Gratte-pied
On l’appelle un gratte-pieds, ou encore un décrottoir : ce petit accessoire en métal permet à qui a marché dans la boue de racler ses chaussures. Son usage a été très populaire par le passé, mais les gratte-pieds tendent à disparaître aujourd’hui où les rues sont toutes goudronnées, et où un simple paillasson suffit.
Cet objet humble n’a guère de raison d’attirer l’attention, placé comme il est au ras du sol. Et pourtant celui-ci étonne par son emplacement même : il se trouve à l’entrée d’une église.
A Vétheuil, l’église a deux accès, un porche en façade et un porche latéral, plus proche du centre du village, auquel mène un escalier. Deux gratte-pieds ont été installés, de chaque côté de ces quelques marches.
Il suffit de les regarder pour imaginer le geste des fidèles, les jours de pluie. L’un après l’autre, ils devaient défiler pour retirer la boue de leurs sabots ou de leurs bottes, dans un geste de respect pour l’église. Un acte symbolique qui rappelle celui des musulmans retirant leurs chaussures à l’entrée des mosquées.
Le pont de Normandie
Le pont de Normandie a emprunté leur silhouette aux grands voiliers. Ses haubans s’étirent en lignes parallèles comme les cordages des trois mâts qui se glissent sous son tablier à chaque Armada, le grand rassemblement de voiliers anciens qui a lieu tous les quatre ans à Rouen.
Ici, entre Honfleur et le Havre, la Seine se confond déjà presque avec la mer. Le pont de Normandie est le dernier qui la franchit avant son embouchure. Il a fallu sept ans pour le construire, et le moins que l’on puisse dire est que cela n’a pas été simple d’aller chercher un appui pour les deux pylônes, l’un sur la rive, l’autre les pieds dans l’eau.
C’est le pont de la démesure. Au moment de sa construction, en 1995, il était le plus grand du monde dans sa catégorie, les ponts à haubans. De bout en bout, il fait deux bons kilomètres (2141m exactement), dont 856 mètres entre les deux pylônes.
Dans ce paysage ouvert, il est difficile d’apprécier les distances. Les pylônes, par exemple, mesurent 214 mètres de haut, à comparer avec les 324 mètres de la tour Eiffel. Détail significatif : la rotondité de la Terre est perceptible entre le haut et le bas des pylônes, leurs sommets sont distants de 4 cm supplémentaires par rapport à leurs bases.
Au milieu du pont, on surplombe la Seine de 60 mètres, la hauteur du premier étage du monument parisien. La comparaison ne s’arrête pas là : comme lui, le pont bénéficie, la nuit, d’une mise en lumière superbe.
Pierre Amédée Defontaine
On aurait pu tout oublier de l’existence de Pierre Amédée Defontaine, comme de tant d’autres personnages vernonnais du 19e siècle. Mais ce contemporain de Monet a pris soin de passer à la postérité. Bien sûr, comparée à l’aura du génie de Giverny, la mémoire de Defontaine se fait discrète. Loin des trompettes de la renommée, elle fredonne sa petite chanson en minces filets d’eau.
Dès 1858, Defontaine est constructeur fondeur de son état, à une époque où la fonte connaît son heure de gloire.
Engagé dans la vie politique, le voici d’abord conseiller municipal, puis adjoint au maire de Vernon. C’est je crois ce même intérêt pour la chose publique, cet amour de sa ville qui le poussent à faire un don important à la commune, en 1899. Et quand on s’appelle Defontaine… ce ne peut être qu’une fontaine. Une monumentale fontaine de fonte, qu’on peut toujours voir dans le square derrière la mairie.
Elle se compose de deux vasques concentriques. Dominant celle du haut, une accorte jeune femme semble remplir la fontaine en y versant l’eau de sa cruche. Au-dessous, l’eau jaillit de la bouche de quatre têtes de faunes et de celle de dauphins. Sur une plaque moussue, on peut encore lire « A la ville de Vernon A. Defontaine ancien adjoint ».
Le Gros-Horloge de Rouen
Le Gros-Horloge, c’est le centre du centre ville de Rouen. Il enjambe depuis cinq siècles la rue piétonne que les Rouennais nomment avec un brin de désinvolture la « Rue du Gros », entre la cathédrale et la place du Vieux-Marché.
Tout surprend dans ce monument emblématique : le masculin de son nom, l’or de ses deux cadrans, le passage sous l’arche magnifiquement sculpté de statues représentant le Bon Pasteur…
Le Gros-Horloge se donne des airs d’horloge astronomique, en affichant tout en haut dans un petit oeil de boeuf les phases de la lune, et en bas, un semainier où les jours sont symbolisés par les dieux romains, Mars pour le mardi et Jupiter pour le jeudi, par exemple. Mais, s’il rythme la vie des Rouennais depuis 1389 -le mécanisme est toujours en état de marche – le Gros-Horloge se contente d’une seule aiguille pour donner l’heure.
Le Gros-Horloge est sorti il y a quelques semaines des échafaudages, après de longs et coûteux travaux. On peut à nouveau le visiter, et découvrir l’histoire qui lie l’arche Renaissance au beffroi gothique voisin et à la fontaine d’angle, de style Louis XV. On n’oubliera pas d’admirer deux cloches remarquables du 13e siècle.
Conseils de jardinage
L’hiver s’est trompé de saison, ces jours-ci. Le thermomètre dépasse les 10 degrés, et cette douceur inattendue réveille les jardiniers amateurs, qui se sentent pleins d’une ardeur printanière.
