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Ne pas perdre la carte
En 1865, Claude Monet entreprend une oeuvre de grandes dimensions, un Déjeuner sur l’herbe qui figure un groupe de promeneurs s’apprêtant à pique-niquer à l’ombre des arbres de la forêt de Fontainebleau. La toile, qui mesurait à l’origine plus de 4 mètres par 6 mètres, était destinée à impressionner le jury et les visiteurs du Salon officiel. Elle n’a jamais été achevée. Entre 1865 et 1878, elle suit Monet dans ses différents logements, à moins qu’elle ne soit entreposée ici où là, notamment pendant sa fuite à Londres en 1870-71. En 1878, alors qu’il quitte Argenteuil pour Vétheuil, Monet est obligé de la laisser en gage à son propriétaire car il ne parvient pas à payer son loyer. Il est entendu qu’il viendra la récupérer en échange du solde de sa location.
Les années passent. En 1884, le propriétaire, le menuisier Flament, qui a peut-être eu vent d’un certain succès de Monet dans la presse, se rappelle à son bon souvenir. Alice, la compagne de Claude, lui fait suivre la lettre parvenue à Giverny pendant que le peintre séjourne à Bordighera, en Italie, pour peindre.
La lettre que vous m’envoyez est, en effet, de mon propriétaire d’Argenteuil auquel je dois encore plus que je ne pensais ; il a toujours mon tableau à ma disposition, contre paiement s’entend. Il réclame même un tableau que, dit-il, je lui aurais promis lorsque j’ai quitté Argenteuil ; il ne perd pas la carte, le cher homme. C’est égal, je voudrais bien rentrer en possession de mon grand tableau.
Lettre de Claude Monet à Alice Hoschedé, Bordighera, 25 janvier 1884
On voit que Monet reste attaché à cette oeuvre de jeunesse qui portait tant d’espoirs et lui a donné tant de mal. Son ami Frédéric Bazille, décédé depuis, avait posé pour plusieurs personnages. On sent Claude tout prêt à régler la somme demandée pour récupérer son tableau. Il ne sait pas encore que celui-ci est en bien piteux état. Voilà six ans qu’il est roulé dans une cave humide, et les bords en sont rongés par la moisissure. Quand Monet le déroulera, il sera, on l’imagine, navré du résultat. Il sauvera ce qui peut l’être en découpant les parties les moins abîmées du Déjeuner. Le deux fragments rescapés font partie des collections du musée d’Orsay. Monet les conservera le restant de sa vie.
Cependant, le menuisier d’Argenteuil affirme dans sa lettre avoir aussi à toucher de Monet un nouveau tableau. Cette transaction, non chiffrée, reste fort mystérieuse. Y va-t-il au culot ? Ou le peintre s’est-il vraiment engagé à lui fournir une toile de chevalet, ce qui n’est pas impossible ? Toujours est-il qu’il y a bien peu de chances pour que Monet lui donne satisfaction sur ce point là. « Il ne perd pas la carte, le cher homme », ironise-t-il. Cette expression qui sent bon le XIXe siècle signifie garder la tête froide, réagir rapidement avec à-propos. Monet y ajoute une pointe d’opportunisme, me semble-t-il, à la façon dont nous dirions aujourd’hui : il ne perd pas le nord.
Chevaux à la pointe de la Hève
Voici l’un des tableaux que le jeune Monet a exécutés du cap de la Hève, ce bout du monde de la Seine-Maritime, à l’extrémité sud-ouest des falaises du pays de Caux.
Au gré des chutes de pierres, le profil de la falaise a un peu changé en 160 ans. Mais cette pointe sauvage du littoral est restée non bâtie, et sa ressemblance avec le tableau perdure.
Les demoiselles
Sur cette vue de Giverny prise il y a un peu plus d’un siècle, les demoiselles sont à l’honneur. Ce sont les tas de gerbes que l’on aperçoit au premier plan, peut-être ainsi nommées à cause de leur silhouette évoquant une demoiselle à la taille fine et aux jupes amples. Le photographe surplombe la rue de Haut, aujourd’hui la rue Claude-Monet. On se donnait du mal, alors, pour cultiver les terrains en pente.
Il était moins pénible d’aller labourer les terres fertiles de la plaine des Ajoux, entre le village et la Seine. Monet y a peint trois tableaux de demoiselles en 1894, par temps couvert et sous le soleil.
