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Hommage aux Résistants de Vernon
A l’entrée du pont sur la Seine côté ville, une plaque évoque la Libération de Vernon :
Ville de Vernon, Eure
Très durement éprouvée en juin 1940 par plusieurs violents bombardements, a organisé très tôt la résistance contre l’occupant, accueillant les aviateurs alliés, publiant un journal clandestin, réussissant, malgré l’activité des agents de l’ennemi, à grouper et à armer 345 hommes qui firent sauter le pont de la Seine, libérèrent la ville le 19 août 1944 et la défendirent contre les assauts répétés de l’ennemi sans aucune aide extérieure jusqu’à l’arrivée des troupes anglaises le 26 août 1944.
Cette citation comporte l’attribution de la croix de guerre avec palme.
Les huit cents ans de Saint Louis
Huit siècles tout rond depuis la naissance le 25 avril 1214 de Louis IX, seul roi de France canonisé, et même pas un petit Doodle pour le célébrer. Cela ne fait plus recette d’être saint de nos jours, à moins peut-être d’être pape !
Saint Louis touche à l’histoire de Vernon à plusieurs reprises. Ses parents Louis VIII et Blanche de Castille s’étaient mariés tout à côté, à Port-Mort, sous le règne de Philippe-Auguste. Saint-Louis fait de fréquents séjours à Vernon et donne à la ville son blason, les trois bottes de cresson couronnées de fleurs de lys.
Fidèle à sa réputation, le bon roi ne peut supporter de voir le sort réservé aux malades confinés sur une île insalubre : il fait construire un Hôtel-Dieu à l’intérieur des remparts.
Lui-même membre du Tiers-Ordre de Saint-François, il établit dans une grotte de la colline de Vernonnet une petite confrérie franciscaine. J’habite, à l’Hermitage, la maison construite plusieurs siècles plus tard par les moines au pied de la colline.
J’aime à me représenter saint Louis comme une personne charismatique. Il y a dans sa pratique de la charité un geste d’une stupéfiante modernité : l’étreinte. Il serrait les malades contagieux dans ses bras. Selon des recherches citées je crois par Christophe André, l’étreinte de face est le geste le plus réconfortant qui soit. S’il vivait aujourd’hui, Louis s’engagerait pour les personnes atteintes du Sida. Il offrirait des free hugs.
Louis IX a sans conteste été un roi très vertueux, peut-être même à l’excès. Mais comment devient-on un saint ? Qu’est-ce qui fait passer de la grande piété à cette dimension supérieure qu’est la sainteté ? C’est une chose qui nous échappe, ce souffle venu d’en haut qui porte toute une vie, une chose tellement extraordinaire qu’il faut pour la dire faire intervenir le merveilleux.
Le « Livre des faits de Monseigneur saint Louis », magnifique manuscrit enluminé du 15e siècle, relate le premier miracle attribué au jeune Louis. Un miracle très savoureux.
A neuf ou dix ans, Louis avait bien fait siens les principes de sa mère de donner aux indigents. Voir les pauvres souffrir de la faim le peinait tant qu’un jour, il se glisse dans la cuisine du roi son père et y subtilise un chapon qu’il cache sous son vêtement pour le porter aux démunis. Sa manoeuvre est si peu subtile que petit Louis se fait instantanément pincer par le cuistot. Le maître-queux de son père se fâche et
l’emmena devant le roi. Ce dernier interrogea incontinent monseigneur saint Louis sur ce qu’il portait en sa robe, laquelle lui fut abaissée pour le voir ; par miracle de Dieu on ne trouva que roses au lieu du dit chapon. Le roi commanda au maître-queux que dorénavant il le laissât prendre ce qu’il voulait pour les pauvres, connaissant la bonne intention et la ferveur de son fils.
Voilà un miracle qui depuis a dû faire rêver plus d’un gamin aux intentions peut-être moins louables, pris en flagrant délit de chapardage…
Portrait de saint Louis peint en l’âge de 13 ans
An 1226 et dont l’original se garde en la sainte chapelle de Paris.
Musique impressionniste
Si vous avez déjà visionné un diaporama sur Giverny, une vidéo, ou même vu le jardin de Monet au journal télévisé, vous le savez : le fond sonore habituel des images impressionnistes, c’est la musique de Claude Debussy. En particulier « Les reflets dans l’eau », extraits du premier cycle d’Images composé en 1905.
On ne peut pas trouver mieux, en effet. Musique impressionniste par excellence, elle s’attache, selon les dires mêmes de son compositeur, à suggérer des images de bassin et de reflets.
