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Blanche Monet et Georges Clemenceau

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Cette femme qui caresse doucement l'âne sans se soucier du photographe ni du Père la Victoire, c'est Blanche Monet, l'épouse de Jean Monet, fils de Claude.

(suite…)

La maison du passeur

La maison du passeur, bas-relief, VernonDe cette maison il ne reste plus que le bas-relief qui ornait la porte. Ces enfants nés avec le siècle ne sont probablement plus non plus : la carte est oblitérée 1907. La sculpture elle-même, assez abîmée, a été appliquée sur un mur près de l’embarcadère de Vernon.
Les avis divergent sur la fonction de la personne qui logeait dans cette maison. Au moment où je me documentais pour le livre sur Vernon, j’avais lu qu’il s’agissait du clerc de l’eau, le responsable de la manoeuvre de passage sous le pont par les bateaux halés. Mais j’ai rencontré aujourd’hui un éminent historien local, Jean Castreau, qui pense que c’est plutôt la maison du passeur. Car il n’y a pas toujours eu un pont en état d’être traversé à Vernon. Dans les périodes où le délabrement de l’ouvrage empêchait de s’en servir, il fallait recourir aux services d’un passeur.
On reconnaît bien, en tout cas, le type de bateau représenté. C’est une besogne de Seine, longtemps construite avec des planches qui se recouvrent qu’on nomme des clins, et pourvue d’un gigantesque gouvernail. Celui-ci, précise Jean Castreau, ne fonctionnait que dans le sens de la montée, quand le bateau était halé. A la descente au fil de l’eau, le gouvernail ne servait à rien. C’étaient des barques en remorque qui permettaient de diriger le bateau.
Le halage se faisait avec des cordes accrochées au mat. Il fallait des chevaux très robustes pour tirer ces lourdes besognes, qui transportaient jusqu’à 400 tonnes.
Les besognes ont sillonné la Seine du 18e au milieu du 19e siècle. Le style renaissant de la sculpture est donc un pastiche plus tardif.
La maison, située à proximité du pont sur la Seine, a été détruite par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale. Les ruines ont été nivelées à coup de bulldozer lors de l’aménagement du pont flottant par les troupes britanniques. Mais quelqu’un s’est avisé de la présence d’un élément décoratif intéressant et l’a mis de côté. Il ne s’agissait alors que de la moitié du bas-relief. L’autre avait été poussée dans la Seine par l’engin de terrassement.
Après la Libération, le demi bas-relief rescapé a été placé dans une façon de niche sur un mur voisin. Et puis, plusieurs années plus tard, des dragages ont été effectués dans la Seine. Hasard heureux, on a retrouvé l’autre moitié de l’oeuvre. L’assemblage des deux éléments sur le mur a été fait si habilement que je n’avais jamais remarqué l’existence d’une cassure.
En tout état de cause, il paraît difficile d’imaginer que le bas-relief illustre la légende de Saint Adjutor, même si le passeur tout comme le clerc de l’eau se plaçaient forcément sous sa protection. Adjutor, patron des bateliers, avait utilisé une petite barque pour aller calmer un tourbillon de la Seine, et non pas une besogne.

L’amidon Rémy


Carte postale ancienne présentant l’Epte et l’entrée du marais à Giverny en été. La courbe de la rivière matérialisée par la rangée d’arbres autour d’une vaste surface dégagée ressemble beaucoup au paysage des Patineurs de Monet.

