Le Ru

Le Ru à GivernyUn petit cours d'eau traverse le jardin de Claude Monet à Giverny. Il s'appelle le Ru.
C'est un des bras de l'Epte, la rivière qui constitue depuis 911 la limite entre la Normandie et l'Ile de France. Giverny se trouve pile sur la frontière, côté normand. Le village voisin, Limetz Villez, est francilien.
J'ai appris que le Ru n'était pas un bras naturel de l'Epte, c'est le bief d'un moulin, creusé par des moines au Moyen-Age. Monet s'en est servi pour son jardin d'eau.
Pourquoi le Ru ? Ce n'est pas très imaginatif comme nom. Un peu comme d'appeler son chat le Chat, ce qui est sûrement le nom le plus porté statistiquement par les matous.
Des rus, il y en a beaucoup dans la région, le plus souvent complétés par un nom, comme le ru de Vienne à Vétheuil. On pourrait dire alors, le ru de Giverny, ou le ru de Monet ?
Jusqu'au 16ème siècle, le mot ru était employé dans la langue littéraire. Il a perdu de son lustre pour ne survivre que dans la langue ru…rale. Le sens exact de ru fait d'ailleurs débat. Le dictionnaire affirme qu'il s'agit d'un "petit ruisseau", mais des linguistes suggèrent que c'est plutôt le mot ruisseau qui serait un diminutif de ru. Je laisse à votre sagacité le soin de trancher si vous le souhaitez.

Rue moyenâgeuse

maison à colombageBeaucoup de maisons de Vernon datent du milieu du 15ème siècle. Mais il en existe d’encore plus vieilles. Rue Potard, elles remontent, pense-t-on, au 12ème ou 13ème siècle. Elles seraient plus ou moins contemporaines de la Tour des Archives, donjon du château de Vernon. Certaines d’entres elles sont adossées au mur d’enceinte de la forteresse.
A deux pas des quartiers reconstruits, les doyennes de la ville continuent à se faire leur brin de causette. Que se disent-elles ? L’une d’elles se souvient que le nom de la rue vient de la famille Potart, de riches propriétaires du 15ème siècle qui y possédaient une maison.

Le soleil ne vient pas souvent dorer les façades dans cette voie assez étroite. Mais cela n’a pas l’air de déranger les roses trémières qui jaillissent du trottoir. Au dessus de leurs têtes on peut noter tous les ajouts récents faits aux façades du Moyen-Age : persiennes, fenêtres, fleurs, grilles, électricité, téléphone…
Toutes ces transformations réalisées avec soin n’ont rien entamé du charme des maisons, au contraire. La rue elle-même est amusante, avec son profil bossu et ses petits escaliers de pierre qui mordent sur les trottoirs.

Les bancs de l’école

Ecole Hier soir je me suis assise dans une salle de classe d’école primaire, sans doute pour une des dernières fois de ma vie.
C’est toujours un peu drôle de se retrouver là, dans un cadre qui est celui de son enfant quand on n’est pas avec lui, et qui résonne de réminiscences lointaines.
Toutes les classes se ressemblent un peu, avec leurs illustrations et leurs pense-bêtes affichés aux murs. J’ai contemplé longuement le portrait de François Premier, les lettres majuscules en belles anglaises qui couraient tout le long d’un mur, les affiches de la flore de montagne, traces d’un voyage scolaire il y a deux ans… J’ai fixé avec étonnement une consigne en anglais, Look — me! jusqu’à m’apercevoir que la règle de géométrie accrochée un peu plus haut masquait le at, faisant sonner la locution à la française : regarde-moi !
Les circulaires ministérielles font obligation aux enseignants de rencontrer les parents en début d’année. C’est une sage décision. Cela m’a donné l’occasion d’apprendre que cette année l’accent sera mis sur le calcul mental, la lecture, la grammaire et l’orthographe. Cela paraît aller de soi ? Que non ! Jusqu’en juin il fallait se livrer à « l’observation réfléchie de la langue ».
Quel que soit le bout par lequel nos ministres de l’Education Nationale prennent les choses, rien n’est moins évident que d’enseigner les règles du bien écrire. La mémoire photographique des mots s’acquiert au fil des lectures, mais l’appétit de fiction ou de connaissance trouve aujourd’hui d’autres sources pour se nourrir. Et les liens que tissent les mots entre eux imposent une gymnastique de l’esprit pour laquelle on montre plus ou moins de souplesse.
Il m’arrive de relire de vieux billets. Chaque fois, j’y trouve ce qu’en journalisme on appelle pudiquement des coquilles. Des erreurs embusquées aux premières lectures apparaissent soudain au grand jour. L’oeil est moins performant quand il sait d’avance ce qu’il va lire.
Si d’aventure vous tombiez nez à nez avec l’une des ces malfaçons, ce serait bien aimable à vous de m’en tenir informée, n’est-ce pas ? que je fasse le ménage. Promis, ça restera entre nous.

