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Giverny sous la neige
Je ne suis pas sûre que les couleurs de cette image soient vraiment celles que l’artiste a voulues, mais ce n’est pas grave. Nous voici à nouveau dans le clos Morin, comme dans le tableau de moisson de Dawson-Watson. Et à nouveau, nous apercevons dans les lointains la maison de Claude Monet, reconnaissable à son toit d’ardoises orienté plein sud, sur lequel la neige a déjà fondu, et à ses cheminées.
L’absence de la partie droite de la maison me rend perplexe. Est-elle cachée à la vue, masquée par quelque chose que Butler n’a pas précisé ? Car j’en suis presque convaincue, en 1895, l’aile droite existe. Depuis qu’il a signé l’achat du bien en 1891, Monet n’a pas chômé, selon les indices que j’ai pu rassembler : construction de l’aile gauche en 1891, paiement (en une fois semble-t-il) de la totalité du prix d’achat de la maison en novembre 1891, construction de l’aile droite en 1892 et 1893, construction de la serre, réaménagement du jardin de fleurs, achat de parcelles de prés à l’île aux Orties, achat d’une bande de terrain pour faire le premier jardin d’eau… Tout cela en peignant quantité de toiles et en gérant une famille nombreuse.
Les agrandissements de la maison sont inscrits au cadastre sous le terme d’augmentation de construction, avec toujours un décalage dans le temps. La maison initiale compte 10 ouvertures. La transformation de l’aile gauche en 1891 les porte à 23, modification enregistrée en 1894 seulement. En 1896, le cadastre entérine une augmentation de construction qui fait passer le nombre d’ouvertures à 32, chiffre actuel. Les travaux de l’aile droite ont dû s’achever bien avant.
Cette hâte à pousser les murs n’a rien d’étonnant. Elle correspond à une soudaine aisance due à l’envolée des prix des tableaux de Monet, d’une part, et à une nécessité domestique, à mesure que les enfants grandissent. En 1891, seul Jean a quitté le nid, ils sont encore 9 personnes au foyer. En 1892, il est suivi par Suzanne qui se marie. En 1896, Jean entraînera Blanche avec lui en l’épousant. Petit à petit, tous les enfants sauf Michel partiront. A partir du recensement de 1901, il n’y a plus que 3 personnes dans la maison. Les nombreuses chambres n’auront pas servi longtemps. La vaste salle à manger, elle, est promise à un bel avenir. On imagine les tablées géantes, à la moindre occasion.
Un bouquet de soleils
Les tournesols portent bien leur nom de soleils tant ils illuminent la pièce où on les pose. Voici, tout frais de ce matin, un bouquet réalisé par Claire-Hélène Marron, jardinière de Giverny chargée de la décoration florale de la maison de Monet.
Claude Monet, Bouquet de soleils dans un vase, 1880 – Metropolitan Museum of Art, New York
Elle a pris pour modèle la nature morte ci-dessus. Cela a l’air facile et pourtant rien n’est simple, du choix du vase et des fleurs à leur disposition. Monet a dû galérer pour arriver à ce que les têtes le regardent et pour les placer harmonieusement. A noter aussi, toute la gamme de couleurs qu’il perçoit dans les pétales qui nous paraissent à nous si unis. Le vase, qui apparaît aussi sur d’autres tableaux, est probablement d’origine chinoise.
Nouvel éclairage
La fondation Claude Monet a profité de la fermeture hivernale pour repenser l’éclairage des pièces de la maison du peintre. De nouvelles lampes ont fait leur apparition, des spots très discrets sont venus révéler les coins sombres, et un éclairage a été installé à l’intérieur des buffets pour mettre en valeur leur contenu. Une réussite.
La maison de Monet à Argenteuil
La ville d’Argenteuil l’appelle « la maison impressionniste ». A quelques pas de la gare et non loin de la Seine, la demeure où Claude Monet, son épouse Camille et leur fils Jean ont séjourné pendant quatre ans, de 1874 à 1878, est désormais ouverte au public ; on peut s’y rendre le mercredi, le samedi et le dimanche après-midi.
La restauration a été menée avec un grand souci du détail et de fond en comble. Monet a habité dans une maison qui venait d’être construite, elle devait avoir cet aspect de neuf qu’on lui voit aujourd’hui.
Comme si on arrivait chez le peintre à la manière de Renoir ou de Manet, on monte les marches du perron et on entre par la porte d’entrée côté rue. Elle donne sur un espace minuscule et sur l’escalier, comme à Giverny.
A droite, l’accueil du musée. Je suis émue : le parquet à chevrons de Coin d’appartement est toujours là ! Et le poêle, est-il d’origine lui aussi ? La cloison paraît avoir été un peu déplacée car on ne retrouve plus l’alignement des pièces tel que Monet l’a peint. Mais de jolis rideaux encadrent le passage vers la véranda, entièrement reconstruite.
