Monet au bassin

Monet, âgé, s’appuie contre le tronc d’un arbre le temps d’une photo au bord de son bassin aux nymphéas. C’est l’été, l’étang fleurit. Mais sur les berges, le gazon règne en maître. L’arbre se voit sur de nombreuses photos. Cela pourrait être un frêne déjà là avant l’achat par Monet de la parcelle. En dessinant son bassin, Monet a pris soin de conserver le grand arbre.

Monet porte un pardessus, sans doute contraint à le mettre par Blanche, sa belle-fille, qui a toujours peur qu’il prenne froid. On la voit sur une autre photo, à une autre occasion, trimballant un épais manteau que Monet a refusé. Il n’est pas si tôt que ça, le soleil éclaire le peintre de face : fin de matinée ou début d’après-midi.

Sous le chapeau, à la lisière de son ombre, les petits yeux fatigués par le temps se devinent derrière les lunettes portées dans les dernières années. La main droite, refermée, tient sans doute une cigarette. Monet ne sourit pas : on ne souriait pas sur les photos, il y a cent ans.

Les Monet à télécharger

Claude Monet, Bras de Seine près de Giverny, 1897, Art Institute of Chicago

Les oeuvres de Claude Monet sont depuis longtemps dans le domaine public, puisqu’il est mort en 1926. On peut donc, en théorie, faire l’usage que l’on veut des reproductions de ses tableaux, sans acquitter de droits d’auteur. La difficulté est plutôt de disposer d’une bonne image de la toile convoitée. La législation de certains pays, comme la France, conserve des droits au photographe de l’oeuvre. Pour une image gratuite, il faut, dans ce cas, aller dans le musée faire soi-même sa photo.

Aux Etats-Unis, la photographie d’oeuvres en deux dimensions n’est pas protégée. Les musées ont maintenant pour la plupart digitalisé leurs collections, mais leur politique de mise à disposition des images peut varier du tout au tout. Certains gardent jalousement leur trésor numérique et font payer les images, tandis que d’autres les mettent généreusement à disposition de tout le monde en téléchargement gratuit. C’est une politique de communication à long terme, puisque les oeuvres qu’ils possèdent vont se trouver reproduites partout, le nom de l’institution y étant associé. La notoriété de ces musées s’en trouvera accrue… sans un centime de publicité.

Voici, sans engagement de ma part, naturellement, un début de liste des institutions qui me paraissent pratiquer le CC0 (Creative Common zéro, c’est-à-dire la liberté totale). Je ne me suis intéressée qu’à Monet. Si vous découvrez d’autres musées mettant les images digitales de leurs oeuvres à disposition en grand format pour le public, merci d’avance pour l’info.

Art institute of Chicago : beaucoup de caricatures et 35 tableaux

The Clark Art Institute : 8 tableaux et 3 dessins

Cleveland Museum of Art : 5 tableaux et le buste de Paulin

Dallas Museum of Art : 8 tableaux

Getty Museum : 4 tableaux

National Gallery of Art Washington : 27 tableaux, 1 pastel et 1 dessin

Yale University Art Gallery : 4 tableaux

Barnes Foundation, Philadelphia : 4 tableaux

Brooklyn Museum : 3 tableaux

Los Angeles County Museum of Art (Lacma) : 4 tableaux

Minneapolis Institute of Art : 3 tableaux + 1 en moyenne résolution

Museo Nacional de Buenos Aires : 2 tableaux

National Museum de Norvège : 3 tableaux

Philadelphia Museum of Art : 23 tableaux

Saint Louis Art Museum : 2 tableaux

Staedel Museum Francfort : 2 tableaux et un pastel

The Walters Art Museum, Baltimore : 2 tableaux

L’humour, dans quel sens ?

Château de La Roche-Guyon, vue sur le potager et la Seine depuis la terrasse médiévale.

Hier, l’un des voyageurs que je guidais au château de la Roche-Guyon m’a surprise en venant me dire après la visite qu’il avait adoré la façon dont je mêlais l’histoire et l’humour anglais. Je n’ai pas osé lui demander ce qui l’avait amusé. A la Roche-Guyon, on évoque une multitude de sujets dont certains sont on ne peut plus graves, comme la question juive ou le mur de l’Atlantique, les bombardements inutiles ou l’attentat raté contre Hitler, le suicide forcé de Rommel, etc. On balaie les siècles depuis la christianisation (3e siècle) jusqu’au Moyen Âge, au siècle des Lumières, à la Révolution et enfin la Seconde Guerre mondiale. Tout cela en 1h30 et en anglais. Je suis loin d’être calée comme les guides du château, incollables sur les péripéties de la guerre de Cent ans ou la généalogie ducale. Mais j’aime bien faire de temps en temps cette visite tranquille, qui me change de Giverny.

Faire rire son groupe, c’est le rêve de tout guide, parce que le groupe, quand il rit de bon coeur, émet une énergie positive qui fait du bien. Le rire est déclenché par mille ressorts souvent liés à un décalage, comme l’antiphrase, l’anachronisme, la projection de pensées humaines sur des animaux, la chute d’une histoire, etc, etc, etc. Souvent la drôlerie est dans le ton bien plus que dans ce qui est dit. Un ton ingénu, par exemple, peut être hilarant.

Mais c’est un métier de faire rire, qui demande du travail et du talent. Le rire ne fait pas nécessairement partie du contrat implicite qui lie le guide et ses clients. Nous nous engageons à apporter un éclairage, des explications, des informations, et, parce que nous sommes passionnés, nous leur faisons vivre des émotions variées. Mes registres préférés sont l’empathie pour les personnes qui nous ont précédés sur la terre, et l’émerveillement devant la beauté. Il y en a beaucoup d’autres.

