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Une mer de fleurs
La floraison des iris est courte, mais si spectaculaire, si séduisante qu’elle mérite bien qu’on patiente devant leurs feuilles le reste de l’année.
Vu en oblique et non pas dans le sens des allées, le jardin de Claude Monet à Giverny se déploie comme une immense mer de fleurs, giroflées, isatis, juliennes, d’où émergent les têtes papillonantes des iris.
Le secret de l’effacement des chemins est tout simple : les massifs et bordures sont un peu surélevés, d’autant plus que l’allée derrière eux est plus large. Cette légère élévation du terrain cache les cheminements et donne ce côté très naturel au jardin.
Les iris sont juste à leur apogée à Giverny.
J’ai profité de quelques heures de soleil hier pour aller faire des photos de cette période si poétique, mue par une motivation renouvelée : l’éditeur de calendriers DuMont a l’intention de poursuivre notre collaboration en 2014.
Le calendrier 2013, pour sa part, paraîtra en juin, sans graines cette année et donc moins cher que l’an dernier (prix public 16,99 euros). Vous pourrez vous le procurer chez amazon.fr, mais toujours pas à la Fondation Monet. Je m’en désole, mais il paraît qu’il pourrait faire de l’ombre au calendrier édité par la Fondation, même si ce n’est ni le même prix ni la même qualité.
Je crois que DuMont retravaille légèrement mes photos, bien mieux que je ne saurais le faire, pour en tirer le meilleur. Elles ne sont jamais aussi belles que dans leur édition.
Je m’attache, de mon côté, à essayer de rendre la réalité de la beauté du jardin, habillé de la lumière du val de Seine, avec simplicité et naturel. Pour partager par l’image plutôt que par les mots mon amour de ce lieu qui m’émerveille et m’éblouit chaque jour.
Un oeil neuf
Il faut bien viser entre les averses ces derniers jours pour arriver à faire quelques photos du jardin de Monet en pleine floraison des tulipes. Malgré ce temps étrange, comme d’habitude, c’est un enchantement. Et déjà, on peut remarquer les premières modifications apportées par le nouveau chef-jardinier.
James Priest, qui a pris la suite de Gilbert Vahé l’an dernier, a décidé de débuter par les floraisons printanières. « Comme elles ne durent pas longtemps, ce n’est pas grave si on se trompe« .
Dans la plus grande partie du jardin, pour le profane rien ne paraît changé. En revanche, dans les massifs qui s’étirent du côté de la serre, la nouveauté saute aux yeux.
« C’était le côté le plus faible du jardin, j’ai donc commencé par là. »
Difficile de dire le contraire : ces massifs paraissaient longtemps vides et verts, et il fallait attendre mai pour qu’ils présentent un intérêt, au moment des pivoines et des iris.
Le pourquoi de la chose ? Il est assez étonnant. Le plan des floraisons du jardin, présidé par le premier conservateur et restaurateur de la propriété, Gérald van der Kemp, n’aurait jamais été terminé. Peut-être parce que, dans l’esprit de l’académicien, cette zone ouest était dévolue à la pépinière, et ne faisait pas vraiment partie du jardin à visiter. Ou parce qu’il habitait le deuxième atelier, et ne tenait pas à attirer les promeneurs sous ses fenêtres. Quelle qu’en soit la raison, l’habitude avait été prise de floraisons moins travaillées qu’ailleurs.
Tout l’intérêt d’un oeil neuf est de venir bousculer les habitudes. « Voilà dix ans que Gérald van der Kemp est mort ! » se justifie James Priest, qui sait qu’il marche sur des oeufs dès lors qu’il touche à l’oeuvre de ses prédécesseurs. L’héritage est imposant, énorme, qu’il s’agisse du génie créateur de Claude Monet, de l’énergie inspirée de Gérald van der Kemp, ou du talent artistique et technique de Gilbert Vahé, en poste depuis trente-cinq ans.
En récupérant ce jardin iconique, à la réputation planétaire, le premier souci du nouveau chef-jardinier est de le faire perdurer. Ensuite, de voir ce qui peut éventuellement être encore amélioré.
