverons-nous tous ces millions ?
Je vous laisse découvrir la réponse du maire et des autres conseillers à cette question saugrenue.
Excellent ! Merci.
Encore une « pépite » très intéressante de ton grenier…
Au fil des siècles les pandémies ont toujours été présentes et nous pensions peut-être que cela n’arriverait plus.
J’aime beaucoup le dernier texte, je me laisse à penser que rien n’a vraiment changé depuis.. chez nos politiques !
Une trouvaille, quelle actualité !
Oui, rien de nouveau sous le soleil.