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Sur la piste des pots bleus – 4

Claude Monet, Le Jardin de l’artiste à Vétheuil, 1881, w 684, collection particulière

Les pots bleus du Westerwald achetés par Monet en Hollande font leur apparition dans ses tableaux à partir de la période d’Argenteuil. On compte 11 tableaux sur lesquels ils figurent, entre 1872 et 1881, en nombre variable :

w 202 Le Jardin, 1872 (Argenteuil, 1ere maison) 3 pots
w 282 Camille et Jean Monet au jardin d’Argenteuil, 1873 1 pot
w 284 La Maison de l’artiste à Argenteuil, 1873 1ère maison 6 pots
w 287 Camille Monet à la fenêtre, 1873 1ère maison 3 pots
w 365 Un Coin d’appartement, 1875 2e maison 4 pots
w 366 Camille au métier, 1875 2e maison 2 pots
w 384 Dans le jardin, 1875 Argenteuil 2e maison 1 pot
w 666 Le Jardin de Vétheuil, 1881 7 pots
w 683 Jardin à Vétheuil, 1881 2 pots
w 684 Le Jardin de l’artiste à Vétheuil, 1881 2 pots
w 685 Le Jardin de Monet à Vétheuil, 1881 5 pots

A partir du déménagement à Poissy, les pots disparaissent des tableaux. Ont-ils suivi la famille à Giverny ? Deux photos permettent de l’affirmer :

Michel Monet et Jean-Pierre Hoschedé, milieu des années 1880, Giverny

Les garçons sont dans le haut du jardin, on voit derrière eux les ifs en haut de la grande allée et l’un des massifs arrondis devant la maison. Juste derrière eux on distingue deux grandes jarres et on en devine deux autres au loin à gauche de Michel. Parmi les deux les plus proches, la première présente un décor fleuri, la deuxième a un oiseau et un rameau sous l’anse, et peut-être un lion stylisé sur la face de la jarre.

Sur cette photo, on reconnaît à gauche Suzanne Hoschedé, sa petite sœur Germaine née en 1873, adolescente, Claude Monet, et le visage juvénile de Blanche Hoschedé à droite. Monet a planté un tournesol dans le pot au premier plan. Le cercle autour du motif laisse à penser qu’il s’agit de la jarre ornée d’un griffon et d’oiseaux sur les côtés qui a traversé le temps jusqu’au 21e siècle.

Sur la piste des pots bleus – 3

Charrette de transport des grès au sel du Westerwald, Musée de la céramique de Höhr-Grenzhausen, Allemagne

La production de poterie utilitaire en grès au sel était si grande et de si bonne qualité dans le « Pays des Potiers » (Kannenbäckerland) à l’ouest de Coblence, que ces objets étaient exportés massivement vers les Pays-Bas par la voie fluviale du Rhin, puis en train à partir du milieu du 19e siècle. Depuis la Hollande, les grès partaient ensuite vers les plus lointaines destinations, Extrême-Orient, Amérique du Sud, Afrique… Ils étaient souvent emplis de denrées dont les destinataires étaient friands, par exemple de la moutarde, des légumes lacto-fermentés ou encore du lait condensé.

Des centaines de petits colporteurs à pied se chargeaient aussi de la diffusion des grès au sel. Ils portaient leur marchandise dans une hotte. Cet exemple est bien modeste comparé à certaines gravures qui montrent des chargements considérables.

Le musée de la céramique du Westerwald a consacré en 2022 une exposition et un ouvrage à ces exportations vers les Pays-Bas. Dans le catalogue, une large place est donnée aux poteries faites sur commande pour des entreprises hollandaises et portant leur marque. Mais les exportations concernaient aussi de grandes jarres décorées de fleurs et d’animaux, comme celle que l’on voit ci-dessus à l’arrière-plan, très proche des pots bleus des tableaux de Monet. Parmi les illustrations du livre se trouve un pot à conserve orné d’un griffon presque identique à celui de Monet, mais plus petit, 24 cm seulement. Les dimensions des plus grandes jarres dépassent quelquefois les 50 cm. Ils avaient des muscles, nos aïeux.