Que pourrait-on bien faire au jardin en ce moment ? Il suffit de surfer sur les très nombreux sites consacrés au jardinage, par exemple celui-ci, celui-là ou encore ce dernier pour se donner des idées. Pour résumer : nettoyer, protéger du froid à venir, élaguer, affûter les outils et mettre de l’ordre dans la cabane.
J’ajoute : admirer la première jonquille, la plus intrépide, qui fleurit déjà, respirer l’air frais lavé par la pluie, faire un bouquet des branches de noisetier couvertes de chatons, remettre les gants et gagner – temporairement – la bataille contre les orties, se promener dans les allées oubliées depuis des semaines et noter les changements depuis l’automne, s’émerveiller devant le tissage d’un nid vide que l’hiver a révélé…
Quelques oiseaux, timides, chantent. On a envie d’en faire autant.
Hellébore
Y a-t-il des roses de Noël (c’est-à-dire des hellébores, ou ellébores, selon votre humeur) dans le jardin de Claude Monet ? On peut en douter, car pourquoi cultiverait-on des plantes qui fleurissent pendant la période de fermeture ? On est pourtant surpris quand le printemps est précoce de découvrir le jour même de l’ouverture, le 1er avril, des crocus et d’autres bulbes déjà passés. Alors pourquoi pas ?
Difficile de résister à la grâce de l’hellébore, qui a l’élégance de fleurir en plein hiver, à partir de la mi-janvier, en ouvrant une corolle qui ne ressemble pas beaucoup à une rose, mais à l’idée même qu’on se fait d’une fleur.
J’ai photographié celui-ci à la devanture d’un fleuriste. Je n’en ai pas dans mon jardin. Pas encore.
L’été dernier, Birgit est arrivée de l’est de l’Allemagne les bras chargés de boutures. Elle les a plantées un peu partout dans mon jardin, en espérant que certaines finiraient par se plaire quelque part. Il paraît que c’est ainsi qu’il faut procéder avec les ellébores.
Chaque fois que je regarde les petites feuilles vertes des roses de Noël, je pense à Birgit.
Je couve les jeunes plants du regard. Certains ont poussé beaucoup, d’autres pas du tout. Combien de temps faudra-t-il avant les premières fleurs ?
Birgit m’a expliqué qu’elle avait trouvé les pieds mères de ses hellébores il y a des années dans les Vosges, sur un tas de déchets verts. Avec une logique qui me ravit, elle s’était jurée que ces hellébores reviendraient un jour en France. C’est moi qui en ai été l’heureuse bénéficiaire.
Les jardins se font comme cela. Dans celui de Jacques Prévert, dans la Manche, à Omonville-la-Petite, la plupart des végétaux ont été apportés et plantés par des amis. Je ne me souviens plus si c’était du vivant de Jacques ou à titre posthume. Peu importe. Monet aussi pratiquait beaucoup le don de végétaux avec ses amis comme Clemenceau et Caillebotte. Les fleurs sont encore plus belles quand elles enracinent l’amitié, et qu’on peut voir en elles le sourire de celui qui vous les a données.
L’arboretum de la Roche-Guyon
Voilà un joli but de promenade en toutes saisons : à quelques kilomètres de Giverny, il faut suivre la pittoresque route des Crêtes qui surplombe la vallée de la Seine en offrant de superbes panoramas entre les villages de la Roche-Guyon et de Vétheuil. A mi-parcours environ, une allée cavalière s’ouvre sur la gauche, avec l’indication de l’arboretum à 1200 mètres.
C’est parti pour un quart d’heure de marche à travers la forêt. Tout au bout de l’allée, à flanc de coteau, vous arrivez à un parc de treize hectares plantés d’arbres encore jeunes. L’entrée est gratuite et toujours ouverte.
Le fil conducteur de ce parc, ce sont les forêts de l’Ile de France. L’arboretum figure la carte de la Région, avec ses vallées et ses départements. Chacun d’eux est représenté par une essence d’arbres qui pousse spontanément dans ses forêts, chêne, hêtre, érable, frêne, tilleul…
On peut compter autant d’arbres qu’il y a de communes dans le département francilien. Les platanes symbolisent Paris. Des arbres plus rares enrichissent la collection.
L’endroit le plus magique de l’arboretum se situe tout en bas sur la droite. Des dizaines de sequoïas – un de mes arbres préférés – bordent une petite allée sinueuse. Entre eux poussent une collection de bambous tous différents, puis une collection de houx. Même en ce moment, tout est vert. Les sequoïas n’ont pas encore atteint leur maturité, certes, mais ils sont déjà de belle taille. Cela promet une allée grandiose pour nos petits-enfants.
Vue aérienne de la maison de Monet
C’est le Yann Arthus-Bertrand de chez nous : Francis Cormon photographie la région de Vernon depuis les airs, suspendu à son paramoteur – une aile de parapente équipée d’un moteur à hélice.
Le site où il présente ses photos aériennes donnerait envie de voler à n’importe qui. De photo en photo, on a l’impression de planer dans les airs, le paysage déroulé comme un tapis sous les pieds.
La beauté des prises de vue est saisissante. Que la région est magnifique vue du ciel ! Et comme cela doit être difficile de combiner les impératifs du pilotage, les aléas de la météo et les contraintes de la photo pour arriver à un tel résultat !
Certains détails apparaissent mieux vus d’en haut : ainsi, le jardin de Monet expose la rigueur du tracé géométrique de son clos normand, moins apparent du sol, quand il est masqué par l’exhubérance des massifs.
