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Le nénuphar ne sait pas faner

Giverny, 7 octobre 2022

Des fleurs toujours fraîches tout au long de la saison… Le nymphéa aurait-il trouvé le secret de la jeunesse éternelle ? Le visiteur scrute en vain la surface du bassin de Claude Monet à la recherche d’une corolle fanée. Partout, il ne voit que pétales lumineux et boutons pleins de promesses.

Il faut un oeil attentif pour distinguer les fleurs qui vont bientôt s’ouvrir de celles qui ne le feront plus jamais. Car, non, la durée de floraison des nénuphars n’est pas très longue, entre 3 jours et une petite semaine tout au plus. Toute la subtilité est dans la façon de tirer sa révérence.

Après avoir ouvert ses pétales face au ciel et au soleil, après avoir célébré la beauté du monde en y apportant sa touche de couleur et de grâce, le nymphéa épuisé referme une dernière fois sa corolle. Il s’affaisse. Si une feuille se trouve là, il repose sur elle, sinon il coule au fond de l’eau.

Le nénuphar jeune a un bouton bien serré et se tient droit.

Pari gagné

Les nymphéas sont en fleurs sur l’étang de Claude Monet, un mois après avoir été replantés. Les jardiniers ont gagné leur pari. « On était au pied du mur », confie l’un d’eux.
En début de saison, les nymphéas, fleurs iconiques de Giverny, refusaient obstinément de pousser et de fleurir. Ils étalent désormais leurs beautés dans le bleu du reflet, et les visiteurs peuvent admirer des variétés peu vues encore à Giverny, choisies dans l’esprit de Monet.

Les grands moyens

Demain il n’y paraîtra plus. Les jardiniers de la Fondation Monet ont procédé ce matin à une opération d’entretien du bassin aux nymphéas. Objectif : replanter une soixantaine de nénuphars nouveaux, en diviser certains, retirer les algues…
Pour cela, le niveau du bassin a été baissé d’une quarantaine de centimètres et les jardiniers étaient nombreux à racler, arracher, planter…
Les nénuphars commandés chez Latour-Marliac avaient été préparés à l’avance. On les plante trois par trois en « taches », selon l’expression des jardiniers, pour faire plus d’effet.
Dès 7 heures du matin, toute l’équipe a pataugé dans l’eau froide en une course contre la montre. Les nénuphars ne supportent pas bien d’être au sec quand le soleil chauffe. Il fallait avoir fini le plus vite possible pour remettre en eau en début d’après-midi.
Selon les experts es nymphéas de la Fondation Monet, le résultat de tout ce travail devrait pouvoir s’apprécier dans une huitaine de jours déjà, et certainement tout l’été.

Premiers nymphéas

Nenufars Giverny

Les premiers nénufars sont éclos à Giverny. Les voyez-vous ? Ils sont blancs et assez petits. Ce sont toujours les mêmes qui ouvrent le bal, les plus robustes, les moins exigeants sur la température de l'eau.

(suite…)

Fin du jour

Nympheas à contre-jour

Il n’y a plus de fleurs de Nymphéas, mais a-t-on vraiment besoin de fleurs ?
Avec le changement d’heure, cette semaine en fin d’après-midi le soleil couchant dore les radeaux de nénuphars de l’étang de Monet.

C’est la lumière qui fait tout

Nympheas à contre-jour

Il reste des nénuphars sur le bassin de Monet, une trentaine peut-être, des roses surtout. Encore assez pour capter les rayons du soleil dans leurs pétales, tandis que leurs corolles flottantes s’environnent de l’éclat aveuglant des feuilles, petites gouttes d’argent en fusion sur le miroir moelleux du ciel.

P.S. Si vous avez envie de musique douce sur des images printanières de Giverny, allez voir cette vidéo sur youtube. Adrian Bell a composé spécialement la musique de ce duo de violoncelle et guitare. Ca change de Debussy… Et c’est délicieux, tout comme le petit dessin fait par son épouse à la fin de la vidéo.