Qui se sert encore d’amidon aujourd’hui ? Personne. Tout le monde. A l’époque de cette carte postale, l’amidon servait à amidonner le linge, c’est-à-dire à le protéger des salissures et, selon que le vêtement une fois trempé dans un bain d’amidon était repassé humide ou sec, à le rendre rigide ou au contraire souple et doux. Cette pratique a été délaissée depuis les machines à laver. Mais l’amidon occupe en toute discrétion une très grande place dans notre alimentation car il entre dans la composition de nombreux mets issus de l’industrie agro-alimentaire.
En France, l’amidon est surtout tiré du blé. Mais pour le repassage, le fin du fin, c’est l’amidon de riz, commercialisé par la marque Remy, une maison belge fondée en 1855 par Edouard Remy, et qui est restée propriété de la famille Remy jusqu’en 1970. En cherchant bien, on en trouve encore.
Le portail Joconde des collections des musées de France présente une amusante affiche ancienne où l’on voit un pierrot tout blanc passer de l’amidon sur le visage d’un petit ramoneur, sous le titre de Amidon Remy, Gaillon (Eure). Je suppose que tel est l’épilogue de l’histoire qui a tourné le sang de Claude Monet en 1895. Remy est allé s’implanter à Gaillon, près de la Seine, à une vingtaine de kilomètres de Giverny.
Mais il n’a tenu qu’à un fil que l’usine ne s’installe au bord de l’Epte à Giverny, car le maire y était favorable. L’industrie, l’emploi, le progrès, il voyait cela d’un très bon oeil, mais pas d’un oeil de peintre, cela va de soi. Pour Monet au contraire c’était une catastrophe qui allait défigurer son paysage chéri.
Le peintre qui n’est plus dans le besoin propose sans succès d’acheter le marais à la commune. Il a finalement gain de cause avec l’appui du préfet de l’Eure quand il offre un don de 5500 francs en vue d’assainir le marais contre l’engagement de la commune à ne pas le vendre pendant 15 ans.
L’assainissement sera réalisé sous forme d’un gros tuyau qui passe sous l’Epte et permet aux eaux du marais de se déverser près du moulin de Cossy. C’est j’imagine la raison pour laquelle le lieu dénommé le marais, s’il reste une zone imperméable et humide, n’est plus guère submergé aujourd’hui.

La ligne de chemin de fer à Giverny

Gare de GivernyDe gauche à droite, la locomotive à vapeur stationnée devant la gare de Giverny, le pont sur l’Epte et le moulin

L’un des attraits de Giverny, qui a scellé son succès auprès des peintres impressionnistes, est d’avoir été accessible par le train.
La première ligne ferroviaire de France entre Paris à Rouen dessert Vernon dès 1843. Un quart de siècle plus tard, les grandes lignes établies, on s’occupe d’en construire des petites, tout un réseau de voies secondaires qui s’enfonce profondément dans la campagne.
Giverny est accessible en train dès le 15 juillet 1869, date de l’inauguration du tronçon Gisors – Gasny – Giverny – Vernonnet.
Puis un pont ferroviaire métallique est construit au-dessus de la Seine, à Vernon, et ouvert au trafic le 15 mai 1870. Il subsiste des traces de cette voie ferrée près de l’ancienne caserne, de part et d’autre de l’avenue de Rouen.
La guerre franco-prussienne freine à peine les travaux de construction de la ligne, qui s’étend jusqu’à Pacy-sur-Eure à partir du 1er mai 1873.

Quand Monet arrive à Giverny, exactement dix ans plus tard, il peut donc très facilement se rendre à Paris, à Rouen, à Dieppe, ce qu’il ne manquera pas de faire tout au long de son séjour dans le village.
Il pourrait tout aussi bien explorer les paysages verdoyants de la vallée d’Eure en vue de motifs à peindre. Mais apparemment cela ne l’a pas tenté, pour une raison inconnue.

Le déclin de la ligne ferroviaire Gisors-Pacy s’amorce quelques années après la mort du peintre. Le tronçon vers Pacy est fermé au trafic voyageur en 1939, et on ne peut plus prendre le train en gare de Giverny à partir du 1er mars 1940.
Le pont ferroviaire, détruit pendant la guerre, ne sera pas reconstruit. Des trains de marchandises circulent encore jusqu’au 1er juillet 1964 de Gasny à Vernonnet, et puis c’est vraiment fini. On démonte la voie en 1970. Elle deviendra une voie verte quelques années plus tard.