Surtout, on découvre des endroits cachés, des ilôts secrets, des châteaux dissimulés au fond de parcs, des chapelles perdues au milieu des champs. On voit la forteresse de Château-Gaillard émerger d’une mer de brouillard dans une mise en scène spontanée et grandiose. On se promène au coeur de Vernon comme dans un plan en relief, et la gare de Pacy-sur-Eure ressemble trait pour trait à un modèle réduit.
Enfin, le paramoteur permet de se rapprocher à quelques mètres du sol. Et ce qu’il donne à voir alors, c’est la beauté simple du paysage rural, les sillons rectilignes, les alignements de meules, les couleurs éclatantes des champs de lin, de colza ou de coquelicots. De témoignage géographique, la photo devient art graphique, avec pour matériau la trace du travail des hommes. Je me demande si ce ne sont pas ces photos-là que je préfère.
Illuminations de Noël
Après Noël,
quand la fête est finie,
quand les sapins desséchés gisent sur les trottoirs,
quand les voitures télécommandées tournent dans les parkings,
quand le foie gras et les chocolats sont bradés à prix coûtant,
quand on range la sono,
quand on a balayé les cotillons,
après Noël,
les illuminations des rues se poursuivent chaque soir.
Un dais de lumière couvre la rue piétonne,
des sapins bleus garnissent la fontaine d’où coulent des gouttes brillantes,
Des milliers d’ampoules électriques formant rideaux et draperies
clignotent et scintillent
comme si de rien n’était.
Elles brillent pour personne dans les rues vides,
incongrues,
anachroniques,
juste pour faire joli et réchauffer la nuit.
Crashs aériens
On inaugure aujourd’hui à Paris le monument aux victimes du crash aérien de Charm el Cheik, survenu il y a tout juste trois ans. 143 touristes français rentraient de vacances en Egypte quand leur avion s’est abîmé dans la mer Rouge. Ma soeur était à bord.
J’y pense encore souvent. Je rencontre beaucoup de touristes, et il suffit qu’ils expriment de l’appréhension à l’idée de prendre l’avion pour que toute l’angoisse revienne. Changeons de sujet.
Un nouveau monument vient d’être érigé à Giverny. Il a été judicieusement placé derrière l’église, à côté de la tombe des Monet et de celle de la famille van der Kemp. C’et un endroit propice au recueillement.
Deux blocs de pierre brute encadrent une pale d’hélice.
Elle appartenait à un avion de la Royal Air Force, un bombardier Lancaster qui s’est écrasé dans la plaine des Ajoux, à Giverny, le 7 juin 1944. Sept jeunes soldats britanniques ont péri. Ils reposent dans le cimetière de l’autre côté de l’église. Leur tombe se repère facilement au drapeau qui flotte au-dessus.
Les débris de l’avion sont restés pendant des années enfouis au milieu du champ où il était tombé. On dirait bien qu’on en distingue encore l’emplacement sur la photo satellite de Giverny.
Et puis, il y a quelques années, une association est venue faire des fouilles. Aucune mention n’est faite de ce groupe de passionnés sur la stèle qui accompagne le monument. Ils ont préféré s’effacer devant le sacrifice de l’équipage du Lancaster, je suppose.
Je me souviens de l’émotion qu’avait suscitée la mise au jour des restes de l’avion. Soixante ans plus tard, la terre où gisait le moteur sentait encore l’huile…
C’est donc une pièce de cet avion qu’il nous est donné de voir sur le monument. Une pale à la courbure aérodynamique, la partie la plus belle de l’avion, celle qui le fait avancer.
Les paradoxes s’accumulent autour de cette pale d’hélice. Paradoxe d’un engin fait pour voler qui s’écrase. Paradoxe d’un équipage composé de courageux soldats venus libérer l’Europe, mais qui transportait des bombes. Paradoxe de jeunes gens plein d’avenir qui ont trouvé la mort à Giverny. Paradoxe de la paix qui a suivi leur sacrifice et celui de tant d’autres, et qui unit aujourd’hui les ennemis d’hier.
La pale a retrouvé tout son éclat d’origine, elle brille avec un beau reflet argenté.
Si on la regarde attentivement, on remarque pourtant que la partie basse de l’hélice n’et pas aussi rutilante que le haut. En s’agenouillant, on voit des traces noires. Des impacts creusés dans le métal. L’histoire de la chute de l’avion se révèle.
On peut mettre les doigts dans ces traces, toucher du doigt l’horreur de la guerre. Après soixante ans de paix sur notre sol, ceux qui n’en ont pas la mémoire savent-ils vraiment ce qu’est la guerre, avec son cortège de sang et de larmes ? Au fond de nous, les jeunes générations, nous sommes incrédules. Comme saint Thomas, nous avons besoin de toucher du doigt les stigmates pour croire. Nous persuader de l’épouvantable.
Trivial Pursuit Normandie
Les soirées sont longues, les enfants en vacances : c’est le moment de ressortir les jeux de société, et pourquoi pas le Trivial Pursuit si vous en avez un ; sinon, je vous souffle l’idée-cadeau pour Noël 2007.
Il existe une version normande du célèbre jeu de questions. Hasbro la recommande à partir de 15 ans, mais on peut faire des équipes adulte-enfant : comme il faut la plupart du temps répondre au hasard, les plus jeunes peuvent très bien participer, et n’ont pas plus de chances de se tromper que les grands…
L’édition Normandie balaie les cinq départements de la région, en proposant 3000 questions et leurs réponses. Disons-le : la plupart du temps, elles supposent une telle érudition que cela en est agaçant.
