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L’humour, dans quel sens ?
Hier, l’un des voyageurs que je guidais au château de la Roche-Guyon m’a surprise en venant me dire après la visite qu’il avait adoré la façon dont je mêlais l’histoire et l’humour anglais. Je n’ai pas osé lui demander ce qui l’avait amusé. A la Roche-Guyon, on évoque une multitude de sujets dont certains sont on ne peut plus graves, comme la question juive ou le mur de l’Atlantique, les bombardements inutiles ou l’attentat raté contre Hitler, le suicide forcé de Rommel, etc. On balaie les siècles depuis la christianisation (3e siècle) jusqu’au Moyen Âge, au siècle des Lumières, à la Révolution et enfin la Seconde Guerre mondiale. Tout cela en 1h30 et en anglais. Je suis loin d’être calée comme les guides du château, incollables sur les péripéties de la guerre de Cent ans ou la généalogie ducale. Mais j’aime bien faire de temps en temps cette visite tranquille, qui me change de Giverny.
Faire rire son groupe, c’est le rêve de tout guide, parce que le groupe, quand il rit de bon coeur, émet une énergie positive qui fait du bien. Le rire est déclenché par mille ressorts souvent liés à un décalage, comme l’antiphrase, l’anachronisme, la projection de pensées humaines sur des animaux, la chute d’une histoire, etc, etc, etc. Souvent la drôlerie est dans le ton bien plus que dans ce qui est dit. Un ton ingénu, par exemple, peut être hilarant.
Mais c’est un métier de faire rire, qui demande du travail et du talent. Le rire ne fait pas nécessairement partie du contrat implicite qui lie le guide et ses clients. Nous nous engageons à apporter un éclairage, des explications, des informations, et, parce que nous sommes passionnés, nous leur faisons vivre des émotions variées. Mes registres préférés sont l’empathie pour les personnes qui nous ont précédés sur la terre, et l’émerveillement devant la beauté. Il y en a beaucoup d’autres.
Je ne savais pas que je pratiquais l’humour anglais. L’idée que je m’en fais est celle d’un humour pince-sans-rire, où la drôlerie vient du ton neutre adopté. C’est l’auditeur qui décrypte ce qui, dans le discours, est à prendre au deuxième degré. Ma surprise passée, j’ai repensé à notre visite du matin et j’ai essayé de deviner ce que mon client avait bien pu trouver de drôle. Je crois que cela ne tenait pas beaucoup à moi, mais à la bonne humeur du groupe, heureux de débuter une croisière en France et de découvrir ce joli village. Je me suis souvenue les avoir entendu glousser au moment de traverser la route. Il passe une voiture toutes les cinq minutes à La Roche-Guyon. Comme à mon habitude, je venais de dire, « nous allons essayer de traverser cette rue à la circulation intense ». C’est un moyen pour qu’ils regardent en traversant, parce qu’il suffit que l’on s’engage pour qu’arrive un véhicule. Ce n’est pas destiné à une franche rigolade, mais les Américains sont bon public. Pour eux, rire à une plaisanterie, c’est montrer qu’on l’a comprise. En France, nous sommes plus réticents à pouffer.
J’ai aussi eu la surprise de voir mon groupe éclater de rire à propos de Rommel et de la décapitation de saint Nicaise, histoire que je trouve plus éclairante que drôle. Une troisième occurrence m’est revenue : alors que nous descendions un escalier de cave, dans les casemates, je leur ai dit de faire attention à la dernière marche : « Elle est spéciale ! » Eclats de rires derrière moi : « Qu’est-ce qu’elle a de spécial ? » « Elle est plus haute que les autres ! N’allez pas gâcher votre croisière en vous tordant la cheville dès le début ! » Re-rigolade. Quand on est de bonne humeur, on voit de l’humour partout. Si on est adepte de l’humour noir, on pouvait s’imaginer que le sous-entendu était : si vous vous tordez la cheville à la fin de la semaine, c’est moins grave, vous aurez au moins sauvé vos vacances. Loin de moi une pareille pensée. Dans l’échange d’énergie du rire, l’auditeur compte encore plus que le locuteur, peut-être.
Le temps des roses à La Roche-Guyon
A côté des arbres palissés le long du mur tourné vers le sud, abricotiers, pêchers ou figuiers, le potager du château de La Roche-Guyon est orné de magnifiques rosiers grimpants. Pour le plaisir des yeux, du nez, et celui des pollinisateurs qui s’affairent au coeur des fleurs.