Source : comité d’usagers de l’Ouest francilien

Photo de Monet

Photo de Monet par Lilla Cabot Perry, vers 1899-1909, Smithsonian InstitutionLe très officiel institut fédéral de recherches américain Smithsonian Institution rassemble des archives immenses, y compris sur des personnalités artistiques. Dans ses collections se trouvent quinze clichés pris par Lilla Cabot Perry, la voisine de Claude Monet, pendant ses séjours à Giverny.
En cliquant sur le lien, vous pourrez voir et agrandir ces photos uniques. Celle-ci, par exemple, a dû être prise au bout du bassin, au niveau de la vanne qui permettait de faire entrer l’eau du Ru dans l’étang. On reconnaît à l’arrière-plan la colline de Giverny.
Monet, bien campé dans ses bottes, a encore la barbe noire. La photo n’est pas datée. Le Smithsonian propose une fourchette entre 1899 et 1909. Monet a au moins 58 ans.
Son regard se perd hors champ. Réflexe de peintre, Monet a pris la pose de trois-quart face qui est celle des portraits peints. Sur la photo suivante, il présente son autre profil.
Dans ses mains, un papier, et son éternelle cigarette. Chemise raffinée, volant le long de la patte de boutonnage. Quel jour est-on ? Dimanche ?
Le chemin au tracé moins net qu’aujourd’hui est bordé de végétation. Sur la berge très étroite à cet endroit, on reconnaît des iris et des papyrus, marque du goût de Monet pour les plantes exotiques. Et juste derrière Monet, l’un des saules à osier si courants dans la région. Il y en a toujours un aujourd’hui, mais un peu plus à gauche.

Cartes postales anciennes

Les archives départementales de l’Eure ont fait l’effort de scanner un très grand nombre de cartes postales anciennes : 27000 à ce jour, on dirait le code postal d’Evreux, un chiffre symbolique. Les cartes sont non seulement numérisées, mais aussi classées et taguées pour faciliter les recherches par critères.
La production de cartes a été tellement considérable au début du siècle dernier qu’il ne s’agit évidemment pas de la totalité de celles qui existent. Mais on en a tout de même un large panel.

La recherche sur Giverny livre 90 vues. Bien que propriété privée, les jardins de Monet existaient déjà en cartes postales. On y trouve quelques-unes des vues classiques de la grande allée, à l’époque où elle était encore bordée d’épicéas, entiers, puis tronqués.
Impossible de savoir quand la photo a été prise. Les archives ont omis de préciser si la carte avait circulé, et quand. On aurait aimé voir le verso. On aurait aussi aimé pouvoir zoomer davantage. En dépit de ces petites restrictions, tel qu’il est, ce fonds est un cadeau phénoménal offert au public.
C’est émouvant de se promener dans les images des villes et villages d’hier, dans ces vues noir et blanc ou sépia où l’on reconnaît les monuments, inchangés, mais où les personnes mènent une vie qui n’est plus la nôtre.
Les lavandières battent le linge, les fermières traient les vaches, les passagers vont monter dans le train à vapeur. Tout ce monde porte des vêtements qui n’existent plus, s’embarrasse d’ombrelles, de cannes, de chapeaux.
A Giverny, les photos restituent les meules de blé, comparables à celles de Monet, de Blanche Hoschedé-Monet, de John Leslie Breck.
Des vues de rangées de peupliers, qu’on élaguait à l’époque aussi haut que possible pour en tirer des fagots, corvée d’un temps où il fallait faire feu de tout bois.
Et des vues des bords de l’Epte à n’en plus finir, comme si les photographes avaient succombé à la même fascination que les peintres de la colonie américaine de Giverny, dont c’était le motif de prédilection.

Le jardin d’eau dans l’Illustration

Le jardin de Claude Monet à Giverny, Illustration du 15 janvier 1927Ce cliché de 1923 ou 1924 montre le jardin d’eau de Monet à l’époque ou le peintre finalise les Grandes Décorations de l’Orangerie.
Le photographe, que le journal ne nomme pas, s’est placé sur le pont japonais pour saisir une vue d’ensemble du jardin d’eau, tout en évitant de se laisser distraire par la glycine, ni par le parapet.
La couleur verte règne en maître, d’autant plus que des pelouses s’étendent tout autour du bassin, là où se déploient aujourd’hui des massifs de fleurs aux couleurs vives ou tendres.
Les berges paraissent un peu nues, elles sont beaucoup plus plantées de nos jours, avec une succession d’arbustes.
En revanche, le frêne qui poussait au bord de l’eau n’existe plus, et le tronc de droite qui paraît couvert de lierre a lui aussi disparu.
Sur l’eau, la similitude est totale. Aujourd’hui comme hier on retrouve les mêmes taches de nénuphars et on voit très bien ici leur alignement suivant des lignes obliques.