« – Les centrales nucléaires normandes sont-elles de la filière graphite-gaz, zirconium bi-fluoré (!) ou de la filière des réacteurs à eau sous pression ?(Réponse : eau sous pression)
– Dans quelle ville de Basse Normandie peut-on visiter le parc Saint-Martin, qui est un parc animalier ? (R: Montaigu la Brisette)
– A quel réalisateur italien doit-on Malena, lauréat du Grand Prix du Festival du film romantique de Cabourg en 2001 : Tornatore, Bertolucci ou Moretti ? (R: Tornatore)
– Sur quel trimaran Francis Joyon établit-il le record de la traversée de l’Atlantique en solitaire dans le sens Est-Ouest en juin 2000 ? (R: Eure-et-Loir). » Etc…
A ce compte, on met une demi-heure à décrocher la première part de camembert, et la partie s’éternise.
Cela a dû être un travail considérable de formuler toutes ces questions, et d’éviter les erreurs. J’en ai toutefois relevé une dans cette question : » Quel édifice de Giverny devint le lieu de rencontre d’artistes peintres américains vers 1890 : l’hôtel Baudry, Caudry, Daudry ou Faudry ? » On a beau relire, la bonne réponse, l’hôtel Baudy, ne figure pas dans la liste. L’erreur est humaine, même parmi les grosses têtes qui torturent celles des autres, petite revanche !
Et puis tout à coup la chance vous sourit, allez savoir pourquoi. Vous tombez sur une question d’une déconcertante facilité, dont tout le monde connaît la réponse.
« A quel peintre doit-on Le Bassin aux Nymphéas, harmonie verte ? »
Et celle-ci, ma préférée : « A quel jeu de société peut-on l’emporter en étant le premier à gagner, selon le langage populaire, six parts d’un célèbre fromage normand ? »
Carte de voeux
Bonne et heureuse année 2007 ! Je vous souhaite qu’elle soit riche en découvertes, en rencontres, en apprentissages couronnés de réussite… Et voici, pour mieux vous le dire, des brassées de fleurs.
Je chinais dans une ville d’eau, bien loin de la Normandie, quand j’ai eu la surprise de reconnaître la collégiale de Vernon et la maison du Temps Jadis à l’arrière-plan de cette carte postale.
Je ne sais pas si la photo a été prise en plein air, ou au contraire en studio avec une photo géante dans le fond, comme cela se pratiquait à l’époque. Si c’est le cas, c’est habilement fait.
Je n’ai pas idée de la date non plus. L’habillement, le chapeau laissent à penser qu’elle n’est pas très ancienne, les années 40 ou 50 peut-être ? Le texte écrit à l’encre au dos de la carte, d’une orthographe incertaine, ne fournit pas beaucoup d’indications : « Recevez de nous deux nos Meilleur souhait de bonne année à vous tous et bon baisez. Eva Roger. »
Chiche qu’en 2007, on va faire plus original !
Au gui l’an neuf
Un des moments les plus ludiques du 31 décembre, c’est d’aller chercher une boule de gui dans les arbres. Je devrais dire marauder, car il faut se glisser sous les barbelés, armé de son sécateur, mais j’ai la bénédiction du propriétaire du terrain. S’agissant d’un parasite comme le gui, cela ne peut faire que du bien aux arbres d’en être débarassés, même si les prélèvements de la Saint-Sylvestre sont loin de se montrer efficaces. Pour tout dire, ils sont insignifiants, on a même l’impression que d’année en année, le gui prend ses aises.
Le gui ne pousse pas que dans les chênes de la forêt des Carnutes, mais aussi sur toutes sortes d’autres arbres, en particulier les pommiers et les peupliers. Je ne vous apprendrai rien en disant que ce sont les oiseaux qui le disséminent par leurs fientes, dans lesquelles on retrouve les baies non digérées et prêtes à germer un peu plus loin.
Le gui s’installe ensuite très solidement, et il n’est pas facile à couper. Mais ce n’est pas le pire : le plus difficile, c’est d’en trouver un brin accessible, et non pas rivalisant d’altitude avec les nids de pie.
Je me refuse toutefois à traverser les prés avec un escabeau, il ne faut pas exagérer. Jusqu’ici, cela n’a jamais été indispensable. Déjà, l’appareil photo sous les barbelés, c’était moyen. Le temps est si couvert aujourd’hui qu’il a fallu le flash en plein après-midi, c’t’une honte.
Voilà, la branche de gui est accrochée sous la poutre, à côté du carillon soigneusement remonté pour sonner les douze coups tout à l’heure. C’est moins précis que l’horloge atomique, mais on s’en fiche, non ?
Promis, à minuit sonnante, je me mets sous le gui et je vous embrasse tous par la pensée. Bonne année !
Jeu d’échecs géant
Dans le jardin des Arts, à Vernon, un jeu d’échecs géant a été installé au pied de la tour des Archives.
C’est un choix très inspiré. Outre qu’il apporte un agrément supplémentaire à ce square de centre ville, ce champ de bataille symbolique rappelle que Vernon a été ville frontière autrefois.
La tour des Archives, c’est ce qu’il reste du château médiéval de Vernon, un donjon circulaire aux pierres soigneusement taillées. Ces tours rondes qui ont défié le temps portent la marque de fabrique de Philippe-Auguste. Le roi de France, fin stratège, en a fait bâtir plusieurs du même modèle aux marches de son domaine, à la fin du 12e siècle.