Le catalogue raisonné donne cette explication pour le terme de demoiselles : » Formées chacune de plusieurs gerbes, les demoiselles de Giverny ou meulettes, appelées également diziaux par les cultivateurs de la région, constituent un abri provisoire contre les intempéries, en attendant la construction des meules proprement dites. «
Le peintre américain Theodore Butler, double beau-gendre de Monet, a lui aussi été séduit par les demoiselles de Giverny ! J’ai un doute concernant le titre de l’oeuvre, car Butler savait que ce n’était pas du foin, lui qui a passé de nombreuses années à Giverny.
Un chat chez Monet
« Les amis des chats admireront le naturel de la position de l’animal », commente Daniel Wildenstein dans le tome V du catalogue raisonné de Claude Monet, consacré aux dessins et pastels. Cette petite oeuvre si charmante a appartenu à Jean-Pierre Hoschedé, de même que la suivante au catalogue, L’atelier au chat. Ce chat était-il celui de Monet ? Ou bien a-t-il profité de la présence du chat d’un ou une amie pour le dessiner, peut-être deux fois dans la même journée ?
Dans son livre de souvenirs Claude Monet ce mal connu, Jean-Pierre Hoschedé, beau-fils du peintre, explique d’abord que Monet, « qui aimait les animaux », n’eut jamais de chien ni de chat à Giverny
« parce qu’il craignait leurs dégâts en son jardin et à ses fleurs malgré, cependant, l’exemple que lui avait donné Caillebotte qu’il avait vu à Argenteuil, toujours entouré de chiens et de chats dans son jardin où ils ne causaient pas de déprédations.
Puis, à la réflexion, il se ravise. Et là, double surprise :
« Je retrouve justement une lettre que ma mère adressait à Monet, alors dans le Midi, » (Tiens, Monet ne les a donc pas toutes détruites ??? ) « qui prouve que je viens de me tromper puisqu’elle écrivait :
Notre pauvre chatte est morte après d’horribles souffrances. Nous en sommes tous désolés. Nous n’en retrouverons jamais une semblable, si douce, si facile… »
Il y a donc eu au moins un chat à Giverny ! Mais son passage a peut-être été bref, car Jean-Pierre ajoute :
« Personnellement, je n’ai nulle souvenance de cette chatte. »
La théière de Monet
En 1872, Claude Monet est de retour en France après son séjour à Londres en 1870-1871. Grâce aux achats de Durand-Ruel s’ouvre pour lui une période relativement faste où il mène une vie bourgeoise à Argenteuil, en compagnie de sa femme Camille et de leur fils Jean. Cette délicate nature morte, Le Service à thé, nous en offre un aperçu.
Porcelaine fine de style japonisant, plateau en laque rouge, cuillère argentée, nappe en coton damassé qui accroche la lumière… Rien ne manque pour signifier l’aisance, le raffinement de ce moment d’oisiveté de l’heure du thé. Le peintre a soigneusement placé les objets pour composer son tableau en jouant des obliques et des horizontales, des zones claires et sombres, des couleurs complémentaires et des reflets dans le plateau ou sur la cuillère. Rien n’est là par hasard, surtout pas la cuillère dont on se demande bien ce qu’elle fait là, posée sur la nappe, alors qu’aucun sucrier ne se trouve sur le plateau. Personne ne va la tremper dans la seule tasse pleine. Elle ne sert qu’à équilibrer les masses, à proposer une texture de plus dans ce jeu de virtuosité à rendre tissu, porcelaine, laque, feuilles, à montrer tout ce qui brille par contraste avec le fond mat.
Cette déconcertante audace
Voici un détail d’un tableau de Monet qu’on pouvait voir l’hiver dernier à la Fondation Vuitton, dans le cadre de l’exposition de la collection Morozov. Reconnaissez-vous ce qui est représenté ici ? Contrairement aux apparences, dans l’esprit du peintre, cette partie de sa toile n’est pas abstraite mais bien figurative. La touche est menue, légère, marquée de glissendos ici et là comme pour faire sentir le souffle du vent. Cette explosion de couleurs : orange, vermillon, violet, contrastant avec des verts teintés de jaune ou de bleu, évoque des fleurs des champs qui s’épanouissent un peu partout en ce moment. Vous avez trouvé ?
L’instant capté par Monet est d’une fugacité totale. Le soleil vient de glisser derrière un nuage, délinéant sa masse grise d’une frange lumineuse. L’ombre du nuage se projette au sol sur le peintre et sur le spectateur. Monet la rend par des touches mauves et violettes, tandis que la ligne au loin qui est au soleil est peinte d’un vert chaud.
