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Les paravents d’Hiramatsu
Le peintre japonais Hiramatsu Reiji est de retour à Giverny, pour le plus grand plaisir des visiteurs du musée des Impressionnismes. Une première exposition en 2013 avait fait découvrir au public français l’art raffiné de ce maître du nihonga, la peinture traditionnelle nippone, appliquée à des paysages inspirés par les jardins de Monet. Le musée s’était porté acquéreur des toiles givernoises, et avait par la suite montré régulièrement quelques-uns de ces tableaux au fil des expositions estivales.
Cet été, et jusqu’au 3 novembre 2024, Hiramatsu occupe à nouveau toutes les salles du musée avec une étonnante série de 14 paravents, entrés à leur tour dans les collections. Face à ces oeuvres de grandes dimensions, le visiteur s’immerge dans le monde poétique du peintre. C’est un hymne à la beauté des saisons, des pétales de cerisiers aux feuilles d’érables flottant entre les nénuphars, thèmes importants au pays du soleil levant.
On retrouve les motifs géométriques répétitifs, les couleurs saisissantes, les oiseaux ou les grenouilles qui animent les paysages, les nuages qui passent… L’exposition réserve aussi quelques surprises. Hiramatsu a bien observé les nénuphars et les a même représentés noirs, tels qu’on les voit à contre-jour. Et un amusant paravent est composé de vignettes des lieux emblématiques de Giverny, Vernon et la Normandie. Il y a de la tendresse et un profond amour pour notre petit coin du monde dans l’oeuvre d’Hiramatsu Reiji.
Les Monet à l’exposition de Giverny
Claude Monet, Sainte-Adresse, 1867, National Gallery of Art, Washington
Monet a 26 ans quand il peint cette scène de bord de mer près du Havre, à Sainte-Adresse, où sa famille possède une résidence d’été. Influencé par Eugène Boudin, le jeune peintre donne une large place au ciel tourmenté. La belle saison touche à sa fin, estivants et promeneurs sont partis, ne restent que les pêcheurs près de leurs bateaux sur le front de mer.
Dans ses jeunes années, Monet anime encore ses oeuvres de petits personnages, qui invitent à se pencher de plus près sur le tableau. Qui sont-ils ? que font-ils ? Un homme porte la blouse bleue des Normands et parle avec une femme à la coiffe blanche qui tient un enfant dans ses bras. D’autres sont assis, sans qu’on comprenne à quoi ils sont occupés. A droite, un cabestan pour remonter les bateaux sur la plage montre qu’Etretat n’avait pas l’exclusivité de cette technique. Mais quels sont tous ces objets qui jonchent le sol ? Des barres de cabestan, des mats, des rames ? Pour un spectateur de l’époque, il est probable qu’ils étaient faciles à reconnaître, alors que notre oeil d’aujourd’hui peine à les décrypter.
Quinze ans plus tard, l’attention du peintre à la lumière s’est affinée. Les flots écumants observés à Pourville, près de Dieppe, font penser à ceux qu’il captera bientôt à Belle-Île. Le ciel occupe un tiers de la surface du tableau.
Il arrive toutes sortes de choses aux peintures. Selon le commissaire de l’exposition Cyrille Sciama, celle-ci présenterait un repeint à droite. Toute cette côte vert épinard ne serait pas de la main de Monet. Peut-être la mer s’étendait-elle à l’origine de ce côté du tableau ? A gauche, on a bien la touche de Monet qui croque vivement deux dames admirant le paysage. Ses belles-filles ?
Claude Monet, Falaises à Pourville, (détail) 1882, Washington, National Gallery of Art
Regardez la virtuosité. Avec une grande économie de moyen, quasiment des gravures de mode, et pleines de vie.
Invité par son frère Léon aux Petites-Dalles, Claude Monet y peint les très hautes falaises dans des couleurs vibrantes et lumineuses. La composition est coupée en son milieu pour faire ressortir le jeu du reflet. Les baigneurs et les personnages qui escaladent la pente donnent l’échelle. Voyez-vous en bas à droite une image anticipée des nymphéas, comme le suggère le commissaire de l’exposition ?
A Belle-Île-en-Mer, deux ans plus tard, Monet n’est plus distrait par les baigneurs, il n’y en a pas. Le ciel, pourtant si vaste, est réduit à une mince bande, tant l’artiste est fasciné par le combat de la terre et des flots.
Ma photo ne rend pas la somptuosité de coloris de cette oeuvre peinte à l’époque où Monet revisite des lieux qui lui sont familiers pour en tirer des séries. La touche est devenue caressante, subtile, déclinant des camaïeux tendres tout à fait époustouflants.
En bas du tableau, on aperçoit la cabane du douanier, ou cabane des pêcheurs, si souvent représentée par l’artiste. Les personnages ont déserté la toile. Si l’exposition de Giverny présente ces oeuvres de façon thématique, en fonction des sujets, ports, falaises, tempêtes, etc., les replacer par ordre chronologique montre tout le chemin stylistique parcouru par Monet en trente ans de peinture.
L’impressionnisme et la mer
Le musée des impressionnismes Giverny célèbre les 150 ans de la première exposition impressionniste et les 200 ans de la naissance d’Eugène Boudin par une éblouissante exposition consacrée aux marines. « C’est un sujet bateau, plaisante le directeur du musée et commissaire de l’exposition Cyrille Sciama. Nous y travaillons depuis 2019. » Pendant toutes ces années, il n’a cessé de craindre qu’un autre musée ne lui pique l’idée et sorte une expo semblable. Heureusement, cela n’a pas été le cas, ce qui nous vaut un déploiement somptueux de ports, de falaises, de plages, de bateaux, de vagues et autres merveilles.
Les oeuvres signées Monet (il y en a 6), Pissarro, Renoir, Manet, Boudin (près d’une trentaine), Auburtin, Cals, Guillaumin, Gauguin, Signac, Jongkind, Daubigny, Maufra, Blanche, Corot, rivalisent de séduction. L’exposition présente aussi quelques superbes toiles ou pastels d’artistes moins connus, tels que Théodore de Broutelles, Octave de Champeaux, Alexandre Marcette, Marie-Auguste Flameng, Philip-Wilson Steer, Charles Laval, ou encore, en hommage à la Bretagne, plusieurs tableaux d’Henry Moret qu’on pourrait prendre pour des Monet.