Comme on le voit sur cette photo, la couleur de fond du grès pouvait rester claire, assez en tout cas pour qu’on puisse la confondre avec de l’émail blanc sur les tableaux impressionnistes de Monet. Mais les traditionnelles lignes bleues horizontales signalent des pots du Westerwald.

Sur la piste des pots bleus-2

Pots en grès au sel destinés à conserver les oeufs, musée de Betschdorf, Bas-Rhin

Que pouvaient bien contenir les pots bleus en grès au sel que l’on voit sur les tableaux de Monet ? Selon ce que j’ai pu observer au musée de la céramique du Westerwald ou au musée de Betschdorf, en Alsace, certains étaient marqués Anchovis : des anchois. On faisait une grande consommation de poissons salés, anchois ou harengs, avant l’invention du congélateur.
On conservait aussi les oeufs, à l’époque où les poules ne pondaient pas toute l’année, en les couvrant de silicate de soude. Ce liquide d’aspect vitreux, très riche en calcium, empêchait l’air d’entrer dans les oeufs et de les corrompre, à condition qu’ils soient mis à conserver très frais. Le Chasseur français, en 1947, explique de façon détaillée comment faire des conserves d’oeufs. Les pots qui étaient utilisés à cet usage présentent encore d’épaisses traces de calcaire, et parfois même des restes de coquilles.
Les jarres servaient aussi pour les légumes lacto-fermentés dont le plus connu est la choucroute, mais le chou blanc n’était pas le seul à être conservé de la sorte. Ces conserves faites à la maison avec les légumes du jardin offraient une source de vitamines en hiver.
Un modèle plus large que haut était destiné à garder trois livres de beurre ou de saindoux, ce qui dure un certain temps pour une consommation familiale. Ces pots d’assez petite taille devaient être rapportés à la crèmerie pour en acheter des pleins, ou pour recevoir le beurre pesé par le marchand. Le crémier se fournissait en beurre dans des jarres de grande taille qui pouvaient contenir jusqu’à 25 livres de beurre. Pleines, elles devaient peser un joli poids. Celle qui est ornée d’un griffon au premier plan du Jardin de Monet à Vétheuil correspond probablement à cet usage. On connaît sa taille, 43 cm de haut.

Albert Anker, Le petit chaperon rouge, 1883, huile sur toile

Voici un tableau qui vient d’être exposé à la fondation Gianadda de Martigny.

Il suffit de faire le compte de ce que cette fillette porte dans les mains : une galette et un « petit » pot de beurre, de vérifier son couvre-chef pour se convaincre que nous sommes face au Petit Chaperon rouge. Albert Anker, peintre réaliste suisse, (1831 – 1910) a été l’élève de son compatriote Charles Gleyre, tout comme Monet. Il n’est pas impossible qu’Albert et Claude se soient rencontrés, toutefois Anker paraît avoir été déjà un peintre reconnu à l’époque où Monet galérait encore.
Anker nous offre une très belle étude psychologique à travers ce regard d’enfant, grave et doux. Son réalisme nous fait aussi percevoir la condition de l’enfance à la fin du 19e siècle : il faut travailler dès le plus jeune âge, aider les parents. La grand-mère devait être bien contente de voir arriver sa petite-fille lui apportant quelque chose à manger, elle qui était si faible au fond de son lit, dans la forêt.
Mais revenons à nos pots bleus. On voit bien dans ce tableau que la plupart n’avaient pas de couvercle. On les fermait avec un papier sulfurisé entouré d’une ficelle, à la maison on les couvrait d’une assiette retournée. La petite Suissesse porte vraisemblablement un pot venu d’Alsace.

Sur la piste des pots bleus-1

La petite ville allemande de Höhr-Grenzhausen et ses voisines sont depuis plusieurs siècles un centre potier très dynamique, grâce à un gisement d’argile de qualité. La région, couverte de forêts, s’appelle le Westerwald, c’est-à-dire la forêt de l’ouest. Höhr-Grenzhausen est située près de Coblence, ville sur le Rhin à son confluent avec la Moselle.

