L’impressionnisme est à la mode, et les impressionnistes ont aimé la mode immodérément. Moralité, le musée d’Orsay, alias M’O, se moquant des mauvais coucheurs maussades qui maugréent, a mitonné une expo qui mêle mode et tableaux. Et l’émotion est là.
Oui, c’est grand public, la prise de risque est nulle, mais quel est ce snobisme qui voudrait réserver les expos à une élite ? Ce beau thème méritait d’être traité, et l’Impressionnisme et la mode fait lumineusement comprendre que qui dit mode dit modernité.
Pour avoir une idée de cette expo, je vous recommande le billet de Tania.
Je résume le propos : la rupture apportée par le courant impressionniste, c’est de s’attacher à capter des instantanés de la vie contemporaine, et non plus de représenter des histoires. Quand les impressionnistes peignent des personnes, elles sont habillées avec ce qu’elles portent tous les jours, à la dernière mode.
Enfin, probablement avec ce qu’elles ont de mieux, des vêtements qui les flattent, qui marquent leur bon goût, qui témoignent de leur rang. Pour se faire peindre, on n’allait pas mettre n’importe quoi non plus.
La force de l’expo, c’est de faire sentir la place que tient l’habillement dans la société du 19e siècle, une place de premier plan, écrasante, contraignante, ruineuse.
Mais surtout, l’idée de génie a été de rapprocher robes et tableaux. En regard des oeuvres, on admire, dans des vitrines, des vêtements provenant du musée de la mode et du costume.
C’est une belle leçon de peinture, et c’est bien plus. On aurait envie de toucher ces étoffes, comme dans un magasin. Comme pour s’assurer de leur réalité. Elles nous font sentir soudain le passage du temps.
L’impressionnisme est à la mode, on peut sans problème accrocher une repro de Monet chez soi, mais on ne pourrait en aucun cas porter ces vêtements. S’étouffer dans ces corsets, entrer dans ces robes de 32 centimètres de tour de taille, déambuler en traînant derrière soi ces mètres de tissu. Cette mode-là appartient définitivement à un lointain passé.
L’émotion est dans ce dialogue entre l’autrefois et le présent, car le virtuel de l’image figurée sur le tableau devient réel, trivial presque. Par leurs vêtements les personnages descendent des cadres et deviennent des personnes qui font irruption dans notre 21e siècle.
On avait beau avoir lu Zola et connaître la condition féminine à l’époque, le concret des objets montrés touche. C’était donc cela, être une femme au dix-neuvième ? Et aujourd’hui, à quels diktats de l’apparence obéissons-nous sans même nous en rendre compte ?
J’ai gardé pour la fin, parmi les questionnements suscités par l’Impressionnisme et la mode, celui qui provoque le plus de commentaires dans les médias : la mise en place d’une scénographie un peu (trop ?) présente de l’expo. Ambiance défilé de mode, évocation d’un jardin public, l’idée qu’il faille un décor à une expo ne va pas de soi, il semble même qu’elle fasse l’unanimité contre elle. Kitsch, inutile, lourde, que sais-je… Mais peut-être n’est-ce qu’une question de temps. Qui sait, d’ici quelques années, nous nous serons peut-être habitués à la mise en scène des expos comme aux décors de théâtre.
Affaire de convention sans doute. De mode. Dans le fond, la prise de risque d’Orsay, l’idée novatrice qui bouscule, c’est celle-ci.
Portrait de Madame Gaudibert, Claude Monet, 1868, huile sur toile 216x138cm, Musée d’Orsay, Paris.
Contente, Ariane, que vous y ayez pris autant de plaisir. J’aime beaucoup votre commentaire et vos questions : "C’était donc cela, être une femme au dix-neuvième ? Et aujourd’hui, à quels diktats de l’apparence obéissons-nous sans même nous en rendre compte ?" (Merci pour le lien.)