Il y a huit cents ans, le royaume de France était borné par l’Epte, qui coule à Giverny. De l’autre côté de la rivière, sur la rive Ouest, s’étendait le duché de Normandie. Autrement dit le fief du roi d’Angleterre, Richard Coeur de Lion, beaucoup plus puissant que le roi de France. Et donc potentiellement menaçant.
Les rives de l’Epte sont l’espace de confrontation de ces deux puissances, et de ces deux caractères. Le rusé Philippe-Auguste, l’impétueux Richard. Deux rois se défient.
De chaque côté, on bâtit tour sur tour. Aux Andelys, sur un éperon qui domine la Seine, le duc-roi fait construire la forteresse de château-Gaillard.
La partie d’échecs dure plusieurs années. Elle est faite d’intimidation et de joutes verbales. « Je prendrai ce château, fut-il de fer ! » s’écrie le roi de France. « Je le défendrai, fut-il de beurre ! » fanfaronne celui d’Angleterre. Les forces sont en équilibre.
Mais après la mort de Richard, son frère Jean Sans Terre ne sait pas opposer la même résistance à l’avancée des pions et des cavaliers. Au lieu d’affronter le danger, il biaise, tel un fou.
Quelques mois de siège, un assaut, château-Gaillard tombe au printemps 1204. Echec et mat. Toute la Normandie devient française la même année.
Vitrines peintes
Les rues des villes ne sont jamais aussi belles que pendant les jours les plus courts de l’année, quand elles ont l’air de se préparer au grand soir, ornées de fards et de bijoux.
Chaque vitrine raconte les fêtes à sa manière, avec son style propre, contemporain, naturel ou romantique. Les plus bavardes sont les grandes baies des brasseries, qui ne dérogent jamais à la tradition des fenêtres peintes.
Même dans une petite ville comme Vernon, on peut en voir beaucoup, car les limonadiers ne sont pas les seuls à faire décorer leurs vitrines par des artistes. Des charcutiers-traiteurs et des coiffeurs s’y mettent aussi, et cela donne beaucoup de gaieté aux rues dans la grisaille de l’hiver.
On voit des pères Noël faire du ski, des fées patiner, des villages enneigés au milieu des sapins, dans une débauche de blanc de Meudon, et aussi des branches de houx, des bougies, des montagnes de paquets cadeaux… Des thèmes de carte postale, sans autre prétention que de faire plaisir aux passants.
Noël est une date incontournable, mais on peut voir des vitrines peintes à d’autres moments de l’année, par exemple à la Saint-Valentin ou pour les grands rendez-vous du football. Elles ont le charme de l’éphémère, des dessins à la craie sur les trottoirs, de ce qui passe et s’envole, et qui pourtant revient chaque année, comme les oiseaux.
Merci
Il faut que je cherche loin dans ma mémoire pour trouver le souvenir d’un Noël aussi riche en émotion. Comment vous dire ? J’ai le coeur plein d’allégresse et de gratitude, encore émerveillée de tant de joie.
Ils avaient du rire dans les yeux, de voir comment ils avaient fait mouche.
Ca fait toujours un peu chavirer, de se sentir aimé, n’est-ce pas ? J’ai senti tant de messages dans leurs cadeaux, de la tendresse, et aussi de la fierté, de la confiance, des encouragements… Un appui très fort pour aller de l’avant dans tous les projets de l’an neuf.
J’ai un peu changé de cap cette année. Au lieu d’égrener les misères du monde, j’en raconte la beauté. Quelle joie de sentir que me proches approuvent cela. Il n’y a plus qu’à tenir bon la barre et le vent, avec des forces décuplées.
Poinsettia
S’il est une plante fleurie qui accompagne traditionnellement les fêtes de Noël, c’est bien le poinsettia. Avec ses bractées rouges en forme d’étoile, il est tout indiqué pour cette période de l’année.
Dans son milieu naturel, au Mexique, le poinsettia atteint les trois mètres de haut. Les spécimens que nous trouvons chez les fleuristes sont des sortes de bonsaïs, des plantes sélectionnées pour leur caractère nain.
On peut espérer jusqu’à quatre mois de floraison si la plante se plaît, c’est-à-dire si elle a assez de lumière, pas trop d’eau, une température constante et pas de courant d’air. Mais il est difficile de faire refleurir un poinsettia, qui réclame pour cela des nuits vraiment noires, et à moins d’être très motivé, il faut se résoudre à en changer tous les ans. Cela permet de varier les couleurs, qui vont du rouge au crème et au rosé.
Le jardin botanique de Montréal propose un site entier consacré au poinsettia, où l’on apprend que le nom de la plante vient de celui de l’ambassadeur des États-Unis, le Dr. Joel Roberts Poinsett, dans la nouvelle République du Mexique, en 1825. Collectionneur de plantes, il a fait connaître celle-ci aux Etats-Unis. Au départ, elle perdait toutes ses feuilles vertes au moment de la floraison, mais elle a été améliorée depuis. Toutefois, dans les conditions extrêmes des appartements contemporains, il n’est pas impossible de renouer avec cette caractéristique historique…
Veillée de Noël à la collégiale de Vernon
Les grandes fêtes chrétiennes sont l’occasion de voir les églises connaître la même affluence qu’à l’époque de leur construction. A Vernon, la collégiale a fait nef comble pour les veillées de Noël : au moins six cents personnes à chaque célébration.
Toutes les ressources du bâtiment sont mises à profit lors de ces rassemblements exceptionnels. Sa surface, son volume, son éclairage, son acoustique. Les grandes orgues dans toutes leurs nuances, aussi douces qu’un murmure pour accompagner la voix d’une soprano dans un choral, éclatantes quand toute l’assemblée entonne un air traditionnel.
