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Le chardon pourpre sud-africain
Voici Berkheya purpurea, en anglais Silver spike ou encore, mon préféré, Zulu warrior. C’est une vivace à la longue racine pivotante qui la rend résistante à la sécheresse : elle a de l’avenir. Rémi Lecoutre, qui sélectionne les fleurs à planter dans le jardin de Claude Monet, l’a repérée à Sissinghurst et la trouve très jolie. Elle se dresse sur une longue tige qui fait penser au chardon, dont elle a le feuillage un peu bleuté. Au sommet, plusieurs fleurs s’ouvrent côte à côte, formant un bouquet.
Les parasites l’ignorent, et j’avoue que je ne suis pas très attirée non plus par ses nombreux piquants. On peut se procurer des graines de cette plante encore insolite chez Jelitto, un producteur allemand de semences de vivaces. Et comme toujours chez les fournisseurs des professionnels de l’horticulture, c’est fascinant de fureter dans le catalogue en ligne qui regorge de fleurs improbables. Sans parler de l’immense diversité dans chaque espèce : 102 sortes d’ancolies ! De quoi rêver…
La ligulaire
Ligulaires dans le jardin d’eau de Monet à Giverny
De grands épis couverts de ligules jaunes qui ressemblent à des pétales émergent d’une touffe de feuilles à la forme et au port intéressant : les ligulaires sont en fleurs en ce moment à Giverny.
On sait que Claude Monet en plantait, il faut donc en avoir, qu’on les apprécie ou pas. Elles préfèrent les berges humides du jardin d’eau où elles apportent un éclat de lumière pendant quelques jours, avant de retourner à l’anonymat du vert aux côtés de la viorne de David aux feuilles nervurées.
Bébé bambou
Dans le jardin d’eau de Claude Monet, les bambous font partie des plantes qui retiennent l’attention des visiteurs. C’est en mai que les nouvelles pousses sortent de terre. Elles se développent si vite qu’il faut prendre l’habitude de les chercher tous les jours un peu plus haut. En un mois, elles arrivent au sommet, à huit mètres de hauteur.
Les jeunes bambous sont emballés dans des sortes de langes, qui tomberont quand ils seront grands. Ils portent un curieux toupet au sommet. Leur tige, d’abord vert foncé, deviendra dorée par la suite, avant de mourir et de se dessécher.
Il m’est arrivé une ou deux fois qu’on me demande si nous consommons les jeunes bambous. Je n’en ai jamais dégusté qu’en boîte et je peux répondre formellement que non. Ceux de Giverny ne finiront à aucun moment dans l’assiette.
En revanche je ne compte plus le nombre de fois où des visiteurs m’ont fait part de l’usage du bambou comme matériau d’échafaudage en Asie. Je comprends qu’ils aient envie d’en parler. Nous sommes des êtres d’émotions, et je me souviens très bien de ma surprise en découvrant cet usage de mes propres yeux en Amérique latine. Des années plus tard, c’est cela qu’il nous reste, alors que tout ce qui est passé par la raison est oublié. Nous nous souvenons de ce que nous avons ressenti. En l’occurrence, la stupéfaction de découvrir que le bambou est un matériau beaucoup plus résistant qu’il n’y paraît.
Aspidistra
Une potée d’aspidistras
Toujours selon la règle qui veut que l’on prête attention à ce qui nous intéresse, j’ai remarqué cette belle potée d’aspidistras dans un lieu où je ne m’attendais pas à trouver une plante verte : la chapelle de la Sainte Tunique dans la basilique Saint-Denys d’Argenteuil. La plante a l’air de se porter très bien dans la pénombre et la fraîcheur.
La basilique a fêté ses 150 ans en 2016. Elle était achevée depuis cinq ans à l’arrivée des Monet à Argenteuil. Le peintre y est-il jamais entré ? Ce n’était pas un fervent catholique, mais peut-être que Camille y est allée.
Y avait-il déjà des aspidistras dans un coin de la chapelle ? Depuis combien de temps sont-ils là ? Est-ce dans leurs cordes de survivre 150 ans ? Je me pose de drôles de questions sous la fresque où Charlemagne remet solennellement la Sainte Tunique à l’abbaye d’Argenteuil.
A peine sortie de la maison de Monet, j’ai l’impression que le peintre me fait un clin d’oeil. « Tu vois, c’est ça, des aspidistras, comme ceux que je cultivais dans les pots chinois qu’on voit dans Coin d’appartement. »
Ceux vus à la basilique sont sans doute des Aspidistra eliator, tandis que je penche pour Aspidistra eliator variegata chez Monet.