L’étang à Montgeron

L'étang à Montgeron, Claude Monet
L’étang à Montgeron, Claude Monet, 1876, huile sur toile 172 x 193 cm

Un coin d’étang, une trouée zigzaguante de lumière à travers la pénombre : Monet n’a que 36 ans quand il peint ce tableau de grandes dimensions commandé par son mécène Ernest Hoschedé.
La scène est prise à Montgeron, dans le parc du château de Rottembourg, propriété des Hoschedé. Le maître des lieux veut décorer le salon en rotonde avec de grandes toiles qui expriment le plaisir qu’il éprouve à séjourner dans son château. Vues des jardins, scènes de chasse, Monet a carte blanche.
Cette toile-ci est l’une des quatre les plus importantes sur lesquelles le peintre travaille pendant plusieurs mois, au cours d’un séjour prolongé au château à l’automne 1876. Il se décide par ailleurs pour les dindons qui animent les pelouses, un coin d’étang et des massifs fleuris, et une scène de sous-bois où il représente Ernest Hoschedé à l’affût, au second plan.
Si Ernest a le beau rôle dans La chasse, son épouse Alice se fait beaucoup plus discrète. La voyez-vous dans le coin du tableau en haut à droite ? Elle se fond dans l’ombre des arbres. Est-ce vraiment Alice, d’ailleurs ? Impossible d’en être sûr, ce n’est guère qu’une silhouette sans visage.
La femme debout a l’air de pêcher. La pêche et la chasse, Madame et Monsieur, ce serait assez logique. Sauf qu’ici il faut un examen attentif de la toile pour apercevoir le personnage. Le regard est happé par la coulée de lumière, la nappe liquide.
Ernest ne profitera pas des tableaux qu’il a commandés à Monet, qui ne décoreront jamais la pièce en rotonde pour laquelle ils ont été conçus. La faillite est imminente. Mais il est étonnant de voir dans le motif de cette grande décoration la préfiguration de l’étang aux Nymphéas de Giverny, et dans la rotonde du château celle des salles ovales de l’Orangerie.

Lignes aériennes

Lignes aériennesLe Vieux Moulin s’est assoupi sur son perchoir, les yeux mi-clos, à l’heure des poules.
Pendant que le soir tombe sur Vernon, des gens voyagent à travers le ciel. Ils sont passés déjà, partis vers des ailleurs, conduits par des bataillons de pilotes qui labourent des sillons roses dans le bleu tendre.
Au pied du pont, la Seine coule paisiblement, entraînant des masses mouvantes vers la mer. Sous son toit biscornu, le Vieux Moulin venu du Moyen-Âge poursuit son voyage immobile à travers le temps.

Que sont mes amis devenus ?

Tour des ArchivesA Vernon, la Tour des Archives a l’air aimable des vieilles pierres, depuis qu’elle ne sert plus qu’à décorer le jardin des Arts. On en oublierait qu’elle fut autrefois le donjon d’une place forte. On y accédait par le premier étage grâce à un pont qui donnait sur les remparts. La salle basse servait de cachot.
C’est dans cet endroit sinistre que moisit au 13ème siècle un certain Rutebeuf, poète de son état.
J’ai appris lors d’une promenade littéraire proposée dans le cadre des Journées du Patrimoine comment Rutebeuf s’est retrouvé là : il s’était livré semble-t-il à des libations excessives pendant un séjour du roi dans sa bonne ville de Vernon. Malheureusement sa rétention en « cellule de dégrisement » s’est prolongée plus que de raison, aucun de ses amis n’étant venu demander sa grâce. Cette triste situation a inspiré à Rutebeuf un des poèmes les plus poignants qui soit sur les désillusions de l’amitié :

Que sont mes amis devenus
Que j’avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L’amour est morte
Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta

La Roche-Guyon

la Roche-GuyonDans la lumière de fin de saison, une des petites rues de la Roche-Guyon où le temps semble s’écouler à un rythme oublié.
Par celle-ci on accède à l’église. D’autres plus étroites s’ouvrent entre les hauts murs des maisons et ceux des jardins aux portes dérobées.
Partout des pavés, des fenêtres fleuries de géraniums, des chats qui se prélassent dans le ron-ron des péniches qui passent. Une jolie douceur pour fêter le début de l’automne dimanche prochain.