Le parti pris par l’agence Abaque, spécialiste des « expositions d’interprétation », qui revendique de « créer des expositions ludiques, instructives, excitantes et esthétiques », est un compromis entre l’évocation des pièces de la maison et le centre d’interprétation.
La visite demande la participation active du public. Le visiteur est invité à ouvrir des tiroirs, des portes de placard, à s’asseoir à la coiffeuse ou au bureau. En récompense, des projections de tableaux, des fac-similés de lettre, des explications supplémentaires.
Un choix a été opéré dans la très abondante production de Monet à Argenteuil, 259 tableaux en sept ans. Avant de jeter l’ancre dans l’actuel boulevard Karl-Marx, le peintre a habité pendant trois ans une première maison louée à une certaine Madame Aubry. Ce bâtiment a disparu.
Le visiteur peut donc toucher les meubles comme s’il était chez lui. Un logo lui indique où regarder.
Pour qui vient de Giverny, où chaque objet est une relique, cela paraît incroyable. Il est vrai que la fréquentation n’est pas la même.
150 ans nous séparent du séjour des Monet dans la maison. Que voyaient-ils quand ils regardaient par la fenêtre ? Et que reste-t-il d’inchangé ?
L’escalier sans doute est toujours le même. Mais il existe maintenant aussi un ascenseur.
Tout en haut, le visiteur peut écouter, regarder et même sentir, car l’odeur du bateau-atelier voguant sur la Seine a été recréée. Bluffant !
Je suis impressionnée par le soin apporté à la muséographie, pour que les visiteurs ne s’ennuient pas et repartent en ayant appris quelque chose. C’est un pari audacieux, en partant d’une coquille vide, les simples murs, et sans aucune oeuvre ou objet à montrer, de rendre la visite intéressante.
Partout, des silhouettes animent les murs. Elles sont signées Stéphanie Miguet.
A l’arrière de la maison, le jardin est moins grand qu’à l’époque de Monet. Malgré ses dimensions réduites, il est très joli.
En ce moment, le lilas à petites feuilles déborde de fleurs. Monet en ferait un tableau, ou même plusieurs.
Alors pourquoi venir à Argenteuil voir la maison impressionniste ? Pour en savoir plus sur le séjour du peintre à Argenteuil, sur la ville elle-même. Pour les raisons qui poussent à chercher le site des tableaux : se rendre compte des lieux, des volumes, de la lumière et des ombres… Et pour tenter de capter, dans un lieu paisible, ce qui peut y rester encore de Monet.
Cousu main
Au premier étage de la maison de Claude Monet, sur le palier entre la chambre d’Alice et celle de Blanche, on aperçoit un réduit derrière une porte vitrée. Grand comme un mouchoir de poche, c’est l’atelier couture de Mesdames Monet.
Des draps brodés anciens sont disposés sur la machine à coudre, qui trône toujours en bonne place. La marque Hurtu signe une fabrication 100% française réalisée à Montluçon à la fin du 19e siècle ou au début du 20e.
C’est le genre d’objet qui évoque une foule de souvenirs à nombre de visiteurs. Il y a cinquante ans, les machines à pédales étaient encore d’usage courant, à une époque où la plupart des femmes savaient coudre.
Selon la tradition familiale des Hoschedé-Monet, c’était le cas d’Alice. Etre experte en travaux d’aiguilles était un must pour les jeunes filles.
Au-dessus a été accrochée une toile de Lilla Cabot Perry, qui fut la voisine de Monet pendant plusieurs années, et devint son amie. Il s’agirait de la fille de l’artiste, elle aussi prénommée Alice.
De l’autre côté, le mobilier est complété par une petite chaise, une estampe japonaise, et c’est tout.
Le style Monet
Claude Monet aimait la couleur à la folie. Les impressionnistes ont libéré la couleur dans la peinture. Monet l’a employée à profusion dans ses tableaux, mais aussi dans ses autres créations que sont le jardin et la maison de Giverny.
Auriez-vous envie d’entrer dans une pièce rayonnante de jaune à chaque repas ? Un jaune cadré et mis en scène par le bleu des pièces voisines, par les portes-fenêtres donnant sur le jardin.
Du temps de Monet, ces portes-fenêtres étaient largement ouvertes dès les beaux jours. On avait ainsi l’impression de déjeuner presque en plein air. Les moineaux s’avançaient à l’intérieur pour picorer les miettes, de même que les petites poules japonaises offertes par Clemenceau.
Du jaune, il y a bien de quoi vous mettre de bonne humeur, surtout si vous avez un solide coup de fourchette comme Monet, et la perspective d’un bon repas. Selon son beau-fils Jean-Pierre Hoschedé, Monet, quand il était de bonne humeur, aimait chanter.
