Home » Evreux
Category Archives: Evreux
La résurrection des cloches
Les cloches sonnent à toutes volées ce matin dans la joie de Pâques. A Evreux, pourtant, elles se sont tues longtemps.
Les Ebroïciens qui ont connu la guerre ont gardé des images terribles des bombardements de juin 1940 qui ont détruit une bonne partie du centre ville. L’incendie a suivi les bombes. La cathédrale a fini par être atteinte par le brasier le 11 juin.
La charpente de la flèche s’est embrasée comme un feu de la Saint-Jean. Le plomb qui la recouvrait a fondu. Sombres journées où les gargouilles crachaient du plomb…
La fournaise était telle que les cloches ont fondu elles aussi. Elles se trouvaient dans les deux tours de la façade occidentale.
Les cloches étaient faites en bronze, un métal réquisitionné pour en faire des obus. Mais une partie du bronze fondu a pu être dissimulé à l’occupant en le cachant dans le calorifère de la cathédrale.
La paix revenue, ce métal a servi à fabriquer de nouvelles cloches. Elles sont arrivées de Villedieu les Poëles un beau matin du printemps 1968, une époque où les feux de l’actualité étaient braqués ailleurs. Leur mise en place dans le clocher reconstruit a été un peu laborieuse, car elles étaient trop larges pour entrer dans la tour. Mais elles ont fini par regagner leur place et se sont remises à rythmer la vie des Ebroïciens, près de trente ans plus tard.
Pas contrariante
Il fut un temps où il fallait coucher les bébés sur le ventre, vous vous rappelez ? Sinon, scandale, on était de mauvais parents et on risquait de les tuer de mort subite. Puis est venue une époque où on a suggéré que sur le côté, c’était pas mal. Voilà maintenant qu’il faut les mettre sur le dos, c’est plus sûr.
Tout ça pour dire qu’il n’y a pas qu’en histoire que les temps changent.
Heureusement que je ne suis pas prof d’histoire, j’aurais mauvaise conscience. Bien que j’essaie de faire mon métier de guide avec sérieux, cela me rassure de savoir que l’attente du public est surtout récréative. Ce qui m’excuse je l’espère d’avoir à mon insu, sans le faire exprès, et avec la meilleure bonne foi du monde, dit n’importe quoi.
Je plaide coupable, mais pour ma défense je dois dire que je n’étais pas la seule dans ce cas et que ce n’est pas de notre faute.
Donc, voilà : aux dernières des dernières nouvelles l’objet archéologique qui trône au milieu du cloître de la cathédrale d’Evreux n’est pas une cuve à foulon, comme je me suis plu à le répéter. Taratata. C’est, c’est… une cuve baptismale, oui oui, comme tout un chacun l’imagine spontanément. Fermez le ban.
Apprendre ceci m’a fort contrariée, je l’avoue. Je veux bien ne pas être contrariante et relayer l’état de la science, avec toutes ses contradictions successives, j’ai des regrets. C’était sympa, une cuve à foulon. Il y avait de quoi accrocher l’attention. Tandis que des fonts baptismaux, pfff… Tout le monde en a déjà vu des tas et des plus beaux. Blasés.
Peut-être pas d’aussi anciens quand même. D’après la couche du sous-sol où il se trouvait, ce baptistère (car la cuve était incluse dans des éléments de maçonnerie, la construction mérite donc l’appellation de baptistère paléochrétien) daterait du 4ème siècle environ. Il pourrait même être encore plus vieux, style fontaine gallo-romaine reconvertie en cuve baptismale. Quoi qu’il en soit, cela en fait un baptistère des tous premiers temps de la chrétienté, et c’est tout de même très émouvant à imaginer.
Un des plus vieux baptistères qui soient en Normandie, oui. Mais si par hasard il avait été réemployé ultérieurement en cuve à foulon ? Mmmm ?
J’émets l’hypothèse, parce que le document qui affirme que la cuve est un baptistère ne m’a pas entièrement convaincue. Sans vouloir remettre en cause l’autorité de son auteur, je n’ai pas très bien compris sur quoi il s’appuyait pour battre en brèche l’interprétation précédente. On a l’impression qu’il s’agit de son intime conviction, sans plus.
Vous savez quoi ? J’attends la suite de ce trépidant feuilleton. Au moins aussi haletant qu’au Mont Saint-Michel, l’âge du crâne de Saint-Aubert.