Debussy n’est pas le seul, toutefois, à avoir cherché à rendre des impressions et des images par les notes et les accords. Le musée de Vernon vous propose d’entendre jouer cette musique évocatrice et descriptive d’inspiration impressionniste signée Ravel, Liszt, Fauré, Saint-Saëns, et même Trenet et Strauss, les dimanches 16 juin, 23 juin et 7 juillet à 16h30. Le tarif est celui d’entrée du musée.
Ces concerts de piano et musique de chambre sur le thème de l’eau s’inscrivent dans le cadre du festival Normandie impressionniste 2013.
N’oubliez pas d’arriver largement en avance pour voir la très belle expo du musée, « Vernon et les bords de Seine au temps des impressionnistes ». Un dimanche après-midi d’une totale harmonie.
Photo : Nymphéas et pétales de glycine sur le bassin de Monet à Giverny, 6 juin 2013
Vernon dans les Misérables
Si votre dernière lecture des Misérables remonte aussi loin que la mienne, vous avez probablement oublié que Victor Hugo situe une partie de l’intrigue à Vernon. Pour faire simple, c’est là que demeure le père de Marius.
Cet épisode nous vaut une description des plus charmantes de la ville vue côté Seine.
Quelqu’un qui aurait passé à cette époque dans la petite ville de Vernon et qui s’y serait promené sur ce beau pont monumental auquel succédera bientôt, espérons-le, quelque affreux pont en fil de fer, aurait pu remarquer, en laissant tomber ses yeux du haut du parapet, un homme d’une cinquantaine d’années coiffé d’une casquette de cuir, (…) se promenant à peu près tout le jour, une bêche ou une serpe à la main, dans un de ces compartiments entourés de murs qui avoisinent le pont et qui bordent comme une chaîne de terrasses la rive gauche de la Seine, charmants enclos pleins de fleurs desquels on dirait, s’ils étaient beaucoup plus grands : ce sont des jardins, et, s’ils étaient un peu plus petits : ce sont des bouquets. Tous ces enclos aboutissent par un bout à la rivière et par l’autre à une maison.
Victor Hugo, Les Misérables, Troisième partie – Marius – Livre troisième – Le grand-père et le petit-fils – Chapitre II – Un des spectres rouges de ce temps-là.
Je ne garantis pas cette vue de Vernon prise sur le motif, car il n’est pas sûr que le grand littérateur s’y soit arrêté. Je crois me souvenir qu’il n’a fait que voir la ville du train, c’est-à-dire fort peu.
Les Misérables sont parus en 1862, une époque où la quasi totalité des fortifications de Vernon était déjà démolie. Y a-t-il eu à leur place, pendant quelques temps, de petits enclos potagers ? Vingt ans plus tard, quand Monet peint la collégiale en 1883, on n’en voit aucun.
Et aujourd’hui, on a du mal à imaginer des terrasses et des enclos le long de la Seine, que ce soit au pied de la collégiale ou de l’autre côté du pont. Mais le niveau de l’eau était plus bas, et s’agissant de mouchoirs de poche…
Bourdaloue
Ce qu’on attend d’un guide, c’est qu’il vous fasse découvrir des choses que vous n’auriez pas vues sans lui. Un vrai challenge pour les conférenciers bénévoles des Journées du Patrimoine qui parlent de leur propre ville à un public largement composé de fins connaisseurs de celle-ci.
Pour moi, cette année, le morceau de choix se nommait Bourdaloue.
Si vous êtes gourmand, vous avez déjà à la bouche un goût de poire et d’amande, principaux ingrédients de la tarte Bourdaloue. Mais c’est mettre la charrue avant les boeufs, car ce Bourdaloue-là n’est qu’une conséquence des précédents dans l’ordre chronologique, à venir dans ce billet. Vous ne comprenez rien ? Patience ! Ce n’est pas encore l’heure du dessert !
Samedi dernier, nous nous trouvions donc avec Jean Baboux, historien vernonnais, à l’arrière de la collégiale de Vernon, quand celui-ci nous montre un insignifiant petit cercle métallique inséré dans le bas de la muraille, qui ressemblait à un tuyau bouché.
Observé de plus près, il révèle une information intéressante : altitude 17 mètres.
C’est l’un des repères du Nivellement Général de la France réalisé entre 1857 et 1864 par Paul-Adrien Bourdaloue. Sept ans pour accomplir un travail de titan, mesurer l’altitude de 15 000 points en France, de proche en proche.