Höhr-Grenzhausen possède un très beau musée de la céramique. Une petite section de ce musée s’intéresse aux représentations picturales des productions locales, comme vous pouvez le voir sur la photo ci-dessus. Van Gogh, par exemple, s’est laissé inspirer par les bouteilles de grès dans lesquelles on transportait de l’eau de source (sur le mur à gauche). Mais c’est surtout Le Jardin de Monet à Vétheuil qui a retenu l’attention de l’équipe du musée. Il était bien tentant de chercher dans les collections quels pots se rapprochaient le plus de ceux figurés sur le tableau.

Les conservateurs ont donc mis en avant une petite sélection de contenants en grès au sel décorés de losanges et surtout de lions stylisés assez effrayants, dont l’un est daté 1860 – le tableau est de 1881, mais Monet avait acquis ses jarres dix ans plus tôt. Sur les pots du Westerwald, le roi des animaux porte la couronne et une épaisse crinière stylisée.

Toujours les pots bleus

Claude Monet, Camille et Jean Monet au jardin d’Argenteuil, 1873, collection particulière

Suite de la saga des pots bleus dans les tableaux de Monet ! L’artiste devait vraiment les aimer beaucoup pour les faire figurer si souvent dans ses toiles. Celui-ci contient manifestement un laurier-rose.

Le peintre surprend au vol le geste par lequel Camille s’attache une fleur dans les cheveux. Quelle silhouette gracieuse ! Elle émerge des fleurs de dahlias et de fuchsias, nouvelle recherche de Monet sur l’insertion de la figure dans le paysage.
Devant elle, le petit Jean adore une fois de plus se rouler dans l’herbe. Son papa n’a pas ménagé les touches de vert pour nous montrer combien l’enfant a gâté son petit costume clair. Ça ne fait rien, ni papa ni maman ne disent rien, parce qu’ils adorent eux-mêmes s’asseoir dans l’herbe. Décontraction, intimité familiale… surtout pas la raideur des portraits posés. C’est aussi cela, l’impressionnisme.

Le vase bleu de Chine

Claude Monet, Dahlias, 1883, collection particulière

A l’automne 1883, alors qu’il est installé à Giverny depuis quelques mois, Monet peint cette toile destinée à une porte de l’appartement de son marchand Paul Durand-Ruel. On y voit un vase à motif bleu qui contient des dahlias décoratifs orange, tandis que de gros dahlias jaunes se détachent au premier-plan.

J’ai maintenant la certitude que ce vase se trouve toujours dans la maison du peintre, exposé dans le salon-atelier. J’ai enfin pu photographier la bonne face. D’accord, Monet n’a pas forcé son talent pour figurer ce vase sur sa toile, et il faut un peu de bonne volonté pour le reconnaître. La forme générale, le coloris, les palmes, l’arbre fleuri de gauche ne laissent pas de place au doute.

Mais ce ne sont pas les zones d’ombre qui manquent. Ainsi, d’après vous, s’agit-il d’un vase importé de Chine ou d’un Delft ? Question subsidiaire : quel est cet objet en forme de planche de surf que tient le personnage de droite sous son bras ? Et celui de gauche, que lui propose-t-il ?

Encore les pots bleus

Claude Monet, Le Jardin, 1872, collection particulière

Je croyais avoir fait le tour des apparitions des pots bleus de Monet, mais je viens de débusquer encore ce tableau-ci. Camille Monet et Madame Sisley sont assises sous les arbres en fleurs dans le jardin d’Argenteuil. Devant elles, trois pots en forme de jarres, décorés de motifs floraux bleus contiennent des anthémis pour deux d’entre eux. Celui du milieu est garni d’une plante indéfinissable. Un sapin ? Un araucaria ?

Les pots bleus

Claude Monet, La Maison de l’artiste à Argenteuil, (détail) 1873. The Art Institute, Chicago

On pouvait voir réunis ce printemps au musée de Giverny deux tableaux de Monet peints alors qu’il habitait Argenteuil, sur lesquels l’artiste a fait figurer son fils Jean : La Maison de l’artiste à Argenteuil et Coin d’appartement.