Il arrive même que l’architecture joue son rôle. Les églises normandes un peu conséquentes ont toutes une élévation sur trois niveaux, grandes arcades, triforium et fenêtres hautes. Le triforium, qui correspond aux combles des bas-côtés, récèle un passage destiné à l’inspection des maçonneries, et où bien entendu personne ne va jamais.
Ce n’est donc pas sans surprise que les fidèles réunis à Vernon dimanche soir ont pu voir un bras apparaître entre les colonnettes et déverser des centaines de confettis dorés sur l’assistance pendant le chant final. On aurait dit qu’il lançait à pleines poignées l’esprit de Noël. Les enfants assis devant l’autel tendaient les bras pour attraper les papiers dorés, qui voletaient longuement dans l’air, pris dans les volutes du chauffage. Cela a duré des minutes, le temps de tous les couplets d’ Il est né le divin enfant.
De près, on a pu voir que les confettis avaient la forme d’un nouveau-né, et qu’ils étaient découpés aux ciseaux dans du papier doré. Découpés à la main ! Qu’il y ait eu des personnes assez généreuses de leur temps pour offrir à tous ceux qui avaient un coeur d’enfant ces instants de magie, cela m’a profondément touchée. L’être humain est bien meilleur qu’on voudrait nous le faire croire.
Noël chez Monet
Fêtons Noël avec Claude Monet ! Dans son introduction aux Carnets de cuisine de Monet, (Ed. Chêne), Claire Joyes raconte comment se passe la plus belle fête de l’année dans la maison rose de Giverny.
Le sapin de Noël est installé dans le salon mauve, le petit boudoir d’Alice. Au pied de l’arbre sont disposés les cadeaux destinés aux enfants. Il va falloir qu’ils soient patients ! Ils n’auront le droit de les ouvrir qu’après le déjeuner de Noël, peut-être même le 31 décembre seulement. Au tournant du siècle dernier, la coutume est en effet de réserver les échanges de présents pour le nouvel an.
On sait en tout cas que Monet a offert à Alice le portrait que voici de son dernier-né, Jean-Pierre Hoschedé, à la saint-Sylvestre, car il l’a daté 31 Xbr 1878.
Le repas est servi un peu plus tard que d’habitude : à midi pile. La décoration est sobre, guirlandes de feuilles et de fleurs disposées sur la table, par exemple du mimosa dont les fleurs jaunes se marient à merveille avec les couleurs de la salle à manger.
La table resplendit de l’éclat du service de porcelaine des grands jours, des verres en cristal et de l’argenterie.
A côté de leurs serviettes monogrammées, les huit enfants découvrent en s’asseyant leurs étrennes glissées dans une enveloppe, et une petite boîte contenant des confiseries ou un bijou. Une odeur délicieuse vient de la cuisine voisine…
On raffole des truffes chez les Monet. Voici une idée du menu de Noël traditionnel :
Oeufs brouillés aux truffes
Foie gras de Strasbourg truffé en croûte
Chapons truffés et farcis sur un lit de marrons et de truffes du Périgord, accompagnés de purée de marrons
Salade de mâche
Roquefort
Pudding flambé au rhum
Glace à la banane
Café
Alcools
Certainement aussi succulent que… calorique ! Et dire qu’il arrive que l’on festoie ainsi plusieurs jours de suite, au gré des invitations !
Cadeau de Noël
Un merveilleux petit film d’animation sur Claude Monet à télécharger, cela vous tente ?
La vie de Claude Monet et son jardin ont inspiré les créateurs de « In Winter Still », qui vient d’être publié en DVD et sur le web par les studios Auryn. Cette start-up de Los Angeles se spécialise dans la création de films utilisant les techniques picturales des grands peintres.
Les animateurs ont transposé à Giverny la nouvelle d’Oscar Wilde « le géant égoïste », en donnant à leurs images l’aspect de peintures de Monet.
Des enfants jouent avec bonheur dans les jardins de Monet, mais un jour, le jardinier leur en interdit l’accès. Le jardin se fige alors en hiver. Heureusement, Monet finira par s’apercevoir de l’égoïsme de son jardinier, les enfants reviendront et le jardin refleurira. Enfin, devenu vieux, il apercevra un petit garçon, son propre fils Jean, prêt à l’emmener dans un jardin encore plus beau : le paradis.
Il n’existe pas de version française du film pour le moment, mais on peut apprécier l’histoire même si on ne parle pas très bien anglais, car la diction est claire et posée. Vous pouvez vous en rendre compte en visionnant la bande annonce.
Un petit conseil : si votre connexion n’est pas ultra-rapide, cette bande-annonce vous paraîtra hachée, mettez-vous alors en pause et attendez que le film soit entièrement chargé pour le relancer.
Ce court-métrage plein de délicatesse et d’émotion plaira à tous ceux qui aiment les belles histoires, la poésie, et l’univers pictural de Monet.
On peut le télécharger ou l’acheter en DVD pour 7,99 dollars américains sur le site de l’éditeur.
Joyeux Noël à tous !
Brume hivernale
Chaque matin, l’hiver déploie tous ses charmes, en guise de récompense à ceux qui ont fait l’effort de se lever.
La brume monte du fleuve et se répand dans les prés en vapeur aérienne. Des voiles de transparence allègent les masses, effacent les contours. Une poésie silencieuse transfigure les arbres dénudés.