Frigidarium
Pour ne pas laisser le cerveau des guides se ramollir pendant les longs mois d’hiver, un procédé astucieux a été mis au point : les journées de formation. Tandis que les neurones tournent à plein régime grâce à des intervenants éminents, on a l’avantage de visiter des lieux touristiques hors saison en compagnie des collègues. Ça bouillonne sous les crânes tandis qu’on se gèle les pieds en général, dans la chaleur de l’amitié.
J’étais déjà venue plusieurs fois à Gisacum, le jardin archéologique près d’Evreux où des thermes gallo-romains ont été mis à jour et en valeur. J’étais donc ravie de plonger dans la vie des Gallo-Romains avec des spécialistes de la question. Une sorte de stage d’immersion antique.
C’était un de ces derniers jours de froid polaire. Pour nous mettre dans le bain, les archéologues avaient pensé à une habile mise en condition. Nous avons commencé l’éductour dans une salle bien chauffée (caldarium), puis nous sommes passés au centre d’interprétation plus tiède (tepidarium), pour finir par la visite des thermes recouverts d’une neige immaculée (frigidarium).
Au coucher du soleil, la scène avait quelque chose d’irréel. Les vestiges vieux de mille huit cents ans dormaient sous leur couette, pétrifiés de gel. Mais les lapins de 2009 bien vivants avaient laissé leurs traces partout, sans se soucier de la mémoire des lieux. On pouvait les visualiser surgissant des haies, aux aguets, puis bondissant à travers les vestiaires, les hypocaustes et sur la palestre. Ces petites boules de poils chaudes avaient creusé des trous au pied des murs où nos ancêtres s’étaient adossés jadis, avant de disparaître dans le froid de la tombe.
Et tandis que l’espace temps se télescopait bizarrement, voilà que les températures s’affolaient.
« Ce mur est à 40 degrés, expliquait notre guide, c’est une pièce chaude et humide, une sorte de hammam ou de sauna où l’on vient pour transpirer. »
Nous ne demandions qu’à y croire, le visage enfoui dans nos écharpes d’où s’échappaient des nuages en réduction. « Les bains chauds sont là, » a-t-elle ajouté, montrant un coin de neige sur le côté de la salle. « En temps normal c’est plus clair, il y a des petits cailloux bleus pour les matérialiser. »
En temps normal.
Par la barbichette
S’il te plaît, dessine-moi un monstre…
Pas si facile d’inventer un truc vraiment effrayant.
Les sculpteurs du Moyen-Âge qui devaient imaginer des gargouilles ont dû se creuser la tête pour composer des bêtes horribles.
Ils ont souvent dérivé l’idée du gros chien, comme ici à Evreux au-dessus du cloître de la cathédrale.
C’est une expérience que chacun a faite de se trouver face à un gros chien aboyeur et furieux, il y a de quoi ne pas en mener large.
Celui-ci, en plus de ses oreilles couchées, de ses dents menaçantes et de ses narines dilatées, a été affublé d’une barbiche supposée le rendre plus hideux encore.
Ils lui donneraient plutôt un petit air comique, ses trois poils au menton.
Foulon
L’endroit où l’on peut admirer cette cuve de pierre aurait tendance à induire tout le monde en erreur : nous sommes ici dans le cloître situé derrière la cathédrale d’Evreux.
On a vite fait d’en déduire que cette cuve servait à pratiquer des baptêmes, au cours d’un rite hypothétique où l’on se serait immergé de la tête aux pieds dans une petite piscine.
Que nenni.
Point du tout.
Aux dernières nouvelles il s’agit d’une cuve à foulon qui remonterait rien moins qu’aux gallo-romains. On pardonnera au vénérable objet vieux de mille huit cents ans d’être fendu et rafistolé au fil de fer.
A quoi servait une cuve à foulon ? A fouler, cela va de soi, c’est-à-dire écraser du pied les draps de laine de manière à les feutrer. Le feutrage a pour effet de faire s’accrocher entre eux les petits brins de la laine, le tissu devient plus épais, résistant et offre une meilleure protection contre les intempéries.
Cela devait être long, fastidieux et fatigant de fouler la laine, aussi l’ingéniosité humaine a-t-elle par la suite conduit à l’utilisation d’une autre force motrice. A Evreux, on a installé des moulins sur les bords de l’Iton.
La cuve à foulon s’est trouvée sans emploi, sauf à servir de baignoire aux petits oiseaux.
Hors de portée de leurs jets d’eau, elle nargue les gargouilles, des jeunettes qui n’ont que cinq siècles au compteur.
Cloître gothique
Ce magnifique cloître gothique était autrefois réservé à l’usage de l’évêque d’Evreux pour lui permettre de se rendre de son palais épiscopal à la sacristie de la cathédrale voisine.