En contrepoint, d’incroyables photographies d’époque et même un film de 6 minutes en couleurs, du début du XXe siècle, restituent l’ambiance des bains de mer. Que faisaient les enfants à la plage quand on ne s’y baignait guère ? Ils creusaient des trous avec une pelle, et c’est vraiment drôle de les voir s’activer dans leurs beaux costumes comme s’ils allaient trouver de l’or.
Alors, sujet bateau ? Certes oui, mais en cette année qui est aussi celle du festival Normandie impressionniste, il fallait bien « remettre l’église au centre du village », selon les termes de Cyrille Sciama, en proposant une exposition purement dédiée à l’époque impressionniste. De quoi faire grand plaisir à un très large public.
Les savons de bronze d’Al Brieu
Les visiteurs de Giverny qui ont la curiosité de se promener dans la rue Claude-Monet au-delà des musées ont la chance de découvrir plusieurs galeries d’art, par exemple l’Espace 87, d’après son numéro dans la rue. Une plasticienne givernoise, Christine Cloos-Ristich, et un fondeur, Al Brieu, se partagent les lieux.
Ce dernier s’est fait une spécialité des savons en bronze. Mais pas n’importe quels savons. Il part à la recherche de lots de savons de Marseille ou d’ailleurs, âgés de quelques décennies. Al Brieu en a même trouvé des centenaires au fond d’un garage, tout couverts de poussière. Quand on sait combien le savon a manqué pendant la Seconde Guerre mondiale, c’est un petit exploit. Absolument tout le monde devait ignorer leur existence.
Dans ces lots de savons tout déformés, fendillés, cabossés, desséchés et bien près de partir à la poubelle, Al Brieu sélectionnent ceux qui lui parlent, qui ont de belles inscriptions en relief et une histoire à raconter. « C’est comme la vie, qui laisse des marques sur nous », explique-t-il. Il prend l’empreinte de ces savons en silicone, en tire des moules et y coule du bronze à la cire perdue.
Al Brieu est incollable sur toutes les réglementations qui ont sévi en matière de savonnerie, les pourcentages d’huile obligatoires, l’action de Colbert, et j’en passe. C’est un très étrange objet, si on y réfléchit, qui s’use et disparaît. En tirer des bronzes, c’est faire durer ces savons pour l’éternité. C’est aussi un objet qui a été lui-même moulé, à l’origine. Sauver sa forme, c’est prendre la suite de ces mains qui ont façonné le savon alors qu’il était tout frais, des mains qui sans doute ne sont plus.
J’ai aimé qu’il me raconte l’histoire de ses savons et de sa démarche artistique parce que celle-ci contient sa part d’évidence intuitive, (comment ne pas avoir envie de mouler ces savons quand on est fondeur ?) de sur-cycling ( déchet pour les uns, trésor pour les autres !) de témoignage historique, de chasse au trésor… Et j’imagine sa joie quand il tombe sur une caisse pleine de savons antédiluviens… Et puis finalement la démarche comporte aussi sa part de questionnement philosophique, d’interrogation sur la mort et la place de l’art face à elle. De quoi méditer, si on pose une telle oeuvre sur son bureau.
Exposition Flower power à Giverny
Les jardins de Claude Monet sont maintenant fermés pour l’hiver, mais le musée des Impressionnismes Giverny reste ouvert chaque semaine du jeudi au dimanche, et pendant les vacances scolaires. Il présente jusqu’au 7 janvier 2024 une exposition entièrement consacrée aux fleurs dans l’histoire de l’art. Elle balaie les millénaires et les modes d’expression artistique, si bien que chacun est assuré d’y trouver des oeuvres qui lui parlent et de faire de belles découvertes.
Mythologie, religion, archéologie, politique, mode avec deux très belles robes d’Yves Saint-Laurent, bijoux, orfèvrerie, art d’extrême-orient, jusqu’à la création contemporaine (l’oeuvre la plus récente est de 2019), le choix est éclectique à souhait, et, de l’avis général, de grande qualité.
J’ai bien entendu un faible pour la section impressionniste, qui ne propose pas de Monet mais des toiles de Manet, de Renoir, de Fantin-Latour, incroyable comme toujours, un imposant Bazille, plusieurs Cézanne, etc. Et en point d’orgue, plongée à l’intérieur d’un iris comme un insecte avec Georgia O’Keeffe… Tout un voyage.
Exposition Monet/Rothko à Giverny
Le musée des impressionnismes Giverny regarde du côté de l’art abstrait ce printemps, en faisant dialoguer six oeuvres tardives de Claude Monet, peintes à Giverny ou à Londres, avec six toiles de la maturité de Mark Rothko.
Au milieu des années 1950, la critique américaine, les artistes expressionnistes abstraits et le Museum of Modern Art de New York ont opéré une relecture de l’oeuvre tardif de Monet, mettant en avant son côté précurseur de l’abstraction. Depuis, les expositions confrontant les toiles du père de l’impressionnisme et celles des représentants des courants de l’après Seconde Guerre mondiale se succèdent.
L’exposition de Giverny a ouvert hier et va durer jusqu’au 3 juillet. Le visiteur est plongé d’emblée dans la pénombre, selon les préconisations de Rothko. L’oeil s’adapte à l’éclairage tamisé, c’est donc pupilles dilatées que le spectateur boit la couleur. Rothko est connu pour ses grands formats qui juxtaposent des tons intenses, travaillés, subtils. Il est l’un des principaux représentants de la peinture par champ de couleurs (color field painting). Ses oeuvres invitent à la contemplation patiente ; l’objectif de l’artiste est de susciter l’émotion.
En parallèle et comme en écho, l’exposition présente des toiles de Claude Monet venues de musées proches, Orsay et Marmottan-Monet à Paris, le MuMa au Havre. Le visiteur est invité à constater par lui-même leur parenté avec les chefs-d’oeuvre de Rothko : disparition progressive du motif, surfaces planes et vaporeuses ou au contraire échevelées, mais jouant des accords chromatiques…
En préparant cette exposition, j’ai cherché les points communs biographiques entre les deux artistes, au-delà des ressemblances formelles. En voici quelques-uns :
Monet et Rothko ont en commun un esprit rebelle qui rejette les standards et cherche quelque chose de nouveau.
