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Dahlia
Vous aimez les dahlias ? C’est le moment de venir les admirer à Giverny, dans toute leur extraordinaire variété de couleurs et de formes. Ils éclatent de gaieté, pas du tout gagnés par la mélancolie de l’automne qui vient.
Les jardins de Monet ne sont pas les seuls à décliner les dizaines de variétés différentes de dahlias, toutes plus belles les unes que les autres. J’ai photographiés ceux-ci dans le jardin du musée des impressionnismes Giverny, particulièrement spectaculaire en cette période de l’année.
Vous y verrez le jardin blanc déborder d’anémones du Japon, et de petites meules s’élever dans la prairie.
Les fleurs de Monet
Trente ans après la mort de Claude Monet, son beau-fils Jean-Pierre Hoschedé a rédigé un livre de mémoires dans lequel il dresse une liste des plantes cultivées par le peintre dans son jardin de Giverny. Pour l’établir, Jean-Pierre Hoschedé s’est servi, dit-il, du « catalogue d’un horticulteur très connu », histoire de prouver « que les plantes de Monet n’étaient nullement spéciales ».
Liste des plantes cultivées par Monet :
Plantes vivaces : Anémones du Japon, aster, aquilegia, aubrietia, acanthe, aconit, anchusa, bocconia, centaurea, campanule, delphinium, doronicum, echinops, eryngium, érigeron, gaillarde, helenium, hélianthus, hémérocallis, iris, glaïeuls, crocus, héliopsis, lupin, plumbago, rose trémière, rudbeckia, statice, thalictrum, pivoine, verbascum, hypericum, phlox, lilium, papaver, penstemon, gentiane, narcisse, tulipe, sauge, leucanthemum, hydrangea, rosier, pancratium, géranium, dahlia simple et à collerette, polygonum.
Toutes ces plantes se retrouvent aujourd’hui dans les jardins de Giverny, sauf me semble-t-il l’étrange bocconia, le superbe pancratium et les gentianes.
Jean-Pierre Hoschedé poursuit sont énumération par la liste des annuelles semées par Monet :
Plantes annuelles : Pois de senteur, capucine, coquelicot simple, reine-marguerite simple, eschscholtzia, digitale, ipomée, malope, muflier, tabac à fleurs, pavots simples, soucis simples, glaucium, lavatère.
Ces deux listes ont constitué une base de travail pour la restauration des jardins, cela va de soi. Mais elles ne sont pas les seules archives dont on dispose, ce qui laisse apparaître des manques. Où sont passés les oeillets et les haricots d’Espagne bien visibles sur les photos des massifs de géraniums devant la maison ? Et les papyrus immortalisés par Lilla Cabot Perry ? Les clématites, les agapanthes et les chrysanthèmes peints par Monet ? Les giroflées et les jacinthes observées par Mirbeau ?
Le plus dérangeant, ce n’est pas cette liste lacunaire, finalement. Non, c’est plutôt la liste suivante, celle des plantes bannies du jardin de Monet.
Plantes exclues : coleus, pétunia, reine-marguerite double, amarante, balsamine, canna, cinéraire, héliotrope, réséda, immortelle, oeillet d’Inde, oeillet de poète, véronique, coréopsis, ageratum, myosotis, calcéolaire.
On voudrait tant ne pas croire Jean-Pierre Hoschedé. Monet, rejeter certaines fleurs ? Avoir de l’aversion pour les charmants oeillets de poète ? les éclatants coréopsis ? On peine à le croire. On se demande sur quoi s’est fondé son beau-fils. Et on n’a aucune envie de priver la restitution du jardin de l’apport de ces belles fleurs supposément interdites.
D’ailleurs, la plupart d’entre elles figurent dans les massifs ou les potées de Giverny, parfois même en grande quantité. Allez ! Même s’il s’avérait que Monet ne pouvait les souffrir, je suis sûre que, là où il est, il est devenu beaucoup plus conciliant et qu’il n’en tient pas rigueur aux jardiniers du temps présent.