Aujourd’hui l’évêque a déménagé, l’évêché est devenu un musée, et tout le monde peut se promener librement dans le cloître les jours d’ouverture du musée.
Le cloître n’est pas complet, il ne dessine que deux côtés d’un carré. La construction de cette galerie date de la fin du 16e siècle. Malgré cette édification tardive, elle est bâtie en un style gothique flamboyant au dessin harmonieux.
Le matériau utilisé est la pierre de Vernon, que l’on reconnaît facilement aux rognons de silex laissés intacts par les tailleurs de pierre au milieu du calcaire parfaitement appareillé.
Jean Cossart
Suivez la flèche ! Tel est le message du magnifique portail Nord de la cathédrale d’Evreux.
Les gâbles droits ou curvilignes s’enchaînent pour guider le regard vers le haut.
Les yeux se lèvent, glissent toujours plus haut sur la façade, jusqu’à la grande flèche de la cathédrale qui pointe en direction du ciel.
L’auteur de cette merveille est connu. Il se nomme Jean Cossart.
Cossart oeuvre en tant que maître maçon à Evreux au début du 16ème siècle. C’est l’apogée de l’art gothique flamboyant, quand il devient dentelle de pierre d’une finesse inégalée.
« Les traceries envahissent tous les espaces libres jusqu’au pignon qui ressemble à une vaste broderie, » décrit Jacques Beaudoin (in La sculpture flamboyante, Normandie-Ile de France).
Lorsque Jean Cossart meurt en 1517, le bras nord du transept est presque achevé. Il ne reste qu’à garnir la rose de vitraux. En hommage au maître-maçon, son effigie apparaît dans la rose du jugement dernier, du côté des élus comme il se doit.
La colline Saint-Michel d’Evreux
Un des charmes d’Evreux, c’est que la nature est proche à la toucher. Depuis la place de l’hôtel de ville, il suffit de lever les yeux et l’on voit des prairies.
La ville blottie au fond de la vallée de l’Iton est encadrée de collines, celle au nord tellement abrupte qu’une grande partie n’a pas été bâtie.
Elle fait aujourd’hui l’objet d’une protection Natura 2000 en raison de la flore particulière à ces pelouses calcicoles.
On y aperçoit parfois le berger et son troupeau de brebis. Ils entretiennent le terrain de la façon la plus écologique qui soit. On n’a pas trouvé mieux que les moutons pour éviter l’envahissement par les buissons.
Cette colline s’appelle le quartier Saint-Michel, ce n’est pas très étonnant. Comme partout on a choisi un endroit élevé pour honorer le saint patron de la Normandie.
C’est ici que l’on a trouvé les traces les plus anciennes de vie humaine à Evreux. Elles remontent au paléolithique.
L’homme préhistorique avait ici tout ce qu’il lui fallait, la proximité de la rivière et du silex en grande quantité rendant l’endroit particulièrement attractif pour nos ancêtres.
Vues sur la mairie
Au naturel l’hôtel de ville d’Evreux a quelque chose d’imposant, voire de pompeux, comme beaucoup d’édifices publics du 19ème siècle. Mais vu à travers la porte du beffroi il apparaît un peu brumeux, un peu flou dans le lointain rapproché par le zoom.
J’imagine quels rêves de mairie ont dû faire tous les candidats à ces dernières élections municipales. Est-ce qu’elle leur apparaissait inaccessible, ou faussement proche ? Ou bien étaient-ils assurés de retrouver leur fauteuil dans un fauteuil ? Ont-ils vécu des heures d’émotions intenses ou une victoire plan plan, une défaite sans surprise ?
Le nouveau maire d’Evreux s’appelle Michel Champredon. Les Ebroïciens le connaissent bien, comme candidat et comme conseiller, sous les couleurs du PS.
Et puis l’hiver dernier Michel Champredon s’est mis en congé du parti socialiste. C’est donc en tant que Divers Gauche qu’il a été élu, renversant Jean-Pierre Nicolas, le maire sortant successeur depuis un an de Jean-Louis Debré, parti présider l’Assemblée Nationale.
Voilà donc Evreux qui renoue avec la gauche et c’est moins une surprise que l’élection d’un maire UMP il y a sept ans. A cette époque Jean-Louis Debré succédait à 24 années de mandat du communiste Roland Plaisance !
Zoom, contre zoom. Pour les perdants, sans doute un peu groggy sous le choc, la mairie qui semblait à portée de la main s’est brusquement éloignée. Dans le futur. Dans six ans.
