La maison des Renoir à Essoyes – 7
La chambre d’Aline Renoir donne sur celle de ses enfants. Une belle pièce où les garçons avaient de la place pour jouer. Malgré leur différence d’âge, ils étaient contents d’être réunis dans la maison d’Essoyes, car ils passaient l’année scolaire au pensionnat. La pièce a été reconstituée avec deux lits ayant appartenu aux Renoir. Je suppose que c’était ceux de Pierre et Jean, puis Jean et Coco. Devenu grand, Pierre logeait au 2e étage.
A nouveau, une multitude de détails captent le regard. Un costume marin est accroché au placard, près d’une coiffeuse d’enfant. Sous le lit est glissé le pot de chambre. Partout, des jouets.
Des toupies, le jeux des quatre souris, le jeu des pénitences très récréatif en société, jeu de puces, des sauterelles, c’est à prendre ou à laisser, jeu du triangle, jeu de la croix… Les décorateurs se sont bien amusés.
Les sciences ne sont pas oubliées : cahier pour faire un herbier, boîte de science amusante autour du magnétisme… Un nounours bourré de paille siège dans un petit fauteuil, à côté d’un plus grand orné de tapisserie, où les fils Renoir pouvaient s’installer pour lire.
Dans le petit lit, un jeu de l’oie, un album sur les animaux de la campagne, et un cahier pour apprendre à dessiner (quand même !) : le moniteur de dessin des tout petits.
A côté de la bassinoire qui a appartenu à la famille, une collection de pierres pour s’initier à la minéralogie.
Enfin (mais on pourrait continuer), sur le grand lit, des livres pour enfants, des fables, et une boite contenant des billes en terre et des calots. Est-ce que vous craquez autant que moi ? C’est, mis en situation, le musée du jouet.
La maison des Renoir à Essoyes – 6
A l’étage de la maison familiale des Renoir, au-dessus du salon-atelier, de la cuisine et de l’ancienne salle à manger se trouvent trois chambres. On y accède par l’escalier de la tour. Aline et Auguste ne dormaient pas ensemble, comme c’était l’usage dans les familles bourgeoises. Voici le lit d’Aline.
Sur la coiffeuse qui a appartenu à la famille sont disposés quantité de jolis objets, brosses, boites à poudre, flacons…
Le placard et la malle sont pleins de linge, comme si les Renoir venaient d’arriver pour l’été.
Un renfoncement était réservé aux travaux d’aiguilles.
La baignoire en zinc a appartenu aux Renoir. Elle est placée dans la chambre même. Quel luxe de prendre un bain chaud !
La belle cheminée de marbre blanc, la pendule témoignent d’un confort bourgeois qui était une revanche sociale pour Aline : elle a été élevée par sa tante et son oncle, sa mère ayant été obligée de quitter Essoyes pour aller travailler à Paris alors qu’Aline était encore bébé. Elle n’avait que quinze mois quand son père a quitté le domicile conjugal. Après son départ, sa mère n’était plus en mesure de payer son loyer. Posséder une maison était par conséquent l’un des rêves d’Aline.
La maison des Renoir à Essoyes – 5
Après le salon-atelier de la maison des Renoir et l’ancienne salle à manger transformée en espace d’exposition, voici l’immense cuisine d’Essoyes. Aline Renoir aimait faire la cuisine et régaler sa famille et les amis de passage. Elle cultivait elle-même un potager et un verger.
Le grand buffet, à la forme originale, et la table ont appartenu à Auguste et Aline Renoir. Le sol est en pavés de terre cuite rouge, les murs peints en jaune clair donnent une atmosphère chaleureuse à la pièce.
Voici le fourneau, cousin de celui de Giverny, avec les casseroles en cuivre à portée de main, la bouilloire et la cafetière poussées dans le fond, et le moule à gaufres prêt à régaler les enfants.
Devant la fenêtre, disposé comme une nature morte, de quoi parfumer les plats. A droite, sous la jolie cruche, se trouve le garde-manger treillagé.
Dans l’évier, une cuvette et un broc émaillés près du robinet de cuivre qui ne distribue que de l’eau froide, des torchons de lin pour essuyer les verres, une crédence à petits motifs, un savon de Marseille…
Et voici un détail des étagères du buffet. Quel charme dans cette cuisine de campagne de la famille Renoir !
La maison des Renoir à Essoyes – 4
Cet été, les visiteurs de la maison des Renoir à Essoyes ont la chance de pouvoir y admirer quatre tableaux du maître, célébrant son triomphe à l’occasion de son exposition rétrospective chez Durand-Ruel en 1892. Ces oeuvres originales ont été prêtées par le musée d’Orsay et la société Durand-Ruel et Cie et sont présentées à Essoyes jusqu’au 22 septembre 2024 dans l’ancienne salle à manger de la maison de l’artiste.
La très belle Maternité, dite aussi Madame Renoir et son fils Pierre ou encore L’enfant au sein est de retour dans le village où elle a été peinte. Elle représente Aline, la future épouse de Renoir, et leur premier-né Pierre, âgé de quelques mois. Tout est lumineux et adorable dans ce tableau, les couleurs douces, l’expression épanouie d’Aline, le bébé grassouillet qui attrape son pied, la simplicité du décor de campagne tout autour… Les traits, bien dessinés, signalent la période où Renoir s’éloigne de l’impressionnisme et renoue avec la fermeté du dessin, que lui inspire son admiration pour Ingres.