Pour y poser sa première touche, James Priest est reparti de la base : il a étudié les toiles de Monet, sa façon de juxtaposer les coups de pinceaux, de marier les couleurs. Puis il a choisi les variétés de fleurs dans les tons du couchant, en privilégiant trois sortes de grosses tulipes, pour plus d’impact visuel.
« J’ai organisé les massifs de façon à avoir une symétrie de chaque côté des allées, explique-t-il. On est contraint par les rangées d’iris, il n’y a pas beaucoup de place pour travailler les couleurs. »
Le résultat est convaincant, très Monet. Les bordures sont devenues chatoyantes, et, si elles sont plus simples que celles qu’on peut admirer ailleurs dans le jardin, elles sont faites pour être vues de loin.
Photos 1 : 20 avril 2012. Photo 2 : 23 avril 2009. Les tulipes jaunes n’ont pas été reconduites les années suivantes. Photo 3 : 25 avril 2012.
Le ru communal
Vision grandeur nature du tableau de Maurice Denis, voici le petit massif d’anémones des bois qui pousse en bordure de la rivière dans le jardin d’eau de Claude Monet. Il se trouve juste à la sortie du souterrain, en limite de propriété, et offre une transition en douceur entre la sophistication des azalées et des pensées voisines, et la prairie qui commence de l’autre côté de la clôture.
Ce matin, une drôle de surprise attendait les visiteurs. Le ru était vidé de presque toute son eau, dévoilant son fond et ses berges boueuses, et l’effet avait quelque chose de l’indécence d’une personne qui laisserait voir des dessous pas très nets. Heureusement l’eau est revenue quelques heures plus tard, ce qui a dû soulager les poissons.
Un système de vannes permet de contrôler le débit de ce petit bras de l’Epte qui est le bief d’un moulin un peu plus bas. Quand des réparations sont nécessaires sur la roue du moulin ou ailleurs, on peut ainsi dévier l’eau et travailler au sec.
Le reste du temps, le ru coule assez fort, prêt à se jeter de tout son courant sur la roue pour la faire tourner, et c’est un plaisir de voir son eau danser gaiement dans sa traversée du jardin de Monet, concentré d’énergie contrastant avec l’impassibilité du bassin.
J’aime bien taquiner mes clients anglophones avec ce nom bizarre, le Ru. « Je suis sûre que vous connaissez le sens de la rue en français, mais savez-vous ce que veut dire le ru ? » Qu’un mot puisse avoir un sens différent selon son genre, voilà qui est étrange pour une personne qui parle une langue où les choses sont généralement neutres. Aussi étrange que l’arbitraire avec lequel ce genre a été attribué aux choses.
Sans doute, cette découverte plonge les visiteurs anglophones dans un abîme de réflexion. J’imagine que c’est la raison pour laquelle ils ont été si longs à me corriger mon anglais. C’est seulement cette année que l’un d’eux m’a fait remarquer qu’on ne pouvait pas parler de « river » à propos du ru, tout juste de « stream », de cours d’eau. River, selon ce natif des États-Unis, s’applique à la Seine, et traduit donc « fleuve ». Dire que je pensais que c’était la nuance « fleuve » qui n’existait pas en anglais ! Voilà qui m’a plongée à mon tour dans un abîme de réflexion, sur la façon dont chaque culture appréhende le monde et l’inscrit dans sa langue. Il y aurait de quoi débattre longuement et s’étonner, tandis que l’eau coulerait sous les ponts.
Un air de printemps
Première semaine d’ouverture à Giverny.
Les jonquilles et les narcisses ensoleillent les pelouses. Ils sont plantés si serrés qu’on dirait des bouquets dans des vases.
Tout autour, des gazons tout neufs se dépêchent de verdir. Certains sont ressemés chaque année, bien avant que les pâquerettes et les pissenlits ne les envahissent pour en faire des pelouses.
De gros bourdons sont en campagne.
Les pensées alignent leurs minois colorés au ras du sol, graciles malgré leurs têtes démesurées.
Les coussins jaunes des primevères communes sont fidèles à leur rendez-vous printanier.
Il pleut déjà des pétales de cerisiers fleurs, tandis que d’autres arbres fourbissent encore les leurs.
L’allée centrale laisse admirer son gravier blanc ratissé en jardin zen.
