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Les Andelys par Vallotton

Félix Vallotton, Le château Gaillard et la place des Andelys, 1924, musée de Vernon

Parmi toutes les belles toiles nabies que le musée de Vernon a la chance de posséder, peintes par Pierre Bonnard et Maurice Denis notamment, si nouvelles à leur époque, celle-ci est certainement la plus dérangeante. Elle est signée Félix Vallotton.

Les Andelys, la place Saint-Sauveur l’après-midi.

Félix Vallotton, (alias le Nabi étranger car il est né en 1865 en Suisse à Lausanne) s’est fait une spécialité de la peinture grinçante. Au début, elle met mal à l’aise, ce qui est le but recherché. Avec le temps, à mesure que l’on découvre Vallotton, c’est une nouvelle forme de plaisir pictural qui s’installe, un peu comme on anticipe l’humour trash d’un éditorialiste en se disant « qu’est-ce qu’il va encore nous sortir ».

Comme nous en informe le tableau, daté à côté de la signature, Félix Vallotton a séjourné en 1924 au Petit Andely, à une trentaine de kilomètres de Giverny vers l’aval de la Seine, et il a exécuté plusieurs tableaux de ce quartier très pittoresque des Andelys. Le motif de celui du musée de Vernon est pris derrière l’église Saint-Sauveur, et fait apparaître la silhouette du Château-Gaillard à l’arrière-plan.

Un siècle plus tard, le lieu n’a pas changé, ce qui est un petit miracle au regard des bombardements de 1940 qui ont ravagé le Grand Andely, à un kilomètre de là. Si bien que la comparaison du tableau et du motif est possible, et révélatrice : au naturel, le château est beaucoup plus loin. Le peintre l’a rapproché de nous pour lui donner un aspect pesant, imposant, angoissant. La forteresse domine le village de toute l’autorité ducale, et ses hauts murs font penser à une prison.

Quand je guide au musée de Vernon et que je demande aux visiteurs s’ils aiment ce tableau, il s’en trouve toujours pour faire la grimace. « Ce vert ! » disent-ils. La photo ne traduit pas totalement l’acidité de la couleur choisie par Vallotton, si présente dans le tableau. On cherche ensemble encore d’autres raisons à leur rejet : la masse sombre de l’église paraît menaçante, l’ombre inquiétante envahit tout, le vide de la place n’est pas de bon augure… La dame au chien paraît avalée par l’église, le monsieur à la canne rase le mur. Ce n’est pas un endroit où il fait bon se promener.

Tout cela est calculé. Si Vallotton avait voulu son image plus gracieuse, il aurait pu peindre son motif au soleil du matin, ou encore se placer de l’autre côté de l’église, à l’ouest. L’artiste, aux dires des commentateurs, porterait en lui une part d’ombre et la peinture lui servirait à l’exorciser.

Mais il y a toujours une note d’humour, et je la vois dans ce volet qui se détache sur le bord gauche du tableau. Qui dit volet dit fenêtre, vue, spectateur. Vallotton nous propose de nous mettre à cette fenêtre et « d’admirer » la vue.

Les fenêtres d’ailleurs abondent dans cette oeuvre, certaines un peu trop mignonnes pour être honnêtes, presque puériles avec leurs petits rideaux. Elles tournent le dos au château menaçant, comme si elles refusaient de regarder le danger en face. D’autres sont fermées de volets, muettes.

On est si peu de temps après la Première Guerre mondiale, et Vallotton a été si impliqué dans ce conflit, qu’il ne me paraît pas hors de propos d’imaginer que les fenêtres fermées de volets sont une image des morts. Les autres fenêtres seraient alors une image des vivants, bien « sages » et inconscients des périls qui s’annoncent. Cette ombre gigantesque qui vient de l’Est et qui mange le mur ensoleillé de la maison du fond pourrait figurer la menace de la Prusse sur la France, dont Vallotton, plus lucide que les autres, sait qu’elle n’est pas écartée. Et le château en ruines au sommet de la colline prend alors le sens d’une défense dérisoire, obsolète, qui prête à rire. C’est cela, l’humour de Vallotton.


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Ariane.

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