Cette année je vais être inspirée en matière de plantes vertes pour la fête des mères…
La primevère des marais
Au bord du bassin de Claude Monet, cette jolie fleur aux couleurs étonnantes attire l’oeil. Qu’est-ce que cela peut bien être ? Les feuilles ressemblent beaucoup à celles des primevères, quoique plus longues : elles dépassent parfois les vingt centimètres.
Une petite recherche sur « primevère originale » plus tard, voici la nouvelle venue identifiée. C’est une primevère des marais, une vivace venue de Chine qui se plaît en zone humide et un peu acide. On l’appelle aussi primula vialii (primevère de Vial) en l’honneur du père Vial, qui était missionnaire dans la région du Yunnan où cette plante a été découverte.
La floraison commence par le bas et remonte le long de l’épi, et une bonne partie du charme de cette fleur tient à son audacieux contraste de couleurs entre le mauve tendre et l’orange vif.
Les vivaces de l’été
A Giverny comme ailleurs, quand on interroge un jardinier sur une fleur, la première chose qu’il vous dit, c’est si vous avez affaire à une vivace ou à une annuelle. Si vous ne jardinez pas, ce n’est pas forcément ce que vous auriez envie de savoir,
Astrance
Jolie comme un astre ! C'est l'astrance, une vivace robuste qui trouve sa place dans tous les jardins. Elle fleurit pendant tout l'été de juin à septembre, à condition qu'elle n'ait pas trop chaud et qu'on n'oublie pas de l'arroser. Elle tient bien en bouquet.
Impossible de savoir si Monet en avait. L'astrance ne figure pas dans la liste de Jean-Pierre Hoschedé, et elle est trop peu volumineuse pour qu'on puisse la reconnaître sur une photo d'époque. Mais pourquoi le peintre n'en aurait-il pas eu ? C'est au départ une fleur de montagne, une plante sauvage comme il les aimait.
De nos jours il n'y a pas beaucoup d'astrancias à Giverny. J'ai photographié celles-ci dans le très charmant jardin du musée de l'Outil à Wy-Dit-Joli-Village, à une trentaine de kilomètres dans le Parc naturel du Vexin français.
Symphytum
Bordure de symphytums, jardins de Bellevue, Seine-Maritime
Si vous aimez les plantes indulgentes qui vous pardonnent avec bonhomie vos maladresses et vos négligences, les plantes autonomes qui vivent leur vie toutes seules sans exiger comme un bébé qu’on s’en mêle, le symphytum est fait pour vous.
On trouve des symphytums à Giverny, en petites touches. Aux jardins de Bellevue, en Seine-Maritime, ils sont plantés en masse au pied des haies, dans le sous-bois, où ils forment un coussin compact et fleuri d’un très joli effet.
La fleur rappelle la consoude, et pour cause : c’en est.
Voilà plusieurs milliers d’années que la consoude fait disparaître les entorses (en une nuit dit-on !) et consolide les fractures, une propriété qui lui a valu son nom : consoude vient de consolidare.
Comme toutes les plantes sauvages, quand il se plaît le symphytum pousse avec vigueur. Il étire joyeusement ses stolons pour vous permettre d’être généreux avec vos amis.
Pontederia
Cette belle plante qui pousse les pieds dans l’eau, c’est le pontederia.
Je l’ai photographiée tout près du pont japonais de Monet, en face des bambous, comme vous pouvez le voir en cliquant sur l’image.
Pour me souvenir du nom du pontederia, je pense au pont, et la suite vient toute seule.
A Giverny, cette aquatique prospère en plusieurs points du bassin, notamment près des petites marches de l’embarcadère.
L’été, elle fleurit en épis bleu pâle. Le reste du temps on aime son feuillage décoratif d’un beau vert dense.
Une autre plante aquatique souvent associée à la pontédérie orne la pièce d’eau de Claude Monet : le thalia.
Cette vivace est plus grande que le pontederia.
Ses inflorescences violettes s’élèvent à hauteur des yeux des visiteurs qui se trouvent sur la berge.
Les feuilles, par leur port et leur forme, rappellent le strelitzia.
Mais pas d’oiseau de paradis dans l’éden de Giverny : il ne fait pas assez chaud pour les plantes tropicales.
Le site des pétasites
A quoi vous font penser ces feuilles de pétasites ? J’ai entendu des centaines de fois à de la rhubarbe. A des feuilles de nénuphar. A des palettes de peintre. J’ai même entendu à des pizzas, un jour où l’heure du déjeuner approchait. Mais jamais on ne m’avait dit : « Des pétasites ! Tiens ! Nous, on a des péta octets. »
Ce rapprochement inédit était venu à l’esprit d’un spécialiste des réseaux de télécommunications, et une nouvelle fois, j’ai pu m’émerveiller de la diversité des visions du monde propre à chaque visiteur de Giverny.