La BD s’expose à la Roche-Guyon
Le château de la Roche-Guyon met à l’honneur l’album Le Piège diabolique d’Edgar Jacobs, paru il y a tout juste 60 ans. L’auteur belge a situé l’aventure de son héros dans le cadre même du village. Une machine à voyager dans le temps envoie le professeur Mortimer loin dans le passé et le futur, en passant par le Moyen Âge, avant de le ramener, ouf ! à l’époque contemporaine. Le château, lui-même un mille-feuilles historique, se prête bien à ce voyage. L’exposition, très documentée, permet de comprendre comment Jacobs réalisait une bande dessinée, de la recherche documentaire aux ultimes corrections, bien avant l’invention de l’ordinateur. Ce n’est pas si éloigné de nous, mais cela paraît déjà d’une autre époque.
Le jardin du yoga
A la Roche-Guyon, à quelques kilomètres de Giverny, un nouveau jardin vient d’ouvrir. Il se situe rue des Jardins, une voie parallèle à la rue principale en descendant vers la Seine. Faites quelques pas dans cette rue tranquille ; vous verrez bientôt un portail grand ouvert et une pancarte indiquant le Jardin du Yoga.
En matière de jardins, ce sont toujours un peu les mêmes thématiques qui reviennent (par exemple les cinq continents…) ; celle-ci m’a paru assez intrigante pour me donner envie d’aller voir. L’espace, clos de beaux murs de pierre, renferme quelques arbres fruitiers, des massifs tout simples de bergénias ou d’iris qui doivent être jolis au printemps, et des sculptures sans prétention figurant des postures de yoga.
Peut-être que les adeptes reconnaissent au premier coup d’oeil les mouvements dont il est question. Un panneau à l’entrée les identifie. A gauche, voici la torsion assise. Contre le mur, le guerrier. Le panneau vous suggère de les imiter. Je m’essaie à copier le guerrier, qui ne demande pas de s’asseoir, mais c’est plus difficile qu’il n’y paraît, surtout en robe.
Par-dessus le mur, l’arbre du voisin tend ses branches, gagné lui aussi par l’envie de s’étirer. Une partie du jardin est à l’ombre, l’autre au soleil, avec vue sur le donjon médiéval en haut de la colline. Le parcours, si parcours il y a, est ponctué de bancs. Si vous préférez la méditation, vous pouvez aussi vous poser un moment et rester là à laisser les minutes couler tout doucement.
Ce n’est pas un jardin qui en rajoute, mais il a une âme, c’est indéniable. Le panneau d’accueil informe les visiteurs que l’endroit a été offert à la commune par Déborah Manetta en mémoire d’Eugène Finley qui aimait beaucoup la Roche-Guyon. C’est Déborah qui a sculpté les postures. On aurait aimé en savoir un peu plus.
Bienvenue au château
Une certaine animation régnait ce matin au château de la Roche-Guyon, où les allées et venues de véhicules et de livreurs tranchaient avec le calme habituel. Comme le domaine accueille de nombreuses manifestations artistiques, je n’ai pas prêté tellement d’attention à cette effervescence, jusqu’au moment où je me suis retrouvée nez à nez dans la salle des gardes avec un jeune homme roux au large sourire qui n’était pas sans ressemblance avec le prince Harry.
Le gros carton qu’il portait est allé rejoindre une pile en transit dans cette vaste salle où nous admirions le plafond aux poutres peintes ornées de la devise des La Rochefoucauld : « C’est mon plaisir ». Un cheval à bascule aux couleurs vives qui n’avait pas trouvé place dans les cartons trônait en équilibre sur l’un d’eux, petite touche de gaieté dans la pièce solennelle. Le jeune homme s’est redressé et s’est tourné vers nous. « On emménage ! On vient vivre ici ! » nous a-t-il expliqué, radieux.
Ce n’est un secret pour personne, la famille La Rochefoucauld réside toujours dans le château, au deuxième étage, au-dessus des appartements historiques ouverts au public. Mais depuis que je guide à La Roche-Guyon c’est la première fois que je rencontre un membre de la famille, très discrète d’habitude.