La rose du Paradis
Une rose à chaque porte, c’est le raffinement des plus belles églises du Moyen-Age. A la cathédrale d’Evreux, le portail ouest et chaque bras du transept est orné de sa rosace.
La règle veut que les églises soient pointées vers l’Est, comme de grandes boussoles qui désigneraient la Terre Sainte. Elles ont la forme d’une croix. La partie la plus sacrée, le choeur, se trouve à l’Est. La plus profane, celle par où entrent les fidèles, à l’ouest.
Le transept, la branche « horizontale » de la croix formée par le plan de l’église, se retrouve orienté Nord-Sud, le Nord à gauche et le sud à droite quand on se place au pied de la croix, face à la porte ouest de l’église. (Il va de soi que cette règle d’orientation des églises souffre de nombreuses exceptions, c’est ce qui fait leur charme.)
Les bâtisseurs ont aimé représenter le Jugement dernier du côté où le soleil se couche, comme un symbole de la fin du monde. C’est une scène que l’on retrouve souvent au dessus de l’entrée, au tympan, ou alors dans la rose qui orne la façade ouest. A Evreux le Jugement dernier avec ses damnés et ses démons est carrément au Nord, c’est le thème de la rose Nord du transept.
En face de l’Enfer, la rosace qui lui fait pendant côté Sud a reçu le nom de rose du Paradis. Elle date de la fin du 15ème siècle, elle a été construite sous le règne de Louis XI. Il y a un quart de siècle, on pouvait encore admirer les couleurs pastels de ses magnifiques vitraux qui représentaient le couronnement de la Vierge. Malheureusement, les verrières ont été détruites en 1983 par un orage de grêle. Il ne reste que le réseau de pierre, d’une élégance parfaite.
Rempart
Au musée d’Evreux, dans la salle consacrée à l’Antiquité, le mur lui-même est une pièce d’archéologie. C’est un morceau parfaitement conservé du rempart gallo-romain qui entourait le castrum, la partie fortifiée de la ville au 3ème siècle.
La ville d’Evreux a conscience de posséder là quelque chose d’unique en Normandie. Elle chérit son rempart gallo-romain, mis en valeur chaque fois que c’était possible, et qui a fait l’objet d’une publication qu’on peut se procurer au musée, le « Guide du rempart gallo-romain » d’Eric Follain.
Nous nous trouvons là de l’autre côté du mur qui borde le miroir d’eau, dont les deux faces nous sont ainsi données à voir de façon spectaculaire.
Ici, c’est l’intérieur de l’enceinte. Alors que la paroi extérieure est verticale, l’intérieur présente des retraits à mesure que l’on monte, le haut de la muraille étant moins large que le bas.
Le plus curieux ce sont ces énormes blocs de réemploi provenant de bâtiments détruits. On devine des tronçons de colonnes, des chapiteaux… Ils ont l’air posés un peu n’importe comment mais ce n’est qu’une apparence. « Le massif de fondation est installé avec le plus grand soin », note Eric Follain. Les blocs sont retaillés quand c’est nécessaire. L’aspect esthétique importe peu, car on ne les verra pas.
En effet les gallo-romains ont l’habitude d’appuyer un énorme talus de terre au mur d’enceinte, côté interne. Le sommet du talus sert de chemin de ronde à la garde, sa masse renforce la solidité du rempart.
Les blocs de pierre, les moellons de calcaires, les rangées de tuiles se sont bien conservés sous toute cette terre. On a même retrouvé les trous qui correspondaient aux boulins, ces pieux fichés dans la muraille qui servaient à supporter les échafaudages.
Les archéologues qui ont étudié le mur du musée d’Evreux ont pu observer les dépôts de poussières laissés par le piétinement des maçons et se convaincre que le travail avançait au rythme d’une hauteur de moellon par jour. Arriver à cette précision, pouvoir se rapprocher si près des gens qui ont bâti ce mur, voilà qui fait ressentir le frisson de l’Histoire…
Ebroïcien
Il a le visage un peu penché de quelqu’un d’attentif, un regard plein d’intelligence, la bouche sur le point de parler. Cet homme aux cheveux gris vivait il y a dix-huit siècles, vers 250 ou 275 après J.C. dans une ville qui ne s’appelait pas encore Evreux mais Mediolanum.
Cet émouvant fragment de fresque gallo-romaine a été retrouvé en 1989 en plein centre ville, dans la très commerçante rue de la Harpe. C’est en dégageant une descente de cave que F. Gerber a découvert ces éléments de visage.
Ce « premier portrait d’un Ebroïcien » comme dit le cartel est entré au musée d’Evreux trois ans plus tard.