Les deux artistes ont connu la reconnaissance tardivement, peu avant leurs 50 ans.
En commun, ils ont l’immense succès et la fortune qui s’ensuit.
En commun, la répétition à l’infini d’une formule en variations sur le même thème, inépuisable.
En commun, l’habitude de travailler très longtemps leurs œuvres.
En commun, d’être considérés comme décoratifs alors que ce qu’ils offrent au spectateur est une expérience profonde.
En commun, de s’immerger eux-mêmes entièrement dans la peinture pour oublier, Monet : la guerre de 14-18, Rothko, ses problèmes familiaux, ou peut-être simplement la difficulté de vivre.
Vigne vierge à Giverny
Cela sonne comme un vire-langue à répéter à toute vitesse : vigne vierge à Giverny. Les dernières feuilles des parures rouges des murs tombent, annonce de l’arrivée des jours courts et frais. Dans le village de Monet, les portes du jardin et de la maison du peintre se sont fermées. Tandis que les jardiniers s’activent pour préparer les plantations du printemps prochain, les rues ont retrouvé leur calme.
Les visiteurs seront à nouveau attendus à partir du 19 novembre pour découvrir l’exposition hivernale du Musée des Impressionnismes Giverny. Eva Jospin y fera dialoguer ses créations avec les collections du musée. L’artiste affectionne le carton, dont elle apprécie la rudesse. Avec minutie, elle en tire des forêts délicates. Chaque oeuvre lui demande plusieurs mois de travail, dit-elle. On verra aussi une très grande broderie qu’elle a réalisée, de plus de 10 mètres de long. On peut l’écouter en podcast ici, et trouver plus de détails sur l’expo là.
Une expo Côté jardin
Monet et Bonnard vivaient à 5 kilomètres l’un de l’autre, sur la même rive de la Seine, et cultivaient chacun leur jardin. C’est le prétexte à une très belle exposition proposée jusqu’au 1er novembre 2021 par le musée des Impressionnismes Giverny. Côté jardin, de Monet à Bonnard met en parallèle la thématique des jardins vue par les impressionnistes et par les Nabis. Si proches dans le temps, en cette fin du 19e siècle, ils ont des sensibilités et des techniques picturales diamétralement opposées, avant de se rapprocher au début du 20e siècle, selon la règle du balancier.
Les tableaux prêtés viennent de France ou des pays limitrophes, sans doute pour faire échec aux difficultés d’acheminement liées à la pandémie. Pas de révélation de chefs-d’oeuvres venus de fort loin, donc, mais une découverte de beaucoup de joyaux qui méritent cette mise en lumière. Du côté des artistes femmes, j’ai admiré les belles toiles de Marie Bracquemond, lumineuses et énigmatiques, tout en regrettant l’absence totale de Berthe Morisot. Comme d’habitude, ces dames sont plutôt du côté des modèles. Une large section leur est consacrée.
Alors que Sisley n’a guère peint les jardins, dans le camp des impressionnistes, c’est surtout Pissarro qui est à l’honneur avec des toiles chatoyantes. Mais l’étonnement est plutôt du côté des Nabis. Pour eux qui se sont construits en opposition à l’impressionnisme et voulaient sacraliser à nouveau la peinture, le jardin est un espace de connexion avec la nature où peuvent circuler les fées, les dieux et les nymphes (chez Roussel ou Ranson), un théâtre d’apparitions religieuses chez Denis. Vuillard et Bonnard sont plus ancrés dans le réel, mais une réalité poétisée par leur sensibilité. Techniquement, ils rejettent la touche vibrante des impressionnistes au profit d’aplats tantôt saturés de couleurs, tantôt contenus dans un subtil jeu chromatique de tons éteints. Il y a beaucoup de finesse dans leur analyse, et il faut prendre le temps d’observer l’originalité et souvent la tendresse de leurs transcriptions.
Pierre Bonnard est bien représenté par des toiles majeures. L’on ne peut qu’être surpris par le grand écart stylistique de Crépuscule, tellement nabi, avec Le Grand Jardin peint seulement trois ans plus tard, grande fresque verte du jardin familial de son enfance. C’est le propre des plus grands de savoir se renouveler, dans leur recherche permanente de donner à voir.
Côté jardin, de Monet à Bonnard
Le musée des impressionnismes Giverny annonce déjà sa prochaine expo, qui devrait ouvrir le 1er avril. Elle concernera les jardins impressionnistes ! Je m’en réjouis car j’adore et le thème et la période, et c’est la promesse d’un très agréable moment dans les galeries du musée givernois. Mais tout de même, comment les commissaires, Cyrille Sciama, le directeur du musée, et Mathias Chivot, spécialiste des Nabis, vont-ils s’y prendre pour éviter un air de déjà vu ?
Selon le site du musée, ils proposeront un éclairage inédit sur la « sensibilité face au jardin, entre émotion personnelle et réclusion. » Les sections auront pour thèmes « l’espace, les silences, les jeux, le jardin luxuriant, le jardin clos et le retour à l’impressionnisme. » Alléchant, n’est-ce pas ?
C’est la belle toile de Claude Monet prêtée par le lycée Monet de Paris, souvent vue à Giverny, « Nymphéas avec rameaux de saule » qui sert d’affiche à l’exposition. Au moins un autre Monet sera là aussi, venu de Montpellier, « Jardin en fleurs à Sainte Adresse ». En ces temps incertains, et après l’expérience cruelle de l’expo sur le plein air de l’an dernier, le musée n’en dévoile pas plus sur les oeuvres qu’on peut espérer voir. Attendons.
Jean Francis Auburtin versus Claude Monet
Voilà déjà dix ans que le Musée d’Art américain de Giverny a fait place au Musée des Impressionnismes Giverny. Pour fêter cet anniversaire, les visiteurs de début de saison du MDIG auront droit à une très belle exposition : un face-à-face entre des marines de Monet et les mêmes sites interprétés vingt-cinq ans plus tard par un autre peintre normand, Jean Francis Auburtin.