Le village de La Roche-Guyon

Je ne savais pas que je pratiquais l’humour anglais. L’idée que je m’en fais est celle d’un humour pince-sans-rire, où la drôlerie vient du ton neutre adopté. C’est l’auditeur qui décrypte ce qui, dans le discours, est à prendre au deuxième degré. Ma surprise passée, j’ai repensé à notre visite du matin et j’ai essayé de deviner ce que mon client avait bien pu trouver de drôle. Je crois que cela ne tenait pas beaucoup à moi, mais à la bonne humeur du groupe, heureux de débuter une croisière en France et de découvrir ce joli village. Je me suis souvenue les avoir entendu glousser au moment de traverser la route. Il passe une voiture toutes les cinq minutes à La Roche-Guyon. Comme à mon habitude, je venais de dire, « nous allons essayer de traverser cette rue à la circulation intense ». C’est un moyen pour qu’ils regardent en traversant, parce qu’il suffit que l’on s’engage pour qu’arrive un véhicule. Ce n’est pas destiné à une franche rigolade, mais les Américains sont bon public. Pour eux, rire à une plaisanterie, c’est montrer qu’on l’a comprise. En France, nous sommes plus réticents à pouffer.

Aperçu des casemates

J’ai aussi eu la surprise de voir mon groupe éclater de rire à propos de Rommel et de la décapitation de saint Nicaise, histoire que je trouve plus éclairante que drôle. Une troisième occurrence m’est revenue : alors que nous descendions un escalier de cave, dans les casemates, je leur ai dit de faire attention à la dernière marche : « Elle est spéciale ! » Eclats de rires derrière moi : « Qu’est-ce qu’elle a de spécial ? » « Elle est plus haute que les autres ! N’allez pas gâcher votre croisière en vous tordant la cheville dès le début ! » Re-rigolade. Quand on est de bonne humeur, on voit de l’humour partout. Si on est adepte de l’humour noir, on pouvait s’imaginer que le sous-entendu était : si vous vous tordez la cheville à la fin de la semaine, c’est moins grave, vous aurez au moins sauvé vos vacances. Loin de moi une pareille pensée. Dans l’échange d’énergie du rire, l’auditeur compte encore plus que le locuteur, peut-être.

Dans le port de Saint-Malo

Le port de Saint-Servan, limitrophe de celui de Saint-Malo, est en lien avec l’histoire de Monet car le beau-fils de Claude Monet, Jacques Hoschedé, fils de sa seconde épouse Alice, y résidait et y travaillait. Jacques était « courtier, interprète et conducteur de navires », trois casquettes qui auraient dû lui assurer une belle carrière.
Né en 1869, il a 25 ans quand Monet lui rend visite en Norvège, au début de l’année 1895. Jacques s’y perfectionne en norvégien, langue dans laquelle il se fait comprendre, selon son beau-père. C’est aussi lors de ce séjour que Jacques tombe amoureux d’Inga Jorgensen, qu’il épouse l’année suivante. Elle a sept ans de plus que lui et elle est déjà maman d’une petite fille, Anna Bergman, qui viendra passer des vacances à Giverny, ainsi qu’à Rouen chez Blanche et Jean Monet.

Plusieurs vieux gréements sont à quai dans le port de Saint-Malo, donnant une toute petite idée, plus ou moins exacte ou erronée, de ce que devait être le lieu à la fin du 19e siècle, du temps où cohabitaient la marine à voile et la marine à vapeur.

Jacques Hoschedé aurait su apprécier ces bateaux, les dater, les évaluer. En tant que courtier, je suppose qu’il devait s’occuper d’acheter des navires, d’en vendre, ou de les affréter. Il devait même savoir les piloter.

Et Monet, qui avait grandi dans le port du Havre dans un milieu lié au commerce maritime, excellait lui aussi dans l’identification des navires de toutes sortes. Il appréciait d’ailleurs, chez Boudin, « ses bateaux si bien gréés ».

Il ne fait pas de doute que Monet a donc vu d’un bon oeil Jacques s’intéresser à la marine marchande. Il est même probable qu’il ait contribué à l’achat de sa charge de courtier. Cela expliquerait sa colère en apprenant, des années plus tard, que Jacques venait de vendre cette charge. A partir de là, le peintre coupe les ponts avec l’enfant prodigue, qu’il estime être un bon garçon, mais sous mauvaise influence. Jacques s’adonnait-il au jeu ? Ou était-il seulement peu doué pour les affaires, comme son père Ernest Hoschedé ? Ses demandes d’argent ont lassé la patience de son beau-père.

Notre-Dame-de-la-Mer

A environ un quart d’heure de route de Giverny – beaucoup plus en bateau et à pied, bien entendu – la chapelle de Notre-Dame-de-la-Mer était un but d’excursion de la famille Hoschedé-Monet. Elle s’élève sur une hauteur qui domine la vallée de la Seine, dans le département des Yvelines. Sa dernière reconstruction date de 1866, c’est donc ainsi qu’elle apparaissait aux excursionnistes givernois.

Un belvédère bâti au bord du plateau permet de se hausser encore un peu plus pour admirer la vue magnifique. A gauche sur la photo, la statue de la Vierge fait face à cette étendue. Sur l’origine de cette dévotion et sur le nom du lieu, qui remontent aux incursions des Vikings au 9e siècle, le site municipal fournit d’intéressants détails. On est bien loin de la mer, mais les hordes de pillards en venaient, et le nom pourrait jouer sur l’homophonie entre mer et mère.

La carte présentée sur le site du village permet de visualiser l’immense boucle que dessine la Seine, juste en face du belvédère.

Droit devant, le petit point blanc est le donjon du château de la Roche-Guyon, à une demi-heure en voiture :

Difficile d’imaginer, au vu de cette photo, que la Seine coule au pied du château, au creux de la vallée, soixante mètres en contrebas.