Par un curieux hasard, ces toiles montrent aussi toutes les deux les jarres à décor bleu qui servaient de cache-pot. Une oeuvre est exécutée à la belle saison, où les plantes ornaient le jardin, tandis que l’autre a été peinte en hiver, époque où les pots et ce qu’ils contenaient étaient rentrés dans la maison.

Claude Monet, Coin d’appartement, (détail) 1875, musée d’Orsay

On peut raisonnablement penser que Monet a acheté ces céramiques pendant la période faste d’Argenteuil, après son retour de Londres en 1871. Il vient d’hériter de son père, et Durand-Ruel lui assure pendant plusieurs années des revenus réguliers. Auparavant, il n’avait pas le sou.

Claude Monet, Le Jardin de Monet à Vétheuil, 1881, National Gallery of Art, Washington D.C.

Cette série de pots suit Monet à Vétheuil, où nous les retrouvons installés dans l’escalier. Combien y en a-t-il exactement ? Sur ce tableau on en compte cinq. A Argenteuil ils étaient six.

Claude Monet, Le Jardin de Vétheuil, 1881, collection particulière

Dans celui-ci il y en aurait sept. On remarque que Monet a déplacé les pots d’un tableau à l’autre, bien que les deux toiles aient été peintes la même année. Au printemps les jarres bleues font très bien alignées à l’horizontale dans l’allée perpendiculaire à l’escalier, en fin d’été on ne les y verrait plus sous l’avalanche des fleurs.

Dans la littérature sur Monet, ces récipients sont généralement nommés des pots chinois. Il est vrai que beaucoup de céramiques venues d’Extrême-Orient portaient des décors bleus sur fond blanc. Mais cette attribution est inexacte pour au moins l’un d’entre eux.

Plusieurs objets ayant appartenu à Michel Monet, et avant lui à son père, sont passés en vente aux enchères en 2017 à Hong Kong. Parmi eux, une jarre en grès qualifiée de « continentale » par les experts de Christie’s. Certes, il ne leur a pas échappé qu’elle n’était pas chinoise. Sur son flanc, un quadrupède à tête d’oiseau, une chimère, s’inscrit dans un large cercle bordé de croisillons. Le col du pot est marqué par deux lignes bleues horizontales, le bas par une seule. Selon la description fournie par le catalogue en ligne, le pot présente une deuxième chimère (de l’autre côté forcément) et deux oiseaux, motifs intercalés entre les chimères. Le fond est gris pâle, les dessins bleu cobalt. La jarre possède deux anses, décorées en bleu elles aussi. Elle mesure 43,5 cm de haut.

Un oeil habitué aux poteries de l’Est aura reconnu un Westerwald ou un Betschdorf. Dans les années 1860, Betschdorf, village situé à une cinquantaine de kilomètres au nord de Strasbourg est en pleine production et inonde le marché de ses grès au sel utilitaires, solides et imperméables. Ils existent dans toutes les tailles, prennent de nombreuses formes et servent à toutes sortes d’usages. On en trouve d’ailleurs encore facilement en brocante.

D’autre part, Westerwald, le centre allemand de grès au sel d’où sont originaires les premiers potiers de Betschdorf, est lui aussi en plein essor. Grâce au Rhin, la production s’exporte vers les Pays-Bas. Même si ces lourdes jarres ne sont pas faciles à transporter dans des bagages, Monet a pu faire l’acquisition d’un ou plusieurs pots lors de son séjour près d’Amsterdam en 1871 et le.s rapporter à Argenteuil.

Monet’s garden at Vétheuil, détail

C’est ce même pot à chimères que l’on voit au premier-plan à droite du tableau de Washington. Même aspect bondissant, même queue en panache. Rayures horizontales, forme, anses, tout coïncide.

L’attribution à Betschdorf pose tout de même question. Après la guerre de 1870, l’Alsace est devenue allemande, ce qui a mis un frein aux expéditions de marchandises vers Paris. Mais les commerçants argenteuillais ont peut-être mis quelques années avant d’écouler tout leur stock d’avant-guerre. D’autre part, la chimère n’est pas un décor habituel des Betschdorf. On voit au 19e siècle nombre de cerfs bondissant dans la même attitude, mais je n’ai pas repéré d’animal mythique sur les poteries visibles en ligne. Si vous avez des lumières sur ces points, merci de nous en dire plus en commentaire. Je vous en prie.