Si vous lisez ce nom pour la première fois, bienvenue au club. La postérité a des ingratitudes, elle laisse beaucoup de monde sur le bord du chemin. Est-ce injuste ou non ? Ce sera l’un des intérêts de l’exposition de donner à chacun l’occasion d’évaluer si Auburtin mérite un retour en grâce. Gageons que oui. Dans tous les cas, il est agréable de redécouvrir un artiste un peu perdu de vue, même si plusieurs expositions autour d’Auburtin ont eu lieu ces dernières années, à Lamballe, à Aix-les-Bains, au Havre, à Morlaix…
L’autre intérêt de l’expo, c’est bien sûr de comparer l’interprétation de deux artistes face à un même site. Car Auburtin n’est pas un « suiveur ». S’il admire Monet au point de choisir délibérément les mêmes motifs, il est plus jeune d’une génération : il est né en 1866, contre 1840 pour Monet. Son style est marqué par le symbolisme de Puvis de Chavanne, le synthétisme de l’école de Pont-Aven, le japonisme omniprésent à son époque, et même la peinture chinoise. Toutes ces influences forgent une esthétique personnelle qui se démarque de l’impressionnisme de Monet.
Exposition au Musée des Impressionnismes Giverny « Monet – Auburtin, une rencontre artistique » du 22 mars au 14 juillet 2019.
Exposition Manguin à Giverny
Henri Manguin, "Les Gravures" 1905 Huile sur toile 81 x 100 cm Madrid, Museo Thyssen-Bornemisza.
Le musée des impressionnismes de Giverny célèbre la couleur à travers une exposition à voir jusqu'au 5 novembre 2017 dédiée à Henri Manguin, l'une des figures du fauvisme. On a un peu oublié aujourd'hui ce grand peintre ami de Matisse, de Marquet ou de Camoin, très célèbre il y a un siècle.
Près d'une centaine d'oeuvres retrace le parcours de ce "peintre voluptueux", pour reprendre le mot de Guillaume Appolinaire, des années de formation sous l'égide de Gustave Moreau jusqu'aux audaces chromatiques les plus vibrantes. Manguin revient ensuite à une peinture plus mesurée qui célèbre le bonheur de vivre, la beauté des paysages de la Côte d'Azur, et son amour pour sa femme Jeanne et leur fils Claude.
C'est Jeanne, justement, qui pose deux fois dans le tableau ci-dessus, les Gravures. Certes, la scène qui réunit autour d'un album de lithographies une femme nue et une autre sagement habillée n'est guère vraisemblable, mais quel régal pour les yeux dans le contraste des couleurs, l'expression douce des visages et la rondeur enveloppante des courbes.
Expositions 2017 à Giverny
Le Musée Des Impressionnismes Giverny propose pour le début de saison 2017 une exposition qui va faire du bruit : Tintamarre ! Instruments de musiques dans l'art 1860 – 1910 s'intéresse, vous l'aurez compris, aux oeuvres picturales qui évoquent la musique. Leçons de piano si prisées de la bonne société, récitals de guitaristes, fanfares et autres orchestres ont énormément inspiré les impressionnistes, avides de figurer la vie moderne et ses loisirs.
En cela, la peinture reflète l'évolution de la société. Le 19e siècle voit l'invention ou l'amélioration d'un grand nombre d'instruments, dont certains tombent vite dans l'oubli, tandis que d'autres connaissent un succès qui ne se dément pas, comme le saxophone. Quelque 4000 brevets concernant des instruments de musique sont déposés au 19e siècle !
Evoquer dans une oeuvre silencieuse les harmonies musicales est une gageure, et c'est intéressant de voir comment chaque artiste s'y est pris pour surmonter cette difficulté.
C'est un peu le miroir de cette musique impressionniste dont Debussy et Ravel sont les principaux représentants, une musique descriptive qui cherche à évoquer des impressions visuelles telles que des reflets au moyen des seules sonorités.
L'exposition articule son parcours autour d'une centaine d'oeuvres signées Manet, Degas, Renoir, Morisot, Bonnard, Whistler, Toulouse-Lautrec ou Vallaton. Elle présente beaucoup de tableaux, mais aussi des oeuvres imprimées. Pour ma part je suis tombée sous le charme de Marguerite Dufay, délicieuse tromboniste à la robe fleurie. Elle vous plaît ? Elle est à voir du 24 mars au 2 juillet à Giverny.
Le deuxième partie de la saison sera consacrée au peintre fauve Henri Manguin et ses couleurs éclatantes.
En attendant, une exposition rafraichissante est à voir au musée de Vernon jusqu'au 25 juin. "Au fil de l'eau, Seine de loisirs" nous emmène pêcher, canoter, danser dans les guinguettes et même sauter depuis le grand plongeoir, pour ceux qui n'ont pas froid aux yeux. L'expo présente des tableaux du 19e et 20e siècle, ainsi que des objets comme une yole, des costumes de bain ou l'appareil photos de MacMonnies. D'émouvants films d'avant-guerre font revivre le Vernon d'antan.
Ci-dessus : Maximilien Luce / Méricourt, la plage. Huile sur toile, musée de Mantes la Jolie.
Le musée de Mantes-la-Jolie présente l'autre volet de cette exposition, 'Seine de travail'. C'est l'occasion de redécouvrir les collections permanentes de ce musée qui possède plus de 400 oeuvres de Maximilien Luce.
Les sculptures de Degas
Petite danseuse de quatorze ans, Edgar Degas, collection particulière et Etude de nu pour la danseuse habillée, Edgar Degas, musée d’Orsay, en exposition au Musée des impressionnismes Giverny
C’est une drôle d’histoire que celle des sculptures d’Edgar Degas. On connaît bien la « Petite danseuse de quatorze ans » dont une fonte en bronze se trouve au musée d’Orsay, tout comme l’étude de nu pour la danseuse habillée. Le réalisme de la Petite danseuse et son air qui passait pour sournois firent scandale quand le public les découvrit en 1881. Mais les autres sculptures de Degas, tout de même cent cinquante au total, sont restées cachées dans son atelier jusqu’à sa mort.