De bronze et d’ébène

Contre-jour sur l'étang de Monet
C’est l’alchimie du petit matin, quand le soleil apparaît derrière la colline de Giverny et que le contre-jour transforme tout ce qu’il touche en éclats de lumière.
Les rayons vont fouiller les ténèbres, réveillant le bassin encore perdu dans ses songes.
Sous ce pinceau, les nénuphars se revêtent d’une patine couleur bronze.
Les particules suspendues entre air et eau deviennent des perles scintillantes.
La parure sera brève, mais elle recommencera demain.

Nénuphars et imaginaire

Nénuphar à GivernyIl faut bien le dire, à moins d’être l’heureux propriétaire d’une mare, dans la vie courante on ne rencontre pas des nénuphars tous les jours, si bien que l’idée qu’on s’en fait doit beaucoup à leurs représentations. Curieusement, autant il n’est pas si fréquent de voir des nénuphars en vrai et de près, autant ils figurent partout, surtout depuis que l’Art Nouveau en a fait l’une de ses plantes fétiches.
On peut bien se moquer de la façon dont les hommes du Moyen Age s’imaginaient les lions, les éléphants et les rhinocéros. Côté nénuphars, depuis nos premiers coloriages nous avons en tête que la fleur pousse au milieu de la feuille, joliment posée dessus.
Si c’est le cas, c’est le hasard, mais un hasard assez courant. Fleurs et feuilles sont indépendants au bout de leurs tiges respectives, à dériver mollement à la surface comme un bateau à l’ancre. Quand par hasard la fleur glisse dans l’encoche de la feuille de nénuphar, il lui est difficile d’en ressortir. Elle peut y passer toute sa vie de fleur. Bien épanouie, elle nous ravit par sa façon de répondre exactement à nos attentes, telle qu’on l’imagine.

Le début des nénuphars

Nymphéa à GivernyVoilà une semaine que les premiers nymphéas ont éclos à Giverny, le 9 ou le 10 mai. Le 8 il n’y en avait aucun, le 11 ils étaient une demi-douzaine.
Ce sont toujours les blancs qui ouvrent la danse, entre l’embarcadère et le petit pont. Des petits nénuphars tout simples annonciateurs de la belle saison. Les roses et les jaunes suivront.
Le début des nymphéas marque la fin de la glycine, cette féerie mauve qui enguirlande le pont de grappes souples bercées par le vent.
Les pétales des glycines tombent à la surface et viennent se mêler aux nénuphars pour une rencontre éphémère, ils s’accrochent aux feuilles comme s’ils avaient des choses à se dire.
La magie de l’étang a commencé, ce magnétisme qui happe le regard pour ne plus le lâcher, qui absorbe le spectateur, engloutit son attention, et l’entraîne dans un monde aquatique de réel et de faux-semblant, de présence et d’illusion, d’attente et d’adieu.

La couleur de l’eau

Nymphéas dans le doré Comme la peinture, le cadrage photographique soustrait l’environnement du motif à la vue pour ne conserver qu’une petite portion subjective du décor.
L’oeil qui, dans le paysage, éprouve des difficultés à faire abstraction de la globalité et à se focaliser sur un endroit précis, se voit contraint d’oublier tout le reste.
Comme la peinture, la photo révèle ce qui se donnait à voir.
Prenez la couleur de l’eau, par exemple. Un jour de beau temps, difficile de ne pas s’imaginer qu’elle est bleue. Dans tous les espaces dégagés comme la mer, l’eau s’offre en miroir du ciel.
Il en va autrement dans le bassin de Claude Monet à Giverny. Les grands arbres qui l’entourent se reflètent à la surface, et la variété des couleurs de leurs feuillages est multipliée par les différents effets de lumière de la journée.
Il en résulte une infinité de colorations possibles autour des nymphéas, qui peuvent baigner dans le bleu, l’argenté, le noir, le gris, le vert émeraude, le roux, le jaune… et même dans cet étrange vert doré des branches de saule en plein soleil.
Un motif en vérité si changeant qu’il méritait bien l’infinie patience de Monet à le représenter encore et encore, dans ses déclinaisons de tons les plus spectaculaires ou les plus douces.