Et voici l’aurore qui succède à l’aube, et qui invente des couleurs de layette dans tout le ciel.
Allée couverte de Dampsmesnil
Saviez-vous que la région de Giverny possède un remarquable mégalithe, une allée couverte, à Dampmesnil ?
La balade démarre par une grimpette de cinq minutes en sous-bois. Les hommes de la préhistoire sont allés construire leur sépulture au sommet d’une colline qui surplombe la vallée de l’Epte. Quand vous commencez à être essoufflé, ouf, le chemin oblique à gauche et devient plat. Encore quelques pas et vous y êtes.
C’est à peine une clairière. Des blocs de rochers sont alignés en deux rangées parallèles, à moitié enterrés, sur six mètres de long. Une énorme dalle forme un toit. L’ensemble rappelle les dolmens. On voit encore la base de la pierre qui fermait la chambre funéraire, percée d’un trou rond pour le passage d’un homme. Juste à côté de l’entrée, insolite, un visage est gravé dans la pierre.
Cette allée couverte est là depuis 4000 ans. Au néolithique final, des agriculteurs ont vécu dans les environs. Il ne reste plus rien d’eux, de leurs huttes, sauf ce mausolée qu’ils ont bâti pour ensevelir dignement leurs morts. Vous essayez de les imaginer ici-même, tous les hommes du clan en train d’unir leurs forces pour déplacer ces blocs de calcaire de plusieurs tonnes. Vous vous sentez plein d’admiration, quand vous réalisez qu’à la même époque, les pharaons se faisaient bâtir des pyramides. A côté, nos ancêtres étaient des rustauds.
S’il fait beau comme aujourd’hui, ne manquez pas de faire cette promenade autour du 22 décembre. En vous plaçant à l’arrière du mégalithe, votre regard suit la même direction que celui des hommes préhistoriques : ils ont soigneusement orienté l’allée couverte face au coucher du soleil au solstice d’hiver. Enfin, presque. Depuis, l’axe de rotation de la terre s’est incliné d’un chouïa, le soleil se couche un peu plus à l’ouest. Ca donne un peu le vertige, de pouvoir visualiser quatre millénaires.
Si j’ai un conseil à vous donner, ce serait de ne pas oublier que vous vous trouvez dans un sanctuaire, et de vous montrer respectueux de ce monument qui nous arrive tout droit de nos ancêtres des âges farouches.
Il y a quatre ans, j’ai eu la chance d’être en contact via internet avec un chercheur écossais qui travaille sur l’orientation des cairns. Ayant vu la page consacrée à l’allée couverte de Dampsmesnil, il voulait savoir si son orientation était la même que ses homologues écossaises.
J’ai profité d’une éclaircie fin décembre pour foncer sur place, me ruer en haut de la colline et surgir derrière le monument mégalithique deux minutes avant le coucher du soleil. Là, j’ai constaté avec une émotion certaine que le soleil éclairait le fond de l’allée, comme en Ecosse, incroyable !
Les mânes des anciens ont-elles ressenti une profanation ? Toujours est-il que lorsque j’ai voulu reprendre ma voiture, elle était embourbée… Et j’ai eu tout le temps de revenir à plus de recueillement, sur fond sonore de cris de chouettes, en attendant que la dépanneuse arrive à la nuit noire !
Tondo
En 1908, voilà déjà cinq ans que Claude Monet ne peint plus que des Nymphéas, ces nénuphars qui ornent le bassin de son jardin à Giverny. Cinq ans de recherches, enfermé dans son jardin, à étudier inlassablement le même motif.
La vision paysagiste a progressivement disparu, en même temps que la représentation des berges ou de branches. Monet se laisse hypnotiser par l’eau, les arbres et les nuages qui s’y reflètent, les fleurs qui flottent.
C’est ainsi qu’il lui vient un jour l’envie d’essayer un format circulaire, qu’on appelle un tondo. Inscrit dans une forme ronde, le bassin y devient une sorte d’évocation d’un monde clos, d’un univers sans limite.
Vernon partage avec Saint-Etienne et Houston le privilège de posséder un de ces rares tondos.
La photo ne rend pas souvent justice aux Monet, et la reproduction ci-contre ne donne qu’une pâle idée de la délicatesse exquise des coloris de celui, sobrement intitulé Nymphéas, qui se trouve au musée A.G. Poulain à Vernon. D’assez grande taille (90 cm de diamètre) il permet effectivement au regard de se perdre dans les mirages de l’étang.
C’est Monet lui-même qui en a fait don à la ville, un an avant sa mort, en 1925.
Auparavant, le tableau a été prêté pendant trois ans à la manufacture des Gobelins, à Paris, pour qu’il en soit fait une tapisserie. Le directeur de la célèbre manufacture n’était alors autre que Gustave Geffroy, critique d’art et ami de longue date de Monet.
Dans la correspondance vendue aux enchères la semaine dernière, plusieurs lettres de Geffroy évoquent ce projet. En 1906, il explique qu’il a accepté la direction des Gobelins pour de multiples raisons, notamment l’envie de faire exécuter un Monet en tapisserie. L’idée viendrait de Monet lui-même :
« Vous souvenez-vous du désir que vous m’exprimiez il y a environ deux ans de voir exécuté en tapisserie votre Jardin d’Eau. C’est par cela que je veux commencer. Cela seul suffirait à marquer mon passage ».