Degas sculptait pour lui, des danseuses aussi bien que des chevaux. A la fin de sa vie, sa vue déclinant, c’est même la seule forme d’art à laquelle il pouvait encore s’adonner. François Thiébaut-Sisson rapporte les propos suivants, recueillis en 1897 :
C’est pour ma seule satisfaction que j’ai modelé en cire bêtes et gens, non pour me délasser de la peinture ou du dessin, mais pour donner à mes peintures, à mes dessins, plus d’expression, plus d’ardeur et plus de vie. Ce sont des exercices pour me mettre en train ; du document, sans plus. Rien de tout cela n’est fait pour la vente. (…) Ce qu’il me faut à moi, c’est exprimer la nature dans tout son caractère, le mouvement dans son exacte vérité, accentuer l’os et le muscle, et la fermeté compacte des chairs. Mon travail ne va pas plus loin que l’irréprochable dans la construction. Quand au frisson de la peau, bagatelles ! Jamais mes sculptures ne donneront cette impression d’achevé qui est le fin du fin dans le métier de statuaire, et comme après tout on ne verra jamais ces essais, nul ne s’avisera d’en parler, pas même vous. D’ici ma mort, tout cela se sera détruit de soi-même, et cela vaudra mieux pour ma réputation.
Degas a bien failli avoir raison. Vingt ans plus tard, à sa mort, l’inventaire de l’atelier révèle des statuettes de cire en piteux état. « Fendillées, racornies, poussiéreuses, où l’armature de fer trouait en maint endroit la matière plastique » selon Thiébaut-Sisson, la moitié seulement des sculptures pourra être sauvée par l’ami de Degas le sculpteur Bartholomé, et le fondeur Adrien Hébrard. Les héritiers de Degas feront don des droits de reproduction, le fondeur fera cadeau de son travail, et leurs générosités conjuguées permettront aux musées nationaux de se rendre acquéreurs de la série complète. Le musée des impressionnismes de Giverny en présente treize jusqu’au 19 juillet. Ces « essais », comme disait Degas, palpitent de mouvement attrapé au vol.
Source : François Thiébaut-Sisson, Degas sculpteur raconté par lui-même, éditions l’Echoppe
Degas au Musée des Impressionnismes Giverny
Une magnifique exposition Degas ouvre aujourd’hui au musée des Impressionnismes Giverny. C’est une expo en forme de question : Degas était-il ou non un impressionniste ? On s’en doute, il y a des points qui font de lui un impressionniste pur et dur, d’autres qui l’éloignent du mouvement, et c’est cette singularité de Degas que l’acrochage explore.
On aura la chance de voir à Giverny beaucoup de chefs-d’oeuvre qui jalonnent la carrière du peintre, comme « Un Bureau de coton à la Nouvelle-Orléans », peint dès 1873, qui vient de Pau, ou sa « Petite danseuse de quatorze ans » en bronze prêtée par un collectionneur privé.
Le Degas des portraits, des courses de chevaux, des repasseuses, des danseuses, des maisons closes, est là aussi, éblouissant. On en découvre un autre moins connu : le Degas paysagiste.
Eh oui ! L’artiste qui revendiquait sa prédilection pour « la vie factice » s’est parfois intéressé au paysage. Ses pastels raffinés, d’une grande économie de moyens, évoquent plus qu’ils ne décrivent des visions de la nature conservées dans la mémoire du peintre.
Mais davantage que cette production assez marginale dans sa carrière, on retiendra surtout l’audace de Degas, un avant-gardisme qui prend le contre-pied de sa formation classique très approfondie. Ses choix de cadrage, ses mises en scène, son ironie, son détachement même en font un artiste à part et qui aujourd’hui encore dérange autant qu’il éblouit.
A voir à Giverny jusqu’au 19 juillet 2015. Billets coupe-file ici.
Bruxelles, une capitale impressionniste
Les deux affiches présentées côte à côte par le musée des Impressionnismes Giverny résument bien les émotions qui attendent les visiteurs de la nouvelle exposition, « Bruxelles, une capitale impressionniste » à voir jusqu’au 2 novembre 2014 : de magnifiques paysages baignés d’une lumière vibrante et vaporeuse, des portraits qui vous happent et ne vous lâchent pas.
A gauche, c’est celui de la jeune Marguerite van Mons, regard perdu dans le vague, exécuté par Théo Van Rysselberghe en 1886. A droite, un détail de La levée des nasses d’Emile Claus (1893).
Pas moins de dix musées bruxellois ont prêté des oeuvres, dont le musée d’Ixelles, partenaire de l’exposition, et aussi ceux de Gand, Charleroi, Anvers… D’autres chefs-d’oeuvres belges viennent d’Espagne ou encore de Suisse pour ce rendez-vous à Giverny, où leurs retrouvailles célèbrent le bouillonnement culturel qui anime Bruxelles au temps de l’impressionnisme.
Dans cette découverte d’artistes peu familiers au public français, les Boulenger, Morren, Hagemans, Albert, Charlet, Ensor, Meunier, Stevens… on retrouve les thèmes et les techniques familières de l’impressionnisme, mais aussi des aspects jamais évoqués par Monet et ses amis. Et c’est particulièrement cette innovation d’avant-garde qui retient, séduit ou dérange.
Car les sujets choisis sont parfois douloureux ou dénonciateurs, deuil, condition ouvrière, condition paysanne, avec ces regards captés par les peintres qui ont traversé les décennies pour venir nous interpeller aujourd’hui. Ces gens morts depuis longtemps nous fixent avec tout le poids de leur vie dans leurs yeux, dans leurs épaules. Derrière l’image idyllique d’un monde de loisirs à la campagne véhiculée par les impressionnistes surgit comme une claque la réalité sociale du XIXe siècle. C’est comme si on lisait du Zola, et ça secoue.
Signac, les couleurs de l’eau
Paul Signac, Concarneau, calme du soir, opus 220 Allegro maestoso (détail) 1891, huile sur toile, New York, The Metropolitan Museum of Art
Le musée des impressionnismes Giverny débute sa saison avec une exposition très attendue : « Signac, les couleurs de l’eau » (jusqu’au 2 juillet 2013).
A travers 130 oeuvres, cette expo évènement parcourt toute la production de Paul Signac, de ses années de jeunesse jusqu’à sa mort, sur le thème de l’eau, une thématique qui est aussi celle de l’édition 2013 du Festival Normandie Impressionniste.
Pourquoi aller voir cette exposition ? Parce que c’est une sorte d’expo Signac idéale, signée Marina Ferretti. Depuis qu’elle a été nommée directrice scientifique du Musée des impressionnismes Giverny en 2009, Marina a en tête cette échéance des 150 ans de la naissance de Paul Signac en 2013. Quatre ans pour se donner le temps de rassembler les prêts, afin de réunir des toiles dont certaines n’ont plus été présentées ensemble depuis le 19e siècle.