Le niveau zéro est pris à Marseille, car la Méditerranée n’a presque pas de marées. Ces repères ont été fixés sur des bâtiments publics aussi immuables que possible. Le calcul était autrefois exact au centimètre près. Depuis, les repères ont été remplacés et l’altitude a été arrondie au mètre. L’inscription aujourd’hui largement rongée précisait « Nivellement général de la France au-dessus du niveau moyen de la mer. »
Ce Paul-Adrien Bourdaloue, conducteur des Ponts et Chaussées à qui l’on doit aussi le calcul prouvant que la Méditerranée et la mer Rouge sont à la même altitude, était de la famille d’un autre Bourdaloue, encore bien plus illustre : Louis Bourdaloue.
Louis Bourdaloue vivait deux siècles plus tôt, à l’époque de Louis XIV. Jésuite né en 1632, prédicateur du roi, il était une vraie star en son temps, où l’on aimait les beaux sermons. A en croire la marquise de Sévigné, ceux qui voulaient à tout prix assister au prêche du Vendredi Saint envoyaient leurs laquais occuper leurs places dans l’église dès le mercredi…
Le jour venu, les fidèles étaient tellement tassés qu’il ne fallait pas songer à sortir cinq minutes pendant les homélies de Bourdaloue, qui duraient plusieurs heures. Les dames avaient donc pris l’habitude de s’équiper d’un mini pot de chambre portatif, bien vite surnommé un bourdaloue.
C’est là que notre guide, joignant le geste à la parole, a sorti de son sac l’un de ces fameux bourdaloues, pour le brandir devant nos yeux ébahis. On en trouve toujours dans les brocantes, où par ignorance on vous le vendra peut-être comme saucière pour une bouchée de pain !
Comme les stars d’aujourd’hui, le look de Bourdaloue était copié. Le grand prédicateur portait un chapeau à ruban. Les modistes appellent toujours ce type de ruban un bourdaloue.
Une telle célébrité méritait bien qu’on attribuât à Bourdaloue le nom d’une rue parisienne. C’est dans cette rue Bourdaloue qu’un pâtissier inventa vers 1900 la tarte frangipane-poire, devenue depuis la tarte Bourdaloue.
Roses trémières
La simplicité rustique des roses trémières fait bon ménage avec les maisons à colombages de la rue Potard à Vernon.
Cette rue médiévale, une des plus anciennes de la ville, vient d’être refaite et rendue piétonne. Des espaces ont été aménagés dans le revêtement pour laisser aux roses trémières la place de pousser.
Alignées en gros bouquets devant les maisons, les longues tiges couvertes de corolles de couleur vive ont toujours un effet spectaculaire. Elles ajoutent encore au charme de cette rue qui a gardé tout son caractère.
Guénar et florette
L’énorme trésor d’Evreux dont voici la petite portion présentée au musée de l’Evêché, date de l’époque gallo-romaine et n’a jamais été étudié en détail. C’est dommage, car c’est incroyable tout ce que les érudits arrivent à faire dire à quelques pièces de monnaie. Alors a fortiori un tel magot !
Je suis tombée aujourd’hui sur une analyse publiée par le Cercle d’Etudes Vernonnais en 1995 sur le trésor de Vernon. Vous pensez que la numismatique vous ennuie ? L’auteur, Jens Christian Moesgaard, est de taille à vous faire changer d’avis. Son enquête est aussi palpitante qu’un roman policier. Résumé du début :
Le trésor de Vernon, conservé au musée A.G. Poulain, a été découvert à l’occasion de la démolition d’une vieille maison en centre ville, il y a de cela une bonne centaine d’années. Il se compose de 149 pièces de monnaies, qu’on peut classer en deux catégories : les guénars et les florettes. Jolis noms, n’est-ce pas ? Qui nous sont totalement inconnus aujourd’hui parce que ce sont les pièces qui avaient cours au début du 15ème siècle, nettement avant les sols, les pistoles et les livres qui nous sont plus familiers grâce à Molière.
La première question est de savoir quand le trésor a été caché, donc de trouver la pièce la plus récente dans le tas. C’est, nous renseigne l’auteur, une émission du 19 septembre 1419. Vous apprécierez la précision. Or le trésor ne comporte aucune pièce d’une émission très proche dans le temps, du 25 septembre 1419, et dans l’espace, à Rouen, signe indubitable que l’enfouissement du trésor a eu lieu à l’automne 1419.
Après le quand, le pourquoi. Il y a deux raisons de cacher ses sous, on devine aisément lesquelles. Soit ce sont des économies, une cagnotte constituée patiemment et qu’on ne veut pas se faire voler, façon bas de laine ou billets sous le matelas. Soit un danger menace et on cache en vitesse le contenu de sa bourse. Comment fait-on la différence ?