Un pétaoctet, donc, c’est mille tera. Un million de giga. Un milliard de Mo. Ca commence à faire un peu.
J’étais heureuse d’apprendre l’existence du pétaoctet, donc, qui vaut 10 puissance 15 octets, et dont la racine grecque ne vous aura pas échappé. Et en même temps je me suis demandé dans quelle classe on enseignait ces unités, de nos jours. Au collège ? Au lycée ? Et j’ai pensé que celle-ci devait avoir son petit succès auprès des élèves, dans la veine du grand lac péruviano-bolivien.
Podophyllum
C’est la première fois que je vois cette curieuse plante dans le jardin d’ombre de Monet. Chaque année quelques nouveautés font leur apparition, pour intriguer les jardiniers les plus chevronnés qui viennent visiter Giverny.
Cette vivace porte le nom botanique de podophyllum, ce qui est assez transparent : une feuille en forme de pied, ou plutôt d’empreinte de pied… et déjà j’imagine les dinosaures en train de marcher pesamment à travers le jardin.
J’ai eu plus de mal avec le nom de la variété, spotty dotty, un nom qui met invariablement un sourire sur le visage des visiteurs anglophones. Spotty, à pois. Dot, c’est le point. A pois et à points ? La redondance n’est pas si drôle que ça.
Le dico livre un autre sens. Dotty veut dire zinzin, c’est quelqu’un qui a un grain. Soit podophyllum zinzin à pois, plutôt rigolo comme nom.
J’en étais là quand cette semaine j’ai revu Dorothy, une photographe habituée des jardins de Giverny où elle aime faire des gros plans de fleurs. Dorothy est Dottie pour les intimes.
Le podophyllum est supposé faire des fleurs blanches cireuses cachées sous les feuilles, et cela devrait être pour maintenant ou en juillet. Espérons que celui-ci se montre coopératif. Les Dorothy ont bien droit à un petit bouquet…
Silphium
Voici la vivace la plus gigantesque du jardin de Monet à Giverny : le silphium, une plante vigoureuse à la tige carrée qui culmine à un bon 3 mètres.
A partir de juillet, tout là haut là haut, on aperçoit ses fleurs jaunes en forme de marguerites qui composent un abondant bouquet. Il faudrait être Gargantua pour en profiter. Nous autres pauvres petits humains, on a les yeux dans les feuilles, épaisses, rêches et costaudes. Elles sont disposées deux par deux de chaque côté de la tige et soudées par leur base, ce qui donne l’illusion que la tige puissante les traverse, d’où le nom de silphium perfoliata.
Cette plante, c’est du solide, elle est capable de résister à tout grâce à ses racines très profondes. C’est un peu comme un arbre qui repousserait chaque année. On en prend pour cinquante ans : de quoi la faire élire par les jardiniers paresseux.
Cette vivace est originaire d’Amérique du Nord, appréciée au Québec, et c’est un bonheur de lire sur les forums de nos amis canadiens des formules telles que « j’ai semé des graines l’an dernier, et cette année elle est rendue à six pieds ! »
Le silphium appartient à la famille des asteracées, des fleurs composées avec un coeur et des pétales qui figurent des rayons de soleil. C’est le grand Linné qui lui a donné son nom, à une époque où on refilait volontiers au dernier-né le prénom d’un aîné décédé. Notre silphium porte le patronyme d’une plante de l’Antiquité disparue depuis 2000 ans.
Le seul point commun, ce serait la couleur. Le silphium antique fleurissait jaune lui aussi. Toute ressemblance s’arrête là.
Le silphium antique était une ombellifère qui avait un peu l’aspect du fenouil. Il poussait dans la région de Cyrène, dans l’actuelle Libye. (Cyrène, ville d’origine de Simon qui a porté la croix du Christ.) Les ruines grecques encore très impressionnantes témoignent de l’importance de ce comptoir grec sur la rive africaine de la Méditerranée.
Le silphium antique fait partie de ces plantes qui ont une histoire incroyable. C’était une vraie star, il était tellement recherché qu’on le vendait à un prix hallucinant, son poids en argent. Il a fait la fortune de la cyrénaïque. La monnaie locale portait le dessin de cette plante.
Malheureusement le silphium ne se laissait pas cultiver. C’est probablement la surexploitation de la plante sauvage qui a conduit à son extinction rapide.
Quel était donc le secret du silphium ? Il avait un usage condimentaire et médicinal, comme beaucoup d’autres plantes. Mais l’une de ses applications thérapeutiques me paraît expliquer mieux que les autres l’engouement dont il a fait l’objet. Le silphium avait des vertus contraceptives et abortives. Il était recherché comme « pillule » et « pillule du lendemain ».