A l’extrême gauche du panorama, voici l’est de Giverny. Le jardin d’eau de Monet se cache derrière les branches de l’arbre sur la gauche de la photo. La maison qui présente un alignement de fenêtres est l’hôtel de la Musardière. Les buissons envahissent les terres au-dessus du village, si soigneusement cultivées à l’époque de la colonie impressionniste.

En montant sur le belvédère, la Seine devient plus visible.

Chouette

Quelle merveilleuse émotion de se retrouver face à face avec une chouette ! Hier soir j’étais en train de lire quand j’ai entendu du bruit à la fenêtre : des coups d’ailes et des coups de becs. Je me suis approchée et j’ai vu le ventre blanc de l’oiseau et ses yeux sombres sertis dans une face blanche cernée de plumettes, en forme de coeur. L’idée de faire une photo m’a traversé l’esprit, mais elle aurait été sans intérêt, pleine de reflets. J’ai craint que l’oiseau se blesse en tapant du bec sur le carreau, j’ai tiré le rideau et la chouette s’est envolée.

C’est la première fois que cela m’arrive de ma vie. Je me souviens des sorties nature nocturnes, il y a vingt ans, où nous entendions ululer les rapaces, mais sans les voir. Pour les observer, on pouvait aller au bois des Aigles, dans le sud de l’Eure. Depuis, les volières ont fait place à un parc de loisirs. Tout passe, même la manie de dire chouette à tout bout de champ. Cela m’a fait chaud au coeur de voir qu’il en reste encore.

Septembre au jardin de fleurs

En septembre, c’est la grande allée du jardin de Monet qui est le clou du spectacle. Elle est envahie de capucines rampantes, tandis que les massifs de dahlias forment des murs de chaque côté.

Les petites allées, accessibles aux seuls jardiniers, se faufilent dans une exubérance de cosmos, cléomes, anémones du Japon, hélianthes et autres dahlias.

Dans le massif rose, les jardiniers ont joué des associations de formes : les persicaires légères se mêlent aux boules d’un rose intense des dahlias.

Sur le mur côté rue Claude Monet, les jeunes poiriers en espalier plantés à l’automne 2022 sont couverts de fruits.

Sous la caresse du soleil

A Giverny dans le jardin d’eau de Monet – 20 septembre 2024, 9h. Le soleil émerge paresseusement de la colline et vient réveiller l’étang aux nymphéas.

Les rayons qui filtrent à travers le feuillage illuminent les anémones du Japon comme des spots.

La maison de Monet est cachée dans la verdure.

Les berges débordent de fleurs, plantées avec tant de naturel qu’on les croirait arrivées là par hasard.

Derniers hydrangéas, derniers phlox au parfum entêtant. Le jeune saule a fière allure.

Une légère brume flotte encore dans l’air. C’est pour elle que Monet se levait bien avant l’aube.

René Gimpel à Giverny – 7

Claude Monet dans son troisième atelier à l’époque des Grandes Décorations, après 1914. Photo Henri Manuel

Suite de la visite de Georges Bernheim et René Gimpel à Claude Monet le 19 août 1908.
Après la découverte du premier atelier, voici celle du troisième. Les toiles décrites ne sont pas encore les Grandes Décorations du musée de l’Orangerie, qui mesurent 2m de haut et seront peintes en atelier. Mais elles en constituent les prémices. René Gimpel nous fait part de ses impressions, en fin connaisseur de l’art et amateur de peinture moderne. C’est l’étrangeté de la sensation qui domine :

Comme Bernheim m’avait parlé d’une immense et mystérieuse décoration à laquelle le peintre travaille et qu’il ne nous montrerait probablement pas, j’attaque la position et je l’emporte, et il nous conduit par les allées de son jardin jusqu’à un atelier nouvellement construit, bâti comme une église de hameau. A l’intérieur, ce n’est qu’une pièce immense avec un plafond vitré et, là, nous nous trouvons placés devant un étrange spectacle artistique : une douzaine de toiles posées par terre, en cercle, les unes à côté des autres, toutes longues d’environ deux mètres et hautes d’un mètre vingt ; un panorama fait de nénuphars, de lumière et de ciel. Dans cet infini, l’eau et le ciel n’ont ni commencement ni fin. Nous semblons assister à une des premières heures de la naissance du monde. C’est mystérieux, poétique, délicieusement irréel ; la sensation est étrange ; c’est un malaise et un plaisir se voir entouré d’eau de tous côtés sans en être touché.

Claude Monet, Nymphéas, 1905, museum of Fine Arts, Boston (détail) 90 x 100 cm

Vient ensuite un intéressant développement sur la méthode de création de ces oeuvres. Derrière le pronom impersonnel on est tenté de voir la personne de Blanche Hoschedé-Monet, mais en 1908 elle est mariée et vit près de Rouen. Est-ce Alice, alors, qui se dévoue pour le rôle d’assistante ? Monet requiert-il les services de l’un.e de ses employé.e.s ? Nous ne le saurons pas.
Selon Gimpel, ce n’est pas l’ensemble de couleurs d’un éclairage nouveau qui entraîne le changement de toile, mais une seule couleur nouvelle. On peut se figurer que Monet observe un endroit particulier et y retrouve soudain le même bleu ou le même rose que la veille. Ce ton précis commanderait alors tout l’accord chromatique du tableau. Il est néanmoins possible que Gimpel ait retranscrit imparfaitement les explications du peintre.

« Toute la journée je travaille sur ces toiles, » nous dit Monet. « On me les apporte les unes après les autres. Dans l’atmosphère, une couleur réapparaît qu’hier j’avais trouvée et esquissée sur une de ces toiles. Vite, on me passe le tableau et je cherche autant que possible à fixer définitivement cette vision, mais en général, elle disparaît aussi rapidement qu’elle a surgi pour faire place à une autre couleur déjà posée depuis plusieurs jours sur une autre étude qu’on met presque instantanément devant moi… et comme cela toute la journée !

