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Vernet à Vernon

Horace Vernet, Tête de camélidé, après 1833, musée BHM de Vernon

Est-il possible de distinguer un chameau d’un dromadaire sans compter leurs bosses ? J’avoue que je n’en ai aucune idée, mais on peut imaginer que ce n’est pas l’artiste qui a nommé son portrait de bête Tête de camélidé, car Vernet devait bien savoir ce qu’il avait sous les yeux. L’animal adopté depuis 1986 par le musée de Vernon vient d’avoir la chance de visiter le château de Versailles, qui organisait cet hiver une exposition dédiée à Horace Vernet. Elle se terminait le 17 mars dernier, mais on peut s’en faire une bonne idée grâce à cette vidéo. On aperçoit la toile animalière vers la 20e minute. La Tête de camélidé date sans doute de l’un des séjours de Vernet en Algérie, à partir de 1833.

Petit-fils de Joseph Vernet, peintre passé à la postérité pour ses vues des ports de France, Horace Vernet est né dans une famille d’artistes et il possèdait un talent inné. J’ai été impressionnée par la grande toile laissée inachevée, dont les parties terminées sont tout à fait parfaites. Horace semble avoir son tableau fini dans la tête, jusque dans les moindres détails, comme s’il n’avait plus qu’à recopier ce qu’il voit en lui avec tant de netteté. Quelle facilité ! Comme façon de procéder, il n’est guère académique et il est à l’opposé de la méthode de Monet, qui couvre la toile entière de traits grossiers puis ne cesse d’affiner la touche, et ne se fie qu’à ce que ses yeux perçoivent.

Une autre oeuvre de Vernet est visible à Vernon. Elle se trouve au château de Bizy et représente le maréchal Suchet, anobli par Napoléon, qui lui a conféré le titre de duc d’Albufera. Suchet est l’aïeul des propriétaires actuels du château. Horace Vernet, né en 1789, s’était fait une spécialité des sujets napoléoniens, avant de devenir peintre officiel de Louis-Philippe, à qui le château de Bizy a appartenu.

Les deux toiles n’ont bien entendu pas grand chose en commun, mais on y remarque le sens du dessin de l’artiste, qui le faisait apprécier de ses commanditaires.

Nouvelle acquisition du musée de Vernon

Dawson Dawson-Watson, Champ de betteraves, vers 1891, musée Blanche-Hoschedé-Monet, Vernon

Bien avant de se faire une spécialité de la peinture de cactus, au Texas, l’artiste anglais Dawson Dawson-Watson a séjourné à Giverny, où il a peint notamment une scène de moisson. Le musée BHM de Vernon vient d’acquérir cette très belle toile exécutée également à Giverny, dans la plaine des Ajoux, à la même époque. Elle figure la récolte des betteraves, sujet fort peu traité, qui laisse supposer que le peintre a prolongé son séjour dans le village assez avant dans l’automne, jusqu’au mois de novembre. A l’horizon, les arbres arborent une belle couleur vert-ocre, tandis que quelques touches de peinture blanche suggèrent un feu dans le champ voisin. L’artiste a porté une grande attention à l’étude du ciel lumineux d’arrière-saison. La légère brume diffuse une lumière presque sans ombre, créant à peine un contre-jour au premier plan.

Même tableau, détail

Ces grosses betteraves cultivées en plein champ ne sont probablement pas destinées à l’alimentation humaine, mais plutôt à celle du bétail. Les betteraves fourragères offrent un aliment d’appoint frais à l’époque où l’herbe se fait rare, et complètent le foin. Les vaches, gourmandes, les adorent pour leur petit goût sucré. Dans l’Eure, où l’on produit du sucre de betterave, la pulpe pressée est toujours valorisée en aliment pour les vaches laitières.

Les tas de betteraves représentés par Dawson-Watson évoquent donc les bêtes d’élevage de Giverny, qui restent humblement hors champ, rarement montrées par les artistes, plus souvent par les photographes de cartes postales.