Maison à vendre

Maison de Monet à VétheuilLa maison de Monet cherche un acquéreur. Je suis passée devant aujourd’hui, il y avait un gros panneau A VENDRE accroché au volet du premier étage, avec l’adresse d’une agence de Mantes-la-Jolie.
C’est un peu exagéré de parler de la maison de Monet, c’est vrai. Elle ne lui a jamais appartenu. Il en a été locataire pendant trois ans, de 1878 à 1881, avant de déménager pour Poissy puis Giverny.
Il habitait alors Vétheuil. La maison se trouve à la sortie du bourg en direction de la Roche-Guyon. Elle s’élève au ras de la chaussée dont elle n’est séparée que par un étroit trottoir.
La propriété comprenait alors un jardin de l’autre côté de la route (tiens tiens, déjà !) qui a disparu depuis, une maison récente y a été bâtie.
Voilà des lustres que la demeure de Monet n’est plus habitée. Je l’ai toujours vue avec les volets fermés. C’est sûrement ce qui peut lui arriver de mieux, d’être enfin mise en vente.
Dans l’état où elle a l’air de se trouver, à en juger de l’extérieur, il se peut qu’elle ne soit pas très chère. Que va-t-elle devenir ? Qui se laissera séduire par son potentiel, son histoire ? Est-ce que ce seront des particuliers qui en feront leur sweet home ? Une collectivité locale qui y ouvrira un musée ? Une école de peinture qui s’y installera ?
Tout est possible… On est là en plein milieu des motifs de Monet. Trois pas dans la rue, et le paysage qu’il a peint des dizaines de fois se révèle, la route de la Roche-Guyon, le village de Lavacourt de l’autre côté de la Seine, et surtout l’église de Vétheuil, tant aimée du peintre. Un endroit fabuleux, chargé de douloureux souvenirs.

Sharon Stone et l’Empereur du Japon

Sharon StoneQu’ont en commun ces deux célébrités ? D’être venues ce début de semaine visiter les jardins de Monet à Giverny.
La belle Américaine était là hier, entourée de six gardes du corps. Pas de lunettes, puis lunettes noires, quoi qu’on fasse difficile de passer inaperçue quand on est aussi connue. Mais sa venue qui était restée secrète n’a pas suscité d’attroupement, et l’actrice a échappé aux journalistes.
Aujourd’hui, moins glamour, mais plus vénérable et tout aussi vulnérable, sa majesté l’Empereur du Japon a arpenté les allées du jardin. Akihito, pour l’appeler par son prénom (une mode européenne que les Japonais réprouvent) a 73 ans et un cancer depuis cinq ans déjà. C’est sans doute ce douloureux état de santé qui le fait cheminer un peu penché, à tous petits pas.
Il était entouré d’un groupe de personnes, des dames habillées haute couture, des messieurs très respectueux. Tout ce monde avait l’air, comment dire ? Tendu ? Ennuyé ? Stressé ? Dans ses petits souliers ?
C’est la spécificité des sites incontournables comme Giverny d’attirer aussi bien les stars de toute la planète que le public le plus large. Je me demande ce que Monet penserait de ces visites sous haute surveillance, lui qui a connu la gloire mais détestait les honneurs, et aimait se retirer seul au bord de son étang. Dans sa retraite de Giverny, il a eu l’occasion de goûter aux inconvénients d’être célèbre : les jeunes peintres de la colonie rêvaient de le rencontrer. On chuchotait quand il passait dans la rue. Mais cela n’a jamais été au point de nécessiter la présence de gardes du corps. On peut être un immense artiste, on n’égalera jamais la popularité d’une actrice de cinéma. Mais c’est peut-être une gloire plus durable.