– Je comprends, monsieur Monet, pourquoi vous n’aimez pas être interrompu, aussi en vous remerciant nous allons vous quitter.
– Venez encore voir ma salle à manger. » Il nous montre une pièce très rustique mais d’un raffinement oriental, avec juste une couche de couleur, un jaune ton sur ton, un jaune Monet, couleur de son génie le jour où il le composa, et c’est pourquoi on ne le retrouvera jamais.
Quand nous le quittons, la porte presque déjà fermée, il nous crie : « Revenez me voir au début d’octobre, les jours baissent, je prends quinze jours de repos, nous bavarderons. »

Source : René Gimpel, Journal d’un collectionneur marchand de tableaux, éditions Calman-Lévy, 1963

En lisant ces lignes, nous sommes aussi surpris que Gimpel et Bernheim ont dû l’être. Pour quelqu’un qui refuse toute visite, celle-ci paraît trop courte à Monet. Une fois lancé dans son rôle, on ne l’arrête plus. Il paraît se nourrir de l’admiration éclairée de ses visiteurs. Elle le sort de son tête à tête douloureux et exaltant avec la peinture. Il en redemande, au point de les inviter à revenir.

Au moment d’illustrer ce billet, me voilà bien embarrassée. Car j’ai beau chercher dans le catalogue raisonné de Monet, je ne trouve aucune toile de 1908 ou antérieure qui ait les dimensions estimées par René Gimpel. Elles sont toujours plus petites, souvent presque carrées, ou encore au format portrait. J’ai tendance à faire confiance à l’oeil de Gimpel pour mesurer sans mètre : en tant que marchand de tableaux, il devait avoir l’habitude. Wildenstein classe avant la Première Guerre mondiale les séries de Nymphéas, mais aucun panneau décoratif de grande ampleur. Monet aurait-il détruit tous ceux que Gimpel et Bernheim ont vus ? Ou Wildenstein a-t-il arbitrairement classé les panneaux vus par les marchands à une date plus tardive ?

La « Japonaise » et la critique

Claude Monet, Madame Monet en costume japonais, 1876, Museum of Fine Arts, Boston (détail)

En 1876, lors de la deuxième exposition impressionniste à Paris, l’accueil réservé au tableau de Claude Monet intitulé alors La Japonaise a été pour le moins contrasté. Le peintre a conservé les articles parus dans la presse et les a remis à son ami Gustave Geffroy lorsque celui-ci a entrepris d’écrire sa biographie, Claude Monet, sa vie, son oeuvre, au début des années 1920. Geffroy, pour bien faire comprendre, un demi-siècle plus tard, l’hostilité à laquelle les impressionnistes se sont heurtés à leurs débuts, a repris ces critiques dans sa biographie. Hostilité qui n’était pourtant pas unanime, comme il le souligne :

Alexandre Pothey, dans la Presse, analysait avec une fine perspicacité les envois de ces artistes indépendants, à qui l’Etat avait refusé un local, deux ans auparavant, pour exposer leurs oeuvres. Au sujet de Monet, il écrivait particulièrement :
« L’envoi de M. Claude Monet se compose d’une série de paysages pris sur nature au Petit-Gennevilliers ou aux environs d’Argenteuil ; ils se distinguent toujours par les qualités d’exécution franche, de sentiment réel et de belle lumière. Mais M. Monet a voulu prouver qu’il savait faire autre chose que du paysage. Il a attaqué une figure grande comme nature, du plus saisissant aspect. C’est une Parisienne à la figure mutine, aux cheveux blonds, vêtue d’un costume japonais d’une richesse inouïe. La robe, de molleton rouge, est couverte de broderies en soie et or avec des figures fantastiques d’un relief étonnant. Par un mouvement gracieux, la femme, qui joue avec un éventail, se retourne vers le spectateur. Le personnage s’enlève sur un fond bleu neutre et sur un tapis de nattes. Les amateurs qui recherchent la couleur solide, les empâtements résolus, trouveront un vrai régal dans ce morceau quelque peu étrange. »

Autre appréciation positive, celle d’Emile Blémont dans Le Rappel, qui a un talent d’observation certain et rebaptise avec justesse le tableau :

« Dans la seconde salle, nous trouvons l’exposition de M. Monet. Son tableau le plus important est une Jeune femme essayant une robe de théâtre japonaise. Elle est debout, l’éventail ouvert à la main et la main à la hauteur du visage, et s’en va, rieuse, jouant gaiement le rôle du costume, et retournant sa jolie figure parisienne pour jouir de l’effet de cette longue robe traînante aux bizarres ornements. Le fond de la robe est d’un ton rouge éclatant et doux, avec lequel s’accordent singulièrement l’épanouissement rieur de la carnation du visage et l’or brun à chauds reflets de la chevelure tordue. »

Le rédacteur de l’Evènement, qui signe Punch, n’a remarqué que les éventails :

« Autre toile bien remarquable : elle représente un grand Japonais (sic) tout de rouge vêtu, tenant à la main un éventail tricolore, ce qui est flatteur pour la France, et entouré d’écrans qui, par un incompréhensible miracle d’équilibre, se tiennent en suspension dans le vide. Cela est signé Claude Monet. »

Claude Monet, Madame Monet en costume japonais, 1876, Museum of Fine Arts, Boston

Le Petit Moniteur universel est mesuré dans son jugement :

« M. Manet a eu presque un homonyme parmi les exposants de la rue Le Peletier, c’est M. Claude Monet, artiste de valeur, qu’on serait désireux de voir entrer dans une voie plus sérieuse où ses rares qualités se déploieraient infailliblement. Entre autres toiles, M. Claude Monet a exposé une jeune femme blonde drapée dans des étoffes japonaise du plus étrange effet. La figure a des ombres cramoisies par trop choquantes, mais les étoffes sont très habilement et très artistement traitées. »