La même année 1891, au printemps, Monet a connu un succès retentissant avec son exposition de Meules. On est tenté de voir dans la disposition des amas de betteraves, dans leur forme, une analogie avec, au moins, les meulettes, ou demoiselles.

Musée Blanche-Hoschedé-Monet

Le musée de Vernon, jusqu’ici dénommé le musée Alphonse-Georges-Poulain, du nom de son premier conservateur et mécène, qui était archéologue, historien, sculpteur, vient de prendre le nom de la belle-fille de Claude Monet.

Claude Monet, Suzanne lisant et Blanche peignant, 1887, Los Angeles County Museum of Art

Six toiles de la discrète élève du maître de Giverny sont présentées au public, dont une nouvelle acquisition :

Blanche-Hoschedé-Monet, Paysage enneigé, val de Seine normand, huile sur toile, premier quart du XXe siècle. Musée Blanche-Hoschedé-Monet, Vernon

Dans un très beau cadre doré, un paysage hivernal du plus pur style impressionniste aux tons très doux, au format carré. La localisation en est incertaine, de même que la date. Il serait de l’époque où Blanche, épouse de Jean Monet, s’adonne librement à sa passion pour la peinture dans les environs de Rouen. A partir de 1914, elle revient s’occuper de Monet à Giverny et ne peint plus jusqu’à la mort de son beau-père en 1926. Blanche reprend alors les pinceaux et ne cesse de peindre. Elle s’éteint en 1947.

Les Andelys par Vallotton

Félix Vallotton, Le château Gaillard et la place des Andelys, 1924, musée de Vernon

Parmi toutes les belles toiles nabies que le musée de Vernon a la chance de posséder, peintes par Pierre Bonnard et Maurice Denis notamment, si nouvelles à leur époque, celle-ci est certainement la plus dérangeante. Elle est signée Félix Vallotton.

Les Andelys, la place Saint-Sauveur l’après-midi.

Félix Vallotton, (alias le Nabi étranger car il est né en 1865 en Suisse à Lausanne) s’est fait une spécialité de la peinture grinçante. Au début, elle met mal à l’aise, ce qui est le but recherché. Avec le temps, à mesure que l’on découvre Vallotton, c’est une nouvelle forme de plaisir pictural qui s’installe, un peu comme on anticipe l’humour trash d’un éditorialiste en se disant « qu’est-ce qu’il va encore nous sortir ».

Comme nous en informe le tableau, daté à côté de la signature, Félix Vallotton a séjourné en 1924 au Petit Andely, à une trentaine de kilomètres de Giverny vers l’aval de la Seine, et il a exécuté plusieurs tableaux de ce quartier très pittoresque des Andelys. Le motif de celui du musée de Vernon est pris derrière l’église Saint-Sauveur, et fait apparaître la silhouette du Château-Gaillard à l’arrière-plan.

Un siècle plus tard, le lieu n’a pas changé, ce qui est un petit miracle au regard des bombardements de 1940 qui ont ravagé le Grand Andely, à un kilomètre de là. Si bien que la comparaison du tableau et du motif est possible, et révélatrice : au naturel, le château est beaucoup plus loin. Le peintre l’a rapproché de nous pour lui donner un aspect pesant, imposant, angoissant. La forteresse domine le village de toute l’autorité ducale, et ses hauts murs font penser à une prison.

Quand je guide au musée de Vernon et que je demande aux visiteurs s’ils aiment ce tableau, il s’en trouve toujours pour faire la grimace. « Ce vert ! » disent-ils. La photo ne traduit pas totalement l’acidité de la couleur choisie par Vallotton, si présente dans le tableau. On cherche ensemble encore d’autres raisons à leur rejet : la masse sombre de l’église paraît menaçante, l’ombre inquiétante envahit tout, le vide de la place n’est pas de bon augure… La dame au chien paraît avalée par l’église, le monsieur à la canne rase le mur. Ce n’est pas un endroit où il fait bon se promener.