Inaccessible

Nénuphars blancs à Giverny
Depuis que les nénuphars ont recommencé à fleurir, le bassin de Monet a retrouvé son aspect coutumier.
Chaque jour de nouvelles fleurs apparaissent, à la faveur d’une eau qui dépasse désormais les 16° fatidiques.
Les moins frileux sont les blancs, premiers à montrer leurs corolles, puis viennent les roses et les jaunes, les pêche, les crème, tout un camaïeu de couleurs douces piquetées au milieu de l’eau.
A quoi tient la magie des Nymphéas ? Pourquoi fascinent-ils autant ?
Une visiteuse de Giverny m’a révélé leur secret. Avec le léger sourire de quelqu’un qui s’excuse presque de proférer une évidence, elle m’a dit :
– Le charme des nénuphars, c’est d’être une fleur inacessible. Personne ne peut la cueillir.

Les pieds dans l’eau

La taille des nénupharsPour cette journée la plus chaude de l’année, le thermomètre est monté à 37,5 degrés hier à Giverny. Les visiteurs de la Fondation Monet s’attardaient du côté du jardin d’eau, en rêvant de faire trempette dans la rivière.
C’est cette journée caniculaire que les jardiniers ont choisie pour procéder à la taille des nénuphars, une opération assez désagréable par temps froid mais qui revêtait soudain un attrait incontestable.
On ne peut guère tailler les nymphéas depuis une barque. Le meilleur moyen est de se tenir debout dans le bassin.
Les jardiniers enfilent des cuissardes et, de l’eau jusqu’au torse, s’avancent avec précaution. L’eau est plus profonde qu’il n’y paraît, le fond du bassin étant dissimulé sous une bonne épaisseur de vase dont chaque pas soulève des nuages.
La tâche consiste à éclaircir les taches de nénuphars. Non pas qu’on procède à quelque tour de main de lavandière, le nénuphar n’est pas spécialement salissant, si vous préférez, on enlève une partie des feuilles des radeaux de nymphéas.
Si on les laissait faire, ces plantes extrêmement vigoureuses recouvriraient vite tout le bassin, une propriété qui a inspiré à Albert Jacquard son inquiétante équation du nénuphar.
Je ne sais pas si elles en mourraient. Mais elles sont plus jolies, les fleurs sont plus visibles quand il n’y a pas trop de feuilles, ce qui permet qu’elles flottent à la surface plutôt que de s’entasser les unes sur les autres. Et puis c’est l’effet que Monet entretenait, il voulait qu’on aperçoive les reflets entre les horizontales des nymphéas.
Les jardiniers arrachent les feuilles superflues ou brunies, tout au bout de leur interminable tige rouge. Où les mettre ? Elles sont si volumineuses ! Le fait d’être au milieu de l’eau, à avancer avec des gestes de scaphandrier, complique tout. Heureusement, le petit canot est là pour servir de poubelle flottante.
Plusieurs jours de travail sont nécessaires pour nettoyer tous les nénuphars : la canicule ne durera pas aussi longtemps.

Flotter

NénupharAucune autre fleur sous nos climats n’exerce la même fascination hypnotique que le nénuphar.
Bien sûr il y a cette couronne parfaite de pétales aux coloris tendres, ces blancheurs laiteuses, ces roses délicats ; et ces feuilles luisantes, argentées dans le contre-jour, où l’eau s’autorise une petite visite. Ensemble, le relief de la fleur et le plat de la feuille produisent un effet tasse et soucoupe inhabituel, très agréable à l’oeil.
Mais l’attrait visuel ne suffit pas à expliquer pourquoi on pourrait rester des heures à regarder des nymphéas.
Je crois qu’entre aussi en jeu une sensation physique que l’humain aime entre toutes : celle de flotter sur l’eau.
Par nénuphar interposé voilà que se réveille le souvenir de ce bien-être originel.
La tige du nymphéa pousse le bouchon jusqu’à ressembler comme une goutte d’eau à un cordon ombilical.