Les bancs repeints de frais ondulent sous le paulownia.
Les jardiniers arrosent les massifs, déjà, le printemps est si sec cette année encore à Giverny.
Dans le jardin d’eau, les premières feuilles de nymphéas montent des profondeurs, violettes. La photosynthèse les fera verdir sur le dessus.
Les promeneurs jouent à cochon pendu dans le reflet du pont.
Des enfants de maternelle passent, attentifs et graves, en se tenant la main.
Les feuilles des érables du Japon déplient lentement leurs éventails, défi à la patience de qui voudrait surprendre leur mouvement.
Les rameaux de saule déjà fournis balancent leur vert délicat.
La première grenouille ose un premier couac.
Dans les ramures, les oiseaux chantent un air de printemps.
Des roses à Noël
Bien sûr, elles n’ont pas l’opulence de celles qui embaument le printemps. Mais les roses qui décident de fleurir fin octobre, comme celles de cette photo devant le deuxième atelier de Monet tout couvert de vigne vierge rougie par l’automne, ou en plein décembre, tandis que le houx, le sapin et le gui sont à l’honneur, ces roses-là donc ont quelque chose de spécial.
Vaillantes et fragiles, elles affrontent les nuits fraîches en y laissant souvent quelques pétales roussis de froid. Dessous, le bouton est intact, et ne demande qu’un peu de douceur pour s’épanouir.
A Giverny, les jardins offrent quelques-unes de ces téméraires, à la faveur d’un début d’hiver qui n’a rien fait encore pour être pris au sérieux. 15° cet après-midi !
Dans la douceur ensorcelante de ces jours les plus courts de l’année, il était tentant de cueillir un petit bouquet des roses de la Noël et de faire entrer, à côté des étoiles scintillantes et des flocons de papier, un éphémère printemps dans la maison.
Giverny sous la pluie
Je vais vous faire une confidence, à vous qui êtes des esthètes : c’est sous la pluie que le jardin de Monet est le plus beau.
Ce n’est pas seulement parce que les ondées font fuir les visiteurs, et que le jardin, soudain, s’offre à vous presque seul. Avantage appréciable, certes, mais rien au regard de la métamorphose du lieu.
Alors, voilà. Il ne pleut pas très fort en général à Giverny. Au moment des premières gouttes, vous êtes allé vous asseoir sous le grand saule au bout de l’étang.
Les branches qui s’agitaient tout à l’heure ont fini de se balancer. La pluie chante doucement autour de vous en piquetant les frondaisons.
L’intensité lumineuse a baissé. Les yeux se reposent sous l’écran des nuages, dans la lumière argentée qu’ils diffusent.
Devant vous, sur l’étang, des cercles d’abord épars, puis de plus en plus nombreux se dessinent, et leur rondeur répond à celle des feuilles de nymphéas. Animé de cette géométrie sans cesse renouvelée, le bassin est plus hypnotique que jamais.
Il fait doux.
Sous la pluie, chaque feuille se met à briller, lustrée d’argent.
Les fleurs font des points lumineux encore plus intenses que d’habitude.
Tandis que l’humidité envahit l’atmosphère, l’ambiance se met à changer.
Vous sentez le végétal se détendre autour de vous.
En tendant l’oreille, on entendrait les plantes soupirer d’aise.
Vous respirez la bruine fraîche aux odeurs de terre et d’herbe froissée.
Un oiseau passe, rapide.
Vous êtes bien, occupé seulement à être là, parcelle de la nature autour.
Pelotonné dans la tiédeur, sous le saule, vous regardez tomber la pluie sur le jardin de Monet.
La roseraie de Monet
C’est un des coins du jardin de Monet les plus agréables en ce moment : la petite roseraie située à gauche de la maison du peintre est en pleine floraison, en même temps que les rhododendrons et les seringats. Des cascades de fleurs blanches ou roses dégringolent des arbustes et des buissons, mêlant leurs fragrances printanières.
Au bout de la roseraie, le premier atelier de Monet ouvre sa verrière sur ce spectacle, qui s’offrait à l’identique à la mi-juin l’année dernière.
Peu de visiteurs viennent faire un tour dans cette petite allée à l’écart, où un banc amical permet d’admirer à loisir les fleurs et les arbres en espaliers.
