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Sur la piste des pots bleus – 4

Claude Monet, Le Jardin de l’artiste à Vétheuil, 1881, w 684, collection particulière

Les pots bleus du Westerwald achetés par Monet en Hollande font leur apparition dans ses tableaux à partir de la période d’Argenteuil. On compte 11 tableaux sur lesquels ils figurent, entre 1872 et 1881, en nombre variable :

w 202 Le Jardin, 1872 (Argenteuil, 1ere maison) 3 pots
w 282 Camille et Jean Monet au jardin d’Argenteuil, 1873 1 pot
w 284 La Maison de l’artiste à Argenteuil, 1873 1ère maison 6 pots
w 287 Camille Monet à la fenêtre, 1873 1ère maison 3 pots
w 365 Un Coin d’appartement, 1875 2e maison 4 pots
w 366 Camille au métier, 1875 2e maison 2 pots
w 384 Dans le jardin, 1875 Argenteuil 2e maison 1 pot
w 666 Le Jardin de Vétheuil, 1881 7 pots
w 683 Jardin à Vétheuil, 1881 2 pots
w 684 Le Jardin de l’artiste à Vétheuil, 1881 2 pots
w 685 Le Jardin de Monet à Vétheuil, 1881 5 pots

A partir du déménagement à Poissy, les pots disparaissent des tableaux. Ont-ils suivi la famille à Giverny ? Deux photos permettent de l’affirmer :

Michel Monet et Jean-Pierre Hoschedé, milieu des années 1880, Giverny

Les garçons sont dans le haut du jardin, on voit derrière eux les ifs en haut de la grande allée et l’un des massifs arrondis devant la maison. Juste derrière eux on distingue deux grandes jarres et on en devine deux autres au loin à gauche de Michel. Parmi les deux les plus proches, la première présente un décor fleuri, la deuxième a un oiseau et un rameau sous l’anse, et peut-être un lion stylisé sur la face de la jarre.

Sur cette photo, on reconnaît à gauche Suzanne Hoschedé, sa petite sœur Germaine née en 1873, adolescente, Claude Monet, et le visage juvénile de Blanche Hoschedé à droite. Monet a planté un tournesol dans le pot au premier plan. Le cercle autour du motif laisse à penser qu’il s’agit de la jarre ornée d’un griffon et d’oiseaux sur les côtés qui a traversé le temps jusqu’au 21e siècle.

Sur la piste des pots bleus – 3

Charrette de transport des grès au sel du Westerwald, Musée de la céramique de Höhr-Grenzhausen, Allemagne

La production de poterie utilitaire en grès au sel était si grande et de si bonne qualité dans le « Pays des Potiers » (Kannenbäckerland) à l’ouest de Coblence, que ces objets étaient exportés massivement vers les Pays-Bas par la voie fluviale du Rhin, puis en train à partir du milieu du 19e siècle. Depuis la Hollande, les grès partaient ensuite vers les plus lointaines destinations, Extrême-Orient, Amérique du Sud, Afrique… Ils étaient souvent emplis de denrées dont les destinataires étaient friands, par exemple de la moutarde, des légumes lacto-fermentés ou encore du lait condensé.

Des centaines de petits colporteurs à pied se chargeaient aussi de la diffusion des grès au sel. Ils portaient leur marchandise dans une hotte. Cet exemple est bien modeste comparé à certaines gravures qui montrent des chargements considérables.

Le musée de la céramique du Westerwald a consacré en 2022 une exposition et un ouvrage à ces exportations vers les Pays-Bas. Dans le catalogue, une large place est donnée aux poteries faites sur commande pour des entreprises hollandaises et portant leur marque. Mais les exportations concernaient aussi de grandes jarres décorées de fleurs et d’animaux, comme celle que l’on voit ci-dessus à l’arrière-plan, très proche des pots bleus des tableaux de Monet. Parmi les illustrations du livre se trouve un pot à conserve orné d’un griffon presque identique à celui de Monet, mais plus petit, 24 cm seulement. Les dimensions des plus grandes jarres dépassent quelquefois les 50 cm. Ils avaient des muscles, nos aïeux.

Comme on le voit sur cette photo, la couleur de fond du grès pouvait rester claire, assez en tout cas pour qu’on puisse la confondre avec de l’émail blanc sur les tableaux impressionnistes de Monet. Mais les traditionnelles lignes bleues horizontales signalent des pots du Westerwald.