Dans un instant, le soleil émergera du petit cumulus de beau temps, et l’éclairage sera différent. Monet se tournera alors vers un autre tableau en cours placé sur un chevalet voisin, selon le témoignage de Clemenceau, pour capturer le nouvel effet par de petites touches vives.
Si vous cliquez dans le bandeau du blog sur Giverny News, vous ferez défiler les images. L’une d’elles est une photo d’un champ de coquelicots qui rappelle le tableau de Monet. C’était en 2009, je ne l’ai pas revu depuis.
L’air du large
C’est une émotion très particulière de se trouver pile à l’endroit d’où a été peint un tableau célèbre. Même si les conditions météorologiques ne sont pas les mêmes, la confrontation de l’oeuvre et de son paysage, surtout quand ce dernier a très peu changé, apporte une satisfaction unique. Nous avons tout à coup les yeux du peintre, nous sommes à sa place, littéralement.
Les instances touristiques ne manquent pas de mettre en valeur les lieux les plus emblématiques représentés par les impressionnistes en Normandie. A Fécamp, Claude Monet est à l’honneur avec cette toile qui fait partie des collections du musée Malraux du Havre. C’est du circuit court : l’original est à quelques encablures sur cette même côte, et peut-être que certains estivants de Fécamp seront tentés d’aller le voir en vrai.
La mer était plus agitée et le ciel plus lourd quand Monet les a peints en 1881 ; à cette époque sa vie personnelle est bien agitée elle aussi. Alice n’est pas sûre qu’elle va rester avec lui, et Monet en est bouleversé.
L’église de Vernon
Claude Monet – L’église de Vernon – 1883 – huile sur toile 65 x 81,4 cm
Collection particulière
Cette toile de Claude Monet a été vendue par Christie’s en octobre 2020, ce qui nous vaut le bonheur de la mise en ligne d’une image numérique de grande qualité et de commentaires en anglais de l’expert.
En juin 1883, Monet vient d’arriver à Giverny avec sa famille. Il explore les environs à la recherche de paysages à peindre, et tout porte à croire qu’il arrive à hauteur de l’église de Vernon, motif à 45 minutes à pied de chez lui, en bateau-atelier, parce que c’est plus pratique avec tout son matériel, et parce que la berge est absente de la toile.
Si vous utilisez la fonction de superzoom proposée en dessous de l’image, vous pourrez vous approcher de l’oeuvre comme si vous aviez le nez dessus. A en juger par la faible épaisseur de peinture et par la toile encore visible par endroit, le tableau semble avoir été achevé en une seule séance.
C’est ce qui lui confère sa fraîcheur et sa puissance, avec ses tons de bleus et de verts si flatteurs. Monet transcrit avec spontanéité le paysage qui s’offre à lui.
Onze ans plus tard, en 1894, il reviendra faire six toiles de la collégiale Notre-Dame de Vernon en appliquant le principe des séries.
Tiens, voilà un Boudin
Eugène Boudin, Le clocher de Sainte-Catherine, Honfleur. Huile sur panneau de bois.
Le musée Marmottan célèbre actuellement les talents de collectionneur de Monet. Aux côtés de beaux Renoir, Cézanne et autres Pissarro, on peut voir à Paris l’oeuvre ci-dessus prêtée par le musée Eugène Boudin de Honfleur. Depuis plusieurs années on sait qu’en dépit de la signature « Claude Monet », il s’agit d’un tableau de Boudin.
La confusion s’est faite en toute bonne foi, cela ne fait pas de doute.
Un Monet à 81 millions de dollars
Et même un peu plus : 81,447 millions de dollars, soit 75, 8 millions d'euros. C'est un nouveau record pour le peintre de Giverny, juste au-dessus du précédent. "Bassin aux Nymphéas" avait trouvé preneur à 80,4 millions de dollars en 2008 à Londres.
Le tableau de Monet le plus cher du monde, c'est celui-ci. Baptisé sobrement "Meule" il mesure
Les Patineurs à Giverny
Claude Monet, Les Patineurs à Giverny, W1619, Huile sur toile, 60 x 80 cm, 1899-1900, Collection privée. Vendu par Sotheby’s en 2010 pour 1,172 million de dollars.
Quand l’hiver était très froid à Giverny, les eaux immobiles du marais communal ne tardaient pas à geler. Les troupeaux de vaches se voyaient remplacés par des jeunes gens plutôt aisés, heureux de s’élancer sur des patins à glace.
C’était le cas des enfants Hoschedé-Monet, jeunes de bonne famille assez oisifs, à la recherche de divertissement, habitués du canotage et du tennis.