Photo extraite de L’Illustration du 15 janvier 1927

Monet dans l’Illustration

Claude Monet à Giverny, Illustration du 15 janvier 1927Il y a tout juste 85 ans, le 15 janvier 1927, l’hebdomadaire l’Illustration consacrait un reportage posthume à Claude Monet, décédé un mois plus tôt à Giverny. Fidèle à sa réputation, le magazine publiait quatre grandes photos prises dans les jardins du peintre, dont deux magnifiques vues en couleurs.
Vous jugerez si le vert des volets correspond au vert actuel, sempiternel débat, mais aussi de la fidélité avec laquelle ce coin de jardin se trouve restitué aujourd’hui. Je crois que la seule différence notable est l’absence des haricots d’Espagne qui s’élançaient à l’assaut des tuteurs. Selon le chef-jardinier, c’est parce que ces fleurs ont une durée de floraison éphémère, et qu’il est plus intéressant de cultiver des grimpantes durables et spectaculaires. Ce sont entre autres des rosiers grimpants qui sont chargés de garnir les trépieds aujourd’hui.
Pour le reste, rien n’a changé. On a toujours ces deux couleurs de pélargoniums dans le premier massif bordé d’oeillets au feuillage argenté, et une seule teinte dans celui des rosiers en arbres, du rose pour s’harmoniser avec le rose des roses.
Sur la façade, la végétation proliférait à la fin de la vie de Monet, au point d’en paraître excessive. On se demande comment le Maître faisait pour fermer les volets de sa chambre. En avait-il, au fait, ou dormait-il sans pour mieux être réveillé par le point du jour ?
Et puis, figure dans le paysage, solidement posé exactement au milieu de la photo, voici Monet, tiré à quatre épingles. Chapeau de paille sur la tête, magnifique barbe blanche, veste claire avec ses éternels pans arrondis, fermée par le seul bouton du haut. Une main dans la poche, l’autre, la droite, une cigarette entre les doigts. Monet pose pour l’éternité, selon le mot de Philippe Piguet.

Du grain à moudre

Carte postale ancienne, Travaux des Champs à Giverny Cette photo est extraite de l’excellent petit recueil « Giverny en cartes postales anciennes » édité en 1992 par l’association les Amis de Giverny. On y parcourt tout le village à l’époque de Monet : c’est dire l’intérêt de ces documents.
Sur cette photo, donc, on peut observer les paysans de Giverny en train de façonner deux énormes meules dans le clos Morin, là-même où Monet a pris son motif pour la série des Meules quelques années plus tôt. On reconnaît à gauche la mairie de Giverny. Aujourd’hui, quand on se trouve au musée des Impressionnismes ou sur son parking, on est dans l’ancien clos Morin.
Ce qui frappe, c’est la dimension colossale de ces constructions éphémères. L’échelle est donnée par les deux hommes et par le cheval. La meule doit bien faire sept ou huit mètres de haut. Impressionnant, n’est-ce pas ?
L’autre aspect remarquable, c’est la netteté de la meule, sa structure architecturée. Pourquoi les agriculteurs se donnaient-ils tout ce mal ? Parce que c’était là leur trésor annuel, le blé de toute une saison.
Pour parler des toiles de Monet, il convient donc d’employer le terme de meules de blé (grainstacks en anglais) et non pas de meules de foin (haystacks). Je sais, la différence paraît un peu surréaliste aux citadins, si bien que j’avais eu déjà l’occasion de mettre les points sur les épis cet été. Mais la confusion ne date pas d’hier.
Dans « Claude Monet, ce mal connu« , Jean-Pierre Hoschedé s’étonne, à la lecture du catalogue de l’exposition Monet de 1952 à la galerie Wildenstein, de