Stachys
Les fleurs ont des oreilles. Surtout l’épiaire laineuse, alias Stachys lanata.
Sa douceur pelucheuse lui vaut d’être comparée à des oreilles d’ours, de lapin, de lièvre, d’agneau, et même d’âne en anglais… Bref on hésite entre tout un bestiaire, mais on est sûr qu’il s’agit d’un mammifère au doux pelage et aux oreilles de belle taille.
Dans la littérature sur les jardins, il me semble que c’est l’oreille d’ours qui revient le plus souvent en français, et lamb’s ear en anglais. (Woll-Ziest en allemand, on reste dans la laine).
Le stachys est volontiers utilisé en couvre-sol pour son feuillage décoratif. Les jardiniers n’ont pas l’air d’aimer beaucoup ses fleurs, des épis un peu grêles qui apparaissent en été. Les abeilles, elles, en raffolent.
L’épiaire appartient à la grande famille des lamiacées, qui comporte des célébrités telles que la lavande, le romarin, la sauge, le thym, la sarriette… Et comme ses cousines elle a des vertus aromathérapiques découvertes depuis fort longtemps.
Le stachys entre dans la composition de la fameuse eau d’arquebusade, un élixir antiseptique à base de plantes qui remonte à François Premier.
On ne risque plus grand chose des arquebuses, mais l’élixir est toujours commercialisé pour la santé de la peau.
Celle-ci doit finir par être toute douce, comme des oreilles d’agneau…
Ceratostigma
Si vous êtes un peu fleur bleue, vous avez sûrement remarqué cette vivace couvre-sol qui fleurit à la fin de l’été. Elle affectionne les expositions ensoleillées, celles où les chats aiment paresser en fin d’après-midi dans la douceur de septembre.
Comme son nom de baptême est un peu compliqué, ceratostigma, on lui en fait porter un autre : faux-plumbago. Et ce n’est pas si faux que ça, puisque le ceratostigma appartient à la même famille, et partage avec la liane méditerranéenne la joliesse de ses fleurettes azurées, qu’on dirait découpées à l’emporte-pièce tant leur patron est sobre, sans froufrous.
Les fleurs sont piquées par petits bouquets dans un feuillage dense. Contrairement aux couvre-sol printaniers qui forment des coussins de couleur, chez le faux-plumbago les feuilles sont bien présentes, vertes d’abord, puis de plus en plus rouges, jusqu’à former une masse pourpre parsemée de bleu du plus bel effet.
Le plumbago, vrai ou faux, a un je-ne-sais-quoi de familier, un air d’avoir déjà été croisé quelque part. Un indice : cela concerne la santé.
Vous avez trouvé ? Non, le plumbago ne soigne pas les lumbagos, dommage ! Mais on lui attribue des vertus contre le saturnisme (plumbago viendrait de plomb). Il paraît qu’il soulage aussi les mots de dents, d’où un surnom supplémentaire, dentelaire du Cap.
Surtout, le plumbago connaît une célébrité thérapeutique nouvelle grâce à l’engouement pour les élixirs floraux de Bach. Il est réputé aider les personnes indécises et découragées. Vendu sous l’appellation Cerato / Plumbago, il me semble que l’élixir est produit à partir de notre petite vivace herbacée et non de son altière cousine sarmenteuse, bien que ce soit cette dernière qui illustre la fleur dans les différents sites sur les fleurs de Bach. Je l’avoue, j’ai bachoté un peu, sans arriver à une certitude. Alors Cerato ou Plumbago ? N’est pas bachelière qui veut !
Onagre
« Tout jardin est d’abord un massif de vocabulaire à déchiffrer« .
C’est Christian Limousin, auteur d’essais sur Mirbeau, un grand ami de Monet, qui souligne « les complicités évidentes entre l’univers des mots et celui des jardins. » Je n’irai pas dire le contraire.
Si Monet voyait le jardin en peintre, comme un paysage dont il commandait les couleurs, si d’autres se passionnent pour la géométrie du monde floral, si pour le jardinier les plantes sont avant tout des êtres vivants qui ont faim, qui ont soif, chaud, froid, qui naissent, grandissent, se reproduisent et meurent, c’est aussi par leurs noms que les fleurs exercent sur beaucoup d’humains une joyeuse fascination.
Voyez l’onagre, par exemple. Vous pensiez que cette bête-là était une espèce d’âne sauvage galopant librement dans les steppes de Mongolie ? Ou, si vous êtes versé dans l’histoire des armes, que c’était un genre de catapulte utilisé par les Romains ? Ce n’est pas faux. Mais l’onagre est aussi une fleur jaune qui pousse sur les talus caillouteux et que l’on peut inviter dans son jardin.