« Il entonnait le toréador de Carmen ou il s’écriait en chantant A table, à table, à table, mangeons ce pigeonneau qui ne saurait être bon s’il n’était mangé chaud.
Il chantait, il blaguait. Il imitait les voix des crieurs de rue, pour la plus grande joie des enfants. De l’entrain à revendre. Et puis, comme son chauffeur s’appelait Sylvain, une autre chanson lui venait en tête, celle de Juliette Borghèse :
Espoir charmant, Sylvain m’a dit « Je t’aime »
Et depuis lors tout me semble plus haut
Nos prés fleuris, nos bois et le ciel même
Semblent parés d’un éclat tout nouveau
Un peu plus loin dans la chanson, des paroles devaient résonner étrangement aux oreilles de Monet et sa famille :
J’entends déjà le commérage
Qui se fera dans le village
Et les cancans, les mots méchants
Qui vont courir à nos dépends.
Probable que Monet devait s’arrêter aux premiers couplets.
Le vert de Monet
La couleur verte utilisée par la Fondation Monet pour les boiseries se dérobe à la photo. Elle pâlit et bleuit quand il y a du soleil, jaunit le soir, devient grisâtre tôt le matin. Sur cette photo-ci elle est assez proche de ce que l’oeil en perçoit, peut-être un poil plus chaude.
Ce vert intrigue les visiteurs. Ils ont en mémoire les douces harmonies des tableaux de Monet et peinent à croire qu’il ait souhaité une couleur aussi crue pour sa maison et son jardin. C’est oublier que Monet aime aussi les contrastes, les tons francs, comme dans Terrasse à Sainte-Adresse, par exemple.
Mais le pont ne paraît-il pas plus clair et bleuté sur les toiles de Monet ? C’est un fait.
Lors de la restauration des jardins, Gérald van der Kemp, le conservateur, a d’abord opté pour un ton inspiré par les tableaux où l’on voit le pont ou les volets de la maison. C’était plus un bleu-vert qu’un vert bleuté, tel qu’on peut l’observer sur les photos des années 1970 prises pendant les travaux de restauration et publiées dans la première brochure de la Fondation Monet ou dans le livre de Stephen Shore.
Le Pont Japonais, Une visite à Giverny par Gérald van der Kemp, p 14
Et puis un jour van der Kemp s’est dit que ça ne le faisait pas. Il a tout fait repeindre en vert franc. La raison de ce revirement se trouve dans le livre de souvenirs du beau-fils de Claude Monet, Jean-Pierre Hoschedé :
« Les volets qui étaient gris furent peints en vert, ainsi que l’extérieur des portes, y compris celle de la rue et bien entendu aussi, dès qu’il fut construit, le balcon qui court d’un bout à l’autre de la façade de la maison. (…) Ce vert franc et frais, éclatant même, s’appelle à Giverny « le vert Monet ».
Il est dommage que Jean-Pierre Hoschedé ne donne pas d’indication de date pour l’emploi de ce vert, mais on peut le comprendre. Quand on vit à un endroit, il est difficile de se souvenir précisément des dates où se produisent des changements. Les visiteurs ponctuels sont plus à même de donner une vision instantanée des lieux. Maurice Guillemot note ainsi en 1898 que
« les volets sont verts, mais d’un vert pâle, bleuté ».
Cela laisse à penser que Monet a d’abord employé le vert-bleuté pâle des ponts japonais peints en 1899, puis, quand il a fait repeindre quelques années plus tard, il a changé pour un vert plus franc. Monet a pris le temps de la réflexion avant de choisir la couleur de son pont. Sur les tout premiers tableaux et les photos du pont à peine construit, il est encore en bois blanc.
La maison de Monet à Argenteuil
Si à Giverny la maison de Claude Monet s’élève dans la rue Claude Monet, celle qu’il a occupée à Argenteuil se trouve 21 rue Karl-Marx. Le peintre s’efface derrière l’auteur du Capital, qui a habité la même rue à trois maisons de là en 1882, avant de décéder à Londres l’année suivante.
Giverny en bouquet
Un bouquet de fleurs fraîches orne la table de la salle à manger de Monet à Giverny. On sait que le peintre aimait s’entourer de fleurs jusque dans sa maison. Les jours de mauvais temps, (peut-être même s’il faisait beau ?) il lui arrivait d’arranger des bouquets avec les fleurs de son jardin pour les peindre. Mauves, hélianthes, chrysanthèmes, soleils, dahlias ont posé pour Claude Monet.
