Auguste Renoir, La Mosquée, 1881, musée d’Orsay, Paris. Tableau ayant appartenu à Claude Monet.
Monet peignait à l’huile, dessinait au pastel, au crayon, mais est réputé n’avoir jamais pratiqué l’aquarelle. Pourtant, cette affirmation est démentie par une lettre datée du 8 mai 1920 et adressée à son ami le critique Gustave Geffroy, alors en train de préparer une biographie sur Monet :
(…) En ce qui touche mon séjour en Algérie, il fut pour moi un enchantement. J’y effectuais mon service militaire aux chasseurs d’Afrique à Oran et j’y ai connu un compatriote normand, Pierre-Benoît Delpech, de Granville, qui devait par la suite demeurer dans ce charmant pays. J’ai conservé de bonnes relations avec lui et nous nous revoyons presque tous les ans. Il a acheté d’ailleurs certaines de mes toiles, et en le recevant l’année dernière à Giverny, il m’a montré nombre de dessins et d’aquarelles de moi faites en Algérie et datant de 1862. Il vous les montrera si vous le lui demandez puisque vous le connaissez. A l’époque, je considérais l’aquarelle comme un moyen excellent et rapide pour rendre cette « instantanéité » de la lumière. Clemenceau a emporté un jour une de mes aquarelles d’Algérie et j’ai pu voir dans sa maison vendéenne cette oeuvre de jeunesse qui représentait la vieille porte espagnole de la casbah d’Oran. Je vais vous adresser deux dessins de paysages algériens de la même époque. Clemenceau a de moi également deux aquarelles, Les Nymphéas que vous pourrez voir chez lui, ainsi qu’une autre aquarelle représentant sa maison de Saint-Vincent-sur-Jard. J’aime bien cette technique de l’aquarelle et regrette de ne pas m’y être adonné plus souvent. (…)
Cette étrange lettre est publiée par Daniel Wildenstein dans sa première édition du catalogue raisonné de Monet. Elle est passée en vente au Nouveau Drouot en 1982, elle a donc dû être authentifiée par leur expert.
Si je la trouve étrange, c’est qu’elle ne colle guère avec le reste de la correspondance de Monet à cette époque. Ceci n’est qu’un extrait, elle est trois fois plus longue. Le peintre souffre de la cataracte, il n’aime pas la correspondance, toutes ses lettres avant et après cette date sont brèves, concises, et il se mettrait tout à coup à discourir sur des pages ? D’autre part, le 20 janvier 1920, en réponse aux questions que Geffroy lui a adressées, il lui a répondu sèchement qu’il se refusait à se prêter à des questionnaires, n’y voyant aucun intérêt. Quatre mois plus tard, il deviendrait soudainement intarissable ?
Si l’on se penche sur le contenu, le malaise persiste. En Algérie, Monet n’était pas à Oran mais à Alger, dans le quartier de Mustapha. Comment pourrait-il confondre ? Si elles ont existé, toutes les lettres au nommé Pierre-Benoît Delpech ont disparu. Celui-ci aurait possédé plusieurs Monet ? Seul un Delpuech figure dans l’index des collectionneurs de Monet, avec un seul numéro. Geffroy le connaîtrait aussi ? Quel hasard ! Et Delpech aurait des aquarelles, de plus en plus fort. Certes elles sont parfaites pour rendre l’instantanéité, et Jongkind, grand aquarelliste qui fut le maître de Monet, a pu l’initier à cette technique, mais alors pourquoi aucune n’a subsisté ? Où est cette fameuse aquarelle de la porte espagnole de la casbah d’Oran (encore ! ) possédée par Clemenceau, ses deux Nymphéas à l’aquarelle, sa maison de Saint-Vincent-sur-Jard ? Que sont devenus les deux dessins de paysages algériens que Monet promet d’envoyer à Geffroy ? Et si Monet aime tant l’aquarelle, qu’est-ce qui l’empêché d’en faire autant qu’il voulait ? Tout cela est tout de même très bizarre. Pis : dans sa biographie, Geffroy ne reprend pas les éléments fournis par Monet dans cette lettre. Ne les aurait-il jamais reçus ?
Complètement d’accord. Je partage vos doutes.