Camille Monet vue par Renoir

Auguste Renoir, La Tapisserie dans le parc, Camille Monet, 1873, collection particulière
46×38 cm

C’est l’image de l’oisiveté heureuse : Camille Monet, vêtue de l’une de ses jolies robes, pose pour Renoir. C’est l’été. Elle a sorti une chaise dans le jardin d’Argenteuil et s’est installée à l’ombre, près du massif de fleurs. Pour s’occuper, elle travaille à une tapisserie, peut-être celle qu’on reverra sous les pinceaux de Monet, entourée de pots bleus :

Claude Monet, Camille au métier, 1875, The Barnes Foundation, Philadelphia

Elle a 26 ans, un mari, un petit garçon, une bonne pour s’en occuper, une jolie maison et même des poules, que Renoir s’est amusé à faire figurer sur la gauche du tableau.

Auguste Renoir, Madame Monet et son fils Jean dans le jardin d’Argenteuil, 1874, National Gallery of Art, Washington

On retrouvera le coq et les poussins l’année suivante, croqués par Renoir mais aussi par Manet :

Edouard Manet, La Famille Monet dans son jardin à Argenteuil, 1874, Metropolitan museum, New York

Et voici en prime une petite poule blanche à toupet.

Sur la piste des pots bleus-2

Pots en grès au sel destinés à conserver les oeufs, musée de Betschdorf, Bas-Rhin

Que pouvaient bien contenir les pots bleus en grès au sel que l’on voit sur les tableaux de Monet ? Selon ce que j’ai pu observer au musée de la céramique du Westerwald ou au musée de Betschdorf, en Alsace, certains étaient marqués Anchovis : des anchois. On faisait une grande consommation de poissons salés, anchois ou harengs, avant l’invention du congélateur.
On conservait aussi les oeufs, à l’époque où les poules ne pondaient pas toute l’année, en les couvrant de silicate de soude. Ce liquide d’aspect vitreux, très riche en calcium, empêchait l’air d’entrer dans les oeufs et de les corrompre, à condition qu’ils soient mis à conserver très frais. Le Chasseur français, en 1947, explique de façon détaillée comment faire des conserves d’oeufs. Les pots qui étaient utilisés à cet usage présentent encore d’épaisses traces de calcaire, et parfois même des restes de coquilles.
Les jarres servaient aussi pour les légumes lacto-fermentés dont le plus connu est la choucroute, mais le chou blanc n’était pas le seul à être conservé de la sorte. Ces conserves faites à la maison avec les légumes du jardin offraient une source de vitamines en hiver.
Un modèle plus large que haut était destiné à garder trois livres de beurre ou de saindoux, ce qui dure un certain temps pour une consommation familiale. Ces pots d’assez petite taille devaient être rapportés à la crèmerie pour en acheter des pleins, ou pour recevoir le beurre pesé par le marchand. Le crémier se fournissait en beurre dans des jarres de grande taille qui pouvaient contenir jusqu’à 25 livres de beurre. Pleines, elles devaient peser un joli poids. Celle qui est ornée d’un griffon au premier plan du Jardin de Monet à Vétheuil correspond probablement à cet usage. On connaît sa taille, 43 cm de haut.

Albert Anker, Le petit chaperon rouge, 1883, huile sur toile

Voici un tableau qui vient d’être exposé à la fondation Gianadda de Martigny.

Il suffit de faire le compte de ce que cette fillette porte dans les mains : une galette et un « petit » pot de beurre, de vérifier son couvre-chef pour se convaincre que nous sommes face au Petit Chaperon rouge. Albert Anker, peintre réaliste suisse, (1831 – 1910) a été l’élève de son compatriote Charles Gleyre, tout comme Monet. Il n’est pas impossible qu’Albert et Claude se soient rencontrés, toutefois Anker paraît avoir été déjà un peintre reconnu à l’époque où Monet galérait encore.
Anker nous offre une très belle étude psychologique à travers ce regard d’enfant, grave et doux. Son réalisme nous fait aussi percevoir la condition de l’enfance à la fin du 19e siècle : il faut travailler dès le plus jeune âge, aider les parents. La grand-mère devait être bien contente de voir arriver sa petite-fille lui apportant quelque chose à manger, elle qui était si faible au fond de son lit, dans la forêt.
Mais revenons à nos pots bleus. On voit bien dans ce tableau que la plupart n’avaient pas de couvercle. On les fermait avec un papier sulfurisé entouré d’une ficelle, à la maison on les couvrait d’une assiette retournée. La petite Suissesse porte vraisemblablement un pot venu d’Alsace.