Le fourneau de Monet
Un énorme fourneau trône dans la cuisine de Monet à Giverny. C’est une cuisinière à bois et charbon de marque Briffault, une entreprise qui avait pignon sur rue avenue de l’Opéra à Paris au tournant du siècle dernier. C’est dans le show-room parisien que le peintre aurait repéré cet appareil et l’aurait commandé pour sa cuisine nouvellement réaménagée.
Le père de Monet par Adolf Rinck
Et voici sur l’autre mur de la chambre d’Alice à Giverny le père de Claude Monet, dont le prénom usuel était Adolphe.
C’est le pendant du portrait de Louise-Justine Aubrée, son épouse.
Le tableau a été exécuté lui aussi en 1839, un an avant la naissance de Claude Monet.
Adolf Rinck fait un portrait plutôt flatteur de cet homme de 39 ans : visage harmonieux, nez un peu busqué, bouche vermeille, collier de barbe très sombre, regard planté droit dans celui du spectateur. L’expression est indéchiffrable, mais ne révèle pas une grande fantaisie ni une immense bonté. Les traits se durciront avec le temps pour aboutir au visage presque caricatural peint par Monet, à la moue antipathique.
La main droite est posée sur le dos d’un livre, doigts en éventail. Difficile de voir dans l’ouvrage relié de cuir le symbole de son métier, puisqu’il était commerçant, mais on ne peut pas rater sa belle bague, ni l’épingle à cravate. La mise est distinguée, on sent l’aisance. Le petit Claude va grandir dans une famille bourgeoise. C’est le fils cadet de ce couple. Son frère Léon est né en 1836.
Claude Adolphe (1800-1871), père de Léon et de Claude Monet. Portrait par Adolf Rinck, 1839. Fondation Claude Monet, Giverny.
La chambre de Blanche
A l’étage de la maison de Monet à Giverny, une chambre vient d’être ouverte cette année. En plus de celles de Claude et d’Alice, que l’on traverse, le public peut embrasser du regard le petit univers intime de Blanche Hoschedé-Monet, la belle-fille de Monet la plus proche du peintre.
C’est un très joli travail de restitution qui a été fait à partir des éléments de mobilier déjà présents dans la maison. Le lit, le chevet et la commode sont ceux de Blanche, et des objets de décoration chinés avec soin reconstituent l’ambiance qui pouvait être celle de la chambre au début du 20e siècle.
Blanche était peintre. L’une de ses plus belles oeuvres, une Meule, effet de neige peinte à l’époque où Monet exécutait les siennes, est accrochée au mur. C’est un don de la famille Durand-Ruel fait à l’ouverture de la Fondation Monet. Ce tableau était il y a quelques années présenté dans la chambre de Monet.
D’autres oeuvres authentiques ornent les murs : face au lit, un très beau Manzana-Pissarro représentant une femme et son enfant, et dans un cadre ovale, le portrait d’un enfant signé Henri-Frédéric Schopin, qui comme vous le savez est un peintre.
La petite nature morte à droite de la cheminée est une copie d’une toile de Blanche qu’on peut voir au musée des impressionnismes de Giverny. De nombreuses photos de Blanche complètent l’ensemble.
Avec son pot de fleur sur l’appui de la fenêtre, la chambre a l’air habitée. Cette restitution est un bel hommage à l’ange bleu. De là où elle est, maintenant qu’elle est vraiment devenue un ange, je suis sûre qu’elle en est très heureuse. Il y a comme une joie qui flotte dans cette pièce, cela ne peut être qu’elle venue voleter par là, et qui se réjouit.
La chambre de Claude Monet
Cet hiver, c’est la chambre de Claude Monet qui a bénéficié d’une restauration complète. Sur les murs tendus de draps de lin anciens, des répliques des toiles de Cézanne, Renoir, Morisot, Delacroix, Signac, Caillebotte, Boudin, Jongkind, restituent la collection que Monet s’était constituée. Il s’agit d’une trentaine d’oeuvres de ses amis impressionnistes, de peintres qu’il admirait, d’artistes qui l’ont influencé.
Comme dans le salon-atelier, c’est la galerie Troubetzkoy, à Paris, qui a réalisé les répliques. Celles-ci sont mises en valeur par des cadres d’époque 1900, ce qui leur donne beaucoup de charme.
Sur la belle commode Régence revenue toute pimpante de son tour chez l’ébéniste, on remarque un petit portrait de Monet. C’est un lavis d’encre de Chine exécuté par Manet en 1874 – l’année charnière de la première exposition « impressionniste ».
Le lit et l’armoire ont été repeints de frais, d’un ton plus pâle que précédemment.
L’ensemble est élégant, à la fois chaleureux et plein de fraîcheur, avec un grand souci de coller à la réalité de la pièce telle qu’elle était quand Monet l’occupait.
