Voici le plus bel arbre du jardin de Monet : un hêtre pourpre planté par ses soins, au tournant du 19e et du 20e siècle. Comme l’arbrisseau devait avoir déjà quelques années à sa plantation, il aurait donc 130 ans, au bas mot. C’est un âge où les hêtres, arrivés à leur plein développement, sont majestueux.
L’arbre ne présente aucune trace de fatigue, de vieillesse : il lui reste encore de longues années à vivre, 200 peut-être. Il se tient droit et noble, étalant son houppier à vingt mètres de haut.
J’aime bien prendre le temps de le présenter aux visiteurs. Dans leur silence, les arbres ont tant de choses à nous dire. Celui-ci nous relie au geste de Monet de le planter. Cette essence, à cet endroit précis. L’artiste savait qu’il ne le verrait jamais arriver à maturité : le peintre avait déjà soixante ans. Il l’a planté pour nous, les générations futures, en se disant qu’un jour, il ferait bien. Merci, Monet.
C’est la signature d’un bon jardinier : en ce qui concerne les arbres, un vrai jardinier sait que nous profitons de ceux plantés par les générations qui nous ont précédés, et que nous plantons pour celles qui nous suivront. Ce hêtre est un trait d’union entre l’époque révolue de Monet et celle pas encore advenue de nos arrières-arrières-petits-enfants.
L’arbre interroge aussi par ses couleurs changeantes. Au printemps, quand les feuillettes se déplient, elles sont pendant quelques jours d’un rose adorable. Puis elles foncent au soleil. De loin, en été, l’arbre a l’air presque noir. Mais, surprise ! Quand on se trouve en-dessous, les feuilles paraissent du plus beau vert, si bien que certains visiteurs ont peine à croire qu’il s’agit bien d’un hêtre pourpre. Les feuilles ont besoin de lumière pour foncer, or l’arbre se fait de l’ombre à lui-même, et seules les feuilles extérieures, celles que l’on voit de loin, deviennent sombres.
L’autre jour, j’étais incognito dans le jardin de Giverny en train de faire quelques photos, quand un visiteur m’a interpelée. « Vous êtes guide ? vous faites toujours voir le jardin ? » Il y a dix ans, il avait suivi une de mes visites. Il se souvenait de mon visage, ce qui m’a paru déjà un exploit, mais aussi « de l’arbre qui change de couleur ».
J’ai été touchée de ce témoignage. Ce sont toujours nos émotions que nous gardons en mémoire, et non les faits et les explications. Et je sais que découvrir depuis le bout du bassin le pourpre intense du hêtre qui paraissait si vert tout à l’heure surprend, voire saisit les personnes à qui je fais remarquer ce changement de couleur.
Alors peut-être que cela n’a pas grand chose à voir avec l’impressionnisme, mais c’est merveilleux qu’un détail, dans le commentaire délivré, ait marqué assez mon auditeur pour rester dans sa mémoire.
Et peut-être qu’au fond, ce jeu de couleur, dans le jardin d’un peintre, a plus de sens qu’il n’y paraît. Peut-être que Monet, en jardinier avisé, avait pleinement conscience de l’effet futur, et qu’en plantant ce hêtre pourpre, il riait sous cape du bon tour qu’il allait jouer à nos yeux, un siècle plus tard.
Magnifique cet arbre qui continue à traverser les âges pour le plus grand plaisir des visiteurs,de plus tu sais le faire admirer et certains s’en souviennent…je comprends que tu sois émue!!!
En 10 ans les traces du temps n’ont pas d’effet sur toic’est super !
Ah, sur moi, si, sur l’arbre, non ! 🙂
Mais non,mais non….
Quel beau billet, merci, Ariane. Chaque fois que nous passons par là, nous regardons avec émotion le hêtre pourpre du square voisin et d’autres vieux arbres, tous menacés par le projet d’extension du métro bruxellois : on prévoit de tous les abattre pour ériger une nouvelle station sous le square, malgré les protestations.
Les dépassements du budget dans les chantiers déjà menés de l’autre côté de la ville suffiront-ils à interrompre le métro 3 ? Beaucoup de riverains l’espèrent.
Tenez bon !