Mon groupe et moi-même n’étions pas au bout de nos surprises. Car à peine quittions-nous la salle-à-manger que nous étions accueillis par le duc de La Rochefoucauld en personne. Il s’est présenté à nous comme le propriétaire du château. Son salut à mon intention était si urbain que je me suis demandée un instant si nous avions déjà fait connaissance. Je ne crois pas, mais c’est un talent de demander Comment allez-vous ? avec tant de chaleur humaine. Puis il s’est adressé à mon groupe d’Américains, dans un anglais parfait, pour leur souhaiter la bienvenue et expliquer que c’est la nouvelle génération qui s’installe et vient vivre au château, une famille qui comprend trois petits dont l’aîné a cinq ans.
J’aurais bien aimé savoir quels étaient les liens entre les personnes, quels titres ils portent, etc, mais je n’ai pas osé poser trop de questions. J’étais touchée du sentiment de joie profonde qui émanait du père et du jeune homme, son fils ? son gendre ? Cet emménagement, c’était jour de fête.
Le plus curieux a été la réaction de mes clients après cette rencontre. Car ils se sont tous projetés dans cette idée de vivre dans le château, et à ma surprise elle ne semblait pas du tout leur faire envie.
Et comment on chauffe ? Il doit faire froid l’hiver ? J’ai eu beau leur expliquer que l’étage supérieur a des plafonds moins hauts, ils n’étaient pas convaincus. Qu’ont-ils fait des rêves de princesses et de châtelains de leur enfance ? Avec l’âge ils préfèrent leur petit nid douillet, leurs appartements climatisés. N’est pas aristocrate qui veut.
La vieille charrière
Cette petite place triangulaire marquée par de beaux tilleuls taillés se trouve à l’entrée de la route des crêtes. Je suis passée devant des dizaines de fois sans m’arrêter. Mais la brume était belle. C’est ainsi que j’ai découvert que le chemin à droite que je prenais pour une voie privée s’appelait en fait :
La commune de La Roche-Guyon, dominée par un donjon médiéval, a choisi une police de style gothique pour ses noms de rues, on lit tout de même fort bien « Rue de la vieille charrière de Gasny » : une voie assez large pour que les charriots puissent y passer, en direction du bourg voisin de Gasny.
L’entrée de la vieille charrière n’est pas invitante plus qu’il ne faut. Mais dès qu’on fait quelques pas au-delà de la barrière, on comprend pourquoi :
A quoi peut bien servir cette petite maison ?
La route des crêtes
Entre Gasny et La Roche-Guyon, la route franchit la colline qui sépare la vallée de l’Epte de celle de la Seine. Cette colline s’abaisse à hauteur de Giverny, où se trouve le confluent. Mais avant d’en arriver là, elle s’élève à près d’une centaine de mètres au-dessus des deux rivières, offrant de beaux points de vue sur les vallées voisines. Une route suit le haut de la colline, ce qui lui vaut le nom un peu grandiloquent de route des crêtes.
Quelle que soit la saison, le paysage se déploie avec cette douceur qui a dû séduire autrefois les Vikings. En cette fin d’hiver, la lumière diffuse lui donne des teintes opalescentes.
C’est une ouate qui invite à la rêverie les yeux ouverts. Rien n’a l’air tout à fait réel, mais d’une poésie calme et tendre qui apaise.
Août ou la gloire des potagers
Le coeur de l’été marque le moment de l’opulence des potagers, celui d’une abondance que l’on voudrait sans fin. Pour les châteaux ouverts au public qui ont maintenu cette tradition d’un jardin nourricier, il existe bien des façons de rendre celui-ci aussi beau que généreux. Le potager du château de Villandry en est sans conteste l’un des exemples les plus aboutis.
Plus près de Giverny, à la Roche-Guyon, le jardin du château aligne ses fruitiers et ses rangs de légumes. Les cardons sont de la fête. Ils s’élancent dans les hauteurs, bien au-dessus des têtes des promeneurs, qu’ils étonnent par le contraste de leurs feuilles dentelées et piquantes avec la grâce délicate de leurs houppettes mauves.
Devant vous
Elle est Américaine, mais son humour est très anglais. Kathryn Marshall est une artiste qui se glisse dans la peau de personnages ayant un ascendant sur les autres – présentateur télé, prof de yoga, ou, en l’occurrence, une guide – pour ses performances, délicieusement décalées. Je ne voudrais pas trop vous en dévoiler pour vous laisser le sel de la découverte, tout comme le public, assez médusé. Je viens de découvrir sa performance d’il y a cinq ans au château de la Roche-Guyon, où je guide aussi (mais pas du tout de la même façon !!).