Toute la collection de pots de Monet provenait-elle du même centre potier ? C’est possible, mais ce n’est pas certain. Malgré une apparence d’unité, on peut remarquer que les jarres n’ont pas toutes la même taille.

Claude Monet, Camille Monet à la fenêtre, 1873, Museum of Fine Arts, Richmond (Virginie)

Ici, le pot de gauche a des anses, celui du milieu non, celui de droite paraît plus large. Il est possible que Monet ait mélangé grès, faïence et porcelaine, France, Chine, Japon, Angleterre même, Hollande, pourquoi pas ? Et qu’il ait unifié l’aspect de ces différentes céramiques en les représentant sur la toile. Je pense tout de même qu’il avait plusieurs pots de l’Est. Sur les tableaux on leur voit une double ligne bleue en haut du récipient, motif qui n’est guère chinois mais typique de Westerwald et de Betschdorf. Peut-être ne connaîtrons nous jamais le fin mot de l’histoire, car tant vont les pots au jardin qu’à la fin ils se cassent.

Il est d’autant plus extraordinaire de découvrir dans la vente de la succession Verneiges à Hong Kong ce pot en grès en si bon état, témoin des années de lutte de Claude Monet. Les enchérisseurs ne s’y sont pas trompés. L’objet a été adjugé plus de 41000 euros, sûrement l’un des prix les plus élevés jamais atteint par un grès utilitaire.

La desserte de Suzanne

Claude Monet, Portrait de Suzanne aux soleils, 1890, collection particulière (w1261)

Parmi les objets encore présents dans la maison de Claude Monet figure cette petite table à laquelle s’appuie Suzanne Hoschedé, dans ce portrait que fait d’elle son beau-père en 1890. A droite, posé sur la desserte, un vase contient trois soleils qui encadrent curieusement la tête de la jeune femme.

A la saison des tournesols, Suzanne a 22 ans. Elle épousera Theodore Butler deux ans plus tard et lui donnera deux enfants, avant de disparaître en 1899, à trente ans. Cette mort prématurée si choquante jette comme une ombre sur ce tableau peint pourtant près de 9 ans plus tôt, alors que Suzanne était vraisemblablement en pleine santé. Sa mère Alice était la première à y voir une étrange prémonition. Il est vrai que Monet a donné un air de gravité à cette toute jeune femme et qu’il lui a fait un visage mauve.

C’est une analyse après-coup. Suzanne n’aime pas les séances de pose, elle s’y plie par obligation. Elle n’a pas avec son beau-père le lien de connivence et d’amour qui unissait Monet et Camille, et qui se voit dans nombre d’oeuvres où Camille sert de modèle à son époux.

Ce petit meuble plein de souvenirs se trouve dans le cabinet de toilette de Monet. Devant une porte mauve, justement.

Le pichet vert

Blanche Hoschedé-Monet, Nature morte aux chrysanthèmes, Collection particulière

Avec ses chrysanthèmes et ses pommes, voici une nature morte de saison, qui célèbre la beauté de l’automne à travers ses plus belles fleurs et l’abondance de ses fruits.

On reconnaît bien la patte de Blanche Hoschedé-Monet dans le léger flou qu’elle donne aux choses, et son goût pour les compositions presque monochromes déjà observé dans La Salle à manger de Monet à Giverny.

Où se trouve-t-elle ? Aucune pièce de la maison de Monet ne possède cette vitrine qu’on aperçoit à l’arrière-plan. Blanche est peut-être dans le deuxième atelier ? Après tout, ce serait un endroit approprié pour faire de la peinture.

Si j’ai du mal à identifier le lieu, en revanche j’ai tout de suite reconnu le pichet qui fait office de vase. Les visiteurs de Giverny peuvent le voir dans le salon-atelier de la maison :

Sa couleur verte marbrée de jaune et son anse en flèche en font un objet unique et caractéristique.