Latour-Marliac

Nénuphar blancA l’époque où Claude Monet achète sa propriété de Giverny, il n’y a pas trente-six sortes de nénuphars en France. Les seuls que l’on trouve sont de couleur blanche, unique variété résistant aux hivers de nos régions.
Mais le dix-neuvième siècle se passionne pour la botanique, tout particulièrement l’hybridation. Dans le sud de la France, à Temple-sur-Lot, un jeune horticulteur est en train de réussir des merveilles. Il a l’idée d’hybrider la souche rustique de nénuphar blanc à des variétés de nénuphars exotiques.
Bingo ! Joseph Bory Latour-Marliac obtient de magnifiques couleurs, toute une gamme du rose pâle au rouge intense.
La pépinière de nénuphars Latour-Marliac de Temple-sur-Lot existe toujours. Sur son site internet, elle évoque ainsi le lien avec Claude Monet :

En 1889, Latour-Marliac eut le sentiment que sa collection était assez importante pour être présentée à l’Exposition Universelle de Paris cette année-là ; aussi ses plantes d’un nouveau genre furent-elles dévoilées en même temps que la Tour Eiffel. Installés dans les jardins d’eau devant le Trocadéro, les nénuphars hybrides firent sensation et obtinrent le premier prix de leur catégorie. Plus important encore, ils attirèrent l’œil du peintre Claude Monet qui en fut émerveillé et tenu sous le charme. C’est cette expérience au Trocadéro qui l’inspira lorsqu’il construisit son jardin d’eau à Giverny.

L’entreprise a encore dans ses archives les bons des commandes passées par Monet. En jardinier passionné, Monet était fasciné par les dernières obtentions horticoles. Ses toiles de Nymphéas sont doublement modernes pour son temps, par leur audace picturale et par ce qu’elles représentent, des fleurs nouvellement créées.

Nymphéa dans un petit bassin

Nénuphar à Plantbessin, NormandieQuand le nénuphar manque de place, il entasse les feuilles les unes sur les autres.
Les fleurs s’adaptent à cette nouvelle situation dans leur quête de lumière. Elles ne flottent plus à la surface de l’eau mais se perchent au sommet d’une longue tige qui émerge de l’eau comme un périscope.
On dirait qu’elles sont arrivées en retard au défilé et qu’elles cherchent à apercevoir les majorettes en se haussant du col derrière plusieurs rangées de spectateurs.
Ce n’est pas du tout ce qui se passe dans l’étang aux nymphéas de Claude Monet à Giverny. Sur ce vaste plan d’eau, les nénuphars ont beaucoup de place et flottent deci-delà en radeaux.
J’ai pris cette photo dans un bassin bien plus petit, à Castillon, dans le Calvados. La pépinière Plantbessin a créé de superbes jardins en guise de vitrine. Après s’être émerveillé devant des réalisations talentueuses, on peut acquérir les plantes pour lesquelles on a craqué et tenter de les acclimater chez soi.
Le bassin aux nymphéas est de dimensions réduites, ce qui permet de voir les nénuphars de près et même, et c’est le plus joli, de dessus : on peut se régaler à loisir de leur géométrie rigoureuse et de leurs coloris tendres.

Nénuphar

Nenuphar dans le bassin aux nymphéas de Monet à Giverny, Photo Anne ChrysotèmeDe même que nous fermons les volets le soir, le Nymphéa aime dormir dans les profondeurs sombres de son étang.
A la tombée de la nuit, les fleurs se referment en boutons et s’enfoncent doucement sous l’eau.
Le matin, elles refont surface, comme on le voit bien sur cette photo d’Anne Chrysotème prise dans les jardins d’eau de Monet à Giverny.
Dans un instant, les nénuphars seront prêts à faire figure de petits soleils à la surface du bassin.
Charles Prost, qui a observé les Nymphéas avec un oeil d’esthète, dit qu’ « en matière d’art, les nymphéas sont des personnes de haute culture, avec lesquelles on a grand profit à dialoguer ».

Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

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