Buglosse
A cause de son incroyable bleu faïence, on pardonne tout à la buglosse : la petitesse de ses fleurs, sa floraison limitée au mois de juin, et même son aspect légèrement hirsute.
C’est un peu comme si on croisait un magnifique regard bleu intense dans un visage mal rasé et sous des cheveux en bataille.
C’est vrai, la buglosse a quelque chose d’une vagabonde. Comme le révèle son nom botanique, Anchusa italica, elle arrive des rivages de la Méditerranée, où elle pousse à l’état sauvage.
La vie de sans logis n’étant pas de tout repos, la buglosse a appris à s’accrocher fermement au sol, grâce à une longue racine en pivot. Il vaut mieux y réfléchir à deux fois avant de l’adopter, au risque de ne plus pouvoir s’en débarrasser.
Mais derrière cette force de caractère se cache un vrai chic. En fait de poils, la buglosse s’habille de soies, de pied en cap.
Elle aime prendre de la hauteur en s’élevant à un bon mètre du sol, ce qui a pour effet de produire de loin de belles masses bleues, comme le montre la photo ci-dessous, ce qui n’est pas si courant au jardin.
La sauge doudou
A l’heure où vous commencez à ressortir votre polaire du placard, la sauge leucantha se décide enfin à fleurir. La petite veste de velours violet que portent ses pétales leur donne un air d’adéquation avec la saison.
A Giverny la salvia leucantha est une fleur d’automne, elle a besoin de tout l’été avant d’en arriver aux fleurs. Mais ça vaut le coup d’attendre : elle est irrésistible.
Il y a des fleurs qui vous enchantent par leur parfum, d’autres par leurs couleurs. L’atout charme numéro un de la sauge leucantha, c’est son aspect de peluche qui donne très envie d’y toucher. Comme si un doudou vous attendait dans le jardin.
Si cette vivace magnifique ne sort jamais sans son cache-nez, c’est qu’elle est un peu fragile. Les anglophones l’appellent « Mexican Bush Sage » : elle vient du Mexique et, en ce moment où le temps est frais et humide, tout porte à croire qu’elle y retournerait bien.
Là-bas, où le soleil lui tape sur la tête, la sauge leucantha fleurit toute l’année ou presque. Elle est entourée d’une cour d’admirateurs, papillons, abeilles et colibris. Elle se multiplie avec frénésie, se ressème, se marcotte et envahit les massifs, à tel point qu’on rabat les tiges aussitôt défleuries pour éviter sa prolifération.
Chez nous, la sauge est plus sage. Elle s’inquiète pour sa survie. Va-t-on la rentrer ? Il fait un peu trop frais pour la laisser dehors.
Comme toutes les sauges, la leucantha aime les sols légers et alcalins. Il paraît même qu’on peut oublier un peu de l’arroser. Elle se plaît dans le val de Seine, en plein pays calcaire, où il est si difficile de faire pousser des azalées et des camélias.
Isatis tinctoria
Cette plante mousseuse couleur fleur de moutarde qui donne du volume aux massifs jaunes de Giverny a un sérieux passif : c’est l’isatis tinctoria, le pastel des teinturiers.
Le pastel, c’est bleu pâle, tendrement délavé, de la couleur du ciel normand en été quand il y met du sien. Une fleur jaune qui donne du bleu ? Voilà un paradoxe que Monet n’aurait pas dénié.
C’est des feuilles de l’isatis que l’on extrait, si l’on y met de la persévérance et du savoir-faire, la teinture qui a fait la fortune de plusieurs régions de France au Moyen Âge, en particulier le Lauragais, dans le Midi toulousain. C’était alors la seule façon d’obtenir du bleu.
Comment nos ancêtres ont-ils fait cette découverte ? Elle force l’admiration, car elle ne peut être fortuite tant la méthode de fabrication est complexe. J’imagine que les plus inventifs de nos aïeux ont multiplié les expériences avec toutes sortes de produits trouvés dans la nature, à la recherche de celui qui allait permettre de teindre les étoffes. Un jour, les efforts de l’un d’eux ont payé, il a découvert une méthode pour extraire l’indigotine du pastel.