Dans le cas où il s’agit d’une cagnotte, le propriétaire conserve de préférence des grosses pièces dont les émissions s’étalent sur une longue période. S’il s’agit d’une urgence dans une période troublée, on va trouver des pièces de moindre valeur et surtout des émissions récentes.
Dans le cas du trésor de Vernon, c’est la seconde hypothèse qui est la plus probable. En 1419, on est à un tournant de la Guerre de Cent Ans. Les Anglais repoussés quelques décennies plus tôt par du Guesclin reviennent à la faveur d’une guerre civile en France entre deux prétendants au trône. En 1419 ils reprennent Vernon.
Lion d’or
Quand il voyageait, Victor Hugo, qui a beaucoup parcouru la Normandie, tâchait toujours de passer la nuit à l’Hôtel du Lion d’or : on en trouve dans chaque ville ou presque.
A votre avis, pourquoi cette fixation sur ce noble animal ?
Vous donnez votre langue au chat ?
Parce qu’il aimait les calembours, et que dans le lit on dort.
Bonne nuit !
Annonciation
Scène de l’Annonciation, poteau cornier du musée de Vernon. 15ème siècle
Regardez la bouche ouverte et les yeux écarquillés de Marie. Rarement les Annonciations mettent à ce point en scène le saisissement.
Qu’était en train de faire la Vierge, contre ce meuble à l’usage indéfinissable que l’on aperçoit à droite ? Était-elle occupée à son ouvrage, comme on aimait la représenter au Moyen-Âge, ou à une pieuse lecture, comme on l’imagine plus tardivement ? Ce qui est certain c’est que Marie ne s’attendait pas à une apparition surnaturelle. Et voici qu’elle entend une voix d’ange…
Le phylactère portant les paroles de l’archange Gabriel est visible au niveau de son oreille. Mais l’ange, elle ne le voit pas.
Ce n’est pas tout à fait conforme aux textes, puisque l’ange, est-il précisé, parut à Marie. Mais quelle habileté dans cette utilisation du poteau cornier ! Marie se trouve sur un côté du poteau, l’ange de l’autre. Ils ne peuvent se voir. L’angle matérialise la frontière entre l’humain et le surnaturel. Ce n’est pas une barrière. Rien qu’un angle, une question de point de vue.
Dans les représentations de l’Annonciation on retrouve très souvent un objet pour marquer cette frontière : une colonne, un vase, le bord d’un meuble… Ici l’artiste s’est servi du relief du poteau cornier.
Marie ne peut voir l’ange de l’autre côté du poteau, mais en nous plaçant face à cet angle nous pouvons embrasser d’un coup d’oeil les deux personnages. Nous avons alors un point de vue qu’on pourrait imaginer être celui de Dieu, qui voit aussi bien le rationnel que l’irrationnel. Comme si l’artiste nous donnait à voir qu’il faut dépasser ce que nos sens perçoivent pour entrer dans une dimension divine.
Ville verte
La ville de Vernon est plus étendue que celle de Rouen ! J’ai découvert cette information assez surprenante sous la plume de son ancien maire, Georges Azémia, sans doute bien placé pour être au fait des chiffres : Vernon a une superficie de 3206 hectares, contre seulement 2138 hectares pour Rouen.
Bien sûr, c’est triché. Car on a inclus dans le calcul de la superficie de Vernon deux des forêts qui la bordent, la forêt de Bizy et la forêt de Vernon.
Vous voyez la colline couverte d’arbres à l’arrière-plan de la photo ? Prétendre que c’est la ville de Vernon, évidemment, c’est un peu excessif.
Mais en même temps, englober ces espaces verts dans le total de la superficie de la ville, c’est affirmer le vert présent dans son Vert-Nom et dans sa devise, Vernon toujours vert.
Les exclure, cela aurait été un peu faux aussi, non ?
Maire de la Reconstruction
Sans vouloir minimiser les responsabilités et les enjeux auxquels sont confrontés les maires d’aujourd’hui et ceux qui prendront leurs fonctions dans quelques jours, il est des premiers magistrats qui ont dû faire face à une tâche colossale, une oeuvre dictée par des circonstances qui, souhaitons-le, ne se reproduiront pas : ce sont les maires de la Reconstruction.
En Normandie de nombreuses villes ont été en grande partie détruites par les bombes et l’incendie pendant la seconde Guerre Mondiale. Vernon est de celles-ci.
Après la Libération est venu le temps de la Reconstruction. Elle était pilotée par l’Etat, mais les élus avaient leur mot à dire.
Une ville à rebâtir, pas moins. Comment s’y prend-on ? De quels facteurs faut-il tenir compte ? Comment construire pour l’avenir, prévoir les besoins futurs ?
