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Lumière

Les romans biographiques offrent parfois des fulgurances que les biographies classiques ne permettent pas. C’est le cas de Lumière par Eva Figes, ou plus près de nous, de Deux remords de Claude Monet par Michel Bernard.

Lumière est paru en 1983 en Grande-Bretagne et a été soigneusement traduit par Gilles Barbedette. Le texte, assez court (115 pages), a quelque chose d’expérimental qui déroute. De fines descriptions de la luminosité rythment chaque heure d’une journée dans la vie des Hoschedé-Monet, peu après le décès de Suzanne en 1899. On passe de la perception de l’un à celle de l’autre, en essayant de deviner de qui il est question. On cherche désespérément une histoire, alors qu’il n’y en a pas, et c’est peut-être cela qui dérange le plus : le livre ne raconte pas, il décrit.

Et cela, Eva Figes le fait avec brio. La lente progression de la lumière du jour puis son déclin, heure par heure, influence tous les protagonistes. Mais derrière ce parti très impressionniste – admirable mais un peu ennuyeux selon certains lecteurs – se profile une analyse minutieuse des relations entre les personnes, de leurs émotions, ressentis et solitudes. Figes s’y entend pour nous faire comprendre le côté patriarcal de la famille, la place des femmes, des enfants, des employés, et bien entendu de Claude Monet.

Il en impose. Il écrase tout le monde. Mais lui-même est tout entier à sa peinture et à sa famille, avec le poids de la responsabilité. Et chacun vit dans sa bulle, son monde, avec ses espoirs et ses attentes. Figes nous fait entrer dans leurs pensées les plus secrètes.

Elle a tout compris de Marthe, par exemple, l’aînée des enfants Hoschedé. Si Theodore Butler se remarie avec elle, ce n’est pas (seulement) parce qu’elle est la plus âgée et celle qu’il convient de caser in extremis. C’est parce qu’elle s’est, en tant qu’aînée, toujours occupée des plus jeunes, et que c’est donc avec naturel qu’elle a pris en charge les enfants de sa soeur décédée. Elle sait s’y prendre avec les petits, mieux sans doute que Blanche ou Germaine. Et Butler lui est reconnaissant de s’occuper de ses enfants.

Aujourd’hui, les veufs n’ont plus pour habitude de chercher une remplaçante à leur épouse parmi ses soeurs, mais c’était banal il y a 120 ans. C’est le mérite d’Eva Figes de nous plonger dans la mentalité de l’époque et d’avoir fait de son petit livre bien plus qu’une étude impressionniste de la lumière.


9 commentaires

  1. Oh, j’avais adoré ce livre d’Eva Figès et je décide illico de le relire – à condition que je le retrouve, j’espère qu’il n’a pas été prêté sans retour.

    • Ah ah ! J’imagine qu’il y a plus d’un livre chez toi ! Des fouilles sont toujours bonnes à quelque chose, on retrouve des titres aimés et oubliés… Bonne chance !

  2. Lu ce livre plusieurs fois depuis sa publication. Peu de pages, mais dense. Je crois me rappeler Monet, ou plutôt le bout incandescent de sa cigarette, qui se déplace dans les hautes herbes, jusqu’à son bateau, après que le fumeur ait pris « en hâte » son pantagruélique petit déj. Il part faire une Matinée sur la Seine.
    Je lis et relis aussi, depuis sa publication, le livre de Marianne Alphant, la meilleure bio de Monet, à mon sens.
    Merci Ariane pour ce blog consulté quotidiennement.

    • Merci pour ta fidélité Jazzloup ! Marianne Alphant a vraiment senti la personnalité de Monet, et elle prend le temps de dire les choses. Cela rend son livre unique.
      Suis en train de lire « Claude Monet et l’exposition » de Félicie Faizand de Maupéou, une toute autre approche, quantitative et scientifique, alors qu’Alphant est si magnifiquement intuitive. Qu’est-ce qu’une bonne biographie ? C’est une vraie question.

      • Oui, c’est exactement ça pour Marianne Alphant : « prend le temps de dire les choses » [un peu comme vous :-)], « magnifiquement intuitive ». Et aussi, elle ose dire que la peinture de Monet est à l’image du personnage.
        Merci pour « Claude Monet et l’exposition », je ne le connaissais pas. De la lecture en vue.

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