Porter des vêtements colorés, vivre dans un monde où les objets ont de multiples teintes, tout cela nous paraît si normal que nous n’y pensons même pas. Il nous faut forcer notre imaginaire à se figurer un monde où seule la nature déploie des couleurs, tandis que les objets de l’activité humaine présentent des teintes monotones. On comprend alors cette fièvre du bleu qui a conditionné l’activité de toute une région, et bâti des fortunes encore visibles dans les beaux hôtels particuliers renaissants de Toulouse.
Lis des crapauds
Autrefois, c’était la rose. Aujourd’hui, l’orchidée est en train de devenir la fleur de référence, banale entre toutes malgré sa beauté.
Autant la floraison des roses est réputée pour sa brièveté, autant celle des orchidées fait d’elles de petits Mathusalem, qui se dirigent vers la dégénérescence de l’âge si lentement qu’on les prendrait pour des fleurs en tissu.
Leur culture de masse et leur faible coût a banalisé quelques variétés d’orchidées : on les voit partout. Tant et si bien que certains visiteurs s’imaginent en reconnaître dans les jardins de Claude Monet à Giverny.
D’accord, la région regorge d’orchidées sauvages, mais elles n’ont pas grand chose à voir avec les Phalaenopsis. Et le climat de la Normandie a beaucoup à envier à celui de la Colombie.
Ce qu’on peut admirer, en revanche, dans le jardin d’eau de Monet, ce sont de superbes lis des crapauds. Oui, rapprocher lis de crapaud, le nom sonne comme un oxymore, mais je n’ai pas découvert l’explication de cette étrange appellation, qu’on retrouve avec constance en anglais (toad lily) et en allemand (Krötenlilie). Les pois, à la limite, qui pourraient évoquer, de très loin, les boursouflures de la peau du batracien ?
L’avantage est que c’est facile à retenir, surtout en pensant aux bords de l’étang de Giverny. Mais si cela vous paraît trop disgracieux pour une fleur si élégante, vous préférerez peut-être son nom botanique de Tricyrtis.
Le lis des crapauds forme une longue hampe ornée de-ci de-là de larges feuilles recourbées dont le port fait penser aux feuilles des orchidées, et sa fleur a quelque chose d’exotique et de rare, de la texture des pétales à leurs charmants petits points violets. La ressemblance s’arrête là, la forme de la fleur est bien différente de celle de l’orchidée.
Après les avoir admirés à Giverny, j’étais tout heureuse de trouver des lis des crapauds en jardinerie et, une fois plantés dans mon jardin avec leur étiquette au pied, de mémoriser leur nom. C’est donc sans hésitation que j’ai pu renseigner une visiteuse qui me demandait s’il s’agissait bien d’une orchidée.
La dame, visiblement, est déçue. Lis des crapauds, késako ? Elle n’y croit pas. Elle me fait répéter. Toujours pas convaincue, elle questionne doucement sa voisine, c’est des orchidées, ça, non ?
Et puis, dix mètres plus loin, tandis que, rêveuse, je m’émerveille encore de l’évolution du statut de l’orchidée depuis Proust :
– Et ça, c’est des orchidées ? interroge la dame en pointant du doigt des balsamines.
– C’est plutôt de la famille des impatiences, dis-je patiemment, amusée à l’idée que ma réponse va de nouveau faire un flop.
Une orque-idée, tout juste bonne à faire un gros plouf dans le bassin. Comme un crapaud.
Verbena bonariensis
Tout l’été fleurit la verveine. Celle-ci porte le doux nom de verbena bonariensis.
En cette rentrée des classes, n’allez pas croire qu’il s’agit d’une sorte de cancre, une variété de verveine bonne à rien comparée à la verveine officinale qui serait bonne à tout, première de la classe des utilisations médicinales et magiques.