L’onagre a une floraison brève, mais renouvelée tout au long de l’été. Sa fleur s’ouvre en une minute, fait la belle le temps d’une soirée, et finit par pendre telle un petit mouchoir jaune égaré dans la nature. Elle est jolie quand même dans cet abandon, si bien qu’on peut en voir dans plusieurs massifs du jardin de Monet.
Les anglophones la nomment evening primrose, primevère du soir, et aussi suncup ou sundrop, tasse ou goutte de soleil, une jolie façon de rendre hommage à sa couleur éclatante. En allemand, c’est une Nachtkerzen, une bougie de la nuit.
Au Québec, selon un site sur la flore laurentienne, « les sables littoraux du bas Saint-Laurent et du golfe présentent souvent au coucher du soleil un admirable spectacle, au moment où les onagres, ces hiboux des fleurs, déploient leurs grands pétales d’or, et constellent la dune d’innombrables croix de Malte immobiles au bout des tiges purpurines.«
Des ânes, et maintenant des hiboux ! Difficile à première vue de comprendre le lien entre les différents sens du mot onagre.
Le nom botanique de l’onagre est l’oenothera, construit sur la même racine grecque que l’oenologie, la science du vin : de quoi y perdre encore un peu plus son latin.
Quelques pistes qui valent ce qu’elles valent : tout dérive d’onagre, l’âne. La catapulte imite son coup de pied, sa ruade. La plante, et en particulier ses racines, serait mangée par les ânes, selon les uns. D’autres y voient des feuilles dont la forme rappelle les célèbres oreilles de ces charmants quadrupèdes.
Et peut-être bien que l’onagre, la plante, servait autrefois à parfumer le vin. Les Grecs ne renâclaient pas à des expériences originales.
Belles à croquer
Cette année, j’ai goûté les hémérocalles. L’an dernier, j’avais appris qu’elles étaient comestibles juste un peu trop tard. Le temps que je me décide et elles étaient toutes fanées. Cette fois-ci, donc, j’ai guetté leur floraison de l’oeil dont le jardinier couve ses salades, avec une gourmandise anticipée.
Celles qui ourlent somptueusement la rivière à Giverny ne me tentent pas. Je les regarde s’épanouir et défleurir sans l’ombre d’un regret : le jardin de Monet n’a rien d’un jardin bio. Mais dans le mien, le temps de la récolte est venu, une récolte amusante, pour laquelle il n’est pas besoin de se baisser.
Mon informatrice avait comparé le goût de l’hémérocalle à de la laitue iceberg. Le mieux, pour se rendre compte, était de les servir ensemble. Sur un lit de ladite laitue, en compagnie d’oeufs mimosa, l’hémérocalle flashe dans l’assiette de tout son orange lumineux, de toute sa grâce insolite.
Va-t-on oser la déguster ? Porter la fourchette et le couteau, les dents sur une fleur a quelque chose de sacrilège. On a le sentiment d’enfreindre une règle, celle qui veut que les fleurs sont faites pour être regardées seulement. On se lance, avec cette arrière-pensée héritée des champignons, est-ce vraiment comestible et sans danger ?
La texture croquante rappelle en effet la laitue, mais le goût est plus fin, un peu sucré. Rien à voir avec le piquant des capucines.
Va-t-on en reprendre ? Je crois que non, elles sont tout de même plus sympa à admirer dans le jardin. Même pas envie d’essayer les intéressantes recettes d’hémérocalles farcies trouvées sur le net.
Mais je m’amuse, maintenant, à surprendre les visiteurs de Giverny que je guide : vous savez que ça se mange ? c’est croquant et doux comme de la laitue iceberg ! Ils me regardent avec étonnement. Peut-être que dans quelques jours, c’est ce détail, cette envie d’expérience sensorielle qui leur restera de leur visite à Giverny, plutôt que les rebondissements dans la vie de Claude Monet.
Pivoine
Tous les amoureux des pivoines l’ont noté, ces fleurs magnifiques attirent les fourmis, au point qu’une visiteuse de Giverny m’a raconté qu’enfant, ignorant leur nom, elle les appelait des fleurs à fourmi.
A partir de cette observation, chacun y va de son hypothèse pour expliquer l’appétence singulière des petites bêtes pour les grosses fleurs.
Elle les mangent ! s’indignent les uns. Elles y élèvent des pucerons ! paniquent les autres.
Point du tout.
Les yeux les plus affûtés auront remarqué les gouttes qui perlent sur les bourgeons tout gonflés des pivoines. Ce n’est ni un reste d’arrosage ni un reliquat de rosée, mais une sorte de sève que sécrète la pivoine avant de s’ouvrir.