La société savante de Vernon, le Cercle d’Etudes Vernonnais, a publié dans son dernier bulletin un document exceptionnel, une pépite : un long article daté de 1966 écrit par Georges Azémia, maire de Vernon de 1946 à 1983, et paru à l’époque dans la revue Réalisations du bâtiment et des travaux publics.
Malgré le titre assez rébarbatif de cette publication, il a la plume chaleureuse, Azémia, le ton amical de quelqu’un qui écrit à un ami, genre la Reconstruction expliquée à ma fille.
« Quel serait l’avenir de la ville ? L’optique du moment n’était pas favorable aux larges visions. Une évolution démographique se dessinait. En haut lieu et partout, on la considérait comme passagère, séquelle de la guerre, des retrouvailles… alors qu’elle allait être un phénomène constant. »
Depuis 1946 la population de Vernon a plus que doublé. A force de lire l’Histoire après coup on oublie qu’elle n’allait pas de soi pour ceux qui la vivaient.
On oublie aussi la somme de décisions qu’il a fallu prendre pour donner à la ville son visage actuel. Créer un quartier ici, ouvrir des voies, penser aux équipements, aux commerces… Le récit d’Azémia a tout de Sim City, ce jeu de simulation où vous devez bâtir une ville… sans rien oublier. Mais pour le maire de la Reconstruction il s’agit d’urbanisme grandeur réelle qui conditionne l’avenir de toute une population. Des concitoyens impatients de quitter les baraquements pour de vrais logements, d’avoir l’eau courante et l’électricité, des écoles pour y envoyer les enfants, un lycée, un hôpital, une piscine…
Ce fut vraiment une époque exaltante où la décision s’imposait rapide afin de concilier la vie quotidienne et assurer l’avenir.
Mettez-vous un instant à sa place. Vous devez, par exemple, décider si vous voulez des rues larges ou étroites dans le centre ville.
Les concevoir larges était une erreur, disait-on. Des villages, reconstruits après 1914, étaient cités en exemple. Le commerce avait diminué, il n’y avait plus d’intensité de vie. Là encore il faut se plonger dans le climat du temps. Les problèmes de circulation et de stationnement ne se posaient pas car le parc automobile était assez restreint et l’essence était attribuée contre remise de bons délivrés avec parcimonie. (…) Les plus audacieux ne prévoyaient pas un pareil développement de la circulation.
Et Azémia écrit il y a plus de quarante ans ! Avec le recul, il a des regrets, comme celui de n’avoir pas fait les rues tout à fait assez larges. Mais il est le premier à s’en dédouaner :
Tout cela appartient au passé et les hommes ont droit à l’erreur.
L’oeuvre sans doute est imparfaite mais le pari est gagné. Comme un enfant qui se révèle différent de ce qu’on a rêvé Vernon est renée de ses cendres et s’est développée. Elle a ses défauts, bien sûr, mais j’aime en me promenant dans ses rues sentir derrière tout ce qui paraît si évident aujourd’hui, dans la disposition des pâtés de maison, le choix des matériaux pour les façades, toute la chaleur de ces hommes de la Reconstruction qui ont donné de leur temps et de leur énergie jusqu’au surmenage pour recréer leur ville.
Enseigne
Quand il fait un beau ciel bleu à Vernon, les poissons de cette enseigne de poissonnier ont l’air de se trouver dans l’eau à danser la sarabande et faire des bulles…
Le nez en l’air c’est amusant de guetter ces illustrations pleines de fantaisie qui s’avancent en porte-à-faux et parfois se balancent au-dessus des têtes des passants.
Château des Tourelles
Le château des Tourelles se dresse depuis le 12e siècle sur la rive droite de la Seine, face à Vernon.
Sa mission était de défendre le pont qui reliait les deux rives, un des très rares points de passage du fleuve en Normandie.
Le château des Tourelles a-t-il été construit par le duc-roi de Normandie du temps où la ville était normande ou, à peine plus tard, par Philippe-Auguste quand elle est devenue française ? Quoi qu’il en soit Vernon restait ville frontière et demandait à être fortifiée.
Le souverain n’a pas lésiné sur les moyens pour assurer la sécurité du pont et de la petite cité : un donjon composé d’un corps carré flanqué de quatre tourelles d’angle de 18 mètres de haut, le tout entouré de fortifications qui ont aujourd’hui disparu.
Avec la Tour du château de Vernon, l’actuelle tour des Archives, qui dominait la rive opposée de ses 22 mètres et les solides murailles qui entouraient la ville, la place n’était pas facile à prendre !
Au fil du temps la tête de pont a perdu sa vocation défensive.