Devant vous fausse visite guidée de la Roche-Guyon par Kathryn Marshall
Ce qu’elle choisit de montrer et tout ce qu’elle passe sous silence interrogent en creux notre propre lecture du lieu. Qu’est-ce qui est digne d’intérêt ? Et pourquoi ? Quel est l’arbitraire du guide dans le choix de ce qu’il donne à voir, et quelle part tiennent les attentes implicites du public ? Et par quelle cécité passons-nous à côté de quantité de détails ?
Et puis, dans un tout autre registre je lui trouve une ressemblance curieuse avec la duchesse d’Enville, le personnage gravé devant lequel elle se tient dans la pièce peinte en rouge. Qu’en pensez-vous ?
Hubert Robert à La Roche-Guyon
Hubert Robert, Vue du château de La Roche-Guyon, vers 1773-1775, huile sur toile, H95;L276 cm, Musée des Beaux-Arts de Rouen.
Les tableaux d’Hubert Robert regorgent de petits personnages et d’animaux pleins de vie. Diderot aurait préféré qu’il en fit moins, et mieux. Que cela eût été ennuyeux.
Le jardin anglais de la Roche-Guyon
Que reste-t-il d'un jardin après deux siècles d'abandon ? On serait tenté de penser qu'il n'en reste rien du tout. Pourtant, pour qui sait voir, ce n'est pas tout à fait vrai.
Malgré le processus naturel de régénération du jardin, rien ne fascine davantage que la persistance, aussi infime soit-elle, des traces légères de l'intervention humaine. Elle sont seules à susciter en nous les visions fugaces et les perceptions, réelles ou imaginaires, des êtres qui ont vécu dans ces lieux.
Ces mots sont ceux de Gabriel Wick, historien des jardins, qui a examiné les vestiges des Promenades de La Roche-Guyon conçues dans les années 1770.
Le donjon de la Roche-Guyon
Voilà une semaine que le val de Seine est sous la neige, quelques centimètres à peine, mais assez pour métamorphoser le paysage.
Au-dessus de la Roche-Guyon, la route des Crêtes suit le bord de la falaise taillée par le fleuve, offrant de beaux points de vue sur les lointains bleutés.
Un peu en contrebas, on aperçoit le château fort de la Roche-Guyon. Bien que démantelé et ruiné, il a toujours fière allure dans ce site somptueux.
Cela paraît bizarre qu’il n’ait pas été construit tout en haut du coteau. Mais autrefois, sa tour était beaucoup plus haute. Elle s’élevait telle une immense cheminée et dépassait la crête de la colline, permettant de garder un oeil sur l’autre vallée juste derrière, celle de l’Epte. Cette fameuse rivière frontière de la Normandie. On est ici en Ile-de-France.
Des gravures montrent ce donjon démesuré, et c’était bien moche, vraiment, mais on n’était pas là pour faire joli. A la manière d’un périscope, la tour sortait juste ce qu’il fallait de l’ondulation de la colline, et les guetteurs guettaient.
J’ignore si, comme soeur Anne, ils ne voyaient rien venir. L’essentiel se passait quand même de l’autre côté, avec le contrôle de la Seine, et cette grosse chaîne qui stoppait les bateaux. Ceux-ci sentaient peser sur eux toute la menace du château fort, et s’acquittaient du péage sans discuter.
Les frasques des fresques
Cela faisait bien une dizaine d’années que je n’avais pas visité l’église de la Roche-Guyon, dédiée à Saint-Samson : les petites églises de village sont généralement maintenues fermées. J’avais gardé le souvenir très vif de fresques magnifiques, ornant les voûtes de bleu roi piqué d’étoiles d’or.
Hier, à l’occasion des journées du Patrimoine, j’ai de nouveau franchi le seuil de l’église de la Roche-Guyon. Et vous imaginez ma stupeur en découvrant le décor peint.
Les fresques n’ont pas fait de frasques, elles datent du 19ème siècle et mériteraient une restauration. C’était donc bien les mêmes que j’ai vues naguère.
Mais le bric-à-brac de la mémoire m’a fait surimposer une voûte vue ailleurs avec le souvenir émerveillé de découvrir des fresques dans une église, ce qui n’est pas si fréquent.
Je me demande où j’ai bien pu voir une voûte peinte en ciel étoilé. Vous avez une idée ?