Un regret : la disparition du très beau tableau de Blanche Hoschédé-Monet qu’on voyait jusqu’à l’an dernier dans la chambre.
Dans le même temps, les estampes japonaises ont été remplacées par des fac-similés dans toute la maison, si bien que la demeure ne contient plus une seule oeuvre authentique, ce qui est sans doute préférable pour des raisons de conservation et de sécurité.
On se consolera avec le mobilier et les objets de décoration, dont la plupart ont appartenu au peintre et à sa famille.
La maison de Claude Monet
Au mois d’avril, la maison de Claude Monet à Giverny se devine derrière les premières feuilles des tilleuls.
A gauche apparaît la verrière de son premier atelier.
Les couleurs fraîches de la façade, rose pâle et vert vif, s’harmonisent à celles des fleurs de printemps.
Du temps de Monet, la pelouse sous les tilleuls était une terrasse ombragée où la famille aimait prendre ses repas en plein air.
Certains des tilleuls sont encore d’origine au vu de leur circonférence.
La cuisine bleue de Monet
C’est la couleur bleue qui domine dans la cuisine que Claude Monet a imaginée à Giverny. A part le sol en tomettes hexagonales de terre cuite rouge, toutes les surfaces déclinent des tons de bleus : azur et bleu pâle pour les meubles, bleu roi pour les carreaux en faience de Rouen qui recouvrent les murs, jusqu’au plafond qui est lui aussi laqué bleu clair.
Très modernes, les placards intégrés occupent tout le mur du fond et offrent un grand volume de rangement.
La couleur froide est réchauffée par le cuivre de la batterie de cuisine qui s’aligne sur le mur. Cette accumulation d’ustensiles laisse deviner un intérieur bourgeois où la chère compte.
La surface de la pièce est en rapport avec le nombre de convives à nourrir chaque jour. On est dix dans la famille Hoschedé-Monet, sans compter le personnel, et on reçoit souvent.
L’épicerie
Dans la maison de Monet à Giverny, une petite épicerie fait suite au salon bleu. C’est une pièce qui fait office d’office, si j’ose dire, pas vraiment un office officiel, plutôt une entrée transformée en épicerie. Ceci explique sa place pas du tout conventionnelle ni pratique, entre salon et atelier. On s’attendrait plutôt à la trouver près de la cuisine, ou à la limite à proximité de la salle-à-manger.
Les couleurs des murs, vert pâle et mauve, ne frappent pas dans ce local, et les jolis meubles ont échappé à la fièvre coloriante qui prévaut ailleurs. Le buffet façon bambou a gardé sa couleur naturelle, de même que les boîtes à oeufs et le vestiaire, en vrai bambou cette fois.
Le salon bleu se traversait en diagonale. L’épicerie, quant à elle, distribue quatre ouvertures, si bien qu’il y avait à l’époque de Monet de multiples façons d’y passer en allant au jardin ou en en revenant. Elle pouvait aussi être plus qu’un corridor, le but d’un trajet depuis le salon pour y chercher ou y déposer quelque chose.
Le charme de cette petite pièce, une de mes préférées dans la maison, tient beaucoup à sa simplicité, sa décoration un peu désuète qui n’en fait pas trop. Surtout, les boîtes à oeufs lui donnent un esprit campagne qui sied bien à la demeure.
Le salon bleu
A gauche de l’entrée de la maison de Monet s’ouvre le salon bleu. Autrefois, c’était un séjour. Aujourd’hui, les visiteurs traversent rapidement la pièce, comme s’il s’agissait d’une antichambre.
On est frappé, dans les maisons bourgeoises du 19e siècle, par la petitesse des volumes. Impossible d’imaginer recevoir dans ce salon. Mais à la campagne, on recevait autour de la table, dans la salle-à-manger.
A part le sol fait de carreaux de ciment dans le goût de l’époque, tout est bleu dans la pièce. Monet avait fait peindre les meubles, les murs et le plafond en bleu pâle. Son mot d’ordre : de la couleur partout, à saturation, presque à l’excès. Des couleurs claires et gaies.
Peints ton sur ton, les meubles se fondent dans les murs. La bibliothèque, un buffet cauchois dans lequel trônent les livres de jardinage, et l’horloge ont l’air de faire partie d’un tout uniforme.
Les deux bleus durs font ressortir le bleu doux des estampes japonaises, dont la collection se poursuit d’une pièce à l’autre à travers une grande partie de la maison.
Par la fenêtre étroite entre un jour parcimonieux. Après le bain de lumière du jardin, il fait sombre dans ce salon ombré par les ifs.