Visite guidée au cimetière

CaveauLes cimetières ressemblent aux villes des vivants. Les caveaux s’y alignent le long des rues dans un ordre parfait. On s’y promène, on lit sur les pierres tombales des noms familiers ou inconnus. Le plus souvent, on n’en saura pas beaucoup plus sur les personnes qui sont enterrées là ; les riches caveaux de famille, les humbles croix de métal ou de bois gardent tout leur mystère.
Un coin du voile s’est levé dimanche à Vernon, à l’occasion des journées du Patrimoine une visite guidée du cimetière était proposée.
Elle était conduite par l’un des conférenciers que je préfère, qui allie empathie, modestie et érudition. Pas à pas, il a fait revivre tous ces gens disparus.
Quelquefois, les caveaux ont eux-mêmes une histoire. Celui-ci, à la porte de bronze très lourde et opaque, a servi pendant la guerre à cacher des parachutistes anglais ou canadiens pendant la journée. Ils ressortaient à la nuit pour accomplir leur mission. La gardienne du cimetière, courageuse résistante, est inhumée un peu plus loin.

La grand messe du sport

Sebastien ChabalImpossible de bloguer tranquillement pendant le match d’hier soir. L’équipe de France a offert un tel festival d’essais au public toulousain face à la Namibie que j’ai fini par me laisser convaincre de regarder moi aussi, malgré mon ignorance en matière de rugby.
Ne rien comprendre aux règles d’un sport incite à un regard différent, qui se porte sur les apparences plutôt que sur la qualité de jeu. Une sorte de regard oblique, comme un essai transformé.
Saint Christophe, Verneuil sur AvreDe Chabal, j’avais entendu des descriptions aussi admiratives que peu flatteuses. J’ai été frappée par son visage d’apôtre. Plus exactement, il m’a fait penser au Saint-Christophe de Verneuil. Porter le ballon pendant la Coupe du Monde, n’est-ce pas un peu porter tout le poids du monde ? Chabal a l’air d’être descendu de quelque pilier de cathédrale pour s’animer soudainement sur une pelouse, avec une énergie surhumaine.
L’énergie, c’est cela qui m’a impressionnée aussi ; je ne sais pas si, comme on le dit, les rugbymen sont des gentlemen. En tout cas ils jettent dans la lutte toutes leurs forces et tous leurs muscles, ce qui n’est pas peu dire. Il y avait quelque chose de la corrida dans leurs charges déterminées.
On dirait que cette énergie est communicative, qu’il en passe dans le public. Bien sûr il y a l’enjeu du jeu, mais tout aussi sûrement l’effet du rassemblement de dizaines de milliers de personnes autour d’un spectacle de joutes physiques. On doit ressortir galvanisé, j’imagine.
Et dans cette grand messe du sport, on chante. Le stadium résonnait des cuivres des bandas, de la Marseillaise entonnée par des cohortes de supporters, toute une foule qui se levait en houle pour de puissantes olas.
Ce sont les prières ferventes de notre temps, ce désir de victoire porté par toute une nation.

Les goûts et les couleurs

Roses d'IndeQuelle est votre couleur préférée ? Je doute que vous me répondiez le jaune, ou même l’orange. C’est pourtant une couleur lumineuse, chaleureuse, comme celle de ces belles roses d’Inde dans les jardins de Claude Monet.
Alors que la Chine ou l’Inde le placent en tête de leurs préférences, le jaune est mal aimé chez nous. Notre civilisation occidentale préfère le bleu, symbole de paix, neutre et consensuel.
Michel Pastoureau a consacré en 2000 une étude passionnante à la couleur bleue, qui a détrôné le rouge au Moyen-Age, grâce à la montée en puissance du culte marial (le bleu était la couleur associée à la Vierge Marie). Il y montre à quel point nos goûts pour les couleurs sont dictés par l’époque à laquelle nous vivons.
Nous croyons nous déterminer en toute liberté, en fonction de quelque chose que nous pensons subjectif et individuel, alors que sans le savoir nous sommes totalement sous influence.
Quelle indépendance d’esprit il faut pour se détacher de cette symbolique sous-jacente et considérer les couleurs pour ce qu’elles sont, comme le faisait Monet dans son travail de décorateur !
Je pensais à cette histoire de rejet du jaune en entendant une fois de plus une visiteuse me dire dans la salle à manger de Monet, où les murs et les meubles sont entièrement peints de deux tons de jaune de chrome : « C’est beau, ce jaune, mais je n’en voudrais pas chez moi. C’est trop jaune pour moi. »