Quand ils ont envahi la Gaule les Romains ont amené avec eux toute leur civilisation : leurs dieux, leurs monuments, leurs routes, etc, mais aussi leurs techniques et leurs arts. C’est ainsi que les villas de Mediolanum se trouvaient décorées d’enduits peints à la mode de Rome, et les sols recouverts de mosaïques.
Ce raffinement n’a pas résisté aux vagues successives d’invasions qui ont ravagé la région. Les Barbares brûlaient tout sur leur passage. Pour s’en défendre les habitants de Mediolanum ont édifié le rempart gallo-romain dont il subsiste d’importants vestiges. Ils ont aussi pris la précaution d’enterrer leurs richesses, emportant parfois leur secret dans la tombe. Un énorme trésor datant du 4ème siècle ne devait refaire surface qu’en 1890.
Tour lanterne
Cathédrale d’Evreux, transept sud
Vous avez sous les yeux une merveilleuse invention des bâtisseurs de cathédrales normands, une trouvaille architecturale qui s’est répandue dans toute la Normandie. Evreux en offre un bel exemple mais ce n’est pas là qu’on l’a imaginée, elle existait depuis trois cents ans déjà.
Repérons-nous : à gauche on aperçoit le toit de la nef, à droite celui du choeur. Face à nous la rose rayonnante du transept, bras sud.
Juste au-dessus, soutenant la flèche, la voici, l’idée géniale : la tour lanterne, bâtie en 1465. Elle s’élève à la croisée du transept, à l’endroit où se rejoignent les deux branches de la croix que dessine l’église.
Les maîtres-maçons du Moyen-Âge ont imaginé d’ouvrir un puits de lumière à cet endroit plus sombre qu’ailleurs. Ils ont couronné la croisée d’un transept d’une tour percée de fenêtres qui vont chercher le jour très très haut, à 45 mètres du sol, et donnent un éclairage doux à l’entrée du choeur.
C’était une belle idée, et qui ne manquait pas d’audace : monter une tour au-dessus du vide, tout son poids soutenu par les quatre piliers des angles ! Mais les architectes connaissaient leur affaire. A Evreux, Rouen et ailleurs ils n’ont pas hésité à ajouter une flèche bien pesante au sommet de la tour lanterne, histoire de voir si on pouvait toucher les nuages.
L’hôtel de ville d’Evreux
Sur la place de Gaulle en plein centre d’Evreux, face au beffroi s’élève une imposante bâtisse : sans surprise, c’est l’hôtel de ville. Sa construction s’est achevée il y a un peu plus de cent ans, en 1895.
Pas un centime des deniers publics n’a été mis à contribution pour le bâtir. Tout comme la fontaine sur la même place, l’édification de la mairie d’Evreux a été entièrement financée par un legs, celui d’Olivier Delhomme, adjoint au maire d’Evreux à la fin du 19ème siècle.
Delhomme cède par testament toute sa fortune à la ville, à charge de celle-ci de faire construire un hôtel de ville. Si la somme ne suffit pas, on attendra que les intérêts l’aient grossie.
En 1888, 14 ans après le décès du généreux donateur, la somme est enfin suffisante : 580 000 francs, à comparer aux 22 000 francs qu’a coûté à l’achat la modeste maison de Monet en 1890.
Le projet est confié à l’architecte départemental Georges Gossart. Les travaux débutent en 1890 et durent cinq ans.
La mairie mesure 64 mètres de long et s’élève sur trois étages plus un comble. L’étage noble est le troisième, ce qui se repère à ses fenêtres plus hautes que les autres et à son décor de briques. C’est ici que l’on va trouver la salle des mariages, dans l’avant-corps au centre de l’édifice.
La mairie est de style néo-classique, comme très souvent à cette époque où l’on adore les colonnes, les chapiteaux corinthiens, les frontons triangulaires et autres évocations de l’Antiquité. Mais l’architecte a été particulièrement bien inspiré en choisissant ce style pour un bâtiment public élevé sur un ancien rempart gallo-romain.
D’importants travaux de terrassement ont été nécessaires pour les fondations de la mairie. Le 23 août 1890, l’un des ouvriers a fait la trouvaille de sa vie, bien plus extraordinaire encore qu’une fresque cachée : sa pelle a heurté un bloc de métal qui une fois dégagé s’est avéré être le plus gros trésor monétaire jamais découvert, mais si mais si. 340 kilos de monnaies antiques ! Les pièces étaient toutes soudées entre elles, mais pour autant qu’on en pouvait juger elles dataient toutes des 3ème et 4ème siècle de notre ère, une époque où la cité, très florissante aux siècles précédents, est menacée.