Assailli par toutes ces perceptions visuelles insolites, le visiteur tente d’imaginer la vie de famille dans ce petit salon. Cette fois l’image paraît plus conventionnelle. Alice assise sur le canapé, peut-être en train de coudre ou de lire, avec ses enfants en train de jouer à côté…
Les petites photos disposées ça et là dans le salon ne nous dévoileront rien sur l’usage qui pouvait être fait de cette pièce. Elles racontent des scènes qui se jouent ailleurs, Michel sur un véhicule à moteur qu’on n’ose appeler une automobile, Jacques posant dans son garage, la petite-fille d’Alice avec une poupée… Chacune d’elle apporte davantage de questions que de réponses.
L’entrée
Depuis l’entrée de la maison de Monet, du haut de la véranda, la vue plonge tout droit sous les ifs et les arceaux de la grande allée pour aller buter tout au fond contre le portail et la glycine du pont japonais.
Tout l’après-midi, le soleil dore de ses rayons les capucines et leur donne cette belle teinte chaude.
Par la porte ouverte, le jardin s’invite dans la maison, happé par le miroir. Image virtuelle, reflet du réel : la grande spécialité du maître des lieux.
Un cadeau chat-rmant
Si Gérald van der Kemp dit vrai, ce chat de céramique a dû entrer dans la vie de Monet dans les toutes dernières années de son existence. L’homme qui a fait revivre la propriété de Monet affirme, dans le premier opus de la brochure « Une visite à Giverny », que le bibelot a été offert au maître de l’impressionnisme par Pierre Sicard.
D’où tient-il cette information, d’un document ? d’un témoignage verbal ? Mystère. Mais l’affaire semble plausible, et il ne l’a certainement pas inventée.
Pierre Sicard, né en 1900 et mort en 1980, est un peintre post-impressionniste qui a aimé, au début de sa carrière, prendre pour motif le Paris des Années folles, des cabarets de Pigalle aux représentations plus gourmées de l’Opéra. Ami de Jean Renoir, le cinéaste fils du peintre Pierre-Auguste Renoir, lui-même ami intime de Monet, il n’est pas impossible qu’il se soit vu invité un jour à Giverny.
J’imagine la scène. « Tu viendras avec nous dimanche chez Claude Monet ! », lui a annoncé Jean Renoir, et voilà le jeune Pierre Sicard, peut-être impressionné, intimidé, fébrile, face à un problème épineux : quel cadeau apporter au patriarche de Giverny ?
Dans le genre casse-tête, celui de la fête des mères, c’est de la rigolade à côté. Bien sûr, on peut toujours se rabattre sur les présents les plus conventionnels, les fleurs et les gourmandises. Pierre Sicard écarte cette solution de facilité. Il ne veut pas donner l’image d’un homme sans imagination.
Connaissant le penchant de Monet pour le japonisme, ses pas le mènent vers un marchand spécialisé dans les objets orientaux. Pas facile de choisir une estampe, le maître en a déjà tant, et il a le goût si sûr… C’est alors que Sicard avise un chat de faïence qui paraît dormir sur une étagère. Il sourit. Le voilà, son cadeau ! Il lui donnera l’occasion d’une pointe d’humour : ce chat-là ne fera pas de mal aux massifs de fleurs si chers à Claude Monet !
Qu’a pensé Monet en déballant le paquet ? A-t-il rapproché l’animal endormi des chats figurés sur certaines estampes japonaises de sa collection, discret chat regardant par la fenêtre, énorme chat d’un décor de théâtre ?
Peut-être que les oreilles roses du minou ont capté des cris de surprise et d’admiration. Nul doute que Blanche Hoschedé Monet l’a trouvé adorable avec son petit noeud.
Bref, le chat a été adopté. Il a trouvé sa place dans la maison, peut-être d’abord dans l’atelier, aujourd’hui dans la salle à manger de Monet, où il continue de dormir du sommeil du juste pelotonné sour son coussin rose, pile à la hauteur des yeux des enfants.
Boîte
Une belle boîte posée dans le cabinet de toilette de Monet intrigue les visiteurs. Elle a une forme curieuse, elle est faite avec beaucoup de soin, en cuir, et la patine de la matière indique son ancienneté. A quoi sert-elle ?
Oh bien sûr, si vous avez l’habitude de chiner, vous l’avez reconnue tout de suite. On en trouve parfois, vide ou non, avec ou sans leur délicieuse petite clé… Vous avez deviné ?
C’est une boîte à chapeau, mais pas n’importe lequel. Un haut de forme.
C’était à la Belle Epoque le chapeau chic, l’accessoire masculin indispensable dans la bonne société, qui pouvait être gris le jour, mais toujours noir le soir.
Quand il était à Giverny, Monet rangeait certainement son haut de forme dans sa boîte. C’était un chapeau social, citadin. Malgré son goût pour les beaux vêtements, Monet portait un chapeau plus mou dans sa campagne.