l’ignorance de l’auteur qui, parlant de la série des Meules, appelle celles-ci « d’humbles tas de foin ». Qu’il sache donc que les meules peintes par Monet sont, non des « tas », mais de véritables constructions rondes ou carrées constituées, non par du foin, mais par des bottes de céréales, pas encore battues et justement mises en meule, encastrées les unes sur les autres, les épis tournés vers le centre, pour que les intempéries ne puissent atteindre le grain. Ces meules construites dès la moisson restent sur les champs ou près de la ferme dans l’attente des battages d’automne ou d’hiver. D’ailleurs, pour permettre cette attente, un véritable toit de chaume, un peu à la manière de celui des vieilles maisons normandes, les recouvre afin d’empêcher l’eau des pluies de pénétrer à l’intérieur de la meule.
Ces constructions deviennent rares, car les modernes moissonneuses-batteuses les rendent de plus en plus inutiles. D’autre part, rien qu’en regardant les Meules de Monet, on voit tout de suite que ce ne sont pas « d’humbles tas de foin », car ceux-ci, de dimensions réduites, toujours ronds, sont laissés simplement sur le pré, dès la fenaison, pour être rentrés le plus vite possible à la grange ou à l’étable. Excusez ce cours à l’usage des citadins ignorants de la campagne. »

Explication limpide ! Jean-Pierre Hoschedé m’est très sympathique dans ce passage, par ses talents de pédagogue, son agacement devant ce qu’il perçoit comme de la condescendance parisienne, son attachement au monde rural et son admiration pour le savoir-faire des cultivants… Il est peut-être né dans un milieu bourgeois, mais il a grandi et vécu toute sa vie à Giverny.
On comprend bien, en le lisant, les raisons qui ont poussé le propriétaire des meules peintes par Monet à vouloir les démonter au cours de l’hiver. Il y a un calendrier à respecter à la campagne, un temps pour faire les choses, et un temps où il faut qu’elles aient été faites.
Ce paysan voulait-il vraiment nuire à Monet, comme on le présente assez systématiquement dans l’histoire de l’art ? Je suis sceptique. Ce n’est pas totalement impossible, mais ce n’est pas certain non plus, pour faire une réponse de Normande.
Et je ne suis pas sûre non plus que Monet ait jugé utile de lui demander la permission de s’installer dans son champ. Tel que je m’imagine Monet, il devait volontiers se comporter en terrain conquis. J’aurais été Givernoise à son époque, je crois que ça m’aurait énervée.

La crue de 1910

Crue de 1910 à VernonCentenaire oblige, on en parle partout, et la mairie de Vernon, entre autres, lui consacre une exposition : la crue de la Seine a atteint son paroxysme le 1er février 1910, à 7,11m.
Au lieu de couler paisiblement au pied de la colline à droite sur la photo, le fleuve a, pendant plusieurs jours, empli à nouveau sa vallée.
Après une première décrue, l’eau est remontée à la mi-février, coupant Giverny du monde jusqu’au début mars.
Le cataclysme a été largement documenté : c’est l’âge d’or des cartes postales. Celle-ci montre la route de Giverny envahie par les eaux. Ma maison a les pieds mouillés.

A Giverny, tout à fait à gauche sur la photo, le jardin de Monet est submergé.

L’eau monte jusqu’à mi-hauteur de l’allée centrale, détaille Daniel Wildenstein, et les berges du bassin aux nymphéas disparaissent sous les eaux, d’où le dos-d’âne du pont japonais émerge à grand-peine.

Pour le peintre, la désolation est totale.

En parfait égoïste, je ne pensais qu’à mon jardin, à mes pauvres fleurs que voilà souillées de vase.

Monet se rachète bientôt de son « égoïsme » : il donne une belle toile de Londres comme lot à une tombola organisée par l’Académie des beaux-arts en faveur des sinistrés des inondations.
Quand la Seine se retire enfin, les dégâts dans son jardin sont importants, mais pas irrémédiables. Monet doit remplacer les végétaux arrachés ou détruits par les eaux. Surtout, il lui faut remodeler les berges du bassin, qui prend cette fois sa forme définitive.
Depuis, l’eau a plus d’une fois fait des incursions dans le jardin aquatique de Monet. Les crues décennales envahissent régulièrement les terres situées dans la plaine devant la colline de Giverny, sans qu’elles aient atteint jusqu’à présent la hauteur historique de la crue centennale.