Le clos normand s’entoure ici d’un mur très haut, car le jardin de Monet est en contrebas de la rue en raison de la pente de la colline.
Bien protégés des vents, exposés plein sud, les rosiers trouvent ici des conditions idéales pour s’épanouir.
Un peu too much
« C’est presque un peu trop ». La personne qui fait ce commentaire à côté de moi ne parle pas des allées noires de monde, mais des massifs du jardin de Monet. Ils débordent d’iris, de juliennes des jardins, de pivoines, de roses.
Trop de fleurs ? Voilà un ressenti qui mérite qu’on s’y arrête. Un sentiment d’excès, tempéré par ce presque, et cet un peu. Comme s’il y avait une limite à ne pas franchir dans l’abondance des fleurs, et que le jardin de Giverny en ce moment s’en rapprochait, ayant dépassé le juste bien, mais pas encore atteint la démesure totale.
C’est presque un peu trop, cela appelle l’idée d’un équilibre. L’oeil doit trouver à se reposer entre les massifs. Et non pas s’affoler, sans repère, dans l’exubérance végétale du printemps.
Le regard supporte sans fatigue ce qu’il analyse sans effort. Les grandes zones unies de pelouse ou d’eau, les masses vertes de feuillages, la répétition d’une même fleur façon champ de tulipe ou de colza. Mais la vue se perd dans les zones où la couleur est morcelée en fragments. Notre petit logiciel interne d’analyse d’image boucle, patine, et se montre tout à coup moins performant.
Le regard, instinctivement, cherche un motif plus académique, plus lisse. Le jardin impressionniste de Monet, où chaque fleur est un coup de pinceau et où les massifs chatoient de touches colorées juxtaposées, se heurte à la même incompréhension qu’à ses débuts sa peinture.
Fraîcheur printanière
C’est officiel : de l’avis des jardiniers de Giverny, le printemps a trois semaines d’avance. L’an dernier, il était à l’heure, et il nous avait livré ses floraisons en temps voulu. Cette année, le revoici qui s’emballe.
La faute à la neige et au froid qui sont arrivés tôt, eux aussi. Noël enfoui sous un manteau blanc, c’est un spectacle rare sur les bords de l’Epte. Les plantes ont pris leurs quartiers d’hiver de bonne heure.
Mais l’hiver a remballé ses affaires presque aussitôt. Janvier et février n’ont pas été glaciaux, et un mois de mars bien doux a sonné l’heure du renouveau. Les plantes avaient leur compte d’hiver. Elles se sont ruées dans le printemps sans hésiter.
Les premières fleurs de la saison se sont montrées en mars, dans des jardins de Monet fermés, et les jolies journées de cette semaine ont vu monter en puissance les fleurs qu’on attendrait fin avril, tulipes, fritillaires, myosotis et azalées.
C’est le moment de venir à Giverny, pendant que le printemps y déverse tous ses charmes. La lumière éclatante sur la végétation toute fraîche est irrésistible.
Les matins sont merveilleux. Les après-midis, presque trop chauds. Oserons-nous nous en plaindre ?
On a des envies de pique-nique au bord de l’eau, dans les prairies toutes jaunes de pissenlits. Les arbres en fleurs sèment des pétales partout, en jolie neige d’avril. Ce matin, j’ai vu les premières hirondelles.
Avril, mois des tulipes
A partir de la mi-avril, le jardin de Monet à Giverny se transforme en une palette de couleurs éclatantes. C’est la très spectaculaire floraison des tulipes, accompagnée de celle des pensées, giroflées et autres pâquerettes.
En ce moment, un mois avant l’ouverture du jardin, il gèle encore la nuit, mais les belles sont partout dans les starting blocks, prêtes à fleurir à la folie d’ici six semaines.
Les jacinthes et les jonquilles sont déjà en bouton, à la satisfaction des jardiniers qui guettent leurs progrès comme autant de signes de l’arrivée prochaine du printemps.
Cinq mois après les avoir plantées, on avait presque oublié qu’elles étaient là, blotties sous terre, en train de s’enraciner dans le sol pour mieux se hisser ensuite vers la lumière.