Les chevaux domptés

Les chevaux domptés, Frederick MacMonniesCette année les journées du Patrimoine sont consacrées aux métiers liés à la conservation des oeuvres et monuments. A Vernon, une paire d’importants bronzes est en cours de restauration, le public était invité aujourd’hui à s’entretenir avec le restaurateur.
Ce spécialiste est chargé de retirer toutes les parties pulvérulentes à la surface du bronze, sans en enlever la patine. Il procède à un sablage en douceur qui retire la corrosion et les poussières mais laisse à la pièce la couleur vert de gris que lui a donnée le temps. Les deux pièces sont âgées d’une centaine d’année.
Les chevaux domptés de Frederick MacMonnies, le grand sculpteur de la colonie américaine de Giverny, ornent la cour d’honneur du musée de Vernon depuis près de trente ans. Ils étaient l’une des pièces majeures de l’exposition inaugurale de la Fondation Monet, en septembre 1980. Le grand atelier accueillait cette année-là une sélection d’oeuvres d’artistes de la colonie.
Il faut lire l’oeuvre de MacMonnies comme une allégorie, la victoire de l’esprit sur l’animal. Le cavalier est d’une échelle inférieure à celle des chevaux, ce qui les fait paraître géants. Les montures dégagent beaucoup de fougue et de force, l’homme parvient néanmoins à les dompter.
En regardant attentivement, j’ai toutefois noté une petite incongruité dans le chef-d’oeuvre de MacMonnies. Les sabots des chevaux sont ferrés. Pour celui que le cavalier chevauche, passe encore, mais celui qui se cabre, on se demande comment le maréchal ferrant a bien pu faire son office…

Ovalie

Monet Les NympheasLes horloges ne tournent plus tout à fait rond ces jours-ci. Les aiguilles fonctionnent en ellipse, à des vitesses différentes selon que c’est bientôt l’heure du match, le match, ou la troisième mi-temps.
Ne comptez pas sur moi pour vous parler rugby, mais il est assez curieux de penser que Monet a consacré dix ans de sa vie à une oeuvre ovale.
Il semble que le projet des Grandes Décorations, qui se trouvent depuis 1927 au musée de l’Orangerie à Paris, ait été un ovale dès le début. Pour que la toile englobe le spectateur et lui donne l’illusion d’un tout sans fin, il faut qu’elle soit incurvée, qu’elle vienne s’incrire dans la vision périphérique. Un cercle aurait aussi bien fait l’affaire, de ce point de vue, mais Monet trouve que ça fait vraiment trop « cirque ».
L’idée de départ était de bâtir un pavillon spécialement pour les Grandes Décorations dans le jardin de l’hôtel Biron à Paris, devenu musée Rodin après la guerre de 14-18.
D’après l’éminent architecte chargé des plans, Louis Bonnier, il est beaucoup plus difficile – et donc coûteux – de bâtir ovale que rond, et rond que rectangulaire. « Dépenses formidables à prévoir pour le pavillon », estime-t-il dès les premières mesures des toiles. Après bien des tergiversations, le projet avorte en raison de son prix, ou peut-être de sa modernité.
On se rabat sur un bâtiment déjà existant, l’Orangerie des Tuileries, place de la Concorde, dont il « suffit » d’aménager une partie.
La valse hésitation se poursuit pendant des années, de novembre 1918, date à laquelle Monet décide de donner des panneaux à l’Etat pour fêter la victoire, jusqu’à leur installation définitive neuf ans plus tard.
Au final, d’une salle on est passé à deux. Le chef-d’oeuvre qui a coûté dix ans d’efforts à Monet occupe deux vastes pièces ovales, sur les cimaises desquelles se déploie l’univers enchanté des Nymphéas.