Au 18e siècle, une époque où le blé était gardé aussi précieusement que de l’or, les Tourelles ont été incorporées dans une minoterie. Les solides murs du château protégeaient les sacs de grain et de farine. A la Révolution le propriétaire de la minoterie a été accusé d’affamer le peuple et a failli être pendu. Il a dû prendre la fuite.
Le château a ensuite servi d’annexe à une tannerie, puis le domaine est devenu un jardin d’agrément et enfin aujourd’hui, un centre de loisirs.
Entre-temps la deuxième guerre mondiale l’a sérieusement endommagé en lui arrachant une tour, celle du milieu sur la photo. Elle a été reconstruite récemment, mais cette fois plus question de lui faire des murs de pierre de 2m50 d’épaisseur : on a mis en oeuvre des éléments circulaires préfabriqués en béton, recouverts d’un parement de pierre. Des petits trous aménagés dans la paroi apportent un éclairage naturel qui sera sûrement bien agréable le jour où on voudra trouver un nouvel usage au château des Tourelles. Pour l’instant, comme le vieux moulin et la tour des Archives, le monument se contente de sa fonction décorative.
Les fables de Florian
Quand on dit fable, on pense La Fontaine. Mais s’il est le plus connu des fabulistes de langue française, il n’est pas le seul. Jean-Pierre Clarisse de Florian, ou Florian pour faire court, a su lui aussi se servir d’animaux ou de types humains pour dégager des morales. Certains de ses vers sont passés dans le langage courant sous forme d’expressions ou de proverbes. « Eclairer sa lanterne » vient du Singe qui montre la lanterne magique, le Grillon a laissé « pour vivre heureux vivons cachés », Le vacher et le garde-chasse se termine par la morale connue, « Chacun son métier, Les vaches seront bien gardées ».
Florian a beaucoup fréquenté Vernon. Il était le secrétaire particulier du duc de Penthièvre, le seigneur de Vernon, qui l’aimait beaucoup.
Je dédie respectueusement cette fable à mes clients d’aujourd’hui, tous deux âgés et handicapés, et qui, en s’épaulant l’un l’autre, ont encore la vigueur de partir à la découverte de la planète.
Laveugle et le paralytique
Aidons-nous mutuellement,
La charge des malheurs en sera plus légère ;
Le bien que l’on fait à son frère
Pour le mal que l’on souffre est un soulagement.
Confucius l’a dit ; suivons tous sa doctrine :
Pour la persuader aux peuples de la Chine,
Il leur contait le trait suivant.
Dans une ville de l’Asie,
Il existait deux malheureux,
L’un perclus, l’autre aveugle, et pauvres tous les deux.
Ils demandaient au ciel de terminer leur vie ;
Mais leurs cris étaient superflus,
Ils ne pouvaient mourir. Notre paralytique,
Couché sur un grabat dans la place publique,
Souffrait sans être plaint ; il en souffrait bien plus.
L’aveugle, à qui tout pouvait nuire,
Était sans guide, sans soutien,
Sans avoir même un pauvre chien
Pour l’aimer et pour le conduire.
Un certain jour il arriva
Que l’aveugle, à tâtons, au détour d’une rue,
Près du malade se trouva ;
Il entendit ses cris ; son âme en fut émue.
Il n’est tels que les malheureux
Pour se plaindre les uns les autres.
J’ai mes maux, lui dit-il, et vous avez les vôtres,
Unissons-les, mon frère ; ils seront moins affreux.
Hélas ! dit le perclus, vous ignorez, mon frère,
Que je ne puis faire un seul pas :
Vous-même vous n’y voyez pas :
A quoi nous servirait d’unir notre misère ?
A quoi ? répond l’aveugle ; écoutez : à nous deux
Nous possédons le bien à chacun nécessaire ;
J’ai des jambes et vous des yeux :
Moi, je vais vous porter ; vous, vous serez mon guide,
Vos yeux dirigeront mes pas mal assurés :
Mes jambes, à leur tour, iront où vous voudrez.
Ainsi, sans que jamais notre amitié décide
Qui de nous deux remplit le plus utile emploi,
Je marcherai pour vous, vous y verrez pour moi.
Rue moyenâgeuse
Beaucoup de maisons de Vernon datent du milieu du 15ème siècle. Mais il en existe d’encore plus vieilles. Rue Potard, elles remontent, pense-t-on, au 12ème ou 13ème siècle. Elles seraient plus ou moins contemporaines de la Tour des Archives, donjon du château de Vernon. Certaines d’entres elles sont adossées au mur d’enceinte de la forteresse.
A deux pas des quartiers reconstruits, les doyennes de la ville continuent à se faire leur brin de causette. Que se disent-elles ? L’une d’elles se souvient que le nom de la rue vient de la famille Potart, de riches propriétaires du 15ème siècle qui y possédaient une maison.