Dans l’usage du marais, ce sont deux milieux sociaux qui s’opposent, les insouciants d’un côté, les laborieux de l’autre. Le paysan qui loue le marais à la mairie pour y mener son bétail ne tarde pas à venir réclamer un droit de glisse aux jeunes Hoschedé-Monet qui s’insurgent mais finissent par s’exécuter afin de pouvoir continuer à patiner.
Pour eux, le marais gelé était attirant, et même glamour. C’est là que Suzanne, l’une des filles d’Alice, a noué une douce romance avec celui qui allait devenir son époux, le peintre Theodore Butler.
A cette nouvelle, de Rouen où il est parti peindre ses Cathédrales, Monet vitupère. Il savait bien que ces leçons de patinage allaient mal tourner. Heureusement, en bon chef de famille, il va faire prendre des renseignements sur la famille de l’élu, et le mariage pourra se faire.
L’affaire est déjà vieille de plusieurs années quand à l’hiver 1899-1900 le peintre s’installe sur le bord du marais gelé pour peindre cette atmosphère orange et bleue presque irréelle. Et Suzanne, déjà, n’est plus. Elle s’est éteinte en février 1899. Il y a fort à parier que pour Monet, son ombre glisse entre les patineurs.
Etretat
Claude Monet, Etretat, soleil couchant, 1883
A en croire sa production de tableaux, Claude Monet a fait au moins sept séjours dans la petite station balnéaire normande d’Etretat, célèbre pour ses spectaculaires arches de pierres qui plongent dans la mer.
Dès 1864, le jeune Monet peint la Porte et la falaise d’Aval. Il récidive en 1868 avec une « Grosse mer à Etretat », puis revient en 1873.
Enfin, en janvier 1883, Monet se lance dans une campagne de peinture de trois semaines. Il peint dix-neuf toiles. Il sent qu’il n’a pas épuisé le sujet. L’hiver 1885-86, il passe trois mois à Etretat et y exécute la bagatelle de quarante-neuf tableaux, portant à soixante-quinze le nombre total de toiles d’Etretat.
Ce sont les oeuvres faites à la faveur d’un séjour prolongé qui offrent les points de vue les plus originaux.
Selon le mot de Monet, on ne s’imprègne pas d’un paysage en un jour. Le décor est si naturellement pittoresque à Etretat qu’on se contente volontiers du plan le plus banal, saisi sur la plage devant le bourg. Il faut du temps pour rechercher l’originalité, crapahuter de haut en bas des falaises, jouer avec les marées, s’imprégner des possibilités changeantes du lieu.
Bon marcheur, Monet n’a pas hésité à aller assez loin pour trouver des angles intéressants. Le peintre intrépide a choisi parfois des espaces dégagés quelques heures seulement à marée basse, ce qui n’a pas été sans risque.
Monet aimait le bord de mer en hiver. Pour retrouver ses lumières, c’est le moment d’aller à Etretat. L’automne offre des couchers de soleil dès 5 heures du soir, et, dans la petite station qui somnole au crépuscule de la saison, on trouve à nouveau de la place pour se garer.
Si vous aimez la photo vous cadrerez en vous posant les mêmes questions que les peintres, plus large ou plus serré ? plus à gauche ou plus à droite ? d’ici ou de là ?, en jouant des éclairages et des perspectives. Mais prudence près des falaises, attention à la mer, aux chutes de roches, et au vent.
Etretat, l’Aiguille et la Porte d’Aval, coucher de soleil
Sourire
Ça s’est passé hier à Zurich. Deux des tableaux volés la semaine dernière ont été retrouvés : le van Gogh et le Monet.
Il manque encore le Cézanne et le Degas, mais tout de même, quelle joie de récupérer ces deux-là.
Regardez le sourire radieux du porte-parole de la police de Zurich, M. Cortesi, pendant la conférence de presse. Il y a des jours qui comptent dans la vie d’un représentant des forces de l’ordre.
Et derrière lui, les deux oeuvres magiques aux formats identiques se répondent, le gros plan et le paysage.
Il se chuchote qu’ils ne seraient réapparus que contre compensation… Si c’est vrai, le secret est bien gardé dans un coffre suisse. C’est peut-être mieux de ne pas savoir.
Souhaitons un prochain épilogue aussi heureux pour les deux autres tableaux.
Vol de tableau
La fondation Bührle l’appelle les Coquelicots près de Vétheuil. Ce tableau de Claude Monet a été volé dimanche.
J’avais déjà parlé de Champ de Coquelicots près de Vétheuil, et la nouvelle de sa disparition me choque et me peine.