En 1907, Geffroy relance Monet :
» Nous voici en juin – c’est le moment où vous devez résumer pour les Gobelins, en un tapis qui sera une date dans l’histoire de la manufacture (ne dites pas non) la poésie du ciel, de l’eau et des fleurs. »
« Ne dites pas non » se réfère à l’éloge, non au projet lui-même. En 1908, celui-ci connaît quelques retards, mais un an plus tard, Monet envoie plusieurs toiles, dont le tondo que Geffroy trouve « admirable d’atmosphère molle et bleue d’un jour d’été ». Il le fera interpréter en Savonnerie, comme deux autres oeuvres de Monet.
La ville de Vernon a choisi cette année ce joyau des collections du musée municipal pour illustrer sa carte de voeux. Est-ce un hasard ? Le format de la carte découpée est le même que celui suggéré par Geffroy à Monet dans une lettre où, dessin à l’appui, il lui explique comment il pourrait faire monter la tapisserie « en écran ».
Autographes
On écrivait beaucoup de lettres, avant l’ère du téléphone. Un millier de missives reçues par Monet viennent d’être vendues aux enchères à Paris par Artcurial. Quelle personne possède, aujourd’hui, un millier de lettres manuscrites qu’elle a reçues ?
La collection était estimée à 500.000 euros. La vente a explosé cette évaluation, pour atteindre 1,3 millions d’euros !
Presque tous les lots ont trouvé preneurs, certains très âprement disputés. Les musées français (le Musée d’Orsay, le musée Cézanne à Aix-en Provence…) étaient présents. Ils ont effectué 116 préemptions.
Je crois qu’ils n’interviennent pas pendant les enchères, mais qu’ils se manifestent juste après l’adjudication. Ils ont ensuite, me semble-t-il, quinze jours pour se décider, et s’ils se rétractent, l’objet va au dernier enchérisseur. C’est un système qui me paraît très juste pour tout le monde.
J’espère que les crédits suivront et que les musées pourront conserver une bonne quantité de ces précieux courriers. Mais pour tout dire, peu m’importe dans le fond où se trouvent physiquement les lettres. Je comprends qu’on puisse attacher une grande valeur à ce papier sur lequel a glissé la plume d’une personne plus ou moins célèbre, il y a plus de cent ans. C’est très émouvant. Mais le plus intéressant, c’est tout de même le contenu de la correspondance, sa valeur informative.
S’il fallait faire des économies, je serais d’avis qu’il y ait une obligation de prendre une bonne copie de chaque courrier, une transcription, et de mettre ces informations à disposition du public dans les archives des musées. Après, les lettres pourraient vivre leur vie en passant de main en main chez les collectionneurs.
Les Galettes
6 janvier 2007 / 6 commentaires sur Les Galettes
De février à avril 1882, Monet séjourne à Pourville, sur les côtes de la Manche, non loin de Dieppe. Il loge dans le modeste hôtel – restaurant – casino du village balnéaire.
L'établissement s'appelle "A la Renommée des Bonnes Galettes". Il est tenu par Paul Antoine Graff. Ce chef né en Alsace a peut-être émigré en Normandie après la défaite de 1871, qui donne l'Alsace à l'Allemagne.
Monet n'a pas un sou. En cette saison hivernale, il est le seul pensionnaire de l'hôtel. L'hébergement ne coûte que 6 francs par jour, contre 20 francs dans un hôtel de Dieppe, mais comment payer ?
Les Graff sont de braves gens, ils acceptent de se laisser peindre par Monet en échange de sa pension. Le peintre exécute deux grands portraits, l'un du Père Paul, l'autre de la Mère Paul en compagnie de sa petite chienne griffon Follette ; enfin, ce sont les galettes que le peintre croque sur la toile.
Deux belles galettes dorées à souhait refroidissent sur des claies d'osier. On les devine riches en beurre, car c'est comme ça qu'on l'aime, comme dit la chanson. Des coups de couteau rayonnants tracés dans la pâte leurs donnent l'aspect de deux grosses fleurs.
Les galettes sont disposées sur une table recouverte d'une nappe blanche. A côté, une carafe qui contient peut-être du cidre, de la couleur exacte des galettes. De l'autre côté, un couteau.
C'est ce couteau noir, à la lame effilée, qui dérange. Tout est doux dans le tableau, les formes arrondies, les teintes lumineuses et dorées, sauf ce terrible couteau pointu.
Au lieu d'être posé sur le bord d'une galette, comme une invitation à la couper, le couteau pointe vers le spectateur. Vers le peintre. Vers sa signature.
Dès lors, on peut s'interroger sur la composition de l'oeuvre. Monet cadre serré, coupant même le haut de la carafe. La scène en acquiert une indéniable intensité dramatique.
Quelques précisions biographiques peuvent contribuer à une interprétation symbolique du tableau. Au moment où Monet peint les Galettes, il se trouve seul sur la côte normande. Alice, qui est encore la femme d'Ernest Hoschedé, est restée seule à Poissy avec les huit enfants : les deux fils de Monet et Camille et les six enfants qu'elle a eus avec Ernest.
La toile devient le champ de projection des conflits qui déchirent Monet. Il aime Alice, mais il en est séparé. A Poissy, ils logent ensemble, mais il l'appelle Madame. Un parfum de scandale flotte depuis le décès de Camille et le départ d'Ernest. Et si Alice venait à renoncer à vivre avec lui ? Et si elle retournait auprès d'Ernest ?
Le couple de galettes semble représenter le sien. Le couteau, c'est cette menace qui pèse sur son coeur, et qui pourrait bien le briser.
Monet, comme la carafe, en perd la tête. Comme elle, si près du bord de la table, il semble happé par la dangereuse proximité des falaises.