Le soleil ne vient pas souvent dorer les façades dans cette voie assez étroite. Mais cela n’a pas l’air de déranger les roses trémières qui jaillissent du trottoir. Au dessus de leurs têtes on peut noter tous les ajouts récents faits aux façades du Moyen-Age : persiennes, fenêtres, fleurs, grilles, électricité, téléphone…
Toutes ces transformations réalisées avec soin n’ont rien entamé du charme des maisons, au contraire. La rue elle-même est amusante, avec son profil bossu et ses petits escaliers de pierre qui mordent sur les trottoirs.
Lignes aériennes
Le Vieux Moulin s’est assoupi sur son perchoir, les yeux mi-clos, à l’heure des poules.
Pendant que le soir tombe sur Vernon, des gens voyagent à travers le ciel. Ils sont passés déjà, partis vers des ailleurs, conduits par des bataillons de pilotes qui labourent des sillons roses dans le bleu tendre.
Au pied du pont, la Seine coule paisiblement, entraînant des masses mouvantes vers la mer. Sous son toit biscornu, le Vieux Moulin venu du Moyen-Âge poursuit son voyage immobile à travers le temps.
Visite guidée au cimetière
Les cimetières ressemblent aux villes des vivants. Les caveaux s’y alignent le long des rues dans un ordre parfait. On s’y promène, on lit sur les pierres tombales des noms familiers ou inconnus. Le plus souvent, on n’en saura pas beaucoup plus sur les personnes qui sont enterrées là ; les riches caveaux de famille, les humbles croix de métal ou de bois gardent tout leur mystère.
Un coin du voile s’est levé dimanche à Vernon, à l’occasion des journées du Patrimoine une visite guidée du cimetière était proposée.
Elle était conduite par l’un des conférenciers que je préfère, qui allie empathie, modestie et érudition. Pas à pas, il a fait revivre tous ces gens disparus.
Quelquefois, les caveaux ont eux-mêmes une histoire. Celui-ci, à la porte de bronze très lourde et opaque, a servi pendant la guerre à cacher des parachutistes anglais ou canadiens pendant la journée. Ils ressortaient à la nuit pour accomplir leur mission. La gardienne du cimetière, courageuse résistante, est inhumée un peu plus loin.
Franchissement de la Seine
Le franchissement de la Seine par les troupes britanniques en août 1944 à Vernon est resté dans les annales de l’art de la guerre comme un modèle du genre. Les Alliés ont réussi l’exploit d’établir un pont flottant, sous le feu ennemi, en six jours à peine.
Un monument commémore cet acte de guerre, et le sacrifice de centaines de jeunes gens tombés pour la Libération. Il s’élève à l’endroit précis d’où partait le pont provisoire installé par le Génie.
On peut voir plusieurs symboles dans cette stèle réalisée par un sculpteur local, Daniel Goupil. Une colombe de la paix semble jaillir d’un V. Celui de Vernon ou celui de la victoire ? Ses ailes touchent chaque côté du V, comme le pont qui relie les rives du fleuve.
Reflet
S’attarder au bord de l’eau est l’un des plaisirs de l’été, quand les journées trop chaudes font rechercher la fraîcheur. (Et le propre de l’écriture est de permettre la fiction, n’est-ce pas).
A Vernon, les bords de la Seine sont colonisés par des plantes sauvages qui aiment l’eau, les saules aux feuilles argentées et les salicaires aux longues inflorescences roses, tandis que des nénuphars sauvages à fleurs jaunes s’accrochent près des berges les moins exposées au courant. C’est tout l’univers de Monet résumé dans sa version spontanée.
Les reflets mouvants qui jouent à la surface ont quelque chose d’hypnotique. Les taches de couleurs dansent, agitées deci-delà par le mouvement de l’eau, les lignes droites explosent, se fractionnent, deviennent étrangement sinueuses, dans un ballet toujours renouvelé.
Je regarde les reflets sur la Seine sous le pont de Vernon et je pense à Monet, capable de rester des journées entières à observer le jeu de la lumière à la surface de son étang, même sans pinceau à la main. Réflection support à la réflexion…
Sarcophage
Il n'y paraît pas, mais voici un objet précieux. C'est un sarcophage mérovingien gallo-romain (voir commentaires). Précieux pour la connaissance de l'histoire normande, s'entend. Car il reste bien peu de renseignements sur cette période du haut Moyen Age qui va du 6e au 8e siècle, quand régnait la dynastie de Mérovée. Les Vikings ont saccagé toutes les archives des monastères lorsqu'ils ont envahi la Normandie, entre la mort de Charlemagne et le traité de Saint-Clair sur Epte en 911.