C’est ce que je m’étais imaginé la première fois que j’ai entendu son nom. Mais la réalité est plus prosaïque. Un cours de latin, de géo et de botanique plus tard, la verbena bonariensis était redevenue la verveine de Buenos Aires. (C’est sans doute de là qu’on a dû la rapporter pour la première fois, car elle fleurit un peu partout sur le continent sud-américain.)
Il y a pourtant un peu de vrai dans cette image de bonne à rien. Regardez-la. Isolée, avec ses petites touffes de fleurettes pâlichonnes tout au bout de grandes tiges ligneuses, son port dégingandé de grande bringue maigrichonne, on hésite. Cette chose dans mon jardin, vraiment ? Pour quoi faire ?
Tout son charme tient à ça, justement. La verveine de Buenos Aires est une bonne copine. Une fois entourée d’autres fleurs plus gâtées par la nature, elle excelle à alléger les masses compactes, à architecturer les massifs un peu mous, à donner du flou aux floraisons trop denses.
Les jardiniers l’adorent, parce qu’elle est sans souci. Elle pousse toute seule, elle résiste à tout, et, providence des étourdis, elle se ressème comme une grande, sans l’aide de personne.
Si vous copiez sur vos voisins qui l’ont déjà adoptée, ça vous laissera le temps de profiter de la récré.
Tulipes et giroflées
Sur la gauche de la maison de Monet, au pied de son premier atelier, les jardiniers de Giverny ont concocté un massif d’une grande subtilité. Des tulipes d’un rose ou d’un jaune doux veiné de vert et de pourpre surgissent au milieu d’un parterre de giroflées, dont les tons varient du jaune à l’orange presque noir.
Bien peu de visiteurs découvrent cette délicate association, car le massif est un peu caché au coin de la maison. Il faut se donner la peine de sortir des allées principales, d’explorer tous les coins et recoins du jardin.
Comme le deuxième atelier de Monet n’est pas accessible au public, le chemin qui y mène est devenu une sorte d’impasse. Quelques surprises y attendent les visiteurs curieux, par exemple de magnifiques rhododendrons qui vont bientôt fleurir, des lilas parfumés, puis, dans quelques semaines, une petite roseraie à l’ancienne.
Le long du mur, des treillages de bois peints d’un bleu un peu vert rappellent ce coloris si répandu autrefois à la campagne, où l’on faisait un usage généreux du sulfate de cuivre.
Comme dans les musées, il y a plus à voir à Giverny que ce que l’on peut découvrir en une visite. Mais contrairement aux musées, ici l’oeuvre change de semaine en semaine, au fil des saisons. On peut, à l’infini, revenir…
Dahlia
Si on le laissait faire, le dahlia ne s’arrêterait jamais de fleurir. On le célèbre en grande pompe début août lors du Corso Fleuri de Sélestat, où paradent les chars décorés de cent mille dahlias en pleine floraison. Deux mois plus tard, au coeur de l’automne, le dahlia est toujours là, plus beau que jamais.
Les jours sont plus courts, les nuits plus fraîches ? Il en faudrait plus pour le décourager. Avec obstination, il continue de produire des boutons floraux jusqu’à ce qu’on l’arrache à l’arrivée des premières gelées.
Pas étonnant qu’un être aussi têtu soit doté d’une grosse tête. Parmi les dahlias de collection présentés dans les jardins de Monet à Giverny, certains sont d’une taille extravagante, aussi volumineux qu’un crâne d’homo sapiens.
D’autres surprennent par leurs formes curieuses, leurs pétales bifides, recourbés, ébouriffés en coiffure de chanteur de rock. D’autres au contraire, et on a du mal à les croire cousins des précédents, évoquent quelque vieille dame méticuleuse élevant l’ordre au rang des beaux-arts : les pétales y sont minutieusement classés par taille, formant un impeccable motif en nid d’abeille.