On peut voir quelques pièces de ce trésor au musée d’Evreux, les autres sont conservées à la Bibliothèque Nationale où elles attendent de faire un jour l’objet d’une étude détaillée.
Serre
C’est une beauté secrète : on ne visite plus la serre du jardin public d’Evreux, longtemps en accès libre. Des plantes ayant été subtilisées, il a fallu fermer à clé. Cet endroit merveilleux continue de vivre sa vie, mais pour lui seul.
J’ai eu la chance de me trouver devant la porte close, toute désappointée, à l’instant où arrivait le jardinier chargé de fermer les fenêtres pour le soir. Il m’a très aimablement laissé faire un tour au milieu des crottons, des strelitzias, des fougères arborescentes et de quantités d’autres plantes dont j’ignore le nom, au feuillage dru et découpé.
Comme dans toutes les serres tropicales, l’ambiance est envoûtante. Humidité, chaleur, on s’attend à voir surgir des feuilles quelque serpent interminable ou insecte venimeux. C’est rassurant de savoir qu’on ne risque rien dans cette enclave de forêt amazonienne.
On aimait beaucoup les serres au 19ème siècle, à l’âge d’or du fer et de l’acier. Il en a poussé partout, en même temps que s’ouvraient des jardins botaniques. En Normandie, la ville de Cherbourg présente de vastes serres à la température variée, où l’on voyage aussi bien dans le désert que dans la forêt équatoriale.
Quel âge peut avoir la serre du jardin d’Evreux ? Est-elle contemporaine de la mise à disposition de la Société d’Agriculture et la Société de Médecine de l’Eure du jardin des Capucins, en 1814 ? Elle a un délicieux air vieillot, mais de là à la dater…
Allégorie
Tout est allégorie dans la fontaine monumentale qui trône sur la place de l’hôtel de ville d’Evreux. Le sculpteur eurois Emile Decorchemont s’en est donné à coeur joie dans la personnification.
Tout en haut, la jeune femme représente l’Eure, entendez la rivière qui arrose le département du même nom. De la main droite, elle s’appuie sur le blason de la ville d’Evreux, chef lieu du département de l’Eure. Dans sa main gauche on reconnaît une rame, symbole allégorique des cours d’eau.
Devinez qui sont les deux enfants qui l’accompagnent ? Allons, c’est facile. Le sculpteur a filé l’allégorie. Ces deux bambins sont deux de ses affluents, l’Iton, qui arrose Evreux, et le Rouloir.
La fontaine tout entière représente le département. Sous les gueules des quatre dauphins d’où jaillit l’eau, figurent l’écu et le nom de quatre villes, Bernay, Louviers, Pont-Audemer et les Andelys. A l’époque où la statue a été construite, en 1882, il s’agissait des cinq arrondissements du département. Ceux de Louviers et Pont-Audemer ont fusionné avec d’autres depuis. Et Vernon ? Eh bien non, pas de Vernon, la deuxième ville du département n’a pas été distinguée par l’administration et n’a pas eu droit au rang de sous-préfecture.
Le projet de Décorchemont était bien dans le goût du 19e siècle. Il a emporté le concours lancé par la ville pour l’exécution de la fontaine. Le monument a été érigé suite à un don de Madame Jules Janin, dont le papa était président du tribunal civil, et dont le mari était académicien.
Cette généreuse Ebroïcienne s’est sentie concernée par le bien-être de ses concitoyens. Elle a fait un legs pour que la ville installe un réseau d’eau potable. La fontaine est… une allégorie de cette eau qui, à la fin du 19e siècle, jaillit enfin des robinets dans chaque maison d’Evreux.
Gisacum
C’est sans doute la ville gallo-romaine la plus étrange qui soit : à 6 km d’Evreux, le site de Gisacum n’a pas fini d’étonner les archéologues. Dans tout le monde romain, il n’a pas son équivalent.
Le plan de l’énorme ville sanctuaire, qui s’étend sur le territoire de cinq communes, est déjà une énigme. Gisacum ne comporte qu’une seule rue de 5 km de long, mais elle prend la forme d’un hexagone ! Toutes les maisons sont tournées vers le centre de la figure, où s’élevait un complexe religieux qui comprenait de très grands temples de 25 mètres de haut, un théâtre de 7500 places, un forum et des thermes. Oui, des thermes sur ce plateau crayeux sans la moindre rivière ! Les Gallo-Romains n’ont pas hésité à construire un aqueduc d’au moins 25 km de long pour acheminer l’eau jusqu’aux bassins de Gisacum. Il semble même que les habitants disposaient quasiment de l’eau courante, une branche de l’aqueduc suit le tracé de la rue.