Si vous envisagez une visite à Giverny, avril est une bien jolie période pour admirer un jardin très gai et lumineux, au tracé net. Et les tulipes de plus en plus extravagantes, froufroutantes, enflammées, multiples, énormes ou minuscules, redoublent d’originalité pour mieux nous épater.
Fleurs géantes
C’est en toute fin de saison qu’il faut venir à Giverny pour éprouver une impression de gigantisme. Les fleurs d’automne atteignent des hauteurs vertigineuses, loin au-dessus des têtes des visiteurs.
C’est toujours étrange de se promener au milieu de végétaux aux proportions inhabituelles, qu’il s’agisse de séquoias, de fougères arborescentes ou, comme chez Monet, de fleurs de jardin.
On se tord un peu le cou pour regarder les têtes colorées qui se balancent là-haut dans la brise, dahlias, asters, et toutes les déclinaisons possibles du tournesol.
Les tiges démesurées rapetissent les humains. Sûrement les fleurs s’amusent entre elles, elles se chuchotent « Chérie ! J’ai rétréci les visiteurs ! »
On est Alice au Pays des Merveilles dans sa version lilliputienne. On s’attend à quelque rencontre surprenante au prochain détour.
On ne verra pas de chat au sourire énigmatique, non, mais tout de même un spectacle magnifique, celui de la grande allée éblouissante de couleurs.
» C’est le bouquet final du feu d’artifices ! » se sont exclamé les charmantes personnes que j’accompagnais hier.
On ne saurait mieux dire.
Jardin de contrastes
Un des plaisirs du jardin est de créer des contrastes.
Je ne veux pas parler ici du contraste évident qui règne entre le jardin d’eau et le jardin de fleurs de Claude Monet à Giverny, mais de celui, très raffiné, qui s’observe à l’intérieur même du clos normand.
Les massifs fleuris imaginés par le peintre s’alignent sur un hectare, et pourtant il n’en y en a pas deux pareils. Leurs disparités ne sont jamais aussi marquées qu’en fin d’été.
Les contrastes reposent sur les couleurs, bien sûr, les parterres monochromes ou au contraire multicolores alternent avec ceux où s’harmonise une gamme de couleurs resserrée, chaude ou froide.
Monet jouait aussi du contraste entre les carrés d’une même variété de fleurs et les parterres qui en mêlent un grand nombre de formes, de textures et de hauteurs différentes.
La taille des tiges entre en jeu elle aussi, depuis les géraniums au ras du sol jusqu’aux soleils géants, qui se dressent fièrement à trois ou quatre mètres de haut.
Enfin, les massifs s’opposent par leur densité, certains épais comme des murs, d’autres à la légèreté subtile de prairie.
Le côté naturel de ces derniers est obtenu avec des fleurs de culture, et c’est du grand art. Regardez comment les gauras se courbent sous le poids de leur collier de gouttes, offrant leurs lignes gracieuses en contrepoint aux amarantoïdes, ces petites boules de peluche rose qui font penser au trèfle, aux verveines, aux sauges, aux mauves, aux glaïeuls, aux mini rosiers…
En cuisine, ce serait une délicate mousse fruitée à la fin d’un repas roboratif. L’oeil se repose un instant, volette comme un papillon parmi toute cette finesse, avant de retourner se poser un peu plus loin sur un parterre aux masses denses et aux couleurs intenses.
Le contraste, source d’équilibre et d’harmonie.
La roseraie de Giverny
Au temps des roses, le jardin de Claude Monet devient une roseraie. Partout, elles s’enroulent à des trépieds, pendent aux arceaux, forment des arbres, courent sur la pergola, s’alignent sur la clôture, s’élancent à l’assaut des saules, ou bien se nichent, opulentes ou minuscules, dans les massifs.
A toutes ces formes différentes, rosiers grimpants, lianes, buissons, tiges, nains, pleureurs, s’ajoutent les multiples apparences de la fleur, simple, double, chiffonnée à l’ancienne ou superbement ourlée. Le tout décliné dans un festival de couleurs somptueuses, du blanc au violet, du jaune au vermillon.
La capacité du rosier à prendre de multiples apparences n’a d’égale que celle du jardin lui-même à se métamorphoser.