Monet sans doute aimait aussi les dahlias simples, ceux qui rappellent des marguerites avec leur coeur jaune entouré d’une seule couronne de pétales plats. Ils existent aujourd’hui dans des coloris étranges qu’on peut admirer à Giverny, feuilles lie de vin, fleurs orange…
A voir tant de merveilles on comprend que certains jardiniers se prennent de passion pour le dahlia. C’est votre cas ? La société québécoise du dahlia donne tous les détails sur sa culture. On apprend qu’on peut même manger les tubercules, qui ont un goût un peut âcre qui rappelle celui de l’artichaut. Ou du topinambour, très joli en fleurs lui aussi !
Ricin
Le ricin fait partie de ces plantes qu’on connaît de nom, sans vraiment savoir que c’est une plante. Mais quelle solide réputation ! Il suffit qu’on vous dise « huile de ricin », et déjà vous faites la grimace.
Le mot à lui seul semble une promesse d’amertume. Personnellement je n’ai jamais eu l’occasion d’y goûter, mais franchement, je n’y tiens pas !
La plante elle-même, telle qu’elle se déploie en ce moment dans les jardins de Monet à Giverny, est impressionnante de vigueur. Elle s’élance sans hésiter à plus de deux mètres de haut, étalant ses magnifiques feuilles palmées veinées de rouge.
Les fleurs, très décoratives, sont groupées en grappes, fleurs mâles blanches en bas, fleurs femelles rouges en haut. Par la suite elles évoluent vers des capsules de graines rondes et rouges, hérissées de piquants du plus bel effet.
C’est le moment de se méfier, car ces graines sont très toxiques. Outre l’huile de ricin communément consommée dans certains pays du monde, elles renferment de la ricine. Ce poison très violent n’est pas soluble dans l’huile mais dans l’eau. Il déclenche des diarrhées mortelles, la dose létale est infime, équivalente à la moitié d’un grain de sable.
Le ricin pousse volontiers en dehors de son terrain de prédilection, l’Egypte et ses environs. Cultivé en annuelle, il se contente de devenir moins immense, jusqu’à douze mètres de haut là-bas !
C’est cette facilité de culture qui constitue une menace. Car voilà longtemps qu’on utilise le ricin pour tuer, des Chemises noires de Mussolini qui en administraient aux opposants au régime jusqu’aux terroristes contemporains. Les militaires évaluent son éventuel emploi comme arme de destruction massive. Possible, mais moins efficace toutefois qu’un virus ou une bactérie qui ont le bon goût de se propager d’eux-mêmes.
Ah ! Les maladies contagieuses ! il n’y a que ça de vrai. Je ne sais pas si comme moi vous saturez qu’on vous rince les oreilles avec la grippe. Il y a tellement de façons de mourir, le fil qui nous relie à demain est si fragile, pourquoi survaloriser tout à coup un risque plutôt qu’un autre ?
Plutôt que d’entretenir une psychose, j’aimerais mieux les infos si on nous y parlait d’espoir. Aux dernières nouvelles il se pourrait qu’on arrive prochainement à extraire du dangereux et magnifique ricin un remède pour soigner le cancer.
Balsamine
La tête à l’ombre et les pieds dans l’eau, voilà la définition du bonheur quand on est une balsamine.
Chez Monet à Giverny, celle-ci frise les trois mètres, installée comme elle est quasi dans le ruisseau. Cette fleur de la famille des impatiences n’est pas indigène en France, elle vient de l’Himalaya, mais elle se plaît dans un climat beaucoup moins rude que son pays d’origine.
Face à des terres aussi hospitalières, la voici qui prospère et se ressème à tout va, provoquant quelque émoi parmi les fleurs locales qui ne savent comment résister à cette géante haute comme l’Everest.
Pour partir à la conquête de l’Ouest, la balsamine dispose d’une formidable arme de tir : au lieu de laisser bêtement ses graines tomber au pied de la plante mère, la balsamine est capable de les projeter à distance. Les semences minuscules sont catapultées au loin, ce qui leur donne toutes les chances de coloniser de grandes surfaces en peu de temps, surtout si l’eau courante des ruisseaux s’en mêle.