Helianthus

HelianthusCela vous est-il déjà arrivé de vous sentir tout petit devant des fleurs ? L’helianthus est de celles qui vous regardent de haut, comme pour mieux se détacher sur le bleu du ciel.
Il fait partie de la famille du tournesol, une famille où tout le monde est grand et jaune. Semé en pleine terre après les gelées, il pousse à toute vitesse pour éclater de couleur en septembre. Il est splendide dans le plein soleil de ces jours-ci comme dans la brume du petit matin.
C’est le moment de venir à Giverny ! Le jardin de Monet est somptueux. La lumière tamisée du matin met en valeur la maison et les avalanches de fleurs répandues partout.
Au bassin, les reflets sont à couper le souffle, et vous verrez les nymphéas s’ouvrir au soleil de l’après-midi.

Style Louis XV

hotel particulier Louis XVCe bel hôtel particulier de Verneuil sur Avre, dans le sud de l’Eure, décline les caractéristiques du style Louis XV. Les plus évidentes : des fenêtres hautes et cintrées, des balcons tout en courbes savantes, un toit à la Mansart orné de lucarnes (ici des oeil de boeuf).
En regardant attentivement, on note aussi les bandeaux de séparation d’étages et la corniche moulurée, ainsi que les refends façon Louis XIV, encore très présents à l’époque suivante, qui rythment la façade de chaque côté de la porte.
Invisible sur la photo, le heurtoir très travaillé de la porte cochère était déjà une indication. On aurait pu s’attendre aussi à un décor un peu plus fourni en mascarons et autres blasons aux clés des fenêtres. Cet hôtel du milieu du 18ème siècle reste d’une certaine sobriété.

Perron

Entree de la maison de MonetC’est tout un art de rendre un perron accueillant. La maison y révèle son âme, se montre invitante ou au contraire hostile.
Voici la petite porte d’entrée qui était réservée à Monet dans sa maison de Giverny, par où il faisait entrer les visiteurs venus voir ses dernières toiles.
On y accède par un bref escalier. D’en bas, les yeux donnent sur ce gros pot chinois débordant de fleurs.
Monet ne craignait pas le heurt des couleurs franches, le bleu du pot, le rouge des géraniums sur le vert omniprésent des boiseries, qui donne une unité de ton.
Tout un jeu de lignes droites structurent l’espace. Ces droites sont heureusement adoucies par le flou de la potée et la courbe si gracieuse du voilage, qui semble faire la révérence.

Nymphéa

NénupharC’est comme au théâtre : on ne voit que le devant de la scène. Le nénuphar cache toute une vie en coulisse, le cordon ombilical qui le relie au fond de l’étang, qui lui permet de se nourrir de vase. Par courtoisie, il dissimule ces contingences matérielles, il feint le pur esprit. Cette plante aquatique aime se prélasser dans le bleu du ciel.
Le nénuphar observe le monde depuis la surface des choses. A peine émerge-t-il de l’eau qu’il a l’air de poser, étonné de se voir si beau en ce miroir. Il est une nature morte à lui tout seul.
Et comme dans les natures mortes des peintres flamands, il y a la mouche. Elle est posée sur la corolle parfaite. C’est le péché originel. La pureté n’est pas de ce monde.
Et il y a les vers. Ils creusent leurs sillons dans l’épaisseur de la feuille. La mort nous guette, rappellent-ils, hâtons-nous pendant que nous sommes vivants.
Se hâter, mais de quoi ? C’est à vous de savoir ce qui vous paraît important. Le transi de Gisors est assorti de ce commentaire :

Fay maintenant ce que tu vouldras
Avoir fait quant tu te mourras

 

Colchique

ColchiqueSeptembre marque le début de l’arrière saison. La fin de l’été est là, les colchiques fleurissent dans les pelouses de Giverny… Leur mauve pâle est du plus bel effet sur le vert des gazons.
La fleur du colchique rappelle un peu celle du crocus – qui annonce la fin de l’hiver, chacun sa mission ! – en plus haut sur patte, en plus gracile.
Pourquoi en voit-on si rarement dans les jardins, alors que le colchique est facile à faire pousser, qu’il croît spontanément dans les prairies humides ?
On pourrait en planter pour animer les pelouses à l’automne, mais la plupart des jardiniers s’en méfient. Les colchiques sont furieusement toxiques, pas la peine d’aller tenter le diable. Très peu de colchicine suffit à intoxiquer mortellement les animaux domestiques ou les humains.
Dans les jardins de Monet, les colchiques sont plantés dans des endroits inaccessibles au public.