Tout cela est calculé. Si Vallotton avait voulu son image plus gracieuse, il aurait pu peindre son motif au soleil du matin, ou encore se placer de l’autre côté de l’église, à l’ouest. L’artiste, aux dires des commentateurs, porterait en lui une part d’ombre et la peinture lui servirait à l’exorciser.

Mais il y a toujours une note d’humour, et je la vois dans ce volet qui se détache sur le bord gauche du tableau. Qui dit volet dit fenêtre, vue, spectateur. Vallotton nous propose de nous mettre à cette fenêtre et « d’admirer » la vue.

Les fenêtres d’ailleurs abondent dans cette oeuvre, certaines un peu trop mignonnes pour être honnêtes, presque puériles avec leurs petits rideaux. Elles tournent le dos au château menaçant, comme si elles refusaient de regarder le danger en face. D’autres sont fermées de volets, muettes.

On est si peu de temps après la Première Guerre mondiale, et Vallotton a été si impliqué dans ce conflit, qu’il ne me paraît pas hors de propos d’imaginer que les fenêtres fermées de volets sont une image des morts. Les autres fenêtres seraient alors une image des vivants, bien « sages » et inconscients des périls qui s’annoncent. Cette ombre gigantesque qui vient de l’Est et qui mange le mur ensoleillé de la maison du fond pourrait figurer la menace de la Prusse sur la France, dont Vallotton, plus lucide que les autres, sait qu’elle n’est pas écartée. Et le château en ruines au sommet de la colline prend alors le sens d’une défense dérisoire, obsolète, qui prête à rire. C’est cela, l’humour de Vallotton.

Les Picasso de Vernon

Pablo Picasso, Le Toro espagnol, 1936 – Eau-forte originale illustrant les textes de Buffon édités par Fabiani en 1942. Musée de Vernon

Même si on les adore, il n’y a pas que des impressionnistes au musée de Vernon ! En 2013, le musée Poulain, qui se spécialise aussi dans l’art animalier, a fait l’acquisition de deux oeuvres de Picasso.
Voici le taureau, qu’on ne risque pas de prendre pour un boeuf. Il s’impose, à l’heure où la corrida fait une fois de plus débat. Sa tête fait penser aux nombreux Minotaures de l’artiste espagnol.

Pablo Picasso, Le Coq, 1936 – Eau-forte originale illustrant les textes de Buffon édités par Fabiani en 1942. Musée de Vernon

Et voici le coq, étrangement anthropomorphe. Deux oeuvres intéressantes et curieuses exposées en regard de nombreuses autres représentations peintes ou sculptées du monde animal.

La collégiale de Vernon par Robinson

Theodore Robinson, La Collégiale de Vernon, 1888, huile sur panneau, Musée de Vernon

Le musée de Vernon n’avait pas encore d’oeuvre de Robinson, l’une des figures majeures de la colonie impressionniste de Giverny. Cette lacune est très heureusement comblée par l’achat, en décembre dernier, de ce tableau qui montre la collégiale de Vernon vue depuis la rive droite de la Seine.

Par rapport aux autres toiles impressionnistes de la collection du musée, il est assez petit, mais il représente notre bonne cité, d’une part, et il est d’une très jolie facture du plus pur style impressionniste : touche rapide, intérêt pour le rendu des reflets, de la lumière et des effets atmosphériques, finesse des coloris… Robinson avait parfaitement assimilé la leçon de Monet, dont il était l’ami.

Comme pour souligner qu’il s’agit d’une représentation d’un aspect fugitif du paysage, Robinson a daté l’oeuvre au revers. Cette scène a été peinte le 10 août 1888. Et au vue de la lumière sur la collégiale qui éclaire la pente nord du toit de la nef, l’après-midi est bien avancée. Il n’est pas nécessaire d’être vernonnais pour savoir de quel côté le soleil va se coucher. Comme presque toujours, l’église est orientée. Sur le tableau, le sud est à gauche, le nord à droite, et l’ouest face à nous. Robinson peint presque à contre-jour.