Le jardin de Monet en 1961

Le jardin de Monet en 1961Le jardin de Monet en janvier 1961, photo Albert Pillon

En janvier 1961, voici comment se présentait le jardin d’eau de Claude Monet à Giverny, trente-cinq ans après la mort du peintre.
Cette photo d’un grand intérêt documentaire a été prise par Albert Pillon, un Givernois émigré au Québec cinq ans plus tôt. Lors d’une de ses visites dans son village natal, il a pensé à fixer sur la pellicule le fameux bassin aux Nymphéas, motif préféré du chef de file de l’impressionnisme.

Si vous agrandissez la photo, vous pourrez apercevoir les arceaux de l’embarcadère aux rosiers, à peu près au milieu du cliché. Ils permettent de situer l’angle de prise de vue et de comparer avec la restitution actuelle du jardin. Le pont, les bambous, le hêtre pourpre sont hors champ sur la droite.
Certes, c’est l’hiver, une époque où la végétation s’efface, mais le jardin paraît net et entretenu. On est loin de la jungle impénétrable, du bassin partiellement comblé, à l’eau noirâtre, que décrira Gérald van der Kemp quinze ans plus tard.
Les arbres échevelés qui se mirent dans l’étang ont l’air d’être des saules, aucun d’eux n’a survécu jusqu’à aujourd’hui. Mais un saule pleureur se devine sur la gauche, ainsi que des rosiers. Le jardin lui-même donne une impression de vide et de simplicité, loin de l’opulence actuelle.
La petite clôture de barbelés bien symbolique ne dissimule rien au regard des promeneurs qui se tiennent sur le talus de chemin de fer, une disposition fidèle à l’esprit de Monet.
J’imagine les passants de 1961, ceux qui croient apercevoir une banale mare de campagne, et ceux qui savent qu’ils ont sous les yeux le motif d’innombrables chefs-d’oeuvre.
Suspendu entre ce qu’il a été et ce qu’il va devenir, l’étang a déjà en lui ce magnétisme qui attirera bientôt des millions d’admirateurs de tous les coins de la planète.

Monet et Clémentel

La grande allée du jardin de Monet, photo Etienne ClémentelOn trouve des documents incroyables sur le net, par exemple cette photo couleurs de la grande allée du jardin de Monet à son époque, plus exactement un autochrome pris par Etienne Clémentel.
Cet homme politique proche de Georges Clemenceau avait une passion pour les arts et la photographie. Il a utilisé la technique de l’autochrome pour prendre plusieurs vues du jardin de Monet, dont l’une, où Monet pose devant sa maison, est très célèbre.
Ce cliché-ci est moins connu mais tout aussi captivant. Clémentel s’est placé dans le clos normand en bas de la Grande Allée. Les épicéas sont encore là, mais Monet a déjà fait installer les arceaux pour les rosiers. Malgré l’opposition d’Alice qui veut conserver les arbres il ne tardera pas à étêter les conifères.
On a ici une idée de l’ombre qui régnait dans cette allée, de l’impression de chemin forestier qu’elle pouvait donner. Monet a voulu changer ce style. Il a opté pour une impression de tunnel qui démarre devant la maison par une pergola, se poursuit sous les arceaux de la grande allée puis, de l’autre côté de la route, avec le pont japonais recouvert d’une glycine pour finir sous le couvert des bambous et du hêtre pourpre.
Les massifs de fleurs travaillés en taches de couleurs claires ont été conçus pour éclaircir l’ombre des épicéas.
Je n’ai pas trouvé la date à laquelle cette photo a été prise. Je me demande si Monet a attendu la mort d’Alice pour couper ses arbres ou si c’est elle qui a fini par céder, en femme intelligente.