Tous les enfants qui ont grandi à la campagne ont joué à faire éclater les graines de balsamine en appuyant légèrement sur la capsule. Pour que ça marche, il faut que la graine soit mûre à point, on ne fait que hâter le processus naturel.
Les biologistes se sont penchés sur cet instant où le ressort se détend. Le mouvement ultra-rapide est dû à « une fragilisation des sutures intercarpellaires et une turgescence dissymétrique des cellules de la paroi. » Si je comprends bien, les coutures entre les morceaux de la capsule deviennent moins solides, et certaines cellules se gonflent tout à coup, ce qui fait tout craquer. Mais je me demande, dans le mot intercarpellaires, de quel(le)s carpes il s’agit, étant entendu que ce ne sont pas celles qui viennent bâiller silencieusement à la surface de l’étang de Monet.
La poésie du discours scientifique me fascine, cet usage très particulier qu’on y fait des mots. Chaque chose porte un nom précis, chaque nom désigne une chose précise. C’est univoque, bijectif. Cela me rappelle les schémas de biologie, avec les étiquettes pour décrire les différentes parties observées : les pétales, les sépales, les étamines. Comme les morceaux de viande épinglés de leur nom chez le boucher.
Ce serait si rassurant que ce soit ça, la vie, quelque chose de facile à nommer, à cerner. Alors que notre quotidien est fait de rapports humains, qui sont autrement plus difficiles à définir.
Hémérocalle
L’hémérocalle est au lys ce que la clairette est au champagne, serait-on tenté de croire. Sans avoir l’allure aristocratique de son cousin, l’hémérocalle ne manque pourtant pas de qualités. Sa floraison éphémère – ne l’appelle-t-on pas aussi lys d’un jour ? – est compensée par une production régulière d’élégantes fleurs orange ou jaunes de grande taille, gracieusement présentées tout au bout d’une longue hampe recourbée. Elles sont la plupart du temps dépourvues de parfum, mais le lys n’en fait-il pas un peu trop sur ce plan-là ?
L’hémérocalle se prête bien à la culture en massif, elle demande d’ailleurs de la place pour loger ses masses de feuilles, aussi encombrantes qu’une robe à crinoline. Si vous lui en offrez, cette vivace se laissera adopter sans faire de manières. Cette bonne fille demande peu de soin, et a le bon goût de résister à toutes les plaies qui s’abattent sur votre jardin, pendant que vos lis se font croquer par des aliens.
Elle résiste, l’hémérocalle, jusqu’à son nom qui refuse de revenir à la mémoire quand on a besoin de lui. C’est le genre de fleur devant laquelle les visiteurs de Giverny s’arrêtent en claquant des doigts. Comment ça s’appelle, déjà ? Euh… iris d’un jour ? Non, c’est pas ça ! Hémérocaille !
Aïe aïe aïe ! Je me sens prise du démon de l’information. Je bouillonne telle un enfant qui lève le doigt, prêt à donner la réponse.
Tais-toi, Ariane, tais-toi. Il y a des gens que cela vexe qu’on leur souffle, comme si on venait de leur dire qu’ils sont nuls en jardinage. Alors que j’aime tant qu’on m’apprenne le nom des milliers de fleurs que je ne sais pas encore reconnaître !
Centenaire de Lourdes
Claude Monet avait 17 ans en 1858, à peine plus que la petite Bernadette Soubirous à qui, cette année-là, la Vierge est apparue dans la grotte de Lourdes.
La Vierge exhale un parfum de roses, c’est bien connu. Cent ans plus tard l’évènement était enfin associé à une rose, la très répandue « Centenaire de Lourdes » obtenue en 1958.
Très florifère, légèrement parfumée, remontante, cette rose a beaucoup de qualités, dont celle très appréciable de garder un beau feuillage quel que soit le mauvais temps, comme si la pluie n’avait pas d’emprise sur sa santé. Une bénédiction pour les jardiniers normands !