Benjamin Rabier au musée

La scène pourrait se passer à Giverny : un ruisseau de rien du tout, un saule têtard, la barrière d’un pont, un petit village au fond. Les deux protagonistes se font face dans un tête à tête immortalisé par Jean de La Fontaine, comme nous le rappelle le titre de cette planche : le Loup et l’Agneau.

Mais au lieu de la morale attendue sur la raison du plus fort, au lieu de toutes les répliques que nous connaissons par coeur, le dialogue prend un tour différent :

– Laissez-moi retourner chez mon maître…
– Imbécile… si je ne te mange pas, c’est lui qui te mangera !

Il y a quelque chose de savoureux dans cet échange, et c’est peut-être cette apparence de logique du loup qui sous-entend « alors autant en finir tout de suite », ou « alors il vaut mieux que tu me nourrisses moi qui suis un animal plutôt que de finir dans le ventre d’un humain ». Une espèce de marchandage fait sur un ton prosaïque, avec des mots de tous les jours soigneusement pesés. Façon punch line.

Ou peut-être que c’est le comique de voir l’agneau déniaisé, et cela par un loup clochard… Car il n’a pas la superbe de celui du poète, qui s’écrie « Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ? » Celui-ci se balade en charentaises, des pièces aux genoux et courbé sur sa canne. On se demanderait presque s’il lui reste des dents, si Rabier n’avait pas anticipé la question en lui faisant une gueule effrayante.

C’est le musée de Vernon qui présente ce livre dans sa section d’art animalier, où une belle place est faite aux oeuvres du célèbre illustrateur Benjamin Rabier (1864-1939), quasi contemporain de Monet (1840-1926). Je ne crois pas que sa fameuse Vache qui Rit figure dans les collections, mais on peut voir d’autres dessins avec ce même côté désuet qui nous touche encore.

Depuis quelques années, la muséographie de cette section a été simplifiée, selon les tendances du moment. La sélection des oeuvres présentées est donc d’autant plus drastique. Je me suis penchée sur la vitrine pour découvrir ce Loup et cet Agneau, j’ai souri, et j’ai pensé à la personne qui avait eu l’ouvrage en mains, l’avait feuilleté, s’était peut-être amusée à d’autres pages, puis avait finalement décidé d’ouvrir l’album à celle-ci pour nous en faire savourer à notre tour l’humour… comment dire ? Mordant.

Les chevaux domptés

Les chevaux domptés, Frederick MacMonniesCette année les journées du Patrimoine sont consacrées aux métiers liés à la conservation des oeuvres et monuments. A Vernon, une paire d’importants bronzes est en cours de restauration, le public était invité aujourd’hui à s’entretenir avec le restaurateur.
Ce spécialiste est chargé de retirer toutes les parties pulvérulentes à la surface du bronze, sans en enlever la patine. Il procède à un sablage en douceur qui retire la corrosion et les poussières mais laisse à la pièce la couleur vert de gris que lui a donnée le temps. Les deux pièces sont âgées d’une centaine d’année.
Les chevaux domptés de Frederick MacMonnies, le grand sculpteur de la colonie américaine de Giverny, ornent la cour d’honneur du musée de Vernon depuis près de trente ans. Ils étaient l’une des pièces majeures de l’exposition inaugurale de la Fondation Monet, en septembre 1980. Le grand atelier accueillait cette année-là une sélection d’oeuvres d’artistes de la colonie.
Il faut lire l’oeuvre de MacMonnies comme une allégorie, la victoire de l’esprit sur l’animal. Le cavalier est d’une échelle inférieure à celle des chevaux, ce qui les fait paraître géants. Les montures dégagent beaucoup de fougue et de force, l’homme parvient néanmoins à les dompter.
En regardant attentivement, j’ai toutefois noté une petite incongruité dans le chef-d’oeuvre de MacMonnies. Les sabots des chevaux sont ferrés. Pour celui que le cavalier chevauche, passe encore, mais celui qui se cabre, on se demande comment le maréchal ferrant a bien pu faire son office…