Marina est une spécialiste de Paul Signac. Elle sait tout de son oeuvre, de sa correspondance, de sa biographie. Elle était l’amie et la collaboratrice de Françoise Cachin, petite-fille de l’artiste. Elle a su convaincre les plus grands musées, de New York à Moscou, de prêter des oeuvres pour cette exposition.
C’est donc l’occasion de redécouvrir toutes les facettes, la singularité et la richesse de ce peintre trop souvent qualifié de pointilliste, un terme qu’il récusait : « Le néo-impressionniste ne pointille pas, mais divise, » rectifiait-il.
A travers ses tableaux élaborés minutieusement et dans un esprit scientifique, ou par ses aquarelles qui saisissent l’instant dans sa fulgurance, Signac livre ses lumineuses variations sur les rivages, comme autant de pièces musicales à la subtile harmonie.
Monet intime, photographies de Bernard Plossu
Le musée des Impressionnismes Giverny présente une exposition de photographies qui va durer jusqu’au 31 octobre 2012. En accès libre dans sa salle du sous-sol, elle s’intitule « Monet intime ».
Le titre est trompeur. Ne vous attendez pas à voir des photos de Monet en famille, détendu, loin des poses de la presse officielle. Pas un seul cliché ne représente Monet, et pour cause, ce sont des photos récentes.
Les 60 prises de vue ont été réalisées par le photographe Bernard Plossu suite à une commande du musée et vont entrer dans les collections.
Bernard Plossu, dont la carrière commence en 1965, s’est fait une spécialité de la photo de voyages, à l’opposé des clichés touristiques ou esthétiques. Ses photos ne donnent presque rien à voir, et tout à sentir.
C’est du noir et blanc, ou alors de la couleur aux tons si éteints qu’on dirait des photos anciennes, des tirages par le procédé Fresson dont Plossu est un défenseur acharné. Avec du grain, du flou, du gris, comme une brume sombre qui flotte.
Le photographe est venu à Giverny pendant l’hiver 2010, puis au printemps. Quand on enlève les couleurs de Giverny, les fleurs de la belle saison, que reste-t-il ?
Au fil des images, on se promène dans la maison de Claude Monet endormie pour l’hiver. Les meubles sont couverts par des housses, fantomatiques. L’éclairage est faible. On regarde timidement par les fenêtres, sans écarter les rideaux. Dehors, les ifs font des masses sombres.
On sent le photographe présent de tout son être. Comment aller vers l’euphémisme, vider la photo de tout pour qu’il n’y reste qu’un essentiel palpable et surprenant ? Il ne montre rien mais il offre le silence, le vide, une pensée disponible qui paraît flotter, réceptive. Le regard glisse deci-delà, s’arrête sur une photo ancienne, un coin de meuble, repart…
Peut-être est-ce le moment où la présence de Monet se révèle, seul dans les lieux où il a vécu. Bernard Plossu l’a ressenti, dit-il, d’où le titre de l’exposition. Il nous offre son expérience d’une visite « intime » de Giverny.
A comparer avec sa vision de l’abbaye de Jumièges, en Seine-Maritime, où une autre exposition Plossu ouvre aujourd’hui.
Derniers jours de l’expo Clark
Vite ! Il ne reste plus que jusqu’à lundi soir pour voir l’exposition Clark au musée des impressionnismes Giverny. Le dernier jour est le 31 octobre 2011.
Après, tous ces sublimes Renoir, ces somptueux Monet (l’Aiguille d’Etretat, les Oies dans le ruisseau…) ces fascinants Corot vont reprendre la route, non pas tout de suite vers le Francine and Sterling Clark Institute de Williamstown, au Massachussetts, mais vers Barcelone dans un premier temps.
Jamais une expo n’aura fait à ce point l’unanimité à Giverny, comblé autant les visiteurs, qui ressortent éblouis par tant de toiles exquises.
Quel rassemblement de premier ordre ! Un exemple : l’oeuvre de Renoir que l’on aperçoit à gauche sur la photo, la jeune fille endormie avec un chat sur les genoux, a fait partie de la collection personnelle de Paul Durand-Ruel, le marchand des impressionnistes, qui l’avait accrochée dans son grand salon. C’est un signe qui ne trompe pas.
Bref, vous ne pouvez pas rater cette expo. Dépêchez-vous !
Francine
Qui fête-t-on le 14 juillet ? Les France ou les Francine peut-être, puisque c’est la fête nationale.
Une nouvelle expo vient d’ouvrir à Giverny, une pure série de chefs-d’oeuvres impressionnistes en provenance du Clark Art Institute de Williamstown. Ce musée du Massachusetts qui prête ses trésors au Musée des Impressionnismes Giverny a été fondé par un couple de collectionneurs franco-américain : Francine et Sterling Clark.
J’ai eu un peu de mal à me mettre le prénom de Monsieur Clark dans la tête : Sterling m’évoque davantage une unité monétaire qu’un prénom masculin. Au demeurant, c’est le deuxième prénom de Clark, celui que les Américains aiment bien abréger, comme le W. du président Bush.
Pourquoi Clark l’a-t-il choisi comme prénom usuel, et non pas son premier prénom, le banal et passe-partout Robert ? Cela m’intrigue, mais je ne suis pas sûre de découvrir un jour la réponse.
Donc, Sterling Clark. Il épouse en 1919 une ravissante comédienne rencontrée à Paris, Francine Clary.
Cette jeune femme, révèle le catalogue de l’exposition du musée des Impressionnismes, « née Francine Juliette Modzelewska le 28 avril 1876, était la fille d’un tailleur parisien. » Clary était son nom de scène.
Pourquoi s’est-elle choisi ce pseudo de Clary ? Parce qu’il sonne clair, par rapport à son nom patronymique plutôt compliqué pour des Français ? Ou bien y a t-il un lien quelconque avec les Clary apparentés aux Bonaparte ?
Là encore, le mystère risque fort de rester entier. Mais je m’explique bien, en revanche, que ses parents lui aient donné le prénom de Francine. J’imagine des émigrés polonais heureux de célébrer par ce biais leur nouvelle patrie.