Le Petit Journal est laudatif :

« M. Monet a une Japonaise dont le costume éclatant est merveilleux de couleur et de ton. »

De même Armand Silvestre dans l’Opinion nationale :

 » M. Monet a envoyé une japonerie de grande dimension où se retrouvent toutes les qualités du peintre de la Robe de Camille. « 

Suivent trois articles malveillants, mais où les critiques n’ont pas détaché la Japonaise. Puis le ton est à la blague sous la plume de Louis Enault dans le Constitutionnel :

« Il serait injuste de contester à M. Claude Monet une certaine puissance de coloris dont il fait, du reste, un très regrettable emploi, car il ne semble l’employer que pour se rendre désagréable aux gens. (…) Voyez plutôt cette robe japonaise à fond rouge. Elle est en soie, j’en suis certain ; mais M. Claude Monet – à force d’habileté – est parvenu à lui donner une apparence d’étoffe laine et coton qui réjouirait le coeur d’un gars breton ou d’un paysan normand, si on voulait bien lui permettre d’en prendre un morceau pour se tailler dedans un parapluie du dimanche. Mais je ne leur conseillerais pas de s’en servir le jour où ils iraient voir leurs boeufs. On sait, en effet, que ces animaux réactionnaires n’aiment pas tous les rouges, et je m’étonnerais fort si celui de M. Claude Monet n’avait pas le privilège de les exaspérer singulièrement. »

En écrivant ceci, Louis Enault ne se rend pas compte qu’il se donne à lui même autant de jugement artistique qu’un boeuf, ridicule qu’il a bien cherché.

D’autres ont plus de sens critique, tel ce journaliste dont le nom s’est perdu :

« Le premier qui attire l’attention est M. Claude Monet. Il fait à lui seul plus de bruit que tous les autres réunis. Il est passé maître, d’ailleurs, dans l’art de la mise en scène. Sa Japonaiserie éclate, flamboie et tourne, comme un feu d’artifice, sur l’une des parois du salon d’honneur ; elle représente une magnifique robe de chambre de flanelle rouge, brochée de ramages verts. Du haut de cette robe émergent une tête et une main. La tête, détachée de la vitrine d’un coiffeur parisien, se renverse souriante, et fait des efforts impuissants pour se dégager de la partie inverse de la robe. La main agite un éventail tricolore. D’autres éventails, chargés de dessins bizarres, évoluent sur un fond bleu tout autour du motif principal. Ruggieri n’a jamais créé rien de plus éblouissant et de plus fantastique. »

(Note : la maison Ruggieri est spécialisée dans les feux d’artifices depuis 1739).

Claude Monet, Madame Monet en costume japonais, 1876, Museum of Fine Arts, Boston (détail)

Parmi toutes ces critiques, on retiendra celle d’Emile Porcheron, dans le Soleil :

La Japonaise de M. Monet paraît jongler avec une quantité d’écrans ; elle est vêtue d’une robe rouge ; et le peintre a peut-être trouvé de bon goût de la draper de telle sorte, qu’une portion du vêtement, sur laquelle est brodée une tête de guerrier, vient s’appliquer justement sur la partie du corps confiée aux soins de M. Purgon. Il est difficile d’être plus déplacé.

(Note : dans le Malade imaginaire de Molière, M. Purgon est le médecin et administre des lavements à Argan).

Pour finir, voici l’opinion de Charles Bigot, de la Revue politique et littéraire, après avoir loué les paysages de Monet :

« Je ne parle pas de certaine femme drapée bizarrement dans un costume rouge, en train de s’éventer, et encadrée dans une trentaine d’éventails japonais. C’est un coup de pistolet qu’il a voulu tirer, sans doute, et rien de plus. On ne regarde pas cette grande machine écarlate sans qu’elle fasse mal aux yeux, et le mieux est de ne pas la regarder. M. Monet s’est bien gardé de modeler le visage de la femme, car il est de ceux qui dédaignent le modelé ; il l’a même gratifiée des teintes les plus cadavéreuses. En revanche, il se trouve sur la robe une manière de monstre japonais tirant de l’épée et brodé. M. Monet s’est si bien appliqué à donner à la broderie du modelé et du relief, qu’au premier abord, on la prend pour un second personnage. Il est trop aisé d’apercevoir là le contraire cherché de ce que l’on fait d’ordinaire. »

On ne peut pas lui donner tout à fait tort. Il est probable que Monet voulait se faire remarquer et qu’il y est arrivé. La perruque blonde qui nous paraît si bizarre s’expliquerait par la volonté d’éviter la comparaison avec la Femme à la robe verte, pour laquelle Camille avait posé également. De fait, aucun des journalistes si observateurs ne l’a reconnue.
On remarque aussi que tous, y compris Monet, parlent de robe pour désigner ce kimono. Les plus fins disent nattes pour désigner le tatami. Et ils emploient le mot écran dans un sens bien différent de celui qu’il a aujourd’hui.


René Gimpel à Giverny – 6 : La Japonaise

Claude Monet, Madame Monet en costume japonais, 1876, Museum of Fine Arts, Boston
232 x 142 cm

René Gimpel évoque plusieurs fois dans son journal la fameuse toile de Monet, dite La Japonaise. Première entrée à la date du 10 août 1918 :

Georges Bernheim me dit : Rosenberg a acheté un Monet, grandeur nature, 150 000 francs, une Japonaise, il dit que c’est une merveille.

