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Nature morte au faisan
Devinez qui a peint ce tableau ? Mais oui, Claude Monet. On est loin de l’univers des Nymphéas, n’est-ce pas ? Loin dans le temps : Monet n’a que vingt ans quand il peint cette « Nature morte au faisan » conservée aujourd’hui au musée des Beaux-Arts de Rouen.
A cette époque Monet s’intéresse beaucoup à la nature morte, un genre qu’il délaissera progressivement sans l’abandonner tout à fait.
Le tableau non daté pourrait avoir été peint au début de l’année 1861, avant que le jeune artiste ne parte sous les drapeaux en Algérie. Il est le septième du catalogue raisonné de Monet qui compte quelque 2000 toiles, et le cinquième plus ancien tableau de Monet conservé. C’est peut-être parce qu’il est signé O. Monet que Daniel Wildenstein l’estime antérieur au séjour de Monet en Algérie, puisque c’est pendant son incorporation que Monet a décidé de changer de prénom usuel.
Oscar, donc, s’est appliqué, il a fignolé sa toile, même si la touche est parfois fougueuse et que des zones non peintes apparaissent par endroit.
Le sujet n’est pas d’une grande originalité : une nature morte, un tableau de chasse. Posés sur une table dont on aperçoit le bord sculpté, un panier en osier rempli de bouteilles, un verre plein, une corne à poudre évoquant la chasse, et la dépouille d’un faisan.
La palette très courte se réduit à des tons de brun et de vert, le fond, très sombre, disparaît pour mieux faire ressortir le premier plan traité en clair-obscur.
Le jeune Monet a voulu démontrer sa maîtrise technique en représentant des textures différentes réputées difficiles à rendre. Le morceau de bravoure, ce sont les plumes du faisan, les petites plumes du cou, les plumes longues de l’aile. Et puis, le poli de la corne, la transparence du verre qui, comme les bouteilles, luit faiblement dans l’ombre, la lumière qui s’accroche aux brins d’osier, enfin le drapé du rideau de tissu vert sombre à l’arrière-plan.
Tous ces jeux de textures en font un tableau tactile. On a l’impression que non seulement on voit les objets présentés, mais qu’on pourrait presque les toucher, les sentir, y goûter.
Les premiers propriétaires de l’oeuvre restent eux aussi dans l’ombre. Wildenstein cite une énigmatique collection Bayen. Puis, en 1942, la Nature morte au faisan est exposée à Paris, galerie Daber, à l’occasion du « Petit Salon de la nature morte ».
Faut-il y voir un lien de cause à effet ? Peu après le tableau est emporté en Allemagne par l’organisation nazie Otto, un service allemand effectuant des achats au marché noir en France (source Ministère de la Culture), qui l’a peut-être acheté ou peut-être saisi.
On retrouve l’oeuvre de jeunesse de Monet en Bavière, chez un particulier, en 1949. Deux ans plus tard elle est attribuée au Louvre, et l’Etat français la dépose à Rouen en 1954.
Depuis, ce tableau qui aime voir du pays a visité le Japon et les Pays-Bas, mais le plus souvent il reste sagement à Rouen, à deux pas de la cathédrale.