Le voici un autre jour, tourné dans l’autre sens, celui du tableau de Blanche. Elle aimait tellement ce broc et ses couleurs incertaines qu’elle l’a utilisé pour une autre toile :

Blanche Hoschedé-Monet, Les Mufliers, collection particulière

Cette fois, on repère au premier coup d’oeil qu’on se trouve dans le salon bleu, devant le buffet qui sert de bibliothèque. En revanche, l’identification des fleurs est moins facile. Je penche pour un beau bouquet de mufliers, ou gueules de loup si vous préférez, pour fêter l’été. Qu’en pensez-vous ?

J’ai du bon tabac

Blanche Hoschedé-Monet, La Salle à manger de Monet à Giverny (Le thé) 1947, Huile sur toile – Musée des Impressionismes Giverny

Cette nature morte de Blanche Hoschedé-Monet peinte l’année de sa mort révèle tout le talent de la belle-fille de Claude Monet. Installée dans la salle à manger de Giverny bien connue pour ses tons de jaune de chrome sur les murs et le mobilier, Blanche joue sur toute la gamme des jaunes : jaune d’or de la théière, jaune plus acidulé de la tasse, jaune presque orangé du citron, jaunes pâle et soutenu des jonquilles, et même jaune d’une fleur indéfinie flottant dans une coupelle à l’arrière-plan. J’imagine des primevères ou des pensées, vu la saison.

En contrepoint, deux notes de vert : le vase à col étroit des jonquilles, et un objet arrondi à l’arrière-plan, qu’on peut toujours voir dans la salle à manger de Giverny. Blanche en a exagéré la couleur, car voici à quoi ce pot ressemble :

On ignore si Monet se servait vraiment de ce pot à tabac. C’est une oeuvre de Jean Renoir, le fils aîné de Pierre-Auguste Renoir, l’ami de Monet. Jean Renoir, avant de se consacrer au cinéma, a exercé pendant un temps comme céramiste, encouragé dans cette voie par son père. Le pot offert à Monet est signé Renoir au-dessous.

Quant au vase des jonquilles, je crois le reconnaître dans celui qui se trouve exposé dans le premier atelier sur le bureau de Monet :

Et n’est-ce pas le même vase qui se trouve sur le lambris dans la photo de Monet à son bureau ?

Enfin, il me semble reconnaître dans le cadre accroché au mur l’estampe suivante, qui se trouve maintenant dans l’escalier :

C’est une oeuvre de Kuniyoshi Utagawa qui nous montre une petite famille saisie sur le vif dans une attitude de la vie quotidienne, ce qui était bien fait pour plaire à Claude Monet.

La desserte en rotin

Dans la maison de Claude Monet à Giverny, ce petit meuble en rotin ne retient guère l’attention des visiteurs qui traversent le cabinet de toilette du peintre, à l’étage. Il fait pourtant partie des meubles demeurés dans la maison après la mort de sa dernière occupante, Blanche Hoschedé-Monet.

Tout porte à croire que la belle-fille de Monet aimait beaucoup cette desserte légère, si facile à transporter partout, car on la reconnaît dans l’une de ses natures mortes :

Blanche Hoschedé-Monet, Corbeille de fruits, 1927, collection particulière

Blanche s’est installée dans le salon bleu, dont les tons froids forment un beau contraste avec les orangés et les jaunes de la table et des fruits. Le broc, qui mêle les deux gammes de couleurs, relie visuellement le premier et l’arrière-plan.

Lignes droites et courbes créent une géométrie équilibrée, signe d’une composition réfléchie. Tout s’entrelace, les anses de la corbeille et du broc paraissent capturer les droites de la porte, en écho à l’entrelacs de rotin du premier-plan. Ce dernier motif révèle le fond sombre, en une frise de petits cercles clairs entourant du bleu.

Juste après la mort de Monet, quand Blanche reprend les pinceaux, elle est en pleine possession de son art.