Il y avait paraît-il quinze personnes encore présentes dans les salles du musée au moment où les gangsters ont fait irruption avec leurs visages masqués et leurs armes braquées. Cela a dû être un moment épouvantable à vivre. Un cauchemar éveillé.
Prenons-nous des risques à visiter les musées, comme nous en prenons tous les jours sans y penser en allant à la banque ou à la station service ? Toute l’année j’ai répété aux visiteurs qui regrettaient de ne voir que des reproductions chez Monet que cela valait mieux pour notre sécurité à tous. Pour le grand banditisme, nos vies ne valent pas cher face à une concentration de chefs d’oeuvre.
Si je suis peinée, c’est que voici une oeuvre soustraite à l’admiration du public. Elle vient de basculer de l’autre côté du miroir, seules quelques personnes peuvent la voir. Les toiles de maître dont la cote grimpe trop haut attisent les convoitises. Que va devenir celle-ci ? Les voleurs sauront-ils en prendre soin ? La reverra-t-on ? Finira-t-elle par être relâchée moyennant rançon, à la façon d’un otage ?
En attendant et jusqu’à nouvel ordre, le musée zurichois est fermé. Le site de la fondation Bührle reste néanmoins ouvert, avec sa visite virtuelle des salles.
Je me suis promenée de pièce en pièce à la recherche des Coquelicots de Monet. La toile se trouvait dans le salon de musique de cette villa du 19ème siècle, avec à ses côtés les trois autres oeuvres volées.
Ce n’est pas très étonnant que les voleurs se soient servis dans la même pièce. Mais voir « revivre » ces oeuvres dans leur accrochage d’avant le vol a quelque chose d’émouvant et navrant. Le panoramique permet de faire le tour de la salle, photographiée alors qu’elle était intacte. On voit le Monet, le Degas, le van Gogh, le Cézanne, tous côte à côte ou presque dans cette petite pièce.
On admire, on déplore, et tout à coup une pensée insidieuse, odieuse, fait surface. Les braqueurs ont-ils surfé sur ces mêmes images pour préparer leur coup ? Cette affaire relancera-t-elle le débat autour de l’opportunité de proposer des visites virtuelles ?
Oeuvre de titan
Voici la partie gauche de Bassin aux nymphéas avec iris de Claude Monet, un tableau monumental de 6 mètres de large par 2 mètres de haut qui se trouve à la Kunsthaus de Zurich, en Suisse.
Un immense Monet de deux mètres de haut, cela rappelle ceux de l’Orangerie, et pour cause. Non content de couvrir 182 mètres carrés de toile pour décorer les cimaises du musée parisien, Monet a peint beaucoup plus de panneaux qu’il n’en fallait.
Il voulait pouvoir choisir ceux qui s’intégreraient le mieux à la composition d’ensemble. Ce n’était pas une mince affaire, c’était une donation faite à la France, son testament pictural !
Monet se met à cette oeuvre de titan à 76 ans, quand il fait construire un atelier adapté à des toiles de grandes dimensions. Il sait que c’est « au-delà de ses forces de vieillard ». Il souffre de la cataracte, il voit de plus en plus flou, des couleurs faussées.
Et pourtant il s’acharne à peindre. Debout face à la toile, il lutte. Il sent la mort qui approche, mais tant qu’il peint, il vit. Une joie l’anime, la joie de créer.
Dans sa fièvre de travail Monet a produit 77 mètres linéaires de tableaux supplémentaires, soit 154 mètres carrés « de trop ».
Ces oeuvres écartées sont bien sûr de la même qualité que les Nymphéas de l’Orangerie. Leurs dimensions hors normes leur ont valu d’être acquises davantage par les musées que par les particuliers.
Alors qu’un Monet sur deux est en collection privée, on peut admirer preque tous ces Bassins en collections publiques à New-York (24,75 mètres linéaires de Grandes Décorations de Monet), à Zürich (10,25m), à Bâle (9m), à Pittsburgh (6m), à Cleveland, Ohio, à Saint-Louis, Missouri, à Kansas City, Missouri et à Londres (chacun 4,25m). Sans oublier les 91 mètres de l’Orangerie à Paris.
Bain de mer
Aujourd’hui, en l’honneur de l’été, allons au bord de la mer. Ce n’est pas très loin, Giverny est à seulement une heure trente du littoral de la Manche.