Je n’ai pas encore osé goûter, mais il paraît que ces gouttes ont la saveur du sirop. Vous imaginez, par rapport à la taille d’une fourmi ? Une montagne de délices ! De quoi les faire accourir de loin !
Elles arrivent donc, en rangs serrés, comme les enfants à la fête foraine au stand des guimauves et des nougats. Et de se repaître de sucre, mmmm !
Seulement, il leur faut se dépêcher. Avec la chaleur de juin, les boutons de pivoines s’ouvrent vite, et alors, plus de nectar.
Au milieu des fleurs volumineuses, mousseuses, et sèches, on voit les fourmis errer de pétale en pétale, comme si elles cherchaient le pays de cocagne qui était encore là hier, et qui aujourd’hui a disparu.
Elles ont l’air désemparées, désorientées, dépitées.
Mais peut-être que c’est mon tour de conclure de travers.
Aster
Son nom d’étoile lui va comme un gant : l’aster a puisé dans la voie lactée l’idée de ses myriades de petites corolles qui illuminent les jardins d’automne.
En bouton, elle est déjà jolie, avec tous ses petits poings serrés au milieu de son feuillage fin et touffu.
L’attente, pourtant, paraît longue, tandis que doucement l’été fait place à l’automne et que partout les massifs débordent de fleurs. Toujours verte, l’aster attend son heure.
Puis viennent les petits points de couleur, gouttelettes échappées du pinceau.
Quand enfin les couronnes de pétales bleus ou blancs s’écartent, dévoilant une infinité de petits soleils dorés, l’aster se couvre soudain d’une floraison si dense qu’on ne voit plus qu’elle.
Le jardinier est récompensé au centuple des quelques soins qu’il lui a prodigués : l’aster est une bonne fille débrouillarde et accommodante, une fille de la campagne habituée des jardins paysans, solide, robuste, pas une de ces beautés fragiles qu’un souffle d’air fait périr.
Et puis vient l’heure du déclin. L’aster a le bon goût de ne pas s’afficher mourante. Elle signale discrètement qu’elle dépérit en changeant la couleur de son coeur, qui de jaune pâle devient jaune foncé. Puis les pétales se recroquevillent, s’effacent derrière de nouvelles étoiles à peine ouvertes, épargnant au jardinier la corvée de retirer les fleurs fanées.
Quand enfin tout le bouquet est passé, il ne reste plus qu’à couper à ras, en attendant que la plante repousse l’année suivante. La fidélité est le cadeau des vivaces, elles fournissent la trame immuable de nos jardins.
Heracleum
L’heracleum aime voir le monde d’en haut : il culmine volontiers à 3 ou 4 mètres, loin au-dessus de la tête des gens. Vous le trouvez hautain ? Il attend de vous que vous vous teniez à une distance respectueuse. Obéissez, c’est dans votre intérêt. L’héracleum possède une arme sournoise dans ses feuilles, bien pire que les orties.
C’est surtout la sève qui est dangereuse. Si elle entre en contact avec votre peau, vous ne sentez rien du tout. Mais une toxine s’y est déposée, qui sera activée lorsque vous exposerez la zone touchée à la lumière.
La toxine détruit la mélanine présente dans la peau, qui nous protège des UV et permet de bronzer. Il s’en suit de douloureuses brûlures dont les cloques peuvent paraît-il atteindre la taille d’une pomme-de-terre. Cela prend des mois avant que la peau refabrique sa mélanine, on garde des traces pendant longtemps.
La Berce du Caucase a été introduite en France pour ses qualités ornementales, Monet en cultivait déjà. C’est la raison pour laquelle les jardiniers de Giverny l’entretiennent au bord du bassin, assez loin des visiteurs.
Elle se ressème un peu partout. Si jamais vous en avez dans votre jardin, dès que vous en apercevrez les premières petites feuilles au printemps, il vaudrait mieux ne pas vous apitoyer. Comme les Apaches sur le sentier de la guerre, aplatissez-la, aplanissez-la…
Chrysanthème
Cela sonne comme d’affectueuses paroles pour remonter le moral de votre copine dépressive : Chris, on t’aime ! Mais sous cette feinte douceur le chrysanthème multiplie les pièges et les lettres superfétatoires. A lui tout seul, avec son ch, son th et son y il est un micro voyage en Grèce.
Le bouquet, si j’ose dire, le pompon, c’est quand on s’intéresse à son nom de famille : les asteraceae. Cette fois on est dans la jungle, c’est Tarzan qui lance son cri de victoire.
Si le chrysanthème joue les ornithorynques, c’est parce qu’il se plaît en Australie. Là-bas, dans l’autre hémisphère, il fleurit aussi à l’automne, c’est-à-dire au mois de mai, pile pour la fête des mères. Comme destin de fleur, avouez que cela a tout de même une autre allure d’être le cadeau par excellence pour une maman chérie, qui va arroser et bichonner son chrysanthème avec amour, plutôt que de finir abandonné dans un cimetière glacé.