Mais, de temps en temps, une cérémonie ou une soirée parisienne lui fournissait l’occasion de tourner la petite clé et d’extraire le chapeau retourné de son cocon de soie.
Monet se devait de posséder un chapeau haut de forme, la marque d’appartenance à la bonne société. Issu d’un milieu bourgeois, marié à une grande bourgeoise, il connaissait les codes, et n’avait nullement l’intention de passer pour un peintre bohème.
A voir la boîte, on se dit que ça devait coûter une petite fortune, un haut de forme. Un vrai gadget bling-bling.
Chaise de bureau
La rentrée approche, et avec elle l’heure de troquer la chaise longue pour la chaise de bureau.
Celle que voici se trouve dans la maison de Claude Monet, dans son salon-atelier. Elle est placée devant l’un des bureaux Napoléon III du peintre, au même endroit qu’il y a cent ans.
Voilà l’idée que l’on se faisait d’une chaise de bureau confortable à l’époque de Monet. J’ai toujours été intriguée par ses pieds décalés, deux d’entre eux dans l’axe de la personne assise.
Je viens de trouver une explication à cette bizarrerie dans le « Guide des meubles et des styles » de Françoise Deflassieux, éditions Solar (p.273). L’idée n’était pas nouvelle au 19e, elle avait plus d’un siècle.
Sous une illustration présentant un siège canné Louis XV, lui aussi avec les pieds décalés, l’auteur précise que « le fauteuil de bureau est conçu en vue d’un maximum de confort d’assise pour l’homme devant rester de longues heures à sa table de travail : dossier très enveloppant et jambes légèrement écartées de part et d’autres du pied central.
Je ne sais pas ce que vous en pensez, messieurs. Perso, ça ne me dit rien qui vaille. Ça ressemble plutôt à un instrument de torture pour empêcher les gens de plume de se balancer sur les pattes arrières du siège, histoire de leur couper les ailes.
La preuve que ce n’était pas une bonne idée ? On l’a fichue aux orties et on a inventé les sièges de bureau à roulettes !
La chambre de Claude Monet
La visite de la maison de Monet à Giverny fait entrer dans l’intimité familiale du peintre. Nulle part ailleurs on ne se sent aussi proche de l’homme qu’il a été, travaillant et vivant dans une demeure patiemment décorée par ses soins, reflet de ses goûts, d’un mode de vie, d’une époque.
Une des pièces où se manifeste le plus ce sentiment d’intimité, c’est bien sûr sa chambre à coucher. Que faisons-nous là ? Ne sommes-nous pas un peu indiscrets ? Plus de quatre-vingts ans après la mort du maître dans ce même lit, il paraît encore habiter la chambre.
Peu de personnes y étaient admises, mais il arrivait à Monet d’y conduire ses visiteurs. C’est qu’il avait accroché dans cette pièce sa propre collection d’oeuvres offertes, échangées ou achetées à des artistes amis.
A son époque, les murs de la chambre étaient couverts de trente-cinq toiles accrochées les unes à côté des autres. On y voyait douze Cézanne, quatre Renoir, et des oeuvres de Sisley, Pissarro, Boudin, Delacroix, Jongkind, Morisot, Signac, Caillebotte, Chéret, Guys, Carolus Duran… Ces oeuvres sont conservées aujourd’hui au Musée Marmottan-Monet à Paris.
On accède à la chambre de Monet par un escalier très raide, aussi pentu qu’une échelle de meunier. La place ne manquait pas, pourtant, pour faire un escalier plus facile à gravir.
Monet a installé sa chambre et son cabinet de toilette au-dessus du salon-atelier, cette grange transformée à son arrivée à Giverny en atelier, puis devenue salon-fumoir après la construction du deuxième atelier. Le peintre pouvait ainsi passer aisément de l’un à l’autre, à n’importe quelle heure.
A l’entrée dans la chambre, celle-ci étonne par ses dimensions. C’est une vaste pièce presque aussi grande que l’atelier, par la force des choses. Monet, pourtant, y dormait seul. Dans les familles bourgeoises, on copiait l’aristocratie : de même que les châteaux disposaient d’appartements distincts pour le châtelain et la châtelaine, chez les bourgeois, Monsieur et Madame faisaient chambre à part. Ce n’est pas Alice qui devait s’en plaindre, vue l’habitude de Monet de se lever dès quatre heures et demie ou cinq heures du matin. Qu’on se rassure, une porte de communication reliait la suite de Monet à celle de sa femme.
La chambre est éclairée de trois baies donnant sur le jardin, devant lesquelles le soleil tourne du milieu de la matinée jusqu’au soir. C’est la pièce la plus lumineuse de la maison.