En partant de la vallée de la Seine, il faut choisir si l’on ira au sud-ouest de l’estuaire ou au nord-est, ou si vous préférez à gauche ou à droite de l’embouchure. La différence de paysage est assez marquée : au nord-est, c’est la Seine-Maritime, avec ses belles falaises d’Etretat, de Varengeville, de Dieppe, célébrées par Monet. Au sud-ouest, dans le Calvados, les plages de sable ont favorisé l’émergence de stations balnéaires, avant d’entrer dans l’Histoire comme plages du Débarquement.
Ici aussi, Monet a peint, mais surtout au début de sa carrière, à Honfleur et à Trouville. Avec ses parents, il habitait le Havre, de l’autre côté de l’estuaire.
Le tableau ci-dessus date de l’hiver 1882. Monet est parti pour une longue campagne de peinture à Dieppe, puis à Pourville, cinq kilomètres plus à l’ouest, où il reste deux mois. Les vagues déferlent le long de la côte. Le soleil couchant teinte la plage de Pourville de rose, mêlé au bleu du ciel qui se reflète sur le sable mouillé.
Combien de tableaux Monet a-t-il peints ?
Dans son catalogue raisonné de l’oeuvre de Monet, Daniel Wildenstein a recensé environ 2000 tableaux, tous des huiles sur toile : le dernier porte le numéro 1981, mais les Grandes Décorations de l’Orangerie, ces panneaux immenses, hors normes, ne sont pas comptés dans la numérotation.
Le catalogue ne tient pas compte des dessins, pastels, esquisses, rarement signés, et dont beaucoup ont par conséquent été perdus.
Sur ces 2000 toiles, Giverny s’impose comme le sujet de prédilection de Claude Monet. Rien de plus naturel au regard des 43 ans qu’il y a passés, la moitié de sa vie.
Claude Monet a peint son jardin d’eau 272 fois, son jardin fleuri 52 fois, soit un total de 324 vues prises dans son jardin.
Peintre du plein air, Monet n’a représenté sa maison que de l’extérieur, en arrière-plan du jardin fleuri, mais jamais en scène d’intérieur comme il l’avait fait ailleurs au début de sa carrière.
Le peintre est aussi allé peindre aux alentours de chez lui, ce qui s’est concrétisé par 238 vues de Giverny, coquelicots, bords de l’Epte, meules, marais, peupliers, prairies, routes, vergers, Seine, etc. Le village en lui-même paraît comparativement sous représenté, seulement 16 fois.
Avec 4 occurences, l’église n’a guère inspiré Monet, contrairement à celles de Vétheuil, de Vernon ou à la cathédrale de Rouen.
Champ d’avoine
Il fut un temps où les Monet ne s’adjugeaient pas sous le marteau des commissaires – priseurs après d’haletantes ventes aux enchères, mais où ils s’offraient tout bonnement à la convoitise des collectionneurs.
Imaginez par exemple que vous vivez en 1891 à Boston, vous êtes amateur d’art, vous vous appelez Desmond Fitzgerald, et voilà que le 7 avril vous découvrez ce Monet-ci à la galerie J. Eastman Chase.
Je peux vous dire ce qui vous arrive : votre coeur s’emballe, et vous ne rêvez que d’une chose, c’est que votre cousin se porte acquéreur du tableau.
Pourquoi ? Je ne lis pas dans vos pensées à ce point là. Votre cousin John Nicholas Brown vous a peut-être demandé de le conseiller pour se constituer une collection ? Ou est-il plus fortuné que vous ? En tout cas, après avoir beaucoup admiré le Champ d’avoine, vous foncez au bureau des télégrammes et vous cablez ce mot enthousiaste à votre cousin qui habite Providence :
Le plus magnifique Monet vient d’arriver. Vous et votre mère l’admirerez. Il m’est réservé jusqu’à demain midi. Quinze cents $. Je vous supplie de dire oui, vous ne le regretterez jamais. Répondez oui ou non ce soir si possible.
Vous êtes sur des charbons ardents tout le reste de la journée. Enfin, à 8 heures du soir, vous retournez à la Western Union Telegraph Company juste à l’instant où le bureau va fermer, et, quel bonheur, le télégramme d’acceptation de votre cousin arrive à cet instant.
Ensuite, vous rentrez chez vous et, après dîner, vous reprenez la plume pour être un peu plus précis. Il s’agit de rassurer votre correspondant qui achète sans avoir vu.