Sterling et Francine, Clark et Clary, les prénoms et les noms des deux tourtereaux sonnent bien ensemble, dans une allitération qui paraît relever de la prédestination.
Francine est belle, Sterling est riche. Non pas en livres mais en dollars, puisqu’il est américain. S’il s’appelait Singer, tout le monde saurait d’où il tire sa fortune. Il est l’un des héritiers des célèbres machines à coudre.
Le grand-père de Sterling, l’avocat Edward Clark, était l’associé d’Isaac Merritt Singer, l’inventeur de nombreuses améliorations aux machines à coudre de l’époque. Son nom est caché dans le « et compagnie » de la I. M. Singer & Co.
Comment vit-on le fait d’être l’héritier ? Est-ce qu’on arrive à affirmer sa propre valeur, quand vos ancêtres vous écrasent de toute une fortune ?
Sterling prend ses distances avec sa famille. Il s’installe à Paris, finit par se brouiller avec son frère, au point de ne plus communiquer avec lui que par avocat interposé.
Après une jeunesse tumultueuse d’explorateur, il s’est assagi. La collection va donner un nouveau sens à sa vie.
Avec un goût sûr, il accumule les chefs-d’oeuvre, aidé dans ses choix par sa femme. Des milliers et des milliers d’objets d’art, des porcelaines, de l’argenterie, des tableaux, dessins, gravures, sculptures, livres, photos, ont formé au fil des décennies un ensemble éclectique et unique.
Quand Clark prête des oeuvres pour des expositions, « il refuse que son nom soit associé aux prêts » en raison de son « désir de rester inconnu du public ».
On commence à le surnommer Mr. Anonyme… Ce nom dont il ne veut pas faire la promotion, Clark ne le transmettra pas. Il mourra sans descendant.
Au cours des dix dernières années de leur vie, les Clark se sont employés à fonder l’institut qui porte leur nom. Ses extraordinaires collections et son centre de recherches renommé en ont fait un musée de tout premier plan.
En donnant à voir au public leur collection, en la faisant voyager à travers le monde, les Clark ont enfin trouvé un nouveau sens à leur héritage. Quand nous contemplons leurs Renoir, leurs Manet et leurs Degas, nous devenons tous, nous aussi, pendant quelques instants, les héritiers de l’empire Singer.
Francine Clary vers 1900 en costume sur une scène parisienne, catalogue de l’exposition « Chefs d’oeuvre de la peinture française du Sterling et Francine Clark Art Institute ».
Bonnard en Normandie au Musée des Impressionnismes
Pierre Bonnard émerveille ou déconcerte. On peut à nouveau en faire l’expérience en visitant la belle exposition que lui consacre le Musée des Impressionnismes de Giverny jusqu’au 3 juillet 2011.
La sélection de 80 oeuvres présentée, accompagnée de photos et d’archives, se concentre sur une partie du travail de Bonnard qui n’est pas la plus étudiée : celle réalisée en Normandie, principalement à Vernon, de 1910 à 1938.
Le rayonnement de Monet à Giverny est tel qu’il éclipse celui de Bonnard, qui résida à cinq kilomètres. C’est dans un hameau de la rive droite de la Seine que le peintre discret a élu domicile. Le lieu s’appelle Ma Campagne, du nom de l’auberge voisine. La maison de Bonnard, baptisée La Roulotte par son propriétaire précédent, peintre lui-aussi, s’accroche au coteau et domine la Seine.
Outre le voisinage de son ami Monet, c’est la situation de la maison, certainement, qui a séduit Bonnard. Lui qui aimait séjourner dans plusieurs maisons différentes, au point que ses amis l’appellaient Cadet Roussel, choisissait toujours des lieux à l’écart des choses. Bonnard ne descendait pas à Deauville mais à Trouville, il préférait le Cannet à Cannes, il a évité l’agitation de la colonie picturale de Giverny pour s’installer à Vernonnet. Et toujours, ses maisons dominaient le paysage, offrant une vue magnifique.
Peintre nomade, Bonnard dessinait ou peignait dans des chambres, sans atelier. Pour travailler, il punaisait la toile sans cadre au mur. Au bout de quelques semaines, quand il pliait bagages pour aller séjourner ailleurs, les toiles en cours étaient roulées et accrochées au toit de la voiture, pour les poursuivre ailleurs, interminablement.
Car Bonnard n’est pas, dans sa période normande, un impressionniste, peignant sur le motif l’effet fugitif de la lumière. Au contraire, Bonnard absorbe le motif, le mâchouille dans son imaginaire, l’élabore, et le restitue magnifié, transfiguré de son art minutieux et savant.
Ainsi, les impressions lumineuses ressenties sur la Côte d’Azur se déposent sur le paysage de la vallée de la Seine, lui donnant des bleus intenses inattendus, des vibrations de violet et d’orange qui évoquent le soleil du Midi.
Enchanté ou dérouté, le spectateur scrute la toile. La peinture de Bonnard demande qu’on prenne le temps, elle ne se livre pas au premier coup d’oeil. Au bout d’un moment, la vie d’abord dissimulée sourd du tableau. Tiens ! Un petit chien était caché derrière la table ! Oh ! Un personnage apparaît sur le balcon ! Pierre Bonnard mettait beaucoup de temps à peindre ses toiles. On peut bien en prendre un peu à les regarder.
Une belle année pour le MDIG
Près de 200 000 visiteurs ont parcouru les galeries du musée des Impressionnismes en 2010 ! On s’est bousculé pour voir les deux belles expos qui se sont succédé à Giverny, l’Impressionnisme au fil de la Seine, suivie de Maximilien Luce.
Beaucoup de facteurs étaient réunis cette année, la qualité des oeuvres présentées bien sûr, une large communication, l’impact du festival Normandie impressionniste, la mise en place du billet couplé avec la Fondation Monet, et la météo clémente qui a donné envie de se rendre à Giverny…
Mais il a aussi fallu composer avec les facéties d’un volcan ou les pénuries de carburant, et relever le défi de faire découvrir un peintre méconnu. C’est pourquoi le nouveau record de 187 523 entrées établi par le jeune musée est susceptible d’être battu dans les années à venir. Et peut-être même dès l’année prochaine, car le programme des expos 2011 à Giverny sera somptueux : d’abord Bonnard en Normandie, du 1er avril au 3 juillet, puis La Collection Clark à Giverny, de Manet à Renoir du 12 juillet au 31 octobre 2011.