Irrésistiblement attiré, on s’approche. Le jardin s’étire comme un tapis, emplissant le paysage. A part lui, on ne voit rien. Monet surveillait-il à l’occasion ses jardiniers depuis ce poste de guet ? Il devait se régaler en tout cas de la vue qu’il s’était organisée, les allées qui se coupent à angle droit, les pelouses sous les cerisiers du Japon, et surtout les masses de fleurs exubérantes et colorées du printemps à l’automne. A l’arrière-plan, les arbres du jardin d’eau élèvent l’écran de leur masse verte.
Le mobilier de Monet
J’en rêvais depuis longtemps : la Fondation Claude Monet vient de m’autoriser à prendre des photos dans la maison du peintre à Giverny. Je me réjouis de pouvoir parler enfin de cette demeure merveilleuse, unique, qui mérite quelques explications pour être mieux appréciée.
A Giverny, on est non seulement dans les murs, mais aussi dans les meubles de Monet. Tout est resté en place après la mort du maître, d’abord pieusement conservé par sa belle-fille Blanche, puis, comment dire ? oublié ? abandonné ? par son fils Michel, qui avait fait sa vie ailleurs.
Malgré le délabrement de la maison au moment où l’Académie des Beaux-Arts l’a reçue en 1966, on a pu restaurer le mobilier de Monet. Quand, pour certaines pièces en trop mauvais état, cela n’a pas été possible, le directeur Gérald van der Kemp a cherché des meubles de la même époque et du même style pour remplacer les meubles manquants. Il avait acquis une grande expérience de ce travail en remeublant patiemment le palais de Versailles.
Le résultat est saisissant. On est projeté tout à la fois il y a cent ans et dans la vie quotidienne de Claude Monet.
Voici un aspect du salon que Monet s’est installé dans son premier atelier, lorsqu’il s’est fait construire le deuxième et qu’il a pu récupérer cet espace situé au rez-de-chaussée de la maison principale pour son usage personnel.
Largement baigné de lumière par la grande verrière à l’ouest, le salon lui servait de fumoir, cette pièce réservée aux hommes où ceux-ci se rendaient après le repas pour griller une cigarette ou tirer sur leur cigare. Fumer, alors, était considéré comme un signe de distinction. On ignorait les dangers du tabac, qui a fini par venir à bout des poumons de Monet.
Une grande photo montre Monet debout au milieu de cette pièce, et c’est comme un jeu des sept erreurs de comparer son aspect d’aujourd’hui avec celui qu’elle avait de son vivant. On s’aperçoit que la chaise en rotin, la petite table pliante, le bureau sont les mêmes. C’est moins sûr pour le canapé et la méridienne, placés au même endroit mais pas tout à fait semblables.
Si Monet revenait, il retrouverait ses marques, à une exception près : la pièce n’empeste plus le tabac. Comme de photographier, il est maintenant interdit de fumer dans la maison.
Dimensions de la maison de Monet
Ce ne sont pas toujours les questions les plus simples auxquelles il est le plus facile de répondre. Mais j’ai enfin trouvé la bonne personne à qui demander les dimensions de la maison de Monet. Celle-ci mesure 43 mètres de long par 5 mètres de large.
Sur deux niveaux, on obtient 430 mètres carrés, auxquels il faut rajouter un bout de grenier qui a servi de chambre.
430m2, cela semble spacieux à première vue, mais pour loger dix personnes c’est tout de suite moins excessif. D’autant qu’un grand bout de cet espace, le premier atelier, est réservé à l’usage professionnel.
Surtout, à l’arrivée des Monet-Hoschedé à Giverny, la maison est nettement plus petite. C’est Monet qui a poussé les murs en ajoutant une extension de chaque côté. Ce faisant, il a déséquilibré la forme générale de la maison, démesurément longue pour sa profondeur. A l’étage, avec toutes les pièces en enfilade et le plancher de bois, on se croirait sur le pont d’un bateau.
Le raccord entre la maison d’origine et les extensions est encore lisible dans la taille des fenêtres. Le maître de la lumière les veut plus grandes que celles d’origine. Sur la photo, la fenêtre de gauche fait partie du corps principal de la maison, celle de droite a été dessinée par Monet. Habilement, les petits bois reprennent la forme des fenêtres voisines plus étroites, pour garder une harmonie. On remarque toutefois la taille plus grande des persiennes, et même un changement dans les garde-corps. Monet recherchait la simplicité.
A l’intérieur, la différence est notable. Les nouvelles pièces créées par Monet sont lumineuses, celles d’origine restent sombres même par beau temps.
On notera aussi que Monet n’a pas cherché à aligner les ouvertures de l’étage avec celles du rez-de-chaussée. C’est ce léger décalage dans l’emplacement des ouvertures qui donne tout leur charme aux maisons anciennes.
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