Le tableau pourrait être vendu, si tu décides de ne pas le garder, mais il est d’une beauté surprenante et de la meilleure qualité – signé et daté 1890. Il a la même taille (N.D.L.R. : 50×76 cm) que ma Scène d’automne dans la bibliothèque – un peu plus grand que le tableau d’Antibes que tu as vu chez moi. Il est (…) arrivé de Paris cet après-midi. Nous ne sommes que quelques-uns à l’avoir vu.(…) C’est le tableau de Monet le plus complet que j’ai jamais vu, un chef d’oeuvre. C’est un champ de blé et de coquelicots avec quelques arbres, semblable à celui que toi et H aimiez mais bien bien meilleur à tous égards. Tu ferais bien de descendre pour le voir tout de suite. Mais il est impossible de te donner une idée de sa finesse et de sa beauté. C’est un jour chaud et vaporeux de plein été.
Et pour mieux vous faire comprendre vous griffonnez un petit dessin de la composition du tableau. Enfin, après avoir signé, vous rajoutez encore ce post-scriptum :
C’est une belle composition autant qu’une belle image. C’est le meilleur que j’ai jamais vu. Il vaudra plus de 10.000 dollars un jour.
Vous avez le goût sûr : votre cousin n’est pas déçu de son acquisition. Il l’aime tellement qu’il garde le tableau toute sa vie, et ses héritiers, tout aussi séduits, ne s’en séparent pas davantage.
On possède quelques détails sur la création de cette oeuvre. Daniel Wildenstein a déterminé qu’elle a été peinte « sur le plateau au nord du val de Giverny, à l’orée des bois de la Réserve et du Gros-Chêne, en regardant ver l’est. » Elle fait partie d’une mini série de quatre toiles peintes au même endroit pendant l’été 1890, quand, après une longue période de mauvais temps, Monet retrouve enfin la possibilité de travailler sur le motif, en plein air. Quant à savoir s’il s’agit d’avoine ou de blé, il faut un oeil d’expert pour faire la différence !
Les Nymphéas de l’Orangerie
Plus grand, toujours plus grand : parvenu à la maturité de son art, à l’heure ou d’autres prennent leur retraite, Monet ose une oeuvre démesurée. Le projet n’est pas né de la veille. Dès 1897, à 57 ans, il envisage de créer une décoration de salon sur le thème des Nymphéas. Le critique Roger Marx rapporte ainsi ce que lui aurait dit Monet :
« Un moment, la tentation m’est venue d’employer à la décoration d’un salon ce thème des nymphéas : transporté le long des murs, enveloppant toutes les parois de son unité, il aurait procuré l’illusion d’un tout sans fin, d’une onde sans horizon et sans rivage ; les nerfs surmenés par le travail se seraient détendus là, selon l’exemple reposant de ces eaux stagnantes, et, à qui l’eût habitée, cette pièce aurait offert l’asile d’une méditation paisible au centre d’un aquarium fleuri. »
On voit que le stress préoccupait déjà beaucoup les contemporains de Monet ! Le projet reste en suspens quelques années encore. C’est surtout pendant la guerre de 1914-1918 que Monet, septuagénaire, se lance dans la création de ses grands panneaux.
Les Grandes Décorations installées depuis 1926 au musée de l’Orangerie s’étendent sur 91 mètres de long, par deux mètres de haut. Sachant qu’on a relevé 15 000 coups de pinceaux dans un tableau de pont japonais d’un mètre de côté, calculez l’acharnement nécessaire à parvenir au bout de cette oeuvre testamentaire…
« C’est au-delà de mes forces de vieillard », se plaint Monet. Et pourtant il peint, debout, dans l’atelier géant qu’il a fait construire tout exprès à Giverny. Il ne sait pas encore ce que vont devenir ses toiles : son ami Georges Clemenceau, président du Conseil, va le convaincre en 1918 d’en faire don à l’Etat.
Il peint, mais il y voit de moins en moins. Presque aveugle, la vision des couleurs affectée par la cataracte, il peint toujours, au risque de gâcher irrémédiablement des années d’effort. Ce n’est qu’en 1923 qu’il finit par se laisser convaincre par Clemenceau et subit une opération de l’oeil. Il met près d’un an à retrouver une vue satisfaisante.
Devant les panneaux qui s’étendent tout autour des deux salles ovales du musée de l’Orangerie, l’énigme de leur création par un vieil homme à la vision diminuée ne trouve pas de réponse. Mais si le visiteur se laisse hypnotiser par leur profondeur secrète, happer par la dissolution des formes, enchanter par cet hymne à la beauté du monde, il peut y approcher l’expérience voulue par Monet de ne faire qu’un avec un tout sans fin.