Source : René Gimpel, Journal d’un collectionneur marchand de tableaux, éditions Calman-Lévy, 1963

Il est à nouveau question de ce tableau lors de la visite de Gimpel et Georges Bernheim à Giverny le 19 août 1918 :

– Avez-vous appris, lui demande Bernheim, que Rosenberg a acheté pour un très gros prix votre Japonaise aux éventails ?
– Il me l’a écrit. Eh bien ! il en a une saleté !
– Une saleté ? reprend Bernheim, étonné.
– Mais oui, une saleté, ce n’était qu’une fantaisie. J’avais exposé au Salon La Femme en vert qui avait obtenu un très gros succès et l’on m’avait conseillé d’en faire une sorte de pendant, et l’on m’a tenté en me montrant une robe merveilleuse dont certaines broderies d’or avaient plusieurs centimètres d’épaisseur.
Je demande au peintre s’il est sincère et il me répond : « Absolument ». Il nous en montre la photographie ; j’admire la tête et je la trouve belle. Il nous dit avec un certain orgueil d’artiste : « Regardez ces étoffes ! » Il nous apprend que c’est le portrait de sa première femme, qu’elle était brune et qu’il lui a mis ce jour-là une perruque blonde.

Source : René Gimpel, Journal d’un collectionneur marchand de tableaux, éditions Calman-Lévy, 1963

René Gimpel à Giverny – 5

Claude Monet dans son premier atelier de Giverny

Suite de la visite de Georges Bernheim et René Gimpel à Giverny le 19 août 1908. La conversation roule sur les peintres et la peinture :

« Venez dans l’atelier », nous dit-il. C’est une grande salle rectangulaire. Au mur sont accrochés une centaine de tableaux environ qui courent et s’échelonnent sur trois ou quatre rangées. Pour la plupart, ce sont des peintures peu intéressantes, assez plates, sans couleur, ce sont des préparations. Parfois, un tableau sort de l’ordinaire. J’en vois un qui m’a l’air de représenter une épaisse forêt avec des éclaircies de lumière surprenante, et cette forêt de fleurs peut être celle de son jardin.
Ma réflexion sur la peinture moderne lui a plu car il m’en reparle et me dit : « Je préfère une nature morte peinte par Delacroix à un tableau de Chardin. » Comme la conversation tombe sur le paysage, je fais : « Vous êtes quelques maîtres qui, au XIXe siècle, avez porté l’art du paysage à un sommet qu’il n’avait jamais atteint. » Monet s’écrie :  » Ne m’appelez pas : maître, je n’aime pas ça. » Je proteste, je ne l’ai pas appelé : maître, et j’ajoute : « Vous me rappelez Renoir qui ne veut pas entendre prononcer le mot maître. »
« – Je suppose, observe-t-il, que ces Hollandais n’ont pas vu la nature en jaune. Leurs couleurs ont dû changer. Quand nous étions jeunes, nous nous promenions au Louvre et nous comparions nos manchettes au linge des personnages de Rembrandt et jugions que ses toiles sont loin des couleurs originelles ; Rubens, lui, a fait de beaux paysages. »
Georges Bernheim prononce le nom de Corot et Monet dit :  » Il n’a pas mis sur ses toiles assez de pâte. Je ne sais ce qu’elles deviendront avec le temps, les vernis et les nettoyages ; je me demande ce qu’il en restera, bien peu, j’en ai peur ! »
Monet est comme Renoir, très préoccupé de l’évolution chimique des couleurs et il assure que lorsqu’il peint il ne cesse d’y penser.

Source : René Gimpel, Journal d’un collectionneur marchand de tableaux, éditions Calman-Lévy, 1963

René Gimpel à Giverny – 4

Claude Monet dans son jardin

Suite de la visite de René Gimpel et Georges Bernheim à Claude Monet le 19 août 1918, relatée par Gimpel dans son journal :

Puis regardant ses fleurs : Ah ! comme votre jardin est joli. Mary Cassatt m’en a si souvent parlé.
– Comment va-t-elle ? me demande-t-il. Je lui apprends qu’elle est presque aveugle et je sens chez le peintre une indifférence de vieillard. Georges Bernheim me dit à ce moment de regarder combien M. Monet est jeune. Je l’interroge. Quel âge a-t-il ? Et il me répond qu’il a 78 ans. (note : C’est inexact. Il est dans sa 78e année, mais il aura 78 ans en novembre seulement). Je le complimente, et en effet c’est étonnant, jamais je n’ai vu un homme de cet âge paraître aussi jeune. Il peut ne mesurer qu’1,65 m environ, mais il est tout droit. Il ressemble à un jeune père, qui, le 25 décembre, mettrait une fausse barbe blanche pour faire croire à ses enfants au vieux papa Noël. Son visage est doucement coloré et pas couperosé. Ses petits yeux ronds et marron, pleins de vivacité, sont des auxiliaires très précieux à sa parole. « Venez dans l’atelier », nous dit-il.

Source : René Gimpel, Journal d’un collectionneur marchand de tableaux, éditions Calman-Lévy, 1963

René Gimpel à Giverny – 3

Claude Monet devant sa maison, juin 1920 Photo de l’album de famille des Ryerson. Institutional Archives, Art Institute of Chicago.

Suite de la visite de René Gimpel et Georges Bernheim à Claude Monet, 19 août 1918 :

Une servante a pris nos cartes et nous dit qu’elle va voir. Bernheim est nerveux et me souffle : « Ne sois pas étonné si nous ne sommes pas reçus. » Je lui demande si ce n’est pas Monet, là-bas, qui s’avance.

– Où ? Comment est-il ?
– Là, sous un grand chapeau de paysan pointu et en paille. Il a une grande barbe blanche.
– Mais oui, c’est lui, il vient.