Thomas Buford Meteyard

Thomas Buford-Meteyard, l'Eglise de Giverny au clair de lune, huile sur toile, vers 1898, Musée de VernonVous avez peut-être reconnu l’église de Giverny sur cette toile attribuée à Thomas Buford Meteyard, que le musée de Vernon a acquise en 2005. Meteyard fait partie de la colonie de peintres étrangers, principalement américains, qui ont travaillé à Giverny à la fin du 19e et au début du 20e siècle.
Meteyard s’est singularisé en s’intéressant aux variations de la lumière la nuit. Il est l’auteur de séries d’aquarelles et d’huiles au clair de lune. Son traitement de ces motifs s’éloigne pourtant d’une approche impressionniste. Sur cette toile, on voit bien comment les larges à-plats de couleurs, leur rendu mat, l’apparition quasi fantomatique de l’église dans la clarté nocturne le rapprochent du symbolisme.
Thomas Buford-Meteyard est né à Rock Island dans l’Illinois en 1865, mais il a vécu longuement des deux côtés de l’Atlantique – en Angleterre, en France, dans le Massachusetts et en Suisse où il meurt en 1928. Pendant sa période parisienne, il se lie avec le peintre norvégien Edvard Munch et le poète Stéphane Mallarmé. A Giverny, il est l’ami du peintre américain John Leslie Breck, lui aussi adepte des vues au clair de lune.

Le musée de Vernon présente actuellement une exposition des oeuvres qui sont entrées dans ses collections depuis l’an 2000. Toutes les sections du musée sont représentées, l’art animalier occupant le devant de la scène avec un monumental laque aux Ibis de Gaston Suisse, des plâtres de kangourous, de chevrettes, de chat, de Righetti, des sculptures de chiens de Fath, des pochoirs de Benjamin Rabier, un recueil de gravures de panthères de Jouve… Le cabinet des dessins s’est enrichi de Steinlen et d’Ostier poignants.
Le parcours propose une réflexion sur ce qu’est un musée. Le hasard des donations a présidé à la constitution des collections du musée de Vernon, que ses conservateurs successifs et l’association des Amis du Musée se sont attachés à compléter avec cohérence.

Frederick et Mary MacMonnies

Jardin en hiver à Giverny, Mary Fairchild MacMonnies Cette toile de grandes dimensions (97 x 163 cm) de Mary Fairchild MacMonnies est un des chefs d’oeuvres du musée de Vernon. Elle représente le jardin de l’artiste en hiver.
L’impressionniste américaine et son époux Frederick MacMonnies, peintre et surtout sculpteur, ont habité Giverny. A la fin des années 1890, les MacMonnies sont les deux artistes les plus marquants de la colonie de peintres étrangers qui a jeté son dévolu sur le village.
A cette époque, les MacMonnies jouissent d’une certaine aisance. Ils emménagent dans un ancien monastère du 16e siècle, que leurs amis renomment bientôt le MacMonastery.
La demeure est entourée d’un parc d’un hectare et demi. Au tournant du siècle, Claude Monet n’est pas le seul à avoir un magnifique jardin à Giverny. De l’avis de certains visiteurs, celui des MacMonnies, à l’autre extrémité du village, est encore plus beau. Plus dans le goût du temps, en tout cas. On voit bien ici le bassin au milieu duquel se dresse une statue du dieu Pan. D’autres statues antiques sont alignées sur le mur au second plan. Monet, en revanche, n’a que faire de cet académisme, on ne trouve pas une seule statue dans son jardin.