En avril, c’était un champ de tulipes. En mai, une prairie superbement fleurie. En juin, le voilà devenu roseraie.
C’est le moment où le clos normand dans toute sa gloire se montre généreux, quand les roses débordent des clôtures et s’offrent à la vue des passants, et que le vent porte au loin leurs effluves délicats et puissants.
Et puis, dès que les rosiers seront défleuris, d’ici quelques semaines, on oubliera les roses. Leurs feuillages se fondront dans le décor, en contrepoint vert aux fleurs d’été, les belles géantes estivales qui feront leur entrée en scène.
Sous les roses
A Giverny, quand il a plu, les roses grimpantes ont l’air de s’égoutter, tête à l’envers, comme des verres après la vaisselle.
C’est tout le jardin repu, soif étanchée, qui s’assèche, dans une satisfaction presque palpable.
L’air humide se gorge de senteurs fraîches.
Dans l’allée des clématites, les roses ont succédé aux rideaux de dentelle aériens, tout juste défleuris.
A l’étage en-dessous, elles s’étirent sur des supports à peine inclinés, à la façon de stores tendus pour tamiser les rayons du soleil. Leurs bouquets de couleurs tendres font oublier les lianes sarmenteuses des clématites, dépourvues de charme désormais.
Dans le jardin de Claude Monet, c’est le temps des pavots, des hémérocalles, des alliums encore.
Les jardiniers travaillent dur pour installer les fleurs d’été, encore frêles, qui prendront bientôt de l’ampleur. C’est le moment de venir à Giverny pour y puiser des idées sur la façon de composer des massifs impressionnistes, avant de les adapter à son propre jardin.
Arrosage
La Normandie n’est plus ce qu’elle était : voilà qu’il fait sec en avril !
Dans les jardins de Monet, les rampes d’arrosage ont repris du service un peu plus tôt que d’habitude, en renfort des gouttes à gouttes et de l’arrosage manuel.
Un voile de gouttelettes s’élève dans la lumière du matin, puis retombe sur les plantes assoiffées qui courbent l’échine sous la douche, un peu sonnées, vite redressées.
C’est un rideau de perles que l’on n’ose franchir, des perles qui s’éparpillent bientôt avec prodigalité pour venir rouler, hésitantes, le long des tiges et des feuilles, et s’accrocher aux pétales soyeux en colliers de lumière.
Accord parfait
C’est tout l’art des jardiniers de Giverny de marier les fleurs à la perfection.
Dans chaque massif, des camaïeux de pensées déclinent en ce moment toutes les nuances de violet, de bleu, d’orange…
Petites et grandes têtes s’agitent dans la brise, habillées de couleurs presque semblables, qui se répondent et se rehaussent les unes les autres.
Parfois, l’harmonie ton sur ton se propage aux espèces voisines.
Au bout du pont japonais, le visiteur attentif des jardins de Monet remarquera, par exemple, cette association délicate d’une primevère sauvage jaune pâle et d’une mini pensée aux teintes assorties.
Elles me font penser à un couple quand, après des années de vie commune, l’homme et la femme finissent par se ressembler.
Ombre et lumière
Planter des fleurs de couleur claire dans les taches d’ombre, c’est l’idée de Monet pour éclaircir les zones les plus sombres de son jardin.
Sous les ifs, tout en haut de la grande allée, et sous chacun des épicéas abattus ultérieurement, il plantait des fleurs blanches. Ici les impatiences blanches sont en mélange avec des rouges, pour l’harmonie avec les pélargoniums.
Ces derniers sont d’un rouge vif dans les massifs ombrés et d’un rouge rosé au soleil, ce qui accentue l’effet d’ombre et de lumière.
Rosier en arbre
Les rosiers taillés en arbres sont une des splendeurs de Giverny. Dans le Clos Normand de Monet, ils ne fleurissent pas tous en même temps, prolongeant la fête. Celui-ci, aux tendres teintes jaunes qui s’éclaircissent à mesure que la fleur s’épanouit, est le premier à fleurir.
Conversation surprise en passant à côté :
– On dirait un rosier, dit une dame.
– Mais non, la reprend son amie, regarde le tronc ! C’est un pommier !