Sur la piste des pots bleus-1

La petite ville allemande de Höhr-Grenzhausen et ses voisines sont depuis plusieurs siècles un centre potier très dynamique, grâce à un gisement d’argile de qualité. La région, couverte de forêts, s’appelle le Westerwald, c’est-à-dire la forêt de l’ouest. Höhr-Grenzhausen est située près de Coblence, ville sur le Rhin à son confluent avec la Moselle.

Höhr-Grenzhausen possède un très beau musée de la céramique. Une petite section de ce musée s’intéresse aux représentations picturales des productions locales, comme vous pouvez le voir sur la photo ci-dessus. Van Gogh, par exemple, s’est laissé inspirer par les bouteilles de grès dans lesquelles on transportait de l’eau de source (sur le mur à gauche). Mais c’est surtout Le Jardin de Monet à Vétheuil qui a retenu l’attention de l’équipe du musée. Il était bien tentant de chercher dans les collections quels pots se rapprochaient le plus de ceux figurés sur le tableau.

Les conservateurs ont donc mis en avant une petite sélection de contenants en grès au sel décorés de losanges et surtout de lions stylisés assez effrayants, dont l’un est daté 1860 – le tableau est de 1881, mais Monet avait acquis ses jarres dix ans plus tôt. Sur les pots du Westerwald, le roi des animaux porte la couronne et une épaisse crinière stylisée.

Toujours les pots bleus

Claude Monet, Camille et Jean Monet au jardin d’Argenteuil, 1873, collection particulière

Suite de la saga des pots bleus dans les tableaux de Monet ! L’artiste devait vraiment les aimer beaucoup pour les faire figurer si souvent dans ses toiles. Celui-ci contient manifestement un laurier-rose.

Le peintre surprend au vol le geste par lequel Camille s’attache une fleur dans les cheveux. Quelle silhouette gracieuse ! Elle émerge des fleurs de dahlias et de fuchsias, nouvelle recherche de Monet sur l’insertion de la figure dans le paysage.
Devant elle, le petit Jean adore une fois de plus se rouler dans l’herbe. Son papa n’a pas ménagé les touches de vert pour nous montrer combien l’enfant a gâté son petit costume clair. Ça ne fait rien, ni papa ni maman ne disent rien, parce qu’ils adorent eux-mêmes s’asseoir dans l’herbe. Décontraction, intimité familiale… surtout pas la raideur des portraits posés. C’est aussi cela, l’impressionnisme.

Encore les pots bleus

Claude Monet, Le Jardin, 1872, collection particulière

Je croyais avoir fait le tour des apparitions des pots bleus de Monet, mais je viens de débusquer encore ce tableau-ci. Camille Monet et Madame Sisley sont assises sous les arbres en fleurs dans le jardin d’Argenteuil. Devant elles, trois pots en forme de jarres, décorés de motifs floraux bleus contiennent des anthémis pour deux d’entre eux. Celui du milieu est garni d’une plante indéfinissable. Un sapin ? Un araucaria ?

Les pots bleus

Claude Monet, La Maison de l’artiste à Argenteuil, (détail) 1873. The Art Institute, Chicago

On pouvait voir réunis ce printemps au musée de Giverny deux tableaux de Monet peints alors qu’il habitait Argenteuil, sur lesquels l’artiste a fait figurer son fils Jean : La Maison de l’artiste à Argenteuil et Coin d’appartement.

Par un curieux hasard, ces toiles montrent aussi toutes les deux les jarres à décor bleu qui servaient de cache-pot. Une oeuvre est exécutée à la belle saison, où les plantes ornaient le jardin, tandis que l’autre a été peinte en hiver, époque où les pots et ce qu’ils contenaient étaient rentrés dans la maison.

Claude Monet, Coin d’appartement, (détail) 1875, musée d’Orsay

On peut raisonnablement penser que Monet a acheté ces céramiques pendant la période faste d’Argenteuil, après son retour de Londres en 1871. Il vient d’hériter de son père, et Durand-Ruel lui assure pendant plusieurs années des revenus réguliers. Auparavant, il n’avait pas le sou.

Claude Monet, Le Jardin de Monet à Vétheuil, 1881, National Gallery of Art, Washington D.C.

Cette série de pots suit Monet à Vétheuil, où nous les retrouvons installés dans l’escalier. Combien y en a-t-il exactement ? Sur ce tableau on en compte cinq. A Argenteuil ils étaient six.