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L’église de Vernon par Monet
Le paysage n’a presque pas changé depuis que Monet l’a peint en 1894 : à Vernon, l’église gothique plonge toujours son reflet dans les eaux de la Seine, à l’arrière-plan de quais paisibles qui s’évanouissent dans la brume.
Avec ce motif quotidiennement sous les yeux, j’ai une tendresse particulière pour une petite série de Monet qui le représente. Elle est loin d’être aussi célèbre que les cathédrales de Rouen, les Meules ou les Peupliers. Il s’agit des vues de l’ église de Vernon prises depuis la rive droite de la Seine.
Monet explore des dégradés de couleurs, des touches fondues qui évoquent le brouillard ou le plein soleil, la composition en bandes horizontales autour d’un axe de symétrie qui coupe le tableau en deux…
A comparer avec une photo de l’église de Vernon vue du même endroit aujourd’hui.
Monet et la pollution de Londres
Des scientifiques anglais se penchent sur les tableaux de Londres par Monet pour y chercher des indications sur… la pollution de la capitale britannique au siècle dernier !
En étudiant la façon dont il a rendu la dispersion de la lumière, ces chercheurs en Géographie, Sciences de la Terre et de l’Environnement de l’université de Birmingham espèrent trouver des informations sur les particules qui composaient le fog, l’épais brouillard londonien qui plaisait tant à Monet. Le phénomène a atteint son apogée dans les années 1880 puis a progressivement diminué.
Monet peignait exactement ce qu’il voyait, et entretenait une correspondance quotidienne avec sa femme dans laquelle il était beaucoup question du temps qu’il faisait. Les chercheurs disposent donc d’indications précises sur lesquelles s’appuyer. Car on ne sait pas grand chose sur les causes réelles de ces brumes tenaces qui privaient les habitants de Londres de soleil pendant tout l’hiver.
Monet a fait trois séjours à Londres, en 1899, 1900 et 1901, au cours desquels il a exécuté plusieurs séries de vues de la Tamise, représentant une centaine de toiles.
Celle-ci, intitulée Le Parlement, trouée de soleil dans le brouillard, (1900-1901) se trouve au Musée d’Orsay à Paris.
Portrait d’Ernest Cabadé par Monet
Pour ce centième billet, voici le centième tableau de Monet, Portrait d’Ernest Cabadé. Un portrait sobre et même sévère d’un homme encore jeune. Cabadé deviendra un médecin fameux qui publiera de nombreux ouvrages scientifiques.
On ignore quel était le degré d’intimité qui unissait Claude Monet et Ernest Cabadé. Monet le nomme son ami dans la dédicace du portrait qu’il lui offre « à mon ami Cabadé / Claude Monet / 1867 ».
Cette année-là, Monet a bigrement besoin de cet étudiant en médecine : Camille attend un enfant, et le couple n’a pas un sou pour payer un médecin ou une sage-femme. Le 8 août 1867 à 6 heures du soir, Cabadé accouche Camille d’un « gros et beau garçon », en l’absence de Monet qui se trouve dans sa famille au Havre.
La naissance de Jean Armand Claude a lieu au rez-de-chaussée du 8 impasse Saint-Louis dans le quartier des Batignolles à Paris 17e. Jean porte le nom de son père, qui le légitimera ultérieurement en se mariant avec Camille.
Malgré l’hostilité de son propre père concernant sa vie maritale avec Camille, Claude se garde bien de suivre les conseils paternels d’abandonner l’enfant et sa mère. Au contraire, il se sent envahi d’affection pour ce petit bout de chou. Le tableau 101 représente le bébé dans son berceau.
Champ de coquelicots près de Vétheuil
les jardins de Monet à Giverny.
Femme à l’ombrelle
Dans les jardins de Giverny, un jour de grand soleil. Au fil des allées, on aperçoit quelques parapluies ouverts. Un petit coup d'oeil : c'est toujours une dame japonaise qui se protège ainsi des ardeurs du soleil. Ce geste ne lui paraît pas, comme à nous, vaguement ridicule, mais au contraire parfaitement adapté à la situation.
Les Japonaises n'ont pas perdu comme nous l'habitude féminine de l'ombrelle. Camille apparaît plus gracieuse que jamais quand Monet la peint en 1875 avec cet accessoire si prisé alors.
Le visage très doux, esquissé de quelques coups de pinceaux, se devine derrière un léger voile qui flotte au vent, tandis que la silhouette de Camille se détache à contre-jour dans une atmosphère bleutée.
Sa femme, son fils, une journée de beau temps dans la nature : Monet semble avoir résumé tout son bonheur d'Argenteuil, mis en valeur par le cadrage en contre-plongée.
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