Dans les jardins de Monet, ce sont des rosiers Centenaire de Lourdes greffés sur tiges qui ont été choisis pour évoquer la roseraie de la tante Lecadre.
Il y a quelques jours, le spectacle était si beau que je n’ai pu m’empêcher de le dire à un jardinier qui passait par là. Croyez-vous qu’il a partagé mon enthousiasme ? Ce ne serait pas d’un jardinier ! Selon lui, les rosiers étaient moins fleuris que l’année dernière. Surtout, ce qui le chagrinait, c’était le pied remplacé cet hiver et qui n’a pas repris.
Ce rosier mort, il ne voyait que ça, comme un reproche, alors qu’il passe complètement inaperçu pour les visiteurs au milieu de tant de splendeur.
Ancolie
De spectaculaires ancolies jaunes ornent les bords du bassin de Claude Monet à Giverny. On dirait des nageuses prêtes à plonger, les bras tendus vers l’arrière dans l’attente du coup de sifflet qui les enverra fendre l’eau au milieu des nénuphars.
C’est joli comme un prénom, Ancolie. Malheureusement il suffit de rajouter devant un mél qui n’a rien d’un message électronique, et hop ! voici la charmante ancolie transformée en triste mélancolie.
Il n’en fallait pas plus pour que celle-là devienne le symbole de celle-ci dans le langage des fleurs, l’inventeur du code secret floral n’allait pas passer à côté d’une telle trouvaille !
Faire porter un chapeau pareil à l’ancolie, voilà qui n’était pas très sympa. Car vraiment, on se demande ce qu’on peut bien lui trouver de mélancolique, avec ses éperons recourbés en crochets et ses pétales en godets. Dans son costume improbable, elle fait plutôt penser à un personnage de Star Wars, pour un épisode qui reste encore à écrire.
Marronnier
Je vous ai déjà dit l’an dernier tout le bien et le mal que je pensais du muguet. Mais je ne voulais pas laisser passer le premier mai sans vous en offrir un petit brin pour vous porter chance !
En jargon journalistique, un marronnier est un sujet qui revient chaque année. Tel est le cas du 1er mai, de ses défilés et de ses ventes de muguet au coin des rues.
A en croire le site officiel de l’Etat de Genève, admirable de précision, cette expression nous vient de Suisse. Depuis 1818 l’habitude a été prise de noter très officiellement chaque année la date d’ouverture de la première feuille d’un marronnier célèbre de Genève, le marronnier de la Treille. Deux siècles plus tard, cette jolie tradition perdure. La tâche en incombe au sautier, qui en inscrit la date sur une tablette recouverte d’un parchemin déposée dans la salle du Conseil d’Etat.
Merveilleux Genevois, qui savent conjuguer politique et poésie ! Ils ont eu l’intuition avant tout le monde de l’importance de cette observation du début du printemps, une étude climatologique avant l’heure.
Les feuilles d’informations locales s’en sont fait l’écho chaque année : c’est le genre de sujet léger qu’on aime à lire au milieu des faits plus graves.
Puis l’expression prise au second degré a eu du succès dans la presse elle-même, par auto-dérision. De façon assez amusante, les journalistes d’aujourd’hui adorent filer la métaphore en lui rendant un sens concret. « Un marronnier de très grande dimension a poussé dans la presse sportive française » peut-on lire par exemple, ou encore « le sujet est en passe de devenir le marronnier le plus productif de l’année 2009 ». Le marronnier prend ici le sens de sujet rabâché.
L’avantage des marronniers plus traditionnels que sont le muguet ou la rentrée des classes (irrésistiblement associée pour moi à l’idée de marrons), c’est qu’on a 365 jours pour trouver une autre façon de les traiter l’année suivante.
Azalée
Sortez les lunettes de soleil : les azalées sont en fleurs à Giverny ! Les buissons hauts d’un mètre cinquante se sont couverts d’une myriade de corolles aux couleurs éblouissantes. On en a plein les yeux dans le coin le plus japonais du jardin, le long du bassin aux nymphéas.