Les pommiers font de drôles de pommes en Normandie…
Tulipes et myosotis
J’aurais aimé vous parler aujourd’hui de notre marronnier genevois à nous, la floraison du premier nénuphar de l’année sur l’étang de Claude Monet. C’est un nénuphar blanc du côté du petit pont qui ouvre le bal cette fois-ci, l’an dernier c’en était un rose près des trois saules, quasiment à la même date. Pourquoi celui-ci plutôt que celui-là, dans deux endroits différents du bassin ? Mystère.
Malheureusement le temps de ces derniers jours n’est pas favorable à la photographie, je ne voudrais pas que mon appareil s’enrhume. Me voilà donc à ressortir de vieilles photos d’il y a trois semaines, à l’époque où les tulipes étaient en pleine splendeur.
Voici le fameux massif qui s’étend devant la maison de Monet. Comme pour les meilleures recettes de cuisine, la formule est simplette : des myosotis bleus avec des tulipes roses. Mais à y regarder de près, le parterre bénéficie de trucs de grand chef jardinier qui le rendent encore plus beau.
Prenez le personnage à l’arrière-plan. Vous avez vu où les tulipes lui arrivent ? Au coude ! Cet effet spectaculaire s’obtient en sélectionnant des variétés de très grande taille, certes, mais aussi en surélevant un peu le massif. Il est tellement étendu qu’on ne le remarque pas, mais on gagne bien une à deux dizaines de centimètres.
Deuxième astuce, mêler différents tons de rose pour obtenir un chatoiement harmonieux plutôt qu’un monotone effet de masse. Ici la gamme va du rose bleuté au rose rouge.
Et puis, il y a la façon de planter. Pour éviter la raideur, les jardiniers de Giverny ont une méthode éprouvée. Ils lancent les bulbes et les plantent à l’endroit où ils sont tombés. On est sûr ainsi de ne pas avoir un alignement au cordeau, mais un effet beaucoup plus naturel.
Enfin, une dernière ruse m’a épatée cette année. Je ne l’avais pas remarquée encore, c’est du grand art. Pour prolonger la floraison qui, hélas, ne dure pas éternellement, voyez-vous ce qui se profile entre les tulipes à leur apogée ? D’autres tulipes tout juste en bouton ! A peine les premières ont-elles leurs beautés laissé choir, qu’une deuxième salve est tirée. On a l’impression de remonter le temps, surtout si l’on a vu le jardin évoluer jour après jour.
Côté myosotis, pas de souci à se faire. Il faut des semaines pour que la floraison débutée en bas des grappes de boutons se propage jusqu’au sommet. Le temps que le myosotis épuise toutes ses cartouches, les deux séries de tulipes sont passées, les saints de glace aussi, le moment est venu de planter les fleurs d’été à la place de celles du printemps.
Tulipes et feuillages
Les tulipes resplendissent en ce moment à Giverny. Quelquefois seules, souvent en mélange, elles obéissent à des principes de plantation différents.
Dans le bas du clos normand du jardin de Monet, ce petit carré de tulipes orange rappelle la couleur des feuilles de rosier naissantes avec lesquelles elles voisinent. De même, le massif à côté est un carré de tulipes roses qui répondent aux feuilles rosées des pivoines arbustives.
L’effet ton sur ton est très harmonieux. On n’aurait pas remarqué ces feuillages sans les tulipes utilisées à la fois pour leur beauté propre et comme exhausteur de couleur.
Pour adopter et adapter ce principe chez soi, il suffit de regarder en avril comment se colorent les jeunes feuilles des buissons voisins du futur massif de tulipes.
Le chant des fleurs
La glycine centenaire qui couvre le pont japonais de Claude Monet a fabriqué avec le temps des lianes grosses comme des bras. Elles ont une façon dramatique de ramper et de se tordre autour de la rambarde : ne dirait-on pas un geste de supplique ? C’est Roméo au pied du balcon de Juliette !
Il y a du lyrisme dans les plantes, et singulièrement à Giverny. La partition a été écrite par Monet, les jardiniers l’interprètent avec justesse et sensibilité. Ils s’effacent derrière les divas, les fleurs spectaculaires et solitaires comme les nymphéas qui avancent sur la scène en solistes, drapés dans leur costume somptueux.