Vase dit aux chauves-souris

A la nuit tombante, les chauves-souris sortent des anciennes carrières de pierre qui s’ouvrent à flanc de colline dans la vallée de la Seine, et partent à la chasse aux insectes. En me rendant au pont de Vernon pour admirer le feu d’artifice, j’ai été heureuse d’en apercevoir trois qui tournoyaient dans le ciel, comme elles devaient tournoyer au-dessus du bassin de Monet à la nuit tombante, il y a un siècle.
Monet aimait-il les chauves-souris, ces mignons petits mammifères mis en danger par l’extermination des insectes ? Le peintre possédait en tout cas un grand vase bleu orné de chauves-souris qu’il avait posé en bonne place sur la cheminée de la salle à manger.

Il y est toujours.

D’accord, on est à la limite de l’abstraction… Mais je crois me souvenir d’avoir entendu Claire Joyes (épouse de Jean-Marie Toulgouat, descendant d’Alice Hoschedé-Monet) l’appeler le vase aux chauves-souris, en le qualifiant de « très beau ». C’est donc qu’il était révéré dans la famille.

En Chine et au Japon, les chauves-souris sont symbole de longévité, ce qui n’a rien d’étonnant puisqu’elles peuvent vivre 40 ans. Elles représentent aussi la prospérité et le bonheur. Monet le savait-il ?

A voir ce vase trôner sur la cheminée, on s’interroge sur ce qui lui a valu cette place de choix. Le peintre l’avait-il acheté, ou était-ce un cadeau ?

Par chance, l’un des contemporains de Monet, son beau-fils Jean-Pierre Hoschedé, évoque ce vase dans son ouvrage Claude Monet ce mal connu, d’abord en légende de la célèbre photo de la salle à manger avec Monet :

La salle à manger. Remarquer sur la grande cheminée, en son milieu le vase donné à Monet par Koechlin.

Puis p. 100 :

« C’est Deconchy qui mit Monet en très bonnes relations avec Raymond Koechlin. Leur amitié fut réciproque et souvent cet éclectique amateur d’art fut reçu à Giverny, toujours très amicalement. Il donna à Monet un magnifique grand vase qui est toujours sur le dessus de la cheminée de la salle à manger et Monet avait désiré qu’on donnât, après sa mort, à cet ami, un vase japonais qu’il aimait beaucoup et dont j’ai gardé le souvenir : couleur gris beige craquelé, goulot long et mince, base très large et ronde… »

Claude Monet, Vase de chrysanthèmes, 1882 ? – W 812 Collection particulière

Raymond Koechlin était un collectionneur d’art impressionniste autant que de beaux objets du Japon.

Ce vase comptait donc beaucoup pour Monet, et il n’est pas étonnant qu’il ait eu envie de s’en servir pour le peindre orné d’un splendide bouquet de chrysanthèmes multicolores, une fleur elle aussi symbole de longévité. L’aspect exotique du vase comme des fleurs et l’accord chromatique du bleu et de l’orange pourraient expliquer ce choix.

Il y a tout de même une incohérence entre ces souvenirs si précis et la date de 1882 attribuée au tableau dans le catalogue raisonné de Monet.

Pour Daniel Wildenstein :

« A Poissy, vers la mi-novembre 1882, Monet entreprend un tableau de fleurs qui pourrait bien être ce vase de chrysanthèmes. »

Or Raymond Koechlin n’aurait commencé à collectionner qu’à partir de 1895, année où il hérite de la fortune de son père.

A y regarder de près, l’auteur du catalogue raisonné n’a pas beaucoup d’informations sur ce tableau. Photo en noir et blanc, pas de dimensions, tout porte à croire qu’il ne l’a jamais vu en vrai et n’a donc pas pu procéder à une analyse stylistique fine. De même, la provenance est lacunaire : on ignore tout de ce qui se passe avant 1940. La logique qui sous-tend le classement en 1882 paraît être l’époque de floraison des chrysanthèmes, puisque deux lettres adressées par Monet à Durand-Ruel à la mi-novembre 1882 évoquent un ou des tableaux de fleurs à finir, qui l’empêchent de se déplacer à Paris.

La cruche verte

Blanche Hoschedé-Monet, Composition au potiron et à la cruche verte, 1930, huile sur toile 54 x 73 cm, Musée de Montgeron

Dans cette vibrante nature morte, Blanche Monet associe les produits de l’automne : pommes et courge, à une cruche ornée de coulures vertes.