Et puis accessoirement, je trouve les tours que joue la mémoire bien étonnants, et les témoignages oculaires bien fragiles.
Où on se croit ?
Le touriste a la manie des comparaisons. C’est un peu agaçant pour ses voisins, témoins involontaires des rapprochements les plus insensés, Amsterdam et Venise, Notre-Dame de Paris et la cathédrale de Montréal, que sais-je…
C’est agaçant parce que ces similitudes sont imaginaires. Je ne sais pas si plaquer un paysage sur un autre empêche de voir vraiment ce que l’on a sous les yeux, en tout cas c’est plus fort que soi, il faut qu’on rattache l’inconnu à son référentiel personnel.
Le touriste cherche à établir des connexions entre ce qu’il connaît et ce qu’il découvre. Il retient certaines caractéristiques du paysage qui évoquent des images familières et il élimine ce qui le gêne pour établir le lien.
Chaque jour j’entends comparer Giverny à des tas d’autres jardins que je n’ai pas vus, et qui sans doute sont des jardins, et à ce titre comparables, mais qui ne doivent pas avoir beaucoup de points communs avec celui de Monet.
Je laisse dire avec un intérêt poli.
Ce n’est pas moi qui irai jeter la première escarbille dans l’oeil des touristes. J’ai fait pire qu’eux. A dix kilomètres de Giverny, sans l’excuse de me trouver loin de chez moi, cette vue du donjon de la Roche-Guyon surplombant une maison à colombages en encorbellement m’a frappée par sa ressemblance avec…
Vous ne voyez pas ? Allons, avec un peu d’imagination on ne se croit pas en Ile de France, ni même dans la Normandie toute proche, mais…
En Alsace bien sûr, un petit village alsacien blotti au pied des ruines du burg !
D’accord, il faudrait ajouter des masses de géraniums aux fenêtres, troquer le calcaire francilien du château pour le grès des Vosges, et changer les alignements de colombes en dessins beaucoup plus élaborés. Mais à ces détails près…
Je vous l’avais dit que c’est agaçant.
Potager fermé
Les dahlias fleurissent pour personne dans le potager-verger du château de la Roche-Guyon. Quatre années seulement après son ouverture en 2004, le jardin est déjà fermé.
Malgré les deux pages d’explications affichées sur les grilles, les raisons qui ont présidé à cette fermeture du potager ne sont pas vraiment claires. Peut-être son entretien était-il tout simplement trop cher pour le conseil général du Val d’Oise, propriétaire du château.
Ce qui est bien expliqué, en revanche, c’est le virage écologique et social que va prendre le jardin. On avait voulu recréer ici le potager-verger du château tel qu’il se présentait au 18e siècle, mais impossible de lui fournir les trente jardiniers qui s’y activaient à l’époque. On aura désormais un potager soucieux de préservation de l’environnement d’où la chimie polluante sera proscrite, et dont la production devra trouver des débouchés sur les marchés locaux, auprès des associations caritatives et d’insertion.
Selon Gilles Clément, qui mène ce projet, on sera de la sorte beaucoup plus près des intentions qui ont présidé à la création du jardin au 18e siècle. Il s’agissait de se nourrir avec des produits locaux, cultivés de façon naturelle. On expérimentait aussi dans les jardins de châteaux, on testait de nouvelles espèces, des méthodes de cultures innovantes, pour le bien-être de l’humanité. Le nouveau potager, qui ouvrira peut-être en 2009, misera lui aussi sur la biodiversité.
Au pied du mur
Tout est imposant dans les constructions militaires du Moyen-Âge : la hauteur des murailles, leur épaisseur phénoménale, les endroits inaccessibles où on est allé les construire…
Au château de la Roche-Guyon, c’est le savoir-faire des maçons qui force l’admiration. C’est plus apparent si vous agrandissez la photo : le donjon est composé de pierres de forme irrégulière grossièrement taillées sur une face seulement, celle qui doit être la plus lisse possible pour empêcher l’escalade, la face que l’on voit quand la pierre est posée.
Les maçons ont dû se débrouiller avec la forme de chaque pierre pour lui trouver son emplacement, l’intégrer dans la structure générale en conférant un maximum de solidité à la tour. Ils ont très habilement rattrapé les décalages, alterné les grosses pierres et les petites sans rompre l’équilibre global de la construction.