Les autres fleurs chantent dans les choeurs. Chacune a son timbre, sa hauteur, qui se fond dans l’harmonie générale.
Et, pour animer ce chant des fleurs, une multitude de valses tourbillonnantes s’offre à qui sait les voir, remous du ruisseau, vol des abeilles et des papillons, feuilles sèches mourant avec grâce dans un dernier vol théâtral…
On comprend que les académiciens aient choisi parmi eux le directeur des Opéras de Paris pour lui confier la direction de cet orchestre de pétales.
Collé serré
On va voir si vous avez l’oeil : combien y a-t-il de tulipes sur cette photo ? Non non, ne comptez pas, c’est triché ! Peut-être que ce sera plus facile en imaginant des personnes. Disons, par exemple : combien y a-t-il de belles plantes dans cette discothèque ? C’est vrai, quand elles sont collées serrées comme ça, c’est difficile à dire, à moins d’avoir un gros entraînement en tant que DJ ou que syndicaliste.
Les journalistes aussi sont amenés à évaluer des rassemblements paisibles ou virulents, et par amour de la vérité il vaut mieux tomber un peu juste. C’est un des aspects approximatifs de mon ancien métier qui ne me mettait pas trop à l’aise. Si donc vous envisagez d’embrasser cette carrière, astreignez-vous à vous entraîner, vous l’étreindrez mieux !
Mais revenons à nos moutons. Je voulais juste vous faire remarquer à quel point les jardiniers plantent serré à Giverny, pour un bel effet de masse colorée, de teintes denses où dansent les têtes des tulipes, hors d’atteinte des sombres pensées.
Première impression
Voici la première impression que donne le jardin de Claude Monet aux visiteurs qui arrivent par l’entrée des individuels.
Au sortir de l’atelier des Nymphéas ils sont accueillis par ce décor végétal unique en son genre.
Tout est résumé déjà, l’apect campagne des pommiers en cordon, les structures métalliques qui donnent relief et rigueur, et même les promesses de merveilles à venir au bord de l’étang.
Là-bas, de l’autre côté de la route invisible, les arbres en habits des grands soirs font naître des reflets différents chaque jour dans les eaux paisibles du bassin aux nymphéas.
Enfin, dressés en haie d’honneur, les peupliers qui bordent l’Epte lancent haut dans le ciel normand leurs silhouettes longilignes.
C’est une première impression, et c’est aussi la dernière, celle qu’emporte le visiteur qui se retourne encore une fois avant de s’en aller. Le compte à rebours est commencé, il reste trois jours pour venir à Giverny cette année, jusqu’à dimanche soir. Ensuite il faudra patienter jusqu’en avril.
Les petits devant
Ce n’est pas pour me vanter, mais je suis allée à un mariage ce week-end. Un joli mariage campagnard avec des canotiers et des robes à fleurs.
L’évènement était d’importance, il a été immortalisé en conséquence.
Depuis le numérique on peut s’en donner à coeur joie, et comme on a la joie au coeur on mitraille joyeusement, façon moderne de se congratuler.
On en était là, tous en train de se prendre mutuellement en photo à la fin de la cérémonie, quand tout à coup quelqu’un de la vieille école a dit, faisons une photo de groupe !
Comment résister à cette invitation délicieusement rétro ? Les réflexes sont revenus en un éclair de flash. On a mis les grands derrière, les petits devant, et ceux qui n’aiment pas être pris en photo se sont cachés derrière la tête de quelqu’un.
Les jardiniers, qui sont des gens pleins de bon sens, appliquent la même règle dans les massifs de fleurs.
Chez Monet à Giverny les espèces les plus hautes sont placées à l’arrière des bordures, tournesols et hélianthus, asters et verges d’or.
Devant viennent des fleurs moyennes, cléomes, rudbéckias, roses, tabacs, tandis que les petits bout de choux comme les oeillets d’Inde ont droit au premier rang.
Les visiteurs de Giverny ne s’y trompent pas. Ils prennent tant de photos de ces massifs de fleurs que n’importe quel mariage paraît ridiculement petit joueur en comparaison.
C’est que leur visite à Giverny est un évènement d’importance à immortaliser en conséquence.
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