Bien, mais alors, vous demandez-vous logiquement, qu’est-ce qui remplace le chrysanthème dans sa mission de fleurissement des tombes ? Eh bien, m’a expliqué une visiteuse australienne de Giverny, le rôle échoit à une fleur qui a la cote chez nous, l’arum, ce cornet d’un blanc pur orné d’un épi jaune.
Ici l’arum fleurit les mariages, peut-être à cause de sa blancheur, peut-être parce que c’est un anagramme d’amour, ce qui semble de bon augure.
L’arum est un sujet sensible au pays des kangourous. Comme l’agapanthe ou l’ipomée, c’est une épouvantable mauvaise herbe très difficile à éradiquer, qui a déjà envahi des dizaines de milliers d’hectares : on fait toujours les choses en grand en Australie.
On l’arrache, on l’arrose aux pires herbicides, rien n’y fait, il se répand à la vitesse d’un cheval au galop, et malheureusement l’arum cru est fort toxique pour tout le monde, les humains et surtout le bétail qui n’a pas l’habitude de faire cuire sa prairie avant de la brouter.
Je ne voudrais pas être un arum en Australie. Mais si j’étais un chrysanthème, je serais sans doute tentée par l’expatriation. Le chrysanthème ne manque pas de terres plus accueillantes que nos contrées pour couler des jours heureux. Les spécimens qui ont le plus la grosse tête ont la belle vie au Japon, où le chrysanthème est le symbole de la famille impériale, et l’ordre du chrysanthème un suprême honneur.
Pétasite
C’est peu dire que le pétasite se plaît dans le jardin d’eau de Monet. Il adore tellement ces ambiances ombragées au bord des rivières qu’il devient gigantesque, et même un peu envahissant.
Ses grandes feuilles en forme de nénuphars (c’est pour cela que Monet le cultivait, pardi !) peuvent atteindre un mètre de large. Comme couvre-sol c’est très efficace, à condition d’aimer les végétaux luxuriants et de vouloir créer une sorte de profusion exubérante.
C’était là encore le but de Monet, qui avait aimé les jardins de Bordighera, sur la Riviera italienne, pleins de palmiers, de citronniers et de lauriers roses, et qui cherchait à reproduire quelque chose de leur exubérance à Giverny. Le pétasite devait lui plaire par sa démesure.
Pourtant le pétasite n’est pas joli joli. Au printemps comme ici, il a encore une certaine allure. Mais à mesure que l’on avance dans la saison il perd de sa superbe. Ses grandes feuilles finissent pleines d’accrocs ; elles ramassent tout ce qui tombe des arbres ce qui leur donne un aspect pas très net, et ce côté cracra est renforcé par leur surface un peu laineuse. Pire encore, en cas de sécheresse elles se flétrissent. On dirait les oreilles bien abîmées d’un très vieil éléphant.
Les anciens n’avaient jamais vu d’éléphants. Quand il a fallu donner un nom à cette plante, ils ont plutôt pensé à un chapeau de feutre porté par les bergers grecs de l’Antiquité, que l’on appelait le pétase.
Comme on n’est plus à une comparaison près la plante s’est aussi vu attribuer le sobriquet de chapeau du diable.
Bigre ! Il est temps de réhabiliter le pétasite. Il paraît que l’on en tire toutes sortes de principes actifs formidables. Il est utile contre la migraine, et il pourrait avoir d’autres talents cachés pas encore totalement attestés. On l’utilisait autrefois contre la peste, étrange raccourci de son nom.
Muguet
Revoilà le joli mois de mai ! Le muguet est pile à l’heure au rendez-vous de la fête du travail dans les jardins de Monet à Giverny. J’ai pris cette photo hier 30 avril du côté du jardin d’eau.
Le muguet a ses fanatiques et j’en fais partie, depuis le temps qu’il m’annonce avec poésie l’arrivée prochaine de mon anniversaire, un évènement qui, autrefois, me réjouissait beaucoup.
Cela étant posé, permettez-moi de médire du muguet.
Ce n’est pas la fleur la plus spectaculaire. En habitant des bois, le muguet se fait discret. Il cache ses clochettes sous de grandes feuilles lisses, l’air de ne pas y être, espérant que vous allez passer à côté sans chercher les brins fleuris au milieu de toute cette verdure. Le subterfuge a un effet limité : le délicieux parfum qu’il émet avec un certain esprit de contradiction le fait repérer malgré son petit jeu de cache-cache.
Il paraît que son nom vient de là, de son parfum, il dérive de la même racine que musc.