Photo de famille

Famille de MonetAimez-vous feuilleter les albums de photos de famille anciens, ceux qui datent de bien avant votre naissance ? Quand les tirages étaient minuscules mais nets, au temps du noir et blanc ou du sépia.
Même en se faisant aider d’une personne de la génération précédente, le mystère plane souvent sur les clichés. On scrute les visages, les coiffures, les vêtements. On essaie de deviner qui cela peut bien être. Les photos intriguent. On pressent que tous les objets entrevus ont une histoire, mais plus personne n’est là pour la raconter.
C’est un paradoxe que de pouvoir examiner chaque détail, chaque expression des personnages à l’instant de la prise de vue, mais de ne rien savoir de ce qu’eux connaissaient parfaitement, le nom des gens qui les entourent, la date et l’heure, le lieu, la raison d’être de ce cliché… Qui a dit « et si on prenait une photo ? » Qui s’est placé derrière l’objectif ? Que ressentaient ceux qui posent à cet instant ? Quel lien d’affection ou d’animosité les unissait ?
C’est le vertige du temps qui passe que la photo révèle en nous laissant entrevoir un instant d’autrefois suspendu, figé jusqu’à ce que le support de la photo se détériore. Petit voyage dans le passé qui nous trouble et nous fascine.

J’ai découvert au détour d’un livre en allemand, Monets Garten (Hatje Cantz Verlag) cette photo conservée… au musée de Vernon. L’auteur suppose qu’il s’agit des quatre filles d’Alice Hoschedé, la seconde femme de Claude Monet. Entre nous je leur trouve l’air un peu décontracté, à ces demoiselles, et pour tout dire presque avachi. Mais leur attitude montre toute l’entente qui devait régner entre elles.
Le monsieur debout qui ressemble tellement à Monet pourrait être son frère aîné Léon, qui habitait à côté de Rouen. La dame assise devant lui serait-elle son épouse ? Et l’autre qui a l’air de se cacher / respirer un bouquet de fleurs / se moucher, qui est-elle ?
Le cadrage est large. On voit des fauteuils vides sur la gauche. Ils étaient sans doute occupés l’instant précédent, avant que tout le monde ne se rassemble pour faire face à l’objectif.
Surtout, il y a les tableaux. L’auteur du livre les analyse comme la collection personnelle de Monet, accrochée, selon lui, dans le salon.
Monet possédait beaucoup de tableaux de ses amis peintres, cadeaux, achats, échanges avec Renoir, Pissarro, Cézanne, Sisley, Berthe Morisot, Corot, Jongkind, Caillebotte, Boudin… D’autres auteurs affirment que cette collection était exposée dans sa chambre à coucher, trente-cinq toiles qui devaient la tapisser entièrement.
Je ne sais pas qui a raison. Mais j’ai bien regardé à Giverny, aucune pièce ne m’a paru correspondre à cette disposition des fenêtres. Alors, c’est où ? Quels sont ces tableaux ? Qui sont tous les personnages ?
Derrière son apparente netteté, cette photo garde autant de mystère qu’une vue de Vétheuil dans le brouillard.

Massif de géraniums

massif de géraniums et de roses dans les jardins de Monet à Giverny La photo numérique ci-contre, prise cet été devant la maison de Monet à Giverny, me fait penser à l’autochrome de 1923 ci-dessous. Le peintre se trouve dans son jardin, entre deux massifs de fleurs. Sa main qui tient la cigarette reste en suspens pendant le temps de pose prolongé.
On possède plusieurs photos couleur des jardins de Monet. Elles ont le charme inimitable des autochromes, un procédé inventé par les frères Lumière au début du siècle pour capturer la couleur sur des plaques de verre recouvertes de fécule de pomme de terre.
A gauche de Monet, des rosiers taillés en arbres dominent un massif de géraniums (ou de pélargoniums si vous préférez). A droite, des tuteurs de bois servent de support à des plantes grimpantes rouges, sans doute des haricots d’Espagne. A leur base s’étend un massif de pélargoniums roses et rouges bordé de plantes à feuillage gris, peut-être des oeillets.
Monet dans son jardin à Giverny vers 1923, autochromeQuand, à la fin des années 70, il a fallu recréer les jardins retournés à l’état de friche, les jardiniers se sont appuyés sur les photos d’époque, les souvenirs des visiteurs contemporains et des documents d’archives. On peut voir ici avec quelle fidélité l’esprit des jardins de Monet a été restitué.

Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

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