A moins d’avoir spontanément un sol acide, ce qui n’est pas trop le cas dans le bassin parisien, le jardinier qui plante des azalées se lance dans des travaux d’envergure. L’azalée, un peu culpabilisée d’être si compliquée, le récompense par la générosité de sa floraison. Pendant quelques jours l’arbuste enfile un manteau incroyable, dans des couleurs qu’on n’oserait jamais arborer dans la rue.
C’est tellement flashy que la faute de goût guette. Pour donner asile aux azalées, il vaut mieux les isoler, sinon, on a vite fait de verser dans le criard. Mais il existe aussi d’impeccables azalées blanches, et d’autres aux tons fanés d’orange qui heurtent moins le regard.
Mahonia
Le truc mnémotechnique vaut ce qu’il vaut : les mahonias sont en fleur en même temps que les magnolias ces jours-ci.
Mais si à peine ouvertes les grandes fleurs blanches ou roses des magnolias tombent à la moindre goutte ou au moindre souffle, le mahonia résiste.
Rien ne l’abat. Il commence sa floraison au coeur de l’hiver et la poursuit jusqu’à ce que le printemps soit bien installé. C’est dire s’il laisse toutes leurs chances aux abeilles de venir le visiter, elles qui n’ont pas grand chose à se mettre sous la trompe en ce début de saison.
Pour être sûr de son coup, le mahonia multiplie les armes de séduction massive. Il déploie de vrais bouquets de petites fleurettes jaune citron, bien visibles contre le vert de son feuillage. Surtout, il sent très bon, un parfum puissant qui tranche avec les effluves plus suaves des bulbes de printemps.
Et puis, voilà que le mahonia se ravise. Comme une fille trop jolie obligée de tenir à distance d’innombrables prétendants, le mahonia se hérisse de piquants. Ses feuilles rappellent celles du houx, en un peu moins acéré tout de même.
Je crois que par cette armure il espère décourager les mâchoires pleines de dents qui rôdent aux alentours, et qui n’ont pas grand chose à croquer à l’époque où le mahonia se signale si vivement à leur attention.
Capucine
Si la capucine arrivait sous le nez des botanistes européens aujourd’hui, je ne sais pas si elle s’appellerait encore la capucine. Tout au plus, à condition d’être en période de froidure comme ces jours-ci, pourrait-elle se retrouver nommée la capuchonne. Au mieux, ou plutôt au pire.
Qui se soucie encore de la taille des capuches des moines ? C’est pourtant un sujet qui a fait débat jadis, entre les partisans de la capuche ample et ceux qui préconisaient la capuche serrée. La fleur nouvelle évoquait la forme du couvre-chef des moines capucins, ça n’a fait ni une ni deux, avec des parrains pareils elle a été baptisée capucine illico.
Va encore pour la forme, mais la couleur ? Cet orange flamboyant n’a rien de l’humilité monacale mais plutôt un petit air diabolique. Passons.
Claude Monet adorait les capucines qu’il laissait courir librement dans l’allée principale de son jardin, un effet obtenu fortuitement qui l’enchantait, tout comme les visiteurs de Giverny d’aujourd’hui.
Les capucines sont tellement mignonnes qu’on en mangerait. Ce n’est un secret pour personne, la capucine se laisse croquer, fleurs, feuilles et graines comprises. Les pucerons l’adorent encore plus que les humains, mais s’ils sont allés voir ailleurs la capucine fera sensation dans la salade. Et elle transforme un banal sandwich en mets classieux.
Capucine est venue récemment s’ajouter à la longue liste des prénoms féminins détournés du jardin. Dans Capucine il y a puce, voilà bien de quoi faire craquer les parents. Puce, le petit mot tendre, pas les horribles pucerons susmentionnés !
Et puis dans l’ombre de Capucine on voit aussi se dessiner un joli petit chaperon rouge, que les jeunes loups croqueraient bien avec ou sans salades.
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