Le saisissant portrait de Richard Wagner a été exécuté en 35 minutes seulement. Les deux hommes se rencontrent à Palerme, en Sicile, en janvier 1882. Renoir est un admirateur de la musique de Wagner et souhaite le peindre, mais il est éconduit deux fois. A sa troisième tentative, Wagner, qui vient d’achever la composition de Parsifal et se sent fatigué, accepte tout de même de le recevoir. Après un verre ou deux, les deux hommes sympathisent. Wagner accorde une séance de pose à Renoir pour le lendemain. Elle est brève, mais le peintre s’en accommode : c’est assez pour saisir la ressemblance, vêtements et fond ne sont qu’esquissés. Selon Renoir, il eût fallu qu’elle fût plus courte encore : « Si je m’étais arrêté avant, c’était très beau, car mon modèle finissait par perdre un peu de gaité et devenir raide. J’ai trop suivi ces changements. » On connaît même, grâce à cette lettre de Renoir à un ami, la réaction de Wagner : « A la fin Wagner a demandé à voir il a dit Ah ! Ah ! Je ressemble à un prêtre protestant ce qui est vrai. » Wagner devait mourir à Venise l’année suivante.
Ma photo ne rend pas les couleurs lumineuses de ce beau portrait de la fille de Paul Durand-Ruel, commandé à Renoir par le marchand des impressionnistes, qui se faisait à l’occasion mécène. Cette oeuvre est restée dans la famille et n’a jamais été exposée depuis 1892. Marie, dont la taille ultra-fine est certainement prise dans un corset, a une expression pensive. A-t-elle aimé ce portrait d’elle voulu par son père ? Renoir s’est-il montré aussi rapide qu’avec Wagner ?
Auguste Renoir, Vue de La Rochelle, vers 1890, collection Durand-Ruel
A côté de ces oeuvres majeures, la petite Vue de La Rochelle (19 x 26 cm) passe presque inaperçue. Elle aussi, pourtant, fait partie de la collection Durand-Ruel et n’a jamais été exposée depuis la rétrospective Renoir de 1892. Le marchand avait réuni 110 toiles, ne négligeant pas les petites, à la portée de davantage de bourses. Renoir a séjourné à La Rochelle en juin 1890 et a exécuté plusieurs toiles du port. Là encore, ma photo est bien en deçà de la réalité, beaucoup plus jolie.
La maison des Renoir à Essoyes – 3
La maison des Renoir à Essoyes, en Champagne
Le clou du « parcours Renoir » du village d’Essoyes, c’est bien entendu la visite de la maison familiale. Ce sont les Renoir qui ont fait ajouter la tour, qui sert de cage d’escalier, transformant une bâtisse rurale en demeure bourgeoise. Aline, qui avait du tempérament et la tête sur les épaules, s’est beaucoup occupée du suivi du chantier.
Les principaux meubles sont restés sur place, déposés par les héritiers Renoir, tandis que l’atmosphère de l’époque est rendue par une époustouflante mise en scène réalisée dans l’esprit d’un décor de cinéma. Cette pièce, le salon-atelier, était au départ une grange, bientôt aménagée en atelier, jusqu’à la construction d’un atelier neuf au bout du jardin : des étapes identiques à celles du salon-atelier de Monet à Giverny.
Voici le bureau où rien ne manque, pas même les lunettes. Les cigarettes déjà roulées sont prêtes à être fumées.
Pinceaux et brosses sont rangés près de la fenêtre dans des pots en grès de Betschdorf, tels qu’on en voit un dans le tableau présenté en 1874 à la première exposition impressionniste, Fleurs dans un vase prêté ce printemps à Orsay par le museum of fine arts de Boston :
Pierre-Auguste Renoir, Fleurs dans un vase, vers 1865, museum of fine arts, Boston
Près du chevalet se trouve une palette qui fait penser à celle donnée par Jean Renoir au musée d’Orsay. Elle est moins volumineuse que celle de Monet, qui aimait travailler avec de très grandes palettes aux formes courbes :
La palette de Monet, conservée au musée Marmottan-Monet à Paris
Revenons à la maison de Renoir à Essoyes. Un paravent marque la limite entre l’atelier et le salon. Renoir aimait déguiser ses modèles, les parer d’accessoires.
Entre les fauteuils, une adorable chaise d’enfant. Les jeux en bois sont sortis.
Des châssis, des toiles sans cadre qui ne se prennent pas encore pour des chefs-d’oeuvre, se mêlent aux figurines de plomb et à la cafetière sur son petit plateau.
Le piano porte des partitions de Lieder de Liszt. Le fauteuil roulant est devenu indispensable à Renoir à partir de 1910. Le joli papier peint a été refait d’après celui d’origine.
On n’en finit pas d’observer tous les détails, les dragées dans leur drageoir, les livres sur les étagères… J’ai été conquise par la finesse des rideaux, et cette douce harmonie des roses dans la cruche. Renoir adorait peindre des roses, il y étudiait les tons de ses nus.
La maison des Renoir à Essoyes – 2
Essoyes, le centre culturel
Le « parcours Renoir » à travers le village d’Essoyes débute au centre culturel, qui fait office de centre d’interprétation. Après avoir vu un petit film d’une vingtaine de minutes, le visiteur peut lire de nombreux panneaux thématiques, pour se familiariser avec la famille Renoir et comprendre son lien avec Essoyes. Quelle riche idée ! C’est tout ce qui manque à Giverny, où les explications font cruellement défaut.
Le visiteur apprend ainsi qu’Aline Charigot, originaire du village, a d’abord été le modèle puis l’épouse de Renoir. Son visage nous est familier. Aline incarne par exemple la femme de Danse à la campagne du musée d’Orsay.
C’est Aline qui a convaincu l’artiste de venir séjourner dans son village natal. Renoir adorait « paysanner en Champagne ». A partir de la naissance de leur fils Pierre en 1885, la petite famille passe régulièrement l’été dans le village. En 1896, ils achètent une maison. Jean vient de naître. Le petit dernier, Claude, naît dans la maison familiale à Essoyes en 1901.
A l’étage du centre culturel, 150 ans obligent, la première exposition impressionniste de 1874 est évoquée par des reproductions et quelques objets. Vous prendrez bien un petit verre d’absinthe ?
Le parcours traverse le village, en passant par l’église et la maison de Gabrielle Renard, engagée à 16 ans pour être la nounou de Jean Renoir. Le futur cinéaste se souviendra d’elle avec une grande tendresse. Il l’appelait Bibon. Gabrielle, qui a beaucoup posé pour le peintre, était native d’Essoyes, tout comme Aline Charigot, l’épouse d’Auguste Renoir, dont elle était la cousine.
La maison des Renoir à Essoyes – 1
Le petit village d’Essoyes se trouve dans le département de l’Aube, au sud de la Champagne, à la limite de la Bourgogne. Il est traversé par l’Ource, un affluent de la Seine, et compte à peine plus de 700 habitants. Depuis 2017, on peut y visiter la maison d’Auguste Renoir et sa famille.
Le village est labellisé « Petite cité de caractère » et a obtenu 3 fleurs au concours des villes et villages fleuris. Au bord de l’Ource se dresse un important lavoir. Du temps de Renoir néanmoins, à en juger par ses tableaux, certaines laveuses travaillaient directement dans la rivière.
Le village, qui a compté 1800 habitants au début du XIXe siècle, a vu sa population baisser à 650 il y a vingt ans. Elle repart timidement à la hausse.
L’église Saint-Rémi a été reconstruite après un incendie, et consacrée en 1865.
Partout des vélos décorés et des fanions jaunes : le Tour de France est passé par là. L’impression qui domine est néanmoins celle d’un grand calme. On est à 2h30 de Paris, en dehors de la zone d’influence de la capitale. Beaucoup de maisons paraissent inoccupées, plusieurs sont à vendre. Je ne peux m’empêcher de comparer avec le marché immobilier de Giverny, où les biens sont rares et chers.
De nombreux puits subsistent devant les maisons vigneronnes construites en pierres apparentes.
Certaines maisons anciennes possèdent encore la pierre d’évier par où les eaux de la cuisine s’écoulaient dans la rue.
Un parcours aux panneaux bien visibles permet de découvrir tous les lieux du village en lien avec les Renoir.
Itinéraire bis dans les jardins de Monet
Au bout du bassin aux nymphéas de Giverny s’ouvre une petite allée qui contourne elle aussi l’étang, mais d’un peu plus loin. Cet itinéraire bis n’offre pas de vue sur le plan d’eau cher à Monet, il est donc un peu moins fréquenté. C’est par là que le Ru, le petit bras de l’Epte, entre dans la propriété. Un beau gunnera y prospère, avec ses feuilles surdimensionnées. Il aime avoir les pieds humides.
Le cours d’eau serpente entre des massifs d’hémérocalles à fleurs orange et les larges feuilles rondes des pétasites. Les jardiniers se sont amusés à faire un arceau avec une branche de ce jeune saule.
Au sud, face à la prairie où un troupeau de vaches vit sa vie, un magnifique aulne dresse sa fière silhouette. C’est un arbre local qui se plaît au bord de l’eau. Je ne sais pas s’il a été planté. Il a très bien pu s’installer tout seul et trouver la place bonne.
Le chemin passe sous un « vieux » saule pleureur, qui date des années soixante-dix, dont les rameaux viennent chatouiller cette touffe de lis d’un jour. Je crois que c’est le nouveau doyen parmi les saules.
On débouche sur les arceaux de roses où se mêlent trois couleurs de fleurs. Les plus sombres sont des American pillar, robustes, au beau feuillage luisant.
Les voici d’un peu plus près. A droite, la jeune fille est assise sur le banc de Monet. A l’origine, il se trouvait au bord de l’eau, près de l’embarcadère, là où les visiteurs aiment se prendre en photos.
Ne pas perdre la carte
En 1865, Claude Monet entreprend une oeuvre de grandes dimensions, un Déjeuner sur l’herbe qui figure un groupe de promeneurs s’apprêtant à pique-niquer à l’ombre des arbres de la forêt de Fontainebleau. La toile, qui mesurait à l’origine plus de 4 mètres par 6 mètres, était destinée à impressionner le jury et les visiteurs du Salon officiel. Elle n’a jamais été achevée. Entre 1865 et 1878, elle suit Monet dans ses différents logements, à moins qu’elle ne soit entreposée ici où là, notamment pendant sa fuite à Londres en 1870-71. En 1878, alors qu’il quitte Argenteuil pour Vétheuil, Monet est obligé de la laisser en gage à son propriétaire car il ne parvient pas à payer son loyer. Il est entendu qu’il viendra la récupérer en échange du solde de sa location.
Les années passent. En 1884, le propriétaire, le menuisier Flament, qui a peut-être eu vent d’un certain succès de Monet dans la presse, se rappelle à son bon souvenir. Alice, la compagne de Claude, lui fait suivre la lettre parvenue à Giverny pendant que le peintre séjourne à Bordighera, en Italie, pour peindre.
La lettre que vous m’envoyez est, en effet, de mon propriétaire d’Argenteuil auquel je dois encore plus que je ne pensais ; il a toujours mon tableau à ma disposition, contre paiement s’entend. Il réclame même un tableau que, dit-il, je lui aurais promis lorsque j’ai quitté Argenteuil ; il ne perd pas la carte, le cher homme. C’est égal, je voudrais bien rentrer en possession de mon grand tableau.
Lettre de Claude Monet à Alice Hoschedé, Bordighera, 25 janvier 1884
On voit que Monet reste attaché à cette oeuvre de jeunesse qui portait tant d’espoirs et lui a donné tant de mal. Son ami Frédéric Bazille, décédé depuis, avait posé pour plusieurs personnages. On sent Claude tout prêt à régler la somme demandée pour récupérer son tableau. Il ne sait pas encore que celui-ci est en bien piteux état. Voilà six ans qu’il est roulé dans une cave humide, et les bords en sont rongés par la moisissure. Quand Monet le déroulera, il sera, on l’imagine, navré du résultat. Il sauvera ce qui peut l’être en découpant les parties les moins abîmées du Déjeuner. Le deux fragments rescapés font partie des collections du musée d’Orsay. Monet les conservera le restant de sa vie.
Cependant, le menuisier d’Argenteuil affirme dans sa lettre avoir aussi à toucher de Monet un nouveau tableau. Cette transaction, non chiffrée, reste fort mystérieuse. Y va-t-il au culot ? Ou le peintre s’est-il vraiment engagé à lui fournir une toile de chevalet, ce qui n’est pas impossible ? Toujours est-il qu’il y a bien peu de chances pour que Monet lui donne satisfaction sur ce point là. « Il ne perd pas la carte, le cher homme », ironise-t-il. Cette expression qui sent bon le XIXe siècle signifie garder la tête froide, réagir rapidement avec à-propos. Monet y ajoute une pointe d’opportunisme, me semble-t-il, à la façon dont nous dirions aujourd’hui : il ne perd pas le nord.
Fleurs d’été dans le clos normand
Cette étrange beauté est une ismène, dite aussi lis araignée. C’est une bulbeuse venue des Andes qui, en plus d’attirer le regard, est parfumée. Ismène sonne comme un prénom, et c’en est un : c’est la soeur d’Antigone.
L’ammi élevé, ou Ammi majus, est une belle ombellifère de la famille du céleri, qui donne un aspect naturel et champêtre à un massif.
Voici les clochettes violettes de la cerinthe, et ses belles feuilles ombrées de violet.
Et pour finir la scaevola, dite fleur éventail, dans sa version blanche et jaune.
Fleurs d’été au jardin d’eau
Planté avec d’autres petites merveilles dans les massifs du jardin de Monet, voici le Salpiglossis, belle fleur au toucher de velours. Il rappelle un peu son cousin le pétunia, mais en plus découpé. Les jardiniers de la fondation Monet ont choisi des variétés marbrées spectaculaires.
Sainte-Adresse et son pain de sucre
Claude Monet, Sainte-Adresse, 1867, National Gallery of Art, Washington
L’exposition L’impressionnisme et la mer se termine dimanche à Giverny, au musée des impressionnismes. Encore quelques jours pour admirer les fantastiques couleurs que les artistes, de Boudin à Maufra, ont vues dans les flots de la mer.
Je suis retournée tout à l’heure regarder de près les Monet, avec leur étrange signature où le t final est comme une croix qui penche, un mât de navire. Et faire un gros plan du pain de sucre de Sainte-Adresse, que Monet a fait figurer sur cette toile de 1867, avec la chapelle Notre-Dame-des-Flots juste derrière. Ce sont là deux monuments caractéristiques de Sainte-Adresse, qu’il connaissait parfaitement.
Claude Monet, Sainte-Adresse (détail), 1867, National Gallery of Art, Washington
On distingue très bien le chemin crayeux qui y monte.
Et puis je me suis demandé s’il était possible de voir le pain de sucre aujourd’hui depuis la plage du Havre. La réponse est oui, si l’on a des yeux perçants, comme Monet.
L’éclat de juin à Giverny
En ce moment, le grand massif du bas du jardin de Monet a un aspect des plus impressionnistes, avec ses nombreuses touches de rouge coquelicot. A y regarder de plus près, on s’aperçoit que c’est une broderie qui compte non seulement les fameux coquelicots, mais aussi des dahlias de formes diverses aux coloris rouges et jaunes, des lis, des rudbeckias, des bidens, des pétunias, des roses d’Inde, etc, etc, etc.
Les delphiniums d’un bleu intense s’élancent près des rosiers en arbres.
Haut de 2 mètres environ, ces rosiers pleureurs au charme fou se parent de centaines de petites roses. Les plus tardives sont encore au début de leur floraison. Monet cultivait de tels rosiers, grâce aux soins experts de son chef-jardinier Félix Breuil.
Partout, les hémérocalles saluent le début de l’été, émergeant enfin en corolles orange au-dessus de leurs belles feuilles en ruban.
Deutzia
Ce joli arbuste bien en vue près de la boutique de la Fondation Monet intrigue les visiteurs. Qu’est-ce que cela peut bien être ? Du jasmin ? Un seringat ? Chacun y va de sa supposition.L’application PlantNet a la réponse : ces petites étoiles blanches sont celles d’un Deutzia gracilis.
Les conseils de plantation des pépinières recommandent de lui donner une exposition ensoleillée. A Giverny, il est à l’ombre du troisième atelier et de grands arbres, mais il fleurit néanmoins ces jours-ci, pour fêter l’arrivée de l’été.
Cauchemar à Bordighera
Rien de plus doux que les couleurs utilisées par Monet pour rendre la lumière qui baigne Bordighera, en Italie : des roses pâles, des bleus légers, des verts tendres. Ces teintes font aujourd’hui nos délices, mais quand Monet les pose sur la toile, il s’en effraie. On est si loin des couleurs académiques, « et pourtant c’est ainsi ».
Dans ses lettres, le peintre ne cesse de dire son étonnement des couleurs, en même temps que son émerveillement. A Duret, le 2 février 1884, il écrit :
Je suis installé dans un pays féerique. Je ne sais où donner de la tête, tout est superbe et je voudrais tout faire ; aussi j’use et gâche beaucoup de couleurs, car il y a des essais à faire. C’est toute une étude nouvelle pour moi que ce pays et je commence seulement à m’y reconnaître et à savoir où je vais, ce que je peux faire. C’est terriblement difficile. Il faudrait une palette de diamants et de pierreries. Quant au rose et au bleu, il y en a ici.
Claude Monet, Les Palmiers à Bordighera, 1884, Metropolitan Museum, New York
Le 3 février 1884, il confie à Alice :
Maintenant je sens bien le pays, j’ose mettre tous les tons de rose et bleu ; c’est de la féerie, c’est délicieux, et j’espère que cela vous plaira.
Pourtant, au fond de lui, il doute encore, à en faire des cauchemars, qu’il raconte à Alice le 6 février :
C’est une journée bien différente que j’ai passée aujourd’hui, journée sans travail aucun, mais ce matin, j’ai cru que j’allais être malade ; j’avais du reste passé une très mauvaise nuit ; contrairement à mon habitude, j’ai eu tout le temps des cauchemars, voyant tous mes tableaux faux de ton, puis les apportant à Paris, où tout le monde m’avouait n’y rien comprendre. J’étais désespéré ; Durand n’en voulait pas et je maudissais ce voyage.
Mais sa mauvaise nuit et son mal de tête avaient aussi une autre cause :
Ce soir à dîner, tout le monde m’a dit qu’hier j’avais très mauvaise mine, que je travaillais trop, que j’avais tort de rester trop au soleil, d’autres qu’il ne fallait pas rester dehors, passé une certaine heure, que le climat était traître et pernicieux aux gens bien portants ; bref, un tas de bêtises. J’étais évidemment fatigué, comme je le sentais depuis plusieurs jours, et voilà tout.
Le lendemain, il n’est pas encore remis :
Je me suis remis au travail ce matin, mais j’ai été tout mal à l’aise pendant toute la journée. Ce soir, je me sens mieux ; j’ai eu tout le temps mal à la tête et comme de la fièvre. Aussi ai-je travaillé avec plus de sobriété, car c’est évidemment dû à la surexcitation du travail.
En mars, près de deux mois après son arrivée, Monet finit par assumer pleinement les coloris qu’il emploie. Ainsi, le 10 mars, dans une lettre à Alice, il exulte :
Maintenant je le tiens ce pays féerique et c’est justement ce côté merveilleux que je tiens tant à rendre. Evidemment bien des gens crieront à l’invraisemblance, à la folie, mais tant pis, ils le disent bien quand je peins notre climat. Il fallait en venant ici que j’en rapporte le côté saisissant. Tout ce que je fais est flamme-de-punch ou gorge-de-pigeon et encore ne le fais-je que bien timidement. C’est du reste chaque jour plus beau. Les amandiers et les pêchers mêlés aux palmiers, aux citronniers toujours avec leurs fruits dans des harmonies délicieuses.
Les oliviers
Pendant son séjour à Bordighera, Monet a bénéficié d’une introduction pour peindre dans la propriété de M. Moreno, qui possédait non seulement un jardin paradisiaque, mais aussi des hectares d’oliviers ; ils avaient fait sa fortune.
En 1884, Monet n’a pas encore mis en place le principe de la série. Il cherche à varier les sujets, et, s’il représente beaucoup de palmiers, il se passionne aussi pour les oliviers. Leur feuillage gris-bleu, le contraste avec le sol ocre, le soleil qui perce à travers les branches, les troncs noueux, la vibration lumineuse elle-même qui émane de ces bois d’oliviers ne pouvaient que le fasciner.
Un déplacement de quelques mètres, et tout change, surtout si l’on passe d’un temps ensoleillé à un ciel couvert. « On peut se promener indéfiniment sous les palmiers, les orangers et les citronniers et aussi sous les admirables oliviers, mais quand on cherche les motifs, c’est très difficile, » soupire Monet.
Cependant les couleurs qu’il observe et qu’il retranscrit sur la toile l’étonnent. A Alice, le 7 février 1884 : « Je ne sais quel effet tout cela vous fera, mais c’est bien terrible et le bleu joue un grand rôle dans tout ce que je fais. Aujourd’hui je travaillais à un sous-bois d’oliviers par temps gris : tout est bleu et cependant c’est ainsi. »
On connaît la longévité de l’olivier. Celui-ci existe toujours dans une propriété privée de Bordighera, la fondation Pompeo Mariani.
Certaines oliveraies, heureusement, sont accessibles au public. En voici une autre près de Bordighera, par temps pluvieux, avec un sol presque trop vert.
Et voici deux vénérables oliviers dans le jardin de Renoir aux Collettes, à Cagnes-sur-Mer. Ils étaient déjà très âgés du vivant de Renoir.
Le Bordighera de Monet
Claude Monet, Les villas à Bordighera, 1884, musée d’Orsay, Paris
C’est toujours émouvant de retrouver, presque inchangé, un lieu peint par Monet. A Bordighera, la villa construite par Charles Garnier pour le banquier parisien d’origine allemande Bischoffsheim s’élève toujours sur la via romana.
La clôture et l’abondante végétation empêchent de capturer l’angle exact choisi par Monet. Mais l’élégante tour de style mauresque, avec tous ses détails, est encore plus belle que sur le tableau. Quand Monet la représente, en 1884, elle n’a pas dix ans.
Claude Monet, Villas à Bordighera, 1884, musée Barberini, Potsdam
La voici dans l’autre sens, émergeant d’un jardin luxuriant. Au fond, on aperçoit la ville haute (et ancienne) de Bordighera.
Pour qui veut marcher sur les pas de Monet et ne connaît pas la ville, il n’est pas facile de retrouver les endroits peints. Heureusement, un plan affiché dans la vitrine de l’office de tourisme s’avère providentiel.
Claude Monet, Vallée du Sasso, effet de soleil, 1884, musée Marmottan-Monet, Paris
Monet a représenté quatre fois cette étrange tour, dite tour sarrasine, qui date du 16e siècle.
Le Sasso n’est rien de plus qu’un fossé rempli d’eau. Un panneau à l’entrée de cet établissement horticole spécialisé dans les plantes grasses nous confirme que nous sommes au bon endroit : la tour s’appelle maintenant la « tour Monet ». Monet est grimpé sur la colline pour la peindre avec la montagne en arrière plan. Le lieu n’a plus le même charme, et je doute qu’il retiendrait son attention aujourd’hui.
Ailleurs, la magie opère. Le campanile de l’église, figuré par Monet sur de nombreuses toiles, se détache sur la mer. Par devant, une maison toute simple comme celles qu’on peut voir sur plusieurs tableaux.
Cette végétation a d’ailleurs donné bien du mal à Monet :
« Ce pays, comme je vous l’ai dit déjà, est extrêmement difficile à faire, très long, surtout parce que les grand motifs d’ensemble y sont rare. C’est trop touffu, et ce sont toujours des morceaux avec beaucoup de détails, des fouillis terribles à rendre, et moi justement suis l’homme des arbres isolés et des grands espaces. »
(Lettre à Alice, 11 février 1884)
Bordighera
En 1884, Claude Monet fait un voyage pour peindre à Bordighera, sur la Riviera italienne, à quelques kilomètres de la frontière française. La ville est connue pour sa palmeraie extraordinaire. Elle a fasciné le peintre lors de son voyage d’exploration avec Renoir en décembre 1883. Il a secrètement décidé d’y revenir dès les fêtes passées, seul, pour y travailler.
Lorsque Monet arrive au terme d’un harassant voyage, il « compte faire un séjour de trois semaines environ ». Les motifs variés, merveilleux, « difficiles à prendre », le climat et la magnifique lumière d’hiver de la côte méditerranéenne vont le retenir trois mois, de mi-janvier à mi-avril.
« Ici, je vais m’attacher aux palmiers et aux aspects un peu exotiques », annonce-t-il à Durand-Ruel, son marchand. Il reste encore quelque chose, à Bordighera, de la végétation foisonnante qui captivait le peintre, même si l’emprise des constructions s’est resserrée autour des espaces de verdure.
En avril 2019, j’ai eu envie de partir sur ses traces. Les Italiens rendent un hommage appuyé à Monet : un parc public situé sur un bout de l’ancien jardin Moreno peint par Claude porte son nom.
L’artiste a aussi sa rue à Bordighera :
Ainsi que son café !
Après s’être essuyé les pieds sur un tapis marqué de sa signature, (aurait-il apprécié ?) on s’assoit au milieu des reproductions de ses oeuvres peintes dans la région. Le menu propose du foie gras. Le café très serré, servi avec un verre d’eau, est italien pur jus.
Je me demande si Monet aimait le café italien, et le café tout court. Ou s’il était plutôt thé, comme les Anglais, après son séjour à Londres. En tout cas, il est descendu à la Pension Anglaise. Et il ne s’est pas plaint des petits-déjeuners.
Conches-en-Ouche ou la beauté du verre
La petite ville de Conches-en-Ouche se trouve à l’écart des circuits touristiques, ce qui lui vaut d’avoir préservé sa paisible atmosphère hors du temps. Elle est pourtant desservie par le train, à 12 minutes seulement de la préfecture de l’Eure, Evreux. De Giverny, compter une bonne heure en voiture pour parcourir les 55 kilomètres qui séparent les fleurs de Monet des merveilles conchoises.
Conches possède deux joyaux ayant un matériau pour point commun : l’église Sainte-Foy aux éblouissants vitraux du 16e siècle, et le musée du Verre.
Voici par exemple le vitrail de l’Annonciation de l’église Sainte-Foy. Pour une fois, l’ange Gabriel arrive par la droite. Il lance sa salutation à Marie, inscrite sur le phylactère qui s’enroule à la manière du ruban d’une gymnaste olympique. A cet instant, un rayon émane de Dieu le Père en direction de la Vierge.
A l’intérieur, la colombe de l’Esprit-Saint est suivie d’une petite forme humaine blanche : j’y vois l’âme de Jésus qui vient s’incarner. Ce grand mystère de l’Incarnation est symbolisé par le vase au premier plan. La Vierge est le vase sacré ; d’elle, pure comme un lis, naîtra le Christ.
Chaque détail est magnifique, comme ce paysage à l’arrière-plan, si renaissant.
Et voici Jean-Baptiste baptisant Jésus dans l’eau du Jourdain, au milieu d’une faune digne de saint François d’Assise. Il paraît que dans la verrière entière on compte 22 oiseaux !
Le musée du Verre est si riche qu’il mérite le détour à lui tout seul. Ses nouveaux locaux, inaugurés en 2022, servent d’écrin à une collection présentant l’évolution de l’art verrier depuis le 19e siècle. C’est fascinant, époustouflant.
Le Village de Giverny, un charme impressionniste
J’ai le grand plaisir de vous annoncer la parution de mon livre consacré au village de Giverny ! Il vient d’être publié aux éditions Orep et il est disponible sur commande sur le site internet de l’éditeur ou chez votre libraire préféré. On le trouve aussi dans les boutiques des musées de Giverny et de Vernon et chez les libraires de la région.
Le fil conducteur de cette présentation du village cher à Claude Monet est une question que chacun se pose plus ou moins : qu’est-ce qui fait le charme de Giverny ? Pourquoi Monet et tant d’autres artistes à sa suite y ont-ils séjourné et trouvé l’inspiration ? Pour y répondre, j’ai interrogé de nombreux Givernois, et j’ai été surprise par la variété de leurs réponses. J’ai aussi parcouru bien des fois chacune des rues et des sentes du village, essayant de capter un peu de l’essence de Giverny par la photo.
Le livre fait une large part aux jardins et à la peinture, naturellement, avec de nombreuses illustrations puisées dans les oeuvres de la colonie impressionniste. C’était aussi l’occasion de mettre ce lieu unique qu’est l’hôtel Baudy à l’honneur : il fait la couverture du livre.
Sur le plan du contenu, un peu comme pour mon livre Vernon, Saint-Marcel et Giverny, j’ai lu tout ce que j’ai pu trouver sur le village. Le texte est une synthèse de ce que je sais sur le sujet. Pour que cela reste digeste, j’ai ajouté une touche d’humour et de poésie. J’espère que vous aimerez.
La roseraie presque secrète
Au coeur du jardin de Claude Monet s’étend une pelouse bordée de rosiers.
Leurs fleurs chatoyantes s’épanouissent tranquilles, presque à l’abri des regards.
Les rosiers ont été choisis avec amour, plantés selon les règles de l’art, ils sont bichonnés par les jardiniers de la fondation Monet. Mais peu de visiteurs y prêtent attention.
La roseraie s’étend sur les quatre côtés de la pelouse. Il faut prendre la peine de regarder par dessus les massifs hauts qui la bordent, effort récompensé, en plus des roses, par la vue des pivoines et des coquelicots plantés en carré au pied des rosiers tiges.
Il est vrai qu’à Giverny, les yeux ne savent pas où donner de la tête…
Les Iris jaunes de Monet
A la fin de sa vie, Claude Monet se livre à d’étonnantes recherches autour du motif de l’iris. Impossible de savoir exactement quand il commence à s’intéresser à leur forme ondulante, à leur beau contraste de couleur sur un fond bleu. Ils ne sont ni signés ni datés, mais portent simplement le tampon d’atelier apposé bien plus tard par Michel Monet, fils de l’artiste.
Dans son catalogue raisonné de Monet, Daniel Wildenstein avertit que « tout essai de datation, même approximative, demeure hypothétique. » Il place ces études bien avant ou juste après le succès de l’opération de la cataracte. Le trait est sûr, les couleurs vibrantes et, si on peut avoir des doutes sur la réalité de ce bleu, les jaunes et les verts sont bien ceux des iris des marais qui poussent toujours à Giverny dans le jardin de Monet.
Le plus étonnant, c’est l’angle sous lequel Monet peint ses fleurs. On a l’impression qu’elles sont sur un talus, qu’il est couché à leur pied, au fond de sa barque… Tout cela n’est qu’illusion, car Monet, à 84 ans, ne recherche pas un cadrage photographique original, comme nous le ferions peut-être. Il étudie une fois de plus les reflets à la surface de sa pièce d’eau.
Le motif et son traitement son très japonisant, tout en portant la marque de la patte de Monet. A droite, des touches en forme de 8 couché évoquent le balancement de la fleur dans le vent.
Cette disposition me fait penser à Femme à l’ombrelle, le magnifique portrait de Camille debout sur un talus exécuté par Monet en 1875, du temps d’Argenteuil. Là aussi, la silhouette se détache sur le bleu du ciel, parcouru de nuages poussés par le vent. On dirait que ce portrait n’a cessé de le hanter.
Les fleurs, peut-être sur un île et sur la berge à la fois, sont disposées tout en haut des flammes vertes de leur feuillage. Entre les tiges perce le bleu de l’eau.
Claude Monet, Champ d’iris jaunes à Giverny, 1887, musée Marmottan-Monet, Paris w1137
A l’époque de Monet, les iris jaunes poussaient spontanément dans les zones humides de Giverny, par champs entiers. Il est même possible que ce soit la vue de ces merveilleux champs de fleurs qui ait contribué au coup de coeur de Monet pour le village, qu’il découvre au printemps 1883. Mais ce n’est qu’après être allé peindre les champs de tulipes au environs de La Haye en 1886 qu’il songe à installer son chevalet de l’autre côté du chemin du Roy et de la voie ferrée pour représenter par trois fois les iris sauvages pendant leur éclatante floraison, au printemps 1887.
Monet par Renoir
Pierre-Auguste Renoir, Portrait de Claude Monet, fusain sur papier, vers 1890, collection particulière
A la longueur de la barbe, on voit qu’il ne s’agit pas ici d’un portrait de jeunesse. Les deux amis ont la cinquantaine, et il est bien touchant de les imaginer tous les deux, Monet posant une fois de plus pour son vieux complice, comme il le faisait du temps d’Argenteuil, et Renoir se régalant de le croquer. Je crois que cela leur faisait mutuellement plaisir. Renoir a bien entendu donné le dessin à Monet, qui l’a bien entendu conservé toute sa vie. Michel en a hérité et semble l’avoir gardé un certain temps lui aussi, mais pas assez pour qu’il soit au musée Marmottan-Monet à Paris, musée auquel il a légué toutes les oeuvres qu’il avait encore, en plus de la propriété de Giverny. Michel a vendu énormément de toiles au cours des quarante dernières années de sa vie, y compris des représentations de ses parents.
Le directeur de la fondation Monet s’est éteint
Je viens d’apprendre avec une profonde tristesse la disparition d’Hugues Gall, l’académicien à la tête de la fondation Claude Monet depuis 16 ans. Il s’est éteint il y a trois jours, dans la nuit du 24 au 25 mai, à l’âge de 84 ans.
Pour cet homme qui a exercé de hautes fonctions et qui disait que le président Sarkozy lui faisait l’amitié de le tutoyer, les articles nécrologiques abondent. Je ne vais pas en faire un de plus, mais je voudrais lui rendre hommage très simplement en racontant quel homme il fut dans son rapport avec moi, la petite blogueuse de Giverny.
Hugues Gall, élu à l’Académie des Beaux-Arts en tant que directeur des opéras de Paris, a pris sa retraite de ce poste en 2008 pour se consacrer à la maison de Monet à Giverny, après le décès des époux van der Kemp. Il était alors âgé de 68 ans. Grand admirateur de Monet depuis toujours, il était très heureux de ce nouveau défi. Comme il habitait Paris, son premier réflexe a été de chercher Giverny sur internet. C’est ainsi qu’il est tombé sur Giverny News. Le 28 mars 2008, il m’écrivait ce commentaire :
Madame,
élu depuis deux jours par mes pairs de l’Académie des Beaux-Arts, à la succession de la regrettée Florence Van der Kemp, je suis donc le nouveau directeur de la Fondation Claude Monet-Giverny.
Je me suis depuis quelques jours familiarisé avec ce lieu magique et avec ses alentours en parcourant votre site si bien fait, si joliment écrit !
Je tiens à vous dire mes félicitations et mon souhait de vous rencontrer « in loco » lors d’un prochain passage de ma part à Giverny.
avec mes sentiments les meilleurs
Hugues R.Gall
Membre de l’Institut
Conseiller d’Etat
En lisant ces mots, j’ai poussé de tels cris que les enfants sont descendus pour voir si je riais ou si je pleurais. Ces quelques lignes et les rencontres qui ont suivi ont changé ma vie. Hugues Gall voulait s’entretenir avec toutes les personnes en lien avec Giverny, recueillir leurs idées et sonder leurs réactions aux siennes, par exemple sur l’ouverture le lundi ou la hausse des billets d’entrée. Je me souviens aussi de sa curiosité et de son émerveillement face à la beauté du jardin de Monet, où il se glissait tôt le matin avec l’impression d’être Alice au pays des merveilles.
Grâce à sa bienveillance, j’ai pu faire des photos dans le jardin quand il est fermé au public, assister à des conférences de presse, découvrir les coulisses de la fondation Monet, des appartements privés des directeurs jusqu’au grenier et à la cave… Surtout, j’ai eu la chance d’approcher un homme prodigieux, d’une infinie culture, pétillant d’humour. Sa spécialité était de faire aux gens des éloges si exagérés qu’on sentait bien l’ironie poindre derrière. Personne n’était dupe, c’était jouer à je sais que tu sais que j’exagère, un jeu qui malgré vous vous mettait le sourire aux lèvres. Ses discours mêlaient le factuel et l’intime, par exemple lors du baptême du square van der Kemp. Il n’oubliait jamais d’exprimer sa reconnaissance, non seulement pour Monet, créateur du lieu, pour les van der Kemp qui l’avaient restauré, les nombreux mécènes qui avaient financé les travaux, mais aussi, peut-être même surtout, pour Michel Monet, qui avait légué la propriété à l’académie des beaux-arts. Plus encore que toutes les autres, c’était cette générosité-là qui le frappait. Sans ce geste de Michel, il n’y aurait rien eu, ou du moins la responsabilité de faire vivre Giverny ne serait pas échue à un académicien comme lui.
J’ai donc pris le thé en tête à tête avec Hugues Gall, du thé vert à la menthe venu du Maroc, je l’ai écouté me parler de Mahler, je l’ai guidé plusieurs fois avec ses amis dans les jardins, y compris les éminents membres du comité de la Légion d’honneur, qu’il a présidé pendant un temps. Je n’ai jamais réussi à être vraiment détendue en sa présence, car il était manifeste que nous n’étions pas du même monde. Mais je crois qu’il m’aimait bien.
Au début, il lisait le blog tous les soirs avant d’aller se coucher, m’avait-il confié. En écrivant, j’avais l’impression de lui raconter une histoire avant de dormir, situation assez paradoxale eu égard à la différence d’âge et de statut. Puis, quand il a eu mis en place les changements qu’il souhaitait, je crois qu’il a consacré moins de temps à Giverny, car c’était un homme très occupé. Les photos dans l’atelier de Monet ont été prises le 23 mars 2011, alors que la pièce venait d’être redécorée et les répliques des tableaux accrochées au mur. Je n’étais pas femme à braquer un appareil photo sur quiconque, et encore moins sur lui, mais il m’avait expressément engagée à les faire. J’en ai pris d’autres en plein air, lors du dévoilement de la plaque du square le 1er septembre 2014. Dix ans déjà ! Le covid est venu, chassant hélas l’habitude de se serrer la main. La dernière fois que je l’ai croisé dans les jardins, il marchait à petits pas, et quand je l’ai salué, je ne suis pas sûre qu’il m’ait reconnue. Souvent, nous perdons deux fois les gens que nous aimons.
Les adresses de Mallarmé
Le poète Stéphane Mallarmé s’était fait une spécialité de tourner les adresses de ses lettres aux amis sous forme de quatrains rimés. Voici l’enveloppe remise par le facteur à Berthe Morisot-Manet et sa fille Julie. Berthe a eu droit également au quatrain suivant :
Sans t’étendre dans l’herbe verte,
Naïf distributeur, mets-y
Du tien, cours chez Madame Berthe
Manet, par Meulan, à Mézy.
Pour Renoir, cela donne :
Villa des Arts, près l’avenue
De Clichy peint Monsieur Renoir
Qui devant une épaule nue
Broie autre chose que du noir.
Et voici celle au peintre Paul Helleu, familier de Monet :
Au cinquante-cinq, avenue
Bugeaud, ce gracieux Helleu
Peint d’une couleur inconnue
Entre le délice et le bleu.
Enfin, l’adresse qui a beaucoup ému Claude Monet :
Monsieur Monet, que l’hiver ni
L’été sa vision ne leurre
Habite, en peignant, Giverny
Sis auprès de Vernon dans l’Eure.
Voici sa réponse :
Giverny, 22 septembre 1890
Mon cher Mallarmé, excusez-moi du retard à vous répondre, elle m’est bien parvenue votre aimable lettre, malgré sa si gentille adresse (car un intelligent facteur aurait bien pu la garder) ; c’est charmant à vous et je vous remercie bien.
Selon Mallarmé, aucune des lettres ainsi adressées ne s’est perdue. Elles devaient bien distraire les facteurs ! De nos jours, l’art postal a pris le relais.
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