La sécheresse de 1976 a eu pour effet de jaunir les cultures qui recouvrent les vestiges gallo-romains, révélant à la photographie aérienne l’emplacement des murs antiques.
Des campagnes de fouilles ont été effectuées. Elles ont conduit à la mise en valeur du site. Le Conseil Général de l’Eure en a fait un jardin archéologique assorti d’un centre d’interprétation qui permet de mieux comprendre son originalité. L’entrée est gratuite, on peut librement se promener dans les vestiges des thermes. Des voix enregistrées restituent l’animation qui pouvait y régner. En fermant les yeux, on s’y croirait.
Miroir d’eau
Evreux est baignée par l’Iton. La rivière entre dans la ville par l’ouest puis, en arrivant au pied du rempart gallo-romain, elle fait soudain un coude vers le nord.
Après les bombardements de la dernière guerre en juin 40 et 44, le quart de la ville d’Evreux s’est trouvé détruit, principalement les quartiers du centre ville. Paul Danger, l’urbaniste de la Reconstruction, a peu changé le plan de la ville, mais il a eu un coup de génie en créant le Miroir d’Eau.
A la manière des bassins si prisés dans les jardins classiques pour que les châteaux s’y reflètent, Danger a exploité le coude formé par la rivière pour l’élargir en un plan d’eau qui s’étend devant la cathédrale.
Une terrasse permet de se tenir au bord de la rivière où la surface lisse de l’eau capte toutes les humeurs du ciel. Le rempart gallo-romain, le musée de l’évêché et la cathédrale y déploient leurs images inversées, que les sillages des canards et des cygnes font parfois danser.
Le beffroi d’Evreux
Un beffroi en Normandie, c’est loin d’être aussi courant qu’en Picardie ou dans le Nord. Celui d’Evreux serait même l’un des deux seuls de la région, avec celui plus modeste des Andelys.
Le beffroi d’Evreux avait une double fonction, permettre le guet et donner l’heure, grâce à l’horloge et à une grosse cloche. La cloche est toujours en place, plus ancienne encore que la tour ! Elle date du Carême de 1406, la Louyse a donc tout juste 601 ans.
Le beffroi est la dernière d’une série de plusieurs tours de remparts érigées puis démolies à cet emplacement. Il s’élève en bordure de l’Iton, face à l’Hôtel de Ville.
Le beffroi tel que nous le voyons aujourd’hui date de 1490. Il a été construit grâce aux subsides du roi, c’est pourquoi la sculpture qui orne le tympan représente deux anges soutenant les armes de France.
Le plan carré assez massif de la partie basse de la tour s’allège au deuxième étage en évoluant vers un plan octogonal. La tour est flanquée d’une fine tourelle d’escalier et couronnée d’une balustrade flamboyante. Une élégante flèche en bois recouvert de plomb coiffe le beffroi. Une restauration toute récente a restitué à la flèche ses parties dorées qui brillent dans le soleil comme à la Renaissance.
Les Ebroïciens aiment tant leur beffroi qu’ils l’ont choisi au 18e siècle pour porter le numéro un quand ils ont décidé de numéroter les maisons dans les rues. Pour ceux qui aiment les chiffres, la tour mesure 43,90 m de haut. Le beffroi est tout ce qu’il reste des fortifications médiévales de la ville.
La châsse de Saint-Taurin
L’église Saint-Taurin d’Evreux possède un joyau unique : un magnifique reliquaire tout couvert d’or et d’argent, de pierres précieuses et d’émaux, auquel sa forme d’église vaut le nom de châsse.
Ce chef-d’oeuvre de l’orfèvrerie du Moyen-Age a été ciselé à l’époque de Saint-Louis, en 1253. Il contient les restes pieusement conservés de Saint-Taurin, le premier évêque d’Evreux. il aurait vécu au 4e siècle et serait l’auteur, d’après la légende, de nombreux miracles.
C’est un moment de pure émotion de découvrir cette merveille, bien mise en scène au milieu d’une chapelle entièrement vide, à laquelle on accède en poussant une lourde porte. Le reliquaire, d’une beauté saisissante, semble rayonner sous l’oeil de la vidéo surveillance.
L’objet est de taille imposante, peut-être un mètre de large et autant de haut. Sur les toits, un bas relief en métal repoussé raconte l’enfance du Saint, tandis que des scènes de sa vie publique sont représentées sur les côtés.