Pierre Bonnard ! Je vois déjà vos yeux qui brillent. Le merveilleux peintre a habité Ma Campagne à cinq kilomètres de Giverny pendant un quart de siècle, et fréquentait Claude Monet en voisin. Il avait aussi une maison à Trouville. Une soixantaine d’oeuvres offriront un panorama de son travail pendant toute cette période où les paysages du val de Seine et de la côte normande, sa vie quotidienne et sa femme Marthe lui ont inspiré une peinture foisonnante.
Voilà pour le printemps. La deuxième partie de la saison promet d’être un régal elle aussi. 70 toiles issues de la prestigieuse collection du Sterling and Francine Clark Art Institute de Williamstown, au Massachusetts, vont traverser l’Atlantique. Parmi elles, une vingtaine de Renoir ! et des Manet, Monet, Sisley, Pissarro, Morisot… Et un peu de préimpressionnisme, Corot, Gérôme, Millet…
Les Clark étaient à la fois très riches (héritiers des machines à coudre Singer) et francophiles : Madame Clark, née Francine Clary, était une actrice française. Ils ont rassemblé avec passion les oeuvres d’art, et l’expo givernoise présentera quelques fleurons de leur collection.
Pierre Bonnard Paysage normand, 1920 Colmar, Musée Unterlinden © Adagp Paris 2010
Maximilien Luce
Après le parcours impressionniste « Au fil de la Seine » qui réunissait de nombreux maîtres ayant travaillé sur les bords du fleuve, le musée des impressionnismes Giverny revient à une exposition monographique. Jusqu’au 31 octobre 2010, c’est le peintre Maximilien Luce qui est dans la lumière.
Comme Joan Mitchell l’an dernier, Luce a un lien géographique avec Giverny, puisqu’il a fini ses jours à Rolleboise, à une dizaine de kilomètres, et qu’il y est enterré.
Mais c’est avant tout son style qui fait de lui un peintre de la lumière, et le place dans la mouvance de Claude Monet. De 18 ans plus jeune (il est né en 1858), il fait partie des néo-impressionnistes en compagnie de Seurat, Signac et Cross, tous trois ses amis.
Le musée des impressionnismes n’a eu cette fois aucun mal à réunir les oeuvres présentées, dans l’intention de retracer toute la carrière artistique de Luce. Toutes les demandes de prêts ont été acceptées, ce qui fait de la rétrospective givernoise une sorte de parcours idéal dans l’oeuvre du peintre.
A voir l’époustouflante collection de chefs d’oeuvre, la maestria de Luce dans le traitement de la lumière, on comprend le désir du musée de rendre à Luce la place qui lui revient. Comment un tel peintre a-t-il pu rester dans l’ombre, ne jouir que d’un succès relatif ?
La réponse se lit dans les tableaux, les dessins et les gravures exposés. Luce a eu le tort d’être un artiste engagé, un fervent défenseur des plus faibles, peu avare de son talent pour lutter du côté des syndicalistes ou des anarchistes, pour dénoncer les répressions de la Commune, pour faire sentir la fatigue accablée des Poilus. Pas vraiment les meilleurs prémices pour se faire un nom auprès des collectionneurs, principalement bourgeois ou aristocrates.
Au fil de l’exposition, la personnalité de Luce transparaît. Autant Monet s’immerge dans le paysage, la représentation de la nature, autant Luce n’a d’yeux que pour l’homme. C’est un merveilleux portraitiste. Et même dans ses paysages, la présence humaine est quasi constante. Il s’enthousiasme pour le Paris haussmannien en pleine effervescence de construction, tout comme pour les aciéries du Pays Noir belge, qui lui donnent l’occasion de décrire avec lyrisme la beauté de l’effort humain.
Ce n’est qu’à la fin de sa vie que, retiré à Rolleboise, il retrouve une certaine sérénité pour évoquer la douceur des bords de Seine.
Musée des Impressionnismes
Gustave Caillebotte, Partie de bateau, dit Canotier au chapeau haut-de-forme, vers 1877-78, 90x117cm, collection particulière.
On croyait tout savoir de l’impressionnisme, le style de peinture le plus populaire qui soit. Et pourtant, tout le monde apprendra quelque chose en visitant l’expo qui vient d’ouvrir au musée des impressionnismes Giverny, et qu’on peut voir jusqu’au 18 juillet (« L’impressionnisme au fil de la Seine, de Renoir et Monet à Matisse » tous les jours de 10h à 18h).
Les organisateurs ont pris le parti d’une exposition didactique, ce qui n’est pas si courant. Au fil des cinquante-cinq toiles signées Corot, Monet, Pissarro, Sisley, Renoir, Gauguin, Bonnard, Matisse, Seurat, Signac… on suit un parcours chronologique, des précurseurs jusqu’aux post-impressionnistes.
Au milieu du 19e siècle, en un laps de temps très bref, quarante ans, la peinture connaît une révolution extraordinaire qui la mène de l’école de Barbizon aux fauves et à l’abstraction. Une révolution qui se joue dans un espace lui aussi réduit, axé sur la Seine, de Paris au Havre.
Le fleuve concentre les mutations de l’époque. Ses rives s’industrialisent, se couvrent d’usines aux cheminées fumantes, ou au contraire deviennent espace de loisirs pour des citadins en mal de campagne. C’est tout naturellement qu’elles attirent aussi les peintres à la recherche de sujets de leur temps, et non plus tirés de l’histoire sainte ou de la mythologie.
A force de peindre les ponts ou les parties de canotages, presque tous les impressionnistes finissent par s’installer le long de la Seine. Monet ne manque pas de collègues et amis dans les environs de Giverny, comme Bonnard à Vernon ou Pissarro à Eragny-sur-Epte.
Ils sont proches, mais isolés en même temps. A partir du moment où chacun prend sa résidence près du fleuve, les routes se mettent à diverger.
Les recherches picturales mènent au divisionnisme de Seurat, au fauvisme de Vlaminck, aux Nymphéas quasi abstraits de Monet.
Que tant d’artistes de génie soient nés dans un intervalle de temps si court, avec une telle concentration géographique, voilà qui ne cesse d’étonner en visitant la belle exposition de Giverny.
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