Ce savoir-faire s’est maintenu longtemps par tradition dans les constructions de murets de pierres sèches. Mais aujourd’hui il se perd. On ne sait plus combiner les pierres entre elles, il est tellement plus facile de combler les espaces à grand renfort de ciment. Le résultat n’a rien à voir avec l’esthétique de cette tour qui défie le temps depuis huit cents ans, où l’emplacement de chaque pierre a été pensé avec soin.
Esther et Rommel
Une magnifique suite de tapisseries des Gobelins orne le grand salon du château de la Roche-Guyon.
Ces tapisseries représentent l’histoire d’Esther, une jeune femme juive dont s’éprit le roi des Perses et qui sauva son peuple d’un génocide grâce à l’influence qu’elle exerça sur son époux.
L’histoire est tirée de la Bible et elle a connu un succès certain depuis le Moyen-Âge, Racine en a même fait une tragédie.
C’est la duchesse d’Enville, femme intelligente et cultivée, qui a fait réaliser ces tapisseries en 1769. Féministe avant l’heure, il n’est pas surprenant qu’elle ait privilégié une histoire qui met en valeur un personnage féminin.
Ce qui est plus étonnant, c’est la suite. En 1944, Rommel occupe le château de la Roche-Guyon. Le maréchal allemand installe son bureau dans le grand salon, juste devant les tapisseries. Que va-t-il faire de ces immenses tentures de plus de trois mètres de côté à la gloire d’une héroïne juive ?
Eh bien justement, il ne fait rien. Les tapisseries d’Esther restent en bonne place tout autour du bureau de Rommel, des photos en témoignent. C’est quasi surréaliste.
Très certainement Rommel savait parfaitement ce que racontaient les tapisseries.
Bardeau
Au château de la Roche-Guyon, le petit bâtiment qui abrite l’escalier d’honneur ressemble à une chapelle. L’escalier qui mène au donjon permet de l’observer depuis le dessus.
Un joli toit un peu rustique, n’est-ce pas ? Il est composé de petites planchettes de bois, des bardeaux.
Pourquoi ne pas l’avoir fait en tuiles ou en ardoises, matériaux plus « nobles » qui paraîtraient mieux convenir à un château ?
Parce qu’on n’en finirait pas d’avoir des tuiles ou des ardoises cassées. Placée au pied de la falaise, le bâtiment est exposé aux chutes de petits bouts de pierres. Avec son toit en bois, il ne risque rien. Les cailloux rebondissent sur le bardeau et finissent leur chute en roulant tranquillement dans la cour.
A la Roche-Guyon toutes les maisons construites à proximité de la falaise ont des toits de bardeaux.
Humour noir
Un visiteur du château de la Roche-Guyon a remarqué la ressemblance entre les portes blindées munies de judas qui protègent l’accès du donjon et… les entrées bien gardées des boîtes de nuit ! Il lui a suffit de ramasser un bout de craie détaché de la falaise pour écrire sur la porte la précision qui manquait :
BOITE DE NUIT
TENUE CORRECTE EXIGEE
Concentrée sur l’aspect médiéval du château, je n’ai rien remarqué quand j’ai fait la visite et pris la photo. Ce n’est que face à l’écran que j’ai découvert cette légende au savoureux humour noir.
Après être passée à côté en gravissant puis en redescendant les quelque 250 marches qui mènent à la tour, c’était vraiment avoir l’esprit de l’escalier.
Passage secret
On croirait se trouver dans les entrailles d’un monstre.
A la Roche-Guyon, le château situé au bord de la Seine est relié à son donjon en haut de la falaise par un passage secret. Un incroyable escalier s’enfonce dans l’épaisseur du roc.
Les bâtisseurs ont réalisé un exploit, mais un exploit relatif : la pierre est assez tendre à la Roche-Guyon, c’est un genre de craie entrecoupée de rangées de silex. Depuis toujours on a exploité cette possibilité de la creuser facilement. Le village était à l’origine entièrement troglodytique, il compte encore beaucoup de cavités, qu’on nomme ici des boves.
La visite du château de la Roche-Guyon est passionnante, il y a tant à voir qu’on ne peut tout parcourir en une fois. Pourtant, il faut garder un peu de place pour le dessert.
