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Deux poids, deux mesures

Edouard Manet, Femme à la fourrure de profil, vers 1879, Pastel 56 x 46 cm. Localisation inconnue

Le rapport de Claude Monet à l’argent n’est pas exempt de contradictions, ce qui n’a rien d’étonnant. Si l’on est honnête, n’est-ce pas le cas pour tout le monde ? Certaines dépenses nous paraissent toujours trop chères, tandis que d’autres qui nous font davantage plaisir passent comme une lettre à la poste.

Le lettre suivante est bien révélatrice à cet égard :

Je n’ai pas encore reçu de lettre de Durand, mais, ce soir, il me télégraphie qu’il m’a fait un envoi aujourd’hui et qu’il va acheter pour moi un Manet. Pourvu qu’il ne vous ait pas fait attendre. Je recevrai donc sa lettre après-demain, mardi. Aussitôt et selon ce que je pourrai, je vous ferai un envoi pour la pension. Faites donc des économies sur ce que vous avez, car le plus que je pourrai faire sera 200 francs, et il faut absolument payer la pension. Songez que vous n’avez jamais eu autant que depuis mon départ : 300 francs chaque semaine. Je sais que vous faites pour le mieux, mais il faut surtout faire pour ce que l’on a, et c’est énorme ce que j’ai reçu de Durand depuis peu de temps. Chaque semaine c’est une chose de payée, un trou de bouché, mais on en voit toujours à l’horizon, et je ne puis parvenir à donner à des créanciers qui me réclament depuis si longtemps. Vous me dites de ravoir mon tableau d’Argenteuil, je le voudrais bien, mais il ne s’agit pas que de vouloir ; j’ai de nouveau promis à Caillebotte de lui adresser cette semaine pour Fournaise et je ne puis y manquer.

Lettre 404 de Claude Monet à Alice Hoschedé, 3 février 1884, Bordighera

Voilà donc Monet qui prêche l’économie à sa compagne restée à Giverny avec neuf bouches à nourrir et des domestiques à payer, mais qui s’offre un Manet ! A première vue, cela paraît un peu, quoi ? gonflé ? égoïste ? machiste ? A y regarder de plus près, pas tant que cela : si on multiplie 300 francs-or par 20, on obtient 6000 euros par semaine, 25000 euros par mois. Avec ça, Monet pense qu’Alice doit s’en sortir, et cela ne semble pas devoir être la quadrature du cercle, en effet. Cela ne l’empêchera pas de regimber devant ces exhortations à l’économie, qui nous paraissent en effet un peu déplacées aujourd’hui. Mais on est au XIXe siècle.

Quant à l’achat du Manet, c’est l’occasion qui fait le larron : Monet veut profiter de la vente de l’atelier d’Edouard Manet, disparu le 30 avril 1883, pour s’offrir un souvenir de son ami. Il demande à Durand-Ruel d’acheter pour lui « une esquisse, quelque chose d’artistique ». Mais il y met une condition : « si c’est dans mes prix ». Toutefois, il n’est pas facile de choisir pour quelqu’un d’autre. Monet se déclare déçu de la Femme à la fourrure de profil que le marchand lui vend 250 francs. Il possédera par la suite quatre autres Manet, dont son propre portrait à l’encre de Chine, offert en souvenir par le frère du défunt.


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Ariane.

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