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Se rabougrir

Claude Monet, Belle-Ile-en-Mer, effet de pluie, 1886, musée Artizon à Tokyo

A l’automne 1886, Claude Monet travaille à Belle-Île-en-Mer et doit affronter une météo peu favorable à la peinture en plein air. Au terme d’une journée où il a plu sans discontinuer toute l’après-midi par vent du nord, alors qu’il écrit à sa compagne Alice, il a bien du mal à se réchauffer dans sa chambre à l’auberge de Kervilahouen, et il lui annonce qu’il ne répondra pas à son fils Jean ce soir car :

J’ai les pieds gelés et je ne vois qu’un moyen de me réchauffer, c’est de me rabougrir dans mon dodo.

Lettre 723 26 octobre 1886

Me rabougrir dans mon dodo ! Au milieu des considérations de toutes sortes qui peuplent ses pensées et dont il fait part à sa compagne, l’expression étonne à double titre, par son dodo familier et son rabougrir bizarre. Qu’est-ce que ce terme que nous employons surtout au participe passé comme synonyme de chétif vient faire là ?

Une recherche du sens de rabougrir sur internet apporte, à côté de très nombreux emplois pour les végétaux, une définition qui colle si exactement à l’usage que Monet fait du terme qu’il ne peut s’agir d’une erreur :

Se rabougrir décrit le comportement d’un individu qui chercherait à rassembler bras et jambes contre son corps, pour réduire son espace corporel, pour garder sa chaleur corporelle ou pour rester dans un état de prostration.

Malheureusement je n’ai pas trouvé cette définition ailleurs que sur le site l’internaute. Larousse, Littré, Robert, l’Académie française font l’impasse dessus. Mais son emploi par Monet me conforte dans l’idée que cet usage pronominal du verbe a existé, même s’il n’était pas fréquent. Est-ce un régionalisme ?


4 commentaires

  1. Au sein du cercle familial, dans ma petite enfance, le mot était même employé avec un troisième sens : bouder, être boudeur. L’image était : se renfermer dans sa coquille, se recroqueviller dans sa coquille. En cela, la signification se rapprochait de celle qu’utilise Monet qui va se recroqueviller au fond de son lit pour se réchauffer. Et, selon la situation, on comprenait qu’il aurait fallu changer l’eau des fleurs dans le vase, qu’il ne servait à rien de s’isoler en faisant la mauvaise tête ou qu’il serait souhaitable de se tenir plus droit à table. Je ne sais pas si ça tenait, chez nous, de la région ; les souches familiales étant havraise par mon père et briarde par ma mère, qui avait plutôt l’apanage de l’emploi de ce genre de vocabulaire.

  2. Monet a souffert pour la réalisation de ce tableau, mais quelle réussite!
    J’aime beaucoup ces termes utilisés mais qui imagent si bien son ressenti..son « dodo » m’a touchée.

  3. Au Québec dans les années 50-60 il était courant de s’entendre dire l’hiver lorsqu’on arrivait chez quelqu’un, et surtout à la campagne,
    ¨enlève ta bougrine ¨. En des temps plus reculés, la bougrine était un manteau en gros tissus qui tenait bien chaud. Alors, rabougrir et bougrine….même famille !

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Ariane.

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