Rien de plus doux que les couleurs utilisées par Monet pour rendre la lumière qui baigne Bordighera, en Italie : des roses pâles, des bleus légers, des verts tendres. Ces teintes font aujourd’hui nos délices, mais quand Monet les pose sur la toile, il s’en effraie. On est si loin des couleurs académiques, « et pourtant c’est ainsi ».
Dans ses lettres, le peintre ne cesse de dire son étonnement des couleurs, en même temps que son émerveillement. A Duret, le 2 février 1884, il écrit :
Je suis installé dans un pays féerique. Je ne sais où donner de la tête, tout est superbe et je voudrais tout faire ; aussi j’use et gâche beaucoup de couleurs, car il y a des essais à faire. C’est toute une étude nouvelle pour moi que ce pays et je commence seulement à m’y reconnaître et à savoir où je vais, ce que je peux faire. C’est terriblement difficile. Il faudrait une palette de diamants et de pierreries. Quant au rose et au bleu, il y en a ici.
Claude Monet, Les Palmiers à Bordighera, 1884, Metropolitan Museum, New York
Le 3 février 1884, il confie à Alice :
Maintenant je sens bien le pays, j’ose mettre tous les tons de rose et bleu ; c’est de la féerie, c’est délicieux, et j’espère que cela vous plaira.
Pourtant, au fond de lui, il doute encore, à en faire des cauchemars, qu’il raconte à Alice le 6 février :
C’est une journée bien différente que j’ai passée aujourd’hui, journée sans travail aucun, mais ce matin, j’ai cru que j’allais être malade ; j’avais du reste passé une très mauvaise nuit ; contrairement à mon habitude, j’ai eu tout le temps des cauchemars, voyant tous mes tableaux faux de ton, puis les apportant à Paris, où tout le monde m’avouait n’y rien comprendre. J’étais désespéré ; Durand n’en voulait pas et je maudissais ce voyage.
Mais sa mauvaise nuit et son mal de tête avaient aussi une autre cause :
Ce soir à dîner, tout le monde m’a dit qu’hier j’avais très mauvaise mine, que je travaillais trop, que j’avais tort de rester trop au soleil, d’autres qu’il ne fallait pas rester dehors, passé une certaine heure, que le climat était traître et pernicieux aux gens bien portants ; bref, un tas de bêtises. J’étais évidemment fatigué, comme je le sentais depuis plusieurs jours, et voilà tout.
Le lendemain, il n’est pas encore remis :
Je me suis remis au travail ce matin, mais j’ai été tout mal à l’aise pendant toute la journée. Ce soir, je me sens mieux ; j’ai eu tout le temps mal à la tête et comme de la fièvre. Aussi ai-je travaillé avec plus de sobriété, car c’est évidemment dû à la surexcitation du travail.
En mars, près de deux mois après son arrivée, Monet finit par assumer pleinement les coloris qu’il emploie. Ainsi, le 10 mars, dans une lettre à Alice, il exulte :
Maintenant je le tiens ce pays féerique et c’est justement ce côté merveilleux que je tiens tant à rendre. Evidemment bien des gens crieront à l’invraisemblance, à la folie, mais tant pis, ils le disent bien quand je peins notre climat. Il fallait en venant ici que j’en rapporte le côté saisissant. Tout ce que je fais est flamme-de-punch ou gorge-de-pigeon et encore ne le fais-je que bien timidement. C’est du reste chaque jour plus beau. Les amandiers et les pêchers mêlés aux palmiers, aux citronniers toujours avec leurs fruits dans des harmonies délicieuses.
Passionnante, cette série sur Monet à Bordighera ! Merci, Ariane.