La dénomination des tableaux, en particulier des natures mortes, pose parfois question. Je ne suis pas sûre que cette composition nous présente un potiron, que je me figure plutôt rond et côtelé, mais il s’agit bien d’une cruche et non d’un broc ou d’un pichet. La particularité de la cruche est d’être en terre cuite et de posséder une anse qui en facilite le transport.

Courge et cruche ! Deux objets rebondis et supposés creux, comme le serait prétendûment le crâne des personnes à qui on jetait autrefois ces mots à la tête. Je crois que l’insulte est devenue assez désuète et ne s’emploie plus guère que contre soi-même, par dérision.

Et si nous mangeons toujours courges et potirons, l’usage de la cruche se fait rare depuis l’installation de l’eau courante.

Les Monet se servaient-ils de leurs cruches, ou les gardaient-ils pour leur valeur décorative ?
La maison de Claude Monet à Giverny conserve non seulement les objets qui ont appartenu au peintre, mais aussi ceux qui ont servi de modèle à sa belle-fille. Le petit cruchon du tableau est présenté dans l’épicerie en compagnie de deux autres plus grands d’un vert pâle et uni.

Nature morte au melon

Claude Monet, Nature morte au melon, 1872, musée Calouste Gulbenkian, Lisbonne

Voici une composition de Monet qui est presque de saison : on trouve déjà pêches et melons sur les étals, mais la présence de raisin laisse supposer que l’artiste a peint ces fruits un peu plus tard, à la fin de l’été. Monet joue avec les couleurs complémentaires orange et bleues pour faire chanter les tons des fruits et de l’assiette au décor japonisant.

Comme souvent dans les natures mortes, celle-ci est l’occasion d’un exercice de virtuosité pour rendre la lumière et les textures : le velouté des pêches, l’aspect boursouflé de la peau du melon (en existe-t-il encore de pareils ?), les grains luisants du raisin encore couverts de pruine, le brillant de la faïence…

C’est la période d’Argenteuil, tout comme la nature morte au service à thé, et l’on retrouve le même désir de coller au goût de l’époque pour le japonisme.

On peut voir dans la salle à manger de Monet cette assiette-ci, qui ressemble beaucoup à celle du tableau. Je ne suis pas sûre que ce soit tout à fait la même, car les oiseaux ne sont pas disposés de façon identique. Mais c’est au moins une assiette du même service. Décorées à la main, elles étaient toutes des pièces uniques. Celle-ci est en parfait état.

La théière de Monet

En 1872, Claude Monet est de retour en France après son séjour à Londres en 1870-1871. Grâce aux achats de Durand-Ruel s’ouvre pour lui une période relativement faste où il mène une vie bourgeoise à Argenteuil, en compagnie de sa femme Camille et de leur fils Jean. Cette délicate nature morte, Le Service à thé, nous en offre un aperçu.

Porcelaine fine de style japonisant, plateau en laque rouge, cuillère argentée, nappe en coton damassé qui accroche la lumière… Rien ne manque pour signifier l’aisance, le raffinement de ce moment d’oisiveté de l’heure du thé. Le peintre a soigneusement placé les objets pour composer son tableau en jouant des obliques et des horizontales, des zones claires et sombres, des couleurs complémentaires et des reflets dans le plateau ou sur la cuillère. Rien n’est là par hasard, surtout pas la cuillère dont on se demande bien ce qu’elle fait là, posée sur la nappe, alors qu’aucun sucrier ne se trouve sur le plateau. Personne ne va la tremper dans la seule tasse pleine. Elle ne sert qu’à équilibrer les masses, à proposer une texture de plus dans ce jeu de virtuosité à rendre tissu, porcelaine, laque, feuilles, à montrer tout ce qui brille par contraste avec le fond mat.

La petite théière pour deux personnes existe toujours. Elle est présentée dans l’un des buffets de la salle à manger de Giverny. Bouton conique peint en bleu, saule pleureur, pas de doute c’est la même. Voilà sans doute des années qu’elle est là, mais je viens seulement de m’en apercevoir… avec un petit battement de coeur.
Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

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