Nous nous avançons, Bernheim lui serre la main, me présente, et Monet fait : « Ah ! messieurs, je ne reçois pas quand je travaille, non, je ne reçois pas. Quand je travaille, si je suis interrompu, ça me coupe bras et jambes, je suis perdu. Vous comprenez facilement, je cours après une tranche de couleur. C’est ma faute aussi, je veux faire de l’insaisissable. C’est épouvantable cette lumière qui se sauve emportant la couleur. La couleur, une couleur, ça dure une seconde, parfois trois ou quatre minutes, au plus. Que faire, que peindre en trois ou quatre minutes ? Elles sont passées, et alors il faut s’arrêter. Ah ! que je souffre, ce qu’elle me fait souffrir la peinture ! Elle me torture. Comme elle me fait mal ! »

Monet a fini son monologue. Je devine qu’il va nous serrer la main et retourner à son travail. Je voudrais qu’il restât encore quelques minutes et je lui dis : « Excusez-moi, Monsieur Monet, c’est moi le coupable, c’est moi qui ai voulu venir. Georges Bernheim m’avait prévenu, mais je l’ennuie depuis si longtemps ! Je vends des tableaux anciens mais j’adore les modernes ; j’adore vos oeuvres. Je me fâche avec mes amateurs quand ils me disent que c’est fini, que l’on ne saura plus peindre, que l’on n’égalera plus les anciens. Quels imbéciles ! »

Source : René Gimpel, Journal d’un collectionneur marchand de tableaux, éditions Calman-Lévy, 1963

René Gimpel à Giverny – 2

Après son voyage en train en compagnie de Georges Bernheim, René Gimpel arrive à Vernon. Voici la suite de sa journée, telle qu’il la relate dans son journal à la date du 19 août 1918 :

Il est une heure et demie, nous arrivons à Vernon, nous descendons du train et enfourchons les bicyclettes que nous avons louées à Paris car les moyens de communication ne sont pas faciles en temps de guerre. Nous suivons pendant quelques kilomètres la vallée de la Seine, si belle en cet endroit, et nous arrivons au village célèbre où plusieurs artistes se sont groupés autour du maître. J’aperçois de grandes baies vitrées qui s’ouvrent dans plusieurs maisons de paysans. Nous voici devant le mur de Claude Monet, percé d’une grande porte verte et un peu plus loin d’une autre porte très petite, verte aussi, et nous l’ouvrons pour entrer dans le jardin de Monet si souvent décrit. Je regrette d’être dans l’ignorance la plus complète du nom des fleurs et de me trouver impuissant à les nommer. Il faudrait un Maeterlinck pour un tel jardin qui ne ressemble à aucun autre, d’abord parce qu’il est composé de fleurs très simples, puis qu’elles s’élèvent toutes à des hauteurs inouïes. Je crois qu’aucune ne fleurit au-dessous d’un mètre. Certaines fleurs dont les unes sont blanches, les autres jaunes, ressemblent à de colossales marguerites et montent jusqu’à deux mètres. Ce n’est pas un champ mais une forêt vierge de fleurs avec des couleurs toujours franches ; aucune n’est rosée ou bleutée, elles sont rouges, elles sont bleues.

Ce témoignage, s’il ne nous renseigne guère sur les variétés de fleurs que Monet cultivait en 1918, a au moins le mérite de nous restituer l’impression ressentie par un visiteur peu versé dans la botanique. Ce qui le frappe, à peine passé la porte, ce sont la hauteur des fleurs et leurs couleurs franches, et cette image de forêt vierge. On note aussi que les portes sont vertes à la fin de la guerre.

Source : René Gimpel, Journal d’un collectionneur marchand de tableaux, éditions Calman-Lévy, 1963

Monet aquarelliste ?

Auguste Renoir, La Mosquée, 1881, musée d’Orsay, Paris. Tableau ayant appartenu à Claude Monet.

Monet peignait à l’huile, dessinait au pastel, au crayon, mais est réputé n’avoir jamais pratiqué l’aquarelle. Pourtant, cette affirmation est démentie par une lettre datée du 8 mai 1920 et adressée à son ami le critique Gustave Geffroy, alors en train de préparer une biographie sur Monet :

(…) En ce qui touche mon séjour en Algérie, il fut pour moi un enchantement. J’y effectuais mon service militaire aux chasseurs d’Afrique à Oran et j’y ai connu un compatriote normand, Pierre-Benoît Delpech, de Granville, qui devait par la suite demeurer dans ce charmant pays. J’ai conservé de bonnes relations avec lui et nous nous revoyons presque tous les ans. Il a acheté d’ailleurs certaines de mes toiles, et en le recevant l’année dernière à Giverny, il m’a montré nombre de dessins et d’aquarelles de moi faites en Algérie et datant de 1862. Il vous les montrera si vous le lui demandez puisque vous le connaissez. A l’époque, je considérais l’aquarelle comme un moyen excellent et rapide pour rendre cette « instantanéité » de la lumière. Clemenceau a emporté un jour une de mes aquarelles d’Algérie et j’ai pu voir dans sa maison vendéenne cette oeuvre de jeunesse qui représentait la vieille porte espagnole de la casbah d’Oran. Je vais vous adresser deux dessins de paysages algériens de la même époque. Clemenceau a de moi également deux aquarelles, Les Nymphéas que vous pourrez voir chez lui, ainsi qu’une autre aquarelle représentant sa maison de Saint-Vincent-sur-Jard. J’aime bien cette technique de l’aquarelle et regrette de ne pas m’y être adonné plus souvent. (…)

Cette étrange lettre est publiée par Daniel Wildenstein dans sa première édition du catalogue raisonné de Monet. Elle est passée en vente au Nouveau Drouot en 1982, elle a donc dû être authentifiée par leur expert.