L’âme de la châsse est en chêne recouvert de panneaux d’argent doré, tandis que les personnages sont exécutés en cuivre doré. Ils sont traités avec une grande finesse non dénuée d’une certaine naïveté. Certains anges, par exemple, ont un sourire jusqu’aux oreilles. Ils doivent apporter de très bonnes nouvelles, certainement.
La plupart des châsses du Moyen-Age ont disparu à la Révolution, où elles ont été confisquées au clergé et fondues pour le métal. Evreux ne doit d’avoir conservé la sienne qu’à la complicité de la municipalité de l’époque, qui ne l’a pas inventoriée et l’a cachée pendant toute la Terreur.
Restaurée au 19e siècle, elle brille aujourd’hui de tout son éclat. Si vous êtes de passage à Evreux, si vous organisez des voyages scolaires… ne vous privez pas d’aller la contempler, l’accès est gratuit.
Le musée d’Evreux
Le musée d’Evreux est logé dans l’ancien évêché de la ville, juste derrière la cathédrale.
Le palais épiscopal date de 1499, en pleine Renaissance. Sa façade arrière, assez austère, avait une fonction défensive, tandis que la façade côté cour présente un décor plus recherché, avec sa tour hexagonale et ses hautes lucarnes.
Le musée abrite des collections de beaux-arts, d’antiquités et au sous-sol une section archéologique principalement gallo-romaine.
Mur gallo-romain
Ce mur a près de deux mille ans. C’est un élément de l’enceinte gallo-romaine d’Evreux, bâtie sans doute au IIIe siècle.
La maçonnerie en est très soignée, l’alternance de rangées de moellons de pierre et de terres cuites typiquement gallo-romaine.
Une partie de ce mur, le plus bel exemple de muraille gallo-romaine de Normandie, est visible au pied de la cathédrale le long de l’Iton. L’autre partie constitue un des murs du sous-sol du musée situé tout à côté. Dans cette salle sont présentés fort à propos les objets gallo-romains découverts lors des fouilles à Evreux et ses alentours.
En ce temps-là, la cité des Aulerques Eburovices se nommait Mediolanum.
Fondée peu après la conquête romaine, la ville possédait un forum, des thermes et des temples. Surtout, elle avait tout à côté une ville sanctuaire, Gisacum.
On visite aujourd’hui les vestiges de cette agglomération religieuse à l’étonnant plan hexagonal. Au milieu, les temples et les thermes, sur les côtés de l’hexagone, une très longue rue de plus de 5 km.
Cul-de-lampe
Dans le cloître du musée de l’Evêché à Evreux, à la base de deux croisées d’ogives, ce petit diablotin amuse ou effraie les passants depuis des siècles.
Il semble porter le poids de la voûte sur son dos, en raison de sa position en cul-de lampe. On nomme ainsi cet élément du décor des églises gothiques qui affectait, à l’origine, la forme du bas d’une lampe d’église, forme que l’on devine encore derrière le diablotin.
Souvent, ces éléments cousins des chapiteaux sont prétextes à enrichir le décor par une sculpture expressive.
Celle-ci ne fait pas mystère de sa nature diabolique. Ailes façon chauve-souris, oreilles pointues, visage grimaçant, yeux étirés… Cet ange malfaisant paraît prêt à nous sauter dessus – s’il n’était en pierre ! Et c’est peut-être parce qu’il est tout de même un peu effrayant que quelqu’un, il y a sans doute bien longtemps, lui a retiré son principal attribut en l’amputant de ses petites cornes. Une façon de faire les cornes au diable qui devait réjouir et rassurer nos ancêtres !
Grandes Orgues
La cathédrale d’Evreux vient de se parer d’un nouveau bijou : un grand orgue flambant neuf, d’une beauté saisissante. Avec ses volets qui ressemblent à des panneaux solaires, on dirait une navette spatiale, une fusée pointée vers le ciel.
Il fallait une certaine audace pour oser intégrer un design aussi contemporain dans un monument presque millénaire. Pari gagné. L’harmonie qui se dégage de l’orgue mis en place, la façon dont ses lignes dialoguent avec celles de la cathédrale, me frappent encore plus que l’originalité de l’instrument lui-même.
On espère que le ramage se rapportera au plumage, mais l’inauguration de l’orgue a été retardée par des poussières dues à des travaux, qui se sont infiltrées dans les tuyaux.
Une autre ville vient d’acquérir des grandes orgues. L’église d’Auvers-sur-Oise dispose depuis ce mois de mai d’un orgue à tuyaux complet. Le buffet en chêne clair se veut sobre. Le festival de musique d’Auvers, au printemps, est une bonne occasion d’entendre chanter l’instrument.
Commentaires récents