Tout porte à croire que cela n'allait pas fort en Normandie à cette période. Dans l'Eure, on a retrouvé des cimetières mérovingiens surtout le long des cours d'eau et sur le plateau du Vexin. Des secteurs entiers, cultivés à l'époque gallo-romaine, semblent vides de peuplement au temps des Francs. Les historiens émettent l'hypothèse qu'ils sont retournés à l'état de friche et de forêt, une hypothèse corroborée par une autre donnée : dans ces zones vides d'habitat mérovingien, les noms de lieux d'origine scandinave sont nombreux. Cela laisse penser qu'ils ont été défrichés à nouveau quand les Vikings se sont installés en Normandie.
Ce sarcophage mérovingien découvert à Vernon se trouve maintenant dans un petit square au bord de la Seine, à l'arrière de l'église. Il a été taillé dans un même bloc de pierre et doit être fort lourd.
Son absence de décor donne peu d'indications, et pourtant, la pierre raconte toujours quelque chose. En l'examinant de près, on reconnaît dans le calcaire les morceaux de silex caractéristiques de la pierre de Vernon. Ce petit détail m'a touchée comme un lien entre les Vernonnais d'il y a 1500 ans et ceux d'aujourd'hui, aux prises avec le même matériau local.
Ceux qui nous ont précédés en ces lieux il y a quinze siècles ont eu le projet d'enterrer dignement l'un des leurs. Ils ont extrait les monolithes d'une carrière située sur la rive opposée, les ont creusés, ils leur ont fait traverser le fleuve pour venir inhumer le corps à l'intérieur de la cité, tout près d'une église aujourd'hui disparue.
Le poids des ans
Les maisons anciennes en colombage tiennent par habitude, dit-on, même quand les bois ont vieilli, qu’ils ont souffert de l’eau et ne sont plus aussi résistants qu’ils l’étaient à la construction.
Tout a travaillé, s’est courbé, tordu, penché, a glissé peut-être. Mais la maison ne risque pas de s’écrouler pour autant.
Celle-ci, malgré son air d’avoir une scoliose, défie les ans depuis cinq ou six siècles. Elle se trouve tout près de la collégiale de Vernon au dessus d’un petit square. La maison du Temps Jadis, siège de l’office de tourisme et qui penche sérieusement elle aussi, se trouve juste à côté.
Les fenêtres ont été récemment rénovées, ainsi que le toit et l’enduit. Mais on a beau faire, la charpente révèle l’âge du bâti, tout comme sa forme bizarre, étroite et tout en hauteur.
Au Moyen-Age les maisons étaient calquées sur le découpage des parcelles extrêmement étroites. On se serrait à l’intérieur des murs de la cité. Comme à New-York, toutes proportions gardées, il fallait construire des étages pour récupérer sur la hauteur la place qui manquait au sol.
La colline Saint-Michel
La ville de Vernon s’étend sur les deux rives de la Seine, le centre ville rive gauche, le quartier de Vernonnet rive droite. Entre les deux, un pont existe depuis près de mille ans. C’est l’un des plus anciens points de franchissement du fleuve en Normandie. Au 12e siècle, il n’y en avait que deux, à Vernon et à Pont-de-l’Arche. Partout ailleurs, il fallait prendre un bateau.
La colline qui domine le pont a été placée sous la protection de saint Michel à une date inconnue, mais probablement antérieure au 12ème siècle, alors que Vernon était normande : saint Michel est le patron de la Normandie.
Saint Michel a un rôle de premier plan dans l’Apocalypse. Archange combattant, il terrasse « le grand dragon, l’antique serpent, celui qu’on appelle Satan ».
C’est aussi lui qui pèse les âmes pour savoir si elles méritent d’entrer au Paradis.
Ce rôle fait de lui l’archange passeur, défenseur des portes.
Son culte a commencé au Mont-Gargano, en Italie, où saint Michel apparaît en 492. Suite à ces apparitions, partout en Occident on choisit alors des endroits retirés, des grottes, des hauteurs pour bâtir des sanctuaires à saint Michel.
L’ange combattant est particulièrement protecteur, il veille sur les frontières, les lieux de passage. Le Mont Saint-Michel, à la limite de la Normandie et de la Bretagne, lui est consacré dès l’an 709.
Vernon était à la fois ville frontalière et lieu de franchissement du fleuve. Cela faisait donc deux bonnes raisons de dédier un sanctuaire à saint Michel sur la colline la plus proche du pont. Cette chapelle n’existe plus aujourd’hui.
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