Son nom latin est un brin compliqué : Convallaria majalis. Une façon condensée de dire qu’il fleurit en mai (majalis) et dans les vallées (convallaria).
Les anglophones le nomment Lys de la vallée, on dirait du Balzac, mais si le muguet en a la blancheur il ne faudrait pas la prendre pour une marque de candeur.
Le perfide dissimule dans ses clochettes, ses feuilles, ses racines, ses baies surtout, un poison mortel. Vous me direz que c’est une jolie façon de mourir, mais quand même, on n’est pas pressé.
Il est assez paradoxal qu’on ait confié à une fleur aussi dangereuse la mission de porter bonheur, vous ne trouvez pas?
Helianthus
Cela vous est-il déjà arrivé de vous sentir tout petit devant des fleurs ? L’helianthus est de celles qui vous regardent de haut, comme pour mieux se détacher sur le bleu du ciel.
Il fait partie de la famille du tournesol, une famille où tout le monde est grand et jaune. Semé en pleine terre après les gelées, il pousse à toute vitesse pour éclater de couleur en septembre. Il est splendide dans le plein soleil de ces jours-ci comme dans la brume du petit matin.
C’est le moment de venir à Giverny ! Le jardin de Monet est somptueux. La lumière tamisée du matin met en valeur la maison et les avalanches de fleurs répandues partout.
Au bassin, les reflets sont à couper le souffle, et vous verrez les nymphéas s’ouvrir au soleil de l’après-midi.
Hellébore
Y a-t-il des roses de Noël (c’est-à-dire des hellébores, ou ellébores, selon votre humeur) dans le jardin de Claude Monet ? On peut en douter, car pourquoi cultiverait-on des plantes qui fleurissent pendant la période de fermeture ? On est pourtant surpris quand le printemps est précoce de découvrir le jour même de l’ouverture, le 1er avril, des crocus et d’autres bulbes déjà passés. Alors pourquoi pas ?
Difficile de résister à la grâce de l’hellébore, qui a l’élégance de fleurir en plein hiver, à partir de la mi-janvier, en ouvrant une corolle qui ne ressemble pas beaucoup à une rose, mais à l’idée même qu’on se fait d’une fleur.
J’ai photographié celui-ci à la devanture d’un fleuriste. Je n’en ai pas dans mon jardin. Pas encore.
L’été dernier, Birgit est arrivée de l’est de l’Allemagne les bras chargés de boutures. Elle les a plantées un peu partout dans mon jardin, en espérant que certaines finiraient par se plaire quelque part. Il paraît que c’est ainsi qu’il faut procéder avec les ellébores.
Chaque fois que je regarde les petites feuilles vertes des roses de Noël, je pense à Birgit.
Je couve les jeunes plants du regard. Certains ont poussé beaucoup, d’autres pas du tout. Combien de temps faudra-t-il avant les premières fleurs ?
Birgit m’a expliqué qu’elle avait trouvé les pieds mères de ses hellébores il y a des années dans les Vosges, sur un tas de déchets verts. Avec une logique qui me ravit, elle s’était jurée que ces hellébores reviendraient un jour en France. C’est moi qui en ai été l’heureuse bénéficiaire.
Les jardins se font comme cela. Dans celui de Jacques Prévert, dans la Manche, à Omonville-la-Petite, la plupart des végétaux ont été apportés et plantés par des amis. Je ne me souviens plus si c’était du vivant de Jacques ou à titre posthume. Peu importe. Monet aussi pratiquait beaucoup le don de végétaux avec ses amis comme Clemenceau et Caillebotte. Les fleurs sont encore plus belles quand elles enracinent l’amitié, et qu’on peut voir en elles le sourire de celui qui vous les a données.
Fuchsia
Les fuchsias sont encore couverts de fleurs le long des rues de Giverny. Ils tiennent compagnie aux dernières roses qui s’entêtent à fleurir.
Ce Fuchsia de Magellan pousse dans la bordure fleurie devant le Musée d’Art Américain. On le reconnaît à ses longues fleurs effilées. Il vient de la Terre de Feu, ce qui en fait une plante très rustique, qui passe l’hiver en pleine terre sans problème.
La société horticole britannique du fuchsia recense plus de deux cents cultivars susceptibles de résister à cinq hivers consécutifs et refleurir fidèlement l’été.
L’entretien se limite alors à attendre le printemps, où on coupe les brindilles sèches. Si le gel a été rude, on rabat tout au ras du sol, et normalement, ça repousse vigoureusement.
Tous les fuchsias ne sont pas aussi faciles à vivre. La plupart descendent d’aïeux subtropicaux. Ils aiment être rentrés l’hiver, ce qui impose de les cultiver en pots.
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