La montée au donjon, c’est vraiment quelque chose d’extraordinaire. Elle demande un peu de condition physique : plus de 150 marches très hautes, 40 cm pour certaines. Mais quelle sensation étonnante de se trouver dans ce boyau tout blanc de craie, bouché au 18ème siècle et redécouvert au 20ème ! Et quelle récompense au sommet, avec la vue qui se déploie sur le village, la boucle de la Seine et se perd à l’horizon dans la brume…
Il n’y a plus de guetteurs au château de la Roche-Guyon. Mais un gardien surveille le donjon et les visiteurs qui s’y trouvent. Autant dire qu’il s’avale quelques milliers de marches toutes les semaines, à la montée et pire, à la descente.
Ce métier, ça vous fait des mollets de cycliste et un coeur d’alpiniste.
La Roche-Guyon
Dans la lumière de fin de saison, une des petites rues de la Roche-Guyon où le temps semble s’écouler à un rythme oublié.
Par celle-ci on accède à l’église. D’autres plus étroites s’ouvrent entre les hauts murs des maisons et ceux des jardins aux portes dérobées.
Partout des pavés, des fenêtres fleuries de géraniums, des chats qui se prélassent dans le ron-ron des péniches qui passent. Une jolie douceur pour fêter le début de l’automne dimanche prochain.
L’arboretum de la Roche-Guyon
Voilà un joli but de promenade en toutes saisons : à quelques kilomètres de Giverny, il faut suivre la pittoresque route des Crêtes qui surplombe la vallée de la Seine en offrant de superbes panoramas entre les villages de la Roche-Guyon et de Vétheuil. A mi-parcours environ, une allée cavalière s’ouvre sur la gauche, avec l’indication de l’arboretum à 1200 mètres.
C’est parti pour un quart d’heure de marche à travers la forêt. Tout au bout de l’allée, à flanc de coteau, vous arrivez à un parc de treize hectares plantés d’arbres encore jeunes. L’entrée est gratuite et toujours ouverte.
Le fil conducteur de ce parc, ce sont les forêts de l’Ile de France. L’arboretum figure la carte de la Région, avec ses vallées et ses départements. Chacun d’eux est représenté par une essence d’arbres qui pousse spontanément dans ses forêts, chêne, hêtre, érable, frêne, tilleul…
On peut compter autant d’arbres qu’il y a de communes dans le département francilien. Les platanes symbolisent Paris. Des arbres plus rares enrichissent la collection.
L’endroit le plus magique de l’arboretum se situe tout en bas sur la droite. Des dizaines de sequoïas – un de mes arbres préférés – bordent une petite allée sinueuse. Entre eux poussent une collection de bambous tous différents, puis une collection de houx. Même en ce moment, tout est vert. Les sequoïas n’ont pas encore atteint leur maturité, certes, mais ils sont déjà de belle taille. Cela promet une allée grandiose pour nos petits-enfants.
Mur végétal
Il était une fois, au château de la Roche Guyon, un renfoncement où des plantes peu gourmandes s’étaient installées spontanément.
Patrick Blanc, botaniste et chercheur au CNRS, s’est intéressé à la flore de cette cavité. Créateur de murs végétaux, il a eu envie d’amplifier le phénomène dans cette niche en y introduisant des plantes tropicales et en assurant un léger apport d’eau et d’engrais.
La greffe a très bien pris, on peut admirer aujourd’hui des espèces collectées au Japon par Patrick Blanc (Pilea petiolaris et Elatostema umbellatum) et de nombreuses variétés indigènes, fuchsias, fougères, bégonias, saxifrages ou menthes.
La halle de la Roche-Guyon
Située en plein centre du village, la halle de la Roche-Guyon a la particularité d’abriter le marché au rez-de-chaussée et la mairie au premier étage.
L’hôtel de ville s’y trouve depuis 1847.
Un document de cette époque décrit le bâtiment, qui
« se compose par bas d’une place destinée à mettre à couvert les marchands, couverte d’un plancher supporté par de forts piliers en pierre de roches, au nombre de vingt-cinq. A l’une de ses extrémités se trouvent un escalier montant au premier étage, une chambre servant de corps de garde et deux autres petites chambres destinées à enfermer les individus arrêtés. Le premier étage auquel conduit l’escalier se compose d’un long corridor conduisant à une salle de mairie, puis au logement du concierge préposé par la commune à la garde du bâtiment. »
La disposition des lieux n’a guère changé. L’ensemble a un côté pittoresque qui, avec le château, le donjon, le potager, les bords de Seine et les petites rues, contribue au charme de la Roche-Guyon, un des plus beaux villages de France proche de Paris, entre Giverny et Vétheuil.
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