Si je la trouve étrange, c’est qu’elle ne colle guère avec le reste de la correspondance de Monet à cette époque. Ceci n’est qu’un extrait, elle est trois fois plus longue. Le peintre souffre de la cataracte, il n’aime pas la correspondance, toutes ses lettres avant et après cette date sont brèves, concises, et il se mettrait tout à coup à discourir sur des pages ? D’autre part, le 20 janvier 1920, en réponse aux questions que Geffroy lui a adressées, il lui a répondu sèchement qu’il se refusait à se prêter à des questionnaires, n’y voyant aucun intérêt. Quatre mois plus tard, il deviendrait soudainement intarissable ?
Si l’on se penche sur le contenu, le malaise persiste. En Algérie, Monet n’était pas à Oran mais à Alger, dans le quartier de Mustapha. Comment pourrait-il confondre ? Si elles ont existé, toutes les lettres au nommé Pierre-Benoît Delpech ont disparu. Celui-ci aurait possédé plusieurs Monet ? Seul un Delpuech figure dans l’index des collectionneurs de Monet, avec un seul numéro. Geffroy le connaîtrait aussi ? Quel hasard ! Et Delpech aurait des aquarelles, de plus en plus fort. Certes elles sont parfaites pour rendre l’instantanéité, et Jongkind, grand aquarelliste qui fut le maître de Monet, a pu l’initier à cette technique, mais alors pourquoi aucune n’a subsisté ? Où est cette fameuse aquarelle de la porte espagnole de la casbah d’Oran (encore ! ) possédée par Clemenceau, ses deux Nymphéas à l’aquarelle, sa maison de Saint-Vincent-sur-Jard ? Que sont devenus les deux dessins de paysages algériens que Monet promet d’envoyer à Geffroy ? Et si Monet aime tant l’aquarelle, qu’est-ce qui l’empêché d’en faire autant qu’il voulait ? Tout cela est tout de même très bizarre. Pis : dans sa biographie, Geffroy ne reprend pas les éléments fournis par Monet dans cette lettre. Ne les aurait-il jamais reçus ?

René Gimpel à Giverny

Le marchand de tableaux René Gimpel a tenu un journal, commencé en février 1918, dans lequel il raconte les faits marquants de son métier. Le 19 août 1918, il rend visite à Claude Monet à Giverny. Il est accompagné de Georges Bernheim, cousin des marchands Josse et Gaston Bernheim-Jeune avec lesquels le peintre entretient des relations commerciales et amicales.

19 août – Chez Claude Monet.

Dans le train qui nous conduit à Vernon, Georges Bernheim me dit que j’ai pris la responsabilité du voyage à Giverny, mais que Monet ne nous recevra peut-être pas. Comme Renoir, il ne veut pas être dérangé quand il travaille. Je lui demande s’il le connaît bien et il me répond : « Oui, et dans une certaine circonstance j’ai mieux agi envers lui que lui, plus tard, envers moi.
– A quelle occasion ?
– Voici : Monet avait épousé en secondes noces une veuve ou peut-être bien une divorcée. Elle avait un fils qui, à la mort de sa mère, me vendit huit toiles de son beau-père pour huit milles francs.
– Pourquoi si bon marché quand il ne pouvait en ignorer la valeur ?
– C’est qu’elles n’étaient pas signées, et ce garçon était en trop mauvais termes avec Monet pour que le peintre y mette sa signature. Elles valaient quand même quarante milles francs avec ma garantie. Monet apprend cette transaction et m’envoie mes cousins, les Bernheim frères, me dire qu’il aimerait racheter les huit tableaux et il m’en fait demander le prix. Je lui écris : « Monsieur Monet, vous n’avez qu’à m’adresser un chèque de huit mille francs et prendre les toiles. » Il me l’envoya en me faisant promettre un cadeau. Je l’attends encore. Deux ans, trois ans passent. Je me décide à l’aller voir et je lui dis : « Monsieur Monet, je ne vous demande aucun cadeau, mais vendez-moi quelques toiles. » Il m’en cède douze pour cent vingt mille francs et il en ajoute une treizième. Je lui en avais vendu huit pour huit mille francs. Ce fut un cadeau payé un peu cher, mais enfin ! C’est un homme très dur.

Voilà une anecdote dont Georges Bernheim ne sort pas grandi. Il avoue tranquillement avoir roulé Jacques Hoschedé, aux abois comme toujours, venu lui vendre les tableaux qui lui revenaient dans l’héritage d’Alice en 1911. Le marchand s’apprêtait à multiplier leur prix par cinq, sans sourciller.
Puis il se sent obligé de les céder à prix coûtant à Monet, qui n’en demandait pas tant. Frustré, le marchand attend un cadeau comme un dû. Mais quand il vient chez Monet, il a l’indélicatesse de rappeler au peintre qu’il lui a promis un cadeau, tout en le refusant d’avance. Néanmoins, quand Monet ajoute généreusement un treizième tableau, il ne lui en est guère reconnaissant, considérant que les prix d’achat au peintre sont très élevés. Or Monet ne fait que lui appliquer le même prix, 10 000 francs la toile, qu’aux autres galeristes, Durand-Ruel, Boussod, Petit, Bernheim-Jeune…

Claude Monet dans son atelier, photo de novembre 1913 illustrant un article d’André Arnyvelde publié dans « Je sais tout » du 15 janvier 1914. Photographe anonyme

On peut s’interroger sur ce qui a poussé Bernheim à rétrocéder les tableaux à prix coûtant à leur auteur, car celui-ci ne risquait pas de savoir combien le marchand les avait achetés à Jacques Hoschedé. Il me semble qu’il voulait faire de Monet son redevable, et ainsi entrer en relations commerciales avec lui. En effet Monet était alors un peintre recherché. Proposer ses tableaux valorisait la galerie de Bernheim. Or Monet avait suffisamment de marchands pour ne pas en chercher d’autres. En fait de faveur, c’en était déjà une, pour Monet, d’accepter de vendre des tableaux à Bernheim.

Je n’ai pas pu savoir quels étaient les huit tableaux qui ont brièvement appartenu à Jacques Hoschedé. Son nom ne figure pas dans l’index des collectionneurs du catalogue raisonné de Daniel Wildenstein. On y trouve son père Ernest Hoschedé, bien sûr, avec 32 numéros. Son frère Jean-Pierre Hoschedé a possédé 11 Monet, sa soeur