Comme souvent avec les oeuvres des peintres américains réalisées à Giverny, on ne peut s’empêcher d’établir des comparaisons avec Monet. Le « Jardin en hiver à Giverny » de Mary Fairchild MacMonnies évoque le maître de l’impressionnisme à plus d’un titre :
– la localisation du motif (Giverny, reconnaissable à la colline à l’arrière-plan),
– le thème traité (un coin de jardin),
– le traitement de la lumière (touche vibrante et dorée),
– l’importance du moment de la journée (le matin, à en juger par le sens des ombres)…
Toutes ces caractéristiques font penser aux paysages d’hiver de Monet, à la Pie, aux Glaçons, à la route près d’Honfleur, aux Meules en hiver… Claude Monet a exercé une influence indéniable sur Mary MacMonnies. Comme lui, elle a d’ailleurs représenté son jardin à plusieurs saisons, des toiles que l’on peut voir également au musée de Vernon.
Aujourd’hui, l’ancienne propriété des MacMonnies s’appelle le Moutier, nom qui dérive de monastère, et se trouve non loin de l’église.

Tondo

carte de voeux Monet : Nymphéas, 1908, musée de VernonEn 1908, voilà déjà cinq ans que Claude Monet ne peint plus que des Nymphéas, ces nénuphars qui ornent le bassin de son jardin à Giverny. Cinq ans de recherches, enfermé dans son jardin, à étudier inlassablement le même motif.

La vision paysagiste a progressivement disparu, en même temps que la représentation des berges ou de branches. Monet se laisse hypnotiser par l’eau, les arbres et les nuages qui s’y reflètent, les fleurs qui flottent.
C’est ainsi qu’il lui vient un jour l’envie d’essayer un format circulaire, qu’on appelle un tondo. Inscrit dans une forme ronde, le bassin y devient une sorte d’évocation d’un monde clos, d’un univers sans limite.

Vernon partage avec Saint-Etienne et Houston le privilège de posséder un de ces rares tondos.
La photo ne rend pas souvent justice aux Monet, et la reproduction ci-contre ne donne qu’une pâle idée de la délicatesse exquise des coloris de celui, sobrement intitulé Nymphéas, qui se trouve au musée A.G. Poulain à Vernon. D’assez grande taille (90 cm de diamètre) il permet effectivement au regard de se perdre dans les mirages de l’étang.
C’est Monet lui-même qui en a fait don à la ville, un an avant sa mort, en 1925.
Auparavant, le tableau a été prêté pendant trois ans à la manufacture des Gobelins, à Paris, pour qu’il en soit fait une tapisserie. Le directeur de la célèbre manufacture n’était alors autre que Gustave Geffroy, critique d’art et ami de longue date de Monet.
Dans la correspondance vendue aux enchères la semaine dernière, plusieurs lettres de Geffroy évoquent ce projet. En 1906, il explique qu’il a accepté la direction des Gobelins pour de multiples raisons, notamment l’envie de faire exécuter un Monet en tapisserie. L’idée viendrait de Monet lui-même :

« Vous souvenez-vous du désir que vous m’exprimiez il y a environ deux ans de voir exécuté en tapisserie votre Jardin d’Eau. C’est par cela que je veux commencer. Cela seul suffirait à marquer mon passage ».

En 1907, Geffroy relance Monet :

 » Nous voici en juin – c’est le moment où vous devez résumer pour les Gobelins, en un tapis qui sera une date dans l’histoire de la manufacture (ne dites pas non) la poésie du ciel, de l’eau et des fleurs. »

« Ne dites pas non » se réfère à l’éloge, non au projet lui-même. En 1908, celui-ci connaît quelques retards, mais un an plus tard, Monet envoie plusieurs toiles, dont le tondo que Geffroy trouve « admirable d’atmosphère molle et bleue d’un jour d’été ». Il le fera interpréter en Savonnerie, comme deux autres oeuvres de Monet.

La ville de Vernon a choisi cette année ce joyau des collections du musée municipal pour illustrer sa carte de voeux. Est-ce un hasard ? Le format de la carte découpée est le même que celui suggéré par Geffroy à Monet dans une lettre où, dessin à l’appui, il lui explique comment il pourrait faire monter la tapisserie « en écran ».

Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

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