Claude Monet, Le Jardin de Vétheuil, 1881, collection particulière

Dans celui-ci il y en aurait sept. On remarque que Monet a déplacé les pots d’un tableau à l’autre, bien que les deux toiles aient été peintes la même année. Au printemps les jarres bleues font très bien alignées à l’horizontale dans l’allée perpendiculaire à l’escalier, en fin d’été on ne les y verrait plus sous l’avalanche des fleurs.

Dans la littérature sur Monet, ces récipients sont généralement nommés des pots chinois. Il est vrai que beaucoup de céramiques venues d’Extrême-Orient portaient des décors bleus sur fond blanc. Mais cette attribution est inexacte pour au moins l’un d’entre eux.

Plusieurs objets ayant appartenu à Michel Monet, et avant lui à son père, sont passés en vente aux enchères en 2017 à Hong Kong. Parmi eux, une jarre en grès qualifiée de « continentale » par les experts de Christie’s. Certes, il ne leur a pas échappé qu’elle n’était pas chinoise. Sur son flanc, un quadrupède à tête d’oiseau, une chimère, s’inscrit dans un large cercle bordé de croisillons. Le col du pot est marqué par deux lignes bleues horizontales, le bas par une seule. Selon la description fournie par le catalogue en ligne, le pot présente une deuxième chimère (de l’autre côté forcément) et deux oiseaux, motifs intercalés entre les chimères. Le fond est gris pâle, les dessins bleu cobalt. La jarre possède deux anses, décorées en bleu elles aussi. Elle mesure 43,5 cm de haut.

Un oeil habitué aux poteries de l’Est aura reconnu un Westerwald ou un Betschdorf. Dans les années 1860, Betschdorf, village situé à une cinquantaine de kilomètres au nord de Strasbourg est en pleine production et inonde le marché de ses grès au sel utilitaires, solides et imperméables. Ils existent dans toutes les tailles, prennent de nombreuses formes et servent à toutes sortes d’usages. On en trouve d’ailleurs encore facilement en brocante.

D’autre part, Westerwald, le centre allemand de grès au sel d’où sont originaires les premiers potiers de Betschdorf, est lui aussi en plein essor. Grâce au Rhin, la production s’exporte vers les Pays-Bas. Même si ces lourdes jarres ne sont pas faciles à transporter dans des bagages, Monet a pu faire l’acquisition d’un ou plusieurs pots lors de son séjour près d’Amsterdam en 1871 et le.s rapporter à Argenteuil.

Monet’s garden at Vétheuil, détail

C’est ce même pot à chimères que l’on voit au premier-plan à droite du tableau de Washington. Même aspect bondissant, même queue en panache. Rayures horizontales, forme, anses, tout coïncide.

L’attribution à Betschdorf pose tout de même question. Après la guerre de 1870, l’Alsace est devenue allemande, ce qui a mis un frein aux expéditions de marchandises vers Paris. Mais les commerçants argenteuillais ont peut-être mis quelques années avant d’écouler tout leur stock d’avant-guerre. D’autre part, la chimère n’est pas un décor habituel des Betschdorf. On voit au 19e siècle nombre de cerfs bondissant dans la même attitude, mais je n’ai pas repéré d’animal mythique sur les poteries visibles en ligne. Si vous avez des lumières sur ces points, merci de nous en dire plus en commentaire. Je vous en prie.

Toute la collection de pots de Monet provenait-elle du même centre potier ? C’est possible, mais ce n’est pas certain. Malgré une apparence d’unité, on peut remarquer que les jarres n’ont pas toutes la même taille.

Claude Monet, Camille Monet à la fenêtre, 1873, Museum of Fine Arts, Richmond (Virginie)

Ici, le pot de gauche a des anses, celui du milieu non, celui de droite paraît plus large. Il est possible que Monet ait mélangé grès, faïence et porcelaine, France, Chine, Japon, Angleterre même, Hollande, pourquoi pas ? Et qu’il ait unifié l’aspect de ces différentes céramiques en les représentant sur la toile. Je pense tout de même qu’il avait plusieurs pots de l’Est. Sur les tableaux on leur voit une double ligne bleue en haut du récipient, motif qui n’est guère chinois mais typique de Westerwald et de Betschdorf. Peut-être ne connaîtrons nous jamais le fin mot de l’histoire, car tant vont les pots au jardin qu’à la fin ils se cassent.

Il est d’autant plus extraordinaire de découvrir dans la vente de la succession Verneiges à Hong Kong ce pot en grès en si bon état, témoin des années de lutte de Claude Monet. Les enchérisseurs ne s’y sont pas trompés. L’objet a été adjugé plus de 41000 euros, sûrement l’un des prix les plus élevés jamais atteint par un grès utilitaire.

Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

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