La tour de Piseux

Chateau d'eauJe sais, c’est un jeu de mots facile. Quoiqu’on puisse en penser d’après la photo, la tour de Piseux, elle, est droite comme un I. Normal quand on contient de l’eau !
Piseux se trouve dans le sud de l’Eure, tout près de Verneuil sur Avre, une région de plaine riche en châteaux d’eau. Certains sont décorés de magnifiques fresques, comme celui-ci. On peut y voir une biche dans une clairière à l’automne, tandis qu’un cerf décore l’autre côté de la tour.
Les scènes bucoliques sont fréquentes, c’est le genre qui veut ça. Cet après-midi j’ai aperçu un autre château d’eau du côté de Marcilly la Campagne qui représentait la moisson, et vous vous souvenez peut-être du geste auguste du semeur sur celui de Caillouet Orgeville.

Statues mutilées

tympan de l'église Saint-Taurin d'EvreuxA chaque fois, l’impression est navrante : on lève les yeux pour admirer le porche d’une église, et on s’aperçoit que les statues sont mutilées ou ont carrément disparues.
Ce vandalisme ne date pas d’hier. Il a sévi à deux siècles d’écart, lors des Guerres de Religion puis à la Révolution.
1562 a été une année noire pour les monuments religieux normands. Au printemps, en avril-mai, des fanatiques huguenots, « des hommes armés, aussi furieux que des chiens enragez » ravagent les églises de Rouen, Lisieux, Dieppe… Leur folie destructrice sévit plusieurs jours dans chaque cathédrale.
A la Révolution, vers 1789-90, les dégradations recommencent. Non seulement certains iconoclastes veulent faire disparaître les témoins de la dévotion « ridicule » des générations précédentes, mais les monuments sont souvent vendus comme biens nationaux et réduits à l’état de carrières de pierres ou de locaux industriels.
A l’église Saint-Taurin d’Evreux, le tympan du portail sud n’est plus que l’ombre de lui-même après les dégâts subis à la fin du 18ème siècle. Il remontait à 1253. Les sculpteurs, ou plutôt les ymaginiers, pour employer le beau nom qu’on leur donnait en Normandie au Moyen-Age, y avaient représenté une scène qu’on devine encore aujourd’hui : un Christ assis sur un trône, entouré des symboles des quatre évangélistes, aigle, lion, boeuf, homme. Au-dessous, sur le linteau, la vie de Saint-Taurin se développait en cinq scènes. Là, les vandales ont martelé toutes les têtes des personnages.

Peste

aître saint maclouDifficile aujourd’hui d’imaginer ce que purent être les épidémies de peste du Moyen-Age. A Rouen, l’aître Saint-Maclou est un vestige tangible de ce fléau.
L’aître (du latin atrium, entrée de l’église, et par extension cimetière) se présente comme un jardin entouré de galeries. Les poutres de ces galeries sont décorées de symboles macabres : crânes, tibias, outils de fossoyeurs…
Dès 1348, des milliers de corps ont été ensevelis dans les fosses communes de l’aître. Cette année-là, une terrible épidémie de peste noire ravage Rouen. Plus de la moitié, peut-être les trois quarts des habitants périssent. Rouen était à l’époque la deuxième ville du royaume après Paris. « De la dernière semaine d’août jusqu’à Noël, le nombre des morts dépassa cent mille dans la ville de Rouen », selon la Normanniae Nova Chronica. C’est peut-être un peu exagéré, les historiens pensent que la population rouennaise oscillait entre 50 000 et 100 000 personnes.
Ce ne fut malheureusement pas la dernière épidémie, d’autres vinrent faucher des vies par milliers tout au long des deux siècles suivants.
aitre saint maclou, rouenEn 1526, une nouvelle peste impose de faire de la place dans le cimetière. On construit des galeries tout autour de l’aître, on vide les fosses communes des siècles précédents, et les ossements sont placés dans les combles des galeries transformés en ossuaires.

La vie ne tient qu’à un fil, constate l’homme du Moyen-Age confronté aux épidémies, qui voit mourir ses proches les uns après les autres. La peste a une influence profonde sur les mentalités. Les chrétiens deviennent mystiques, devant l’omniprésence de la mort ils se réfugient dans la foi. C’est ce peuple désireux de faire à tout prix son salut, tout entier tourné vers l’au-delà, qui va élever les immenses, les magnifiques, les incroyables églises gothiques.

Mosaïculture

MosaïcultureIl n’y a pas que Monet qui peignait avec des fleurs. Comme son nom l’indique, la mosaïculture se sert des plantes comme éléments d’une mosaïque pour former un dessin.
Pour que le résultat soit réussi, on essaie de trouver des végétaux qui sont bien denses et qui peuvent se contrôler facilement. Il ne faut pas qu’ils aient tendance à faire des petits de tous les côtés.
On plante serré pour bien recouvrir le sol, comme en mosaïque, mais ici les tesselles sont vivantes et il faut tout de même penser à l’expansion future des plants.
Les oeuvres réalisées selon cette technique sont vouées à l’éphémère d’une saison, et donc bien adaptées à la célébration d’un évènement particulier. Mais on peut aussi décider de replanter chaque année le même dessin, blason, papillon ou autre.
mosaïculture La tendance actuelle est plutôt à la mosaïculture en trois dimensions, un art où les Canadiens sont passés maîtres.
La technique est encore plus compliquée, puisqu’il faut installer un substrat à l’intérieur d’une structure métallique et y planter les jeunes pousses, tout en veillant à leurs besoins en eau et en éléments nutritifs. Mais le résultat, spectaculaire, en vaut la peine, comme ici aux Andelys où un Philippe-Auguste monté sur un fier destrier semble prêt à donner l’assaut à Château-Gaillard, la forteresse de Richard Coeur de Lion.

Rentrée

Jean-Pierre Hoschedé et Michel Monet dessinant, Claude Monet
Jean-Pierre Hoschedé et Michel Monet dessinant, Claude Monet

Parmi les oeuvres et documents ayant appartenu à son père que Michel Monet a légués au musée Marmottan figurent plusieurs carnets de croquis. Monet les utilisait pour se souvenir d’une composition intéressante, ou pour saisir rapidement une scène.
Le voici, père et beau-père, croquant les deux plus jeunes de la maison, qui ne le regardent pas. Ils sont tout à leurs dessins, absorbés par la tâche.
Peindre d’autres peintres, dessiner d’autres dessinateurs, la mise en abîme est classique, surtout à cette époque. Monet lui-même est pris par Renoir ou Manet en train de peindre, il peindra plus tard Blanche devant son chevalet.
Comme Monet quand il est au travail, la concentration des enfants est totale. Ils sont penchés en avant pour mieux voir. Il ya de l’innocence dans leurs joues rondes, et une complicité fraternelle qui s’exprime dans leur proximité : les deux enfants sont assis si près l’un de l’autre qu’ils se touchent.
Lequel des deux est Jean-Pierre, lequel Michel ? Qui est le gaucher de la famille, à une époque où cela était contrariant, et contrarié ?
« Carnets de croquis destinés à de futurs tableaux », note en légende Daniel Wildenstein dans son catalogue raisonné de l’oeuvre de Monet, à propos de ces dessins. Mais Monet n’a jamais peint d’huile inspirée par ce croquis des enfants. Peut-être voulait-il simplement capter l’atmosphère particulière de cet instant. Un parfum de rentrée des classes.

Style Louis XVI

Maison style Louis 16Ce n’est en général pas difficile de reconnaître au premier coup d’oeil une maison d’époque Louis XVI. Le style qui prédomine dès 1760, quinze ans avant l’arrivée du roi sur le trône, et perdure jusqu’en 1790, a la bonne idée de présenter un trait incontournable : de fines lignes horizontales qui parcourent toute la façade.
Au dessus des fenêtres très hautes, d’autres lignes s’ouvrent en éventail.
Ce jeu de lignes s’observe surtout sur les façades plâtrées. Sur celles qui sont en pierres de taille, il faut être attentif à d’autres éléments architecturaux : les consoles toutes simples qui soutiennent les appuis de fenêtres, les décors issus de l’antiquité grecque qui font alors fureur, les modillons cubiques sous la corniche, la présence de dais au-dessus de fenêtres, des guirlandes de fleurs ou de lauriers…
Sur cette maison, les persiennes sont sans doute un ajout postérieur. La façade Louis 16 n’en possède pas.
Le style Louis XVI s’inscrit en rupture avec le style Louis XV, tout de grâce et de courbes. On retrouve la ligne droite et sobre, de la rigueur, mais une rigueur moins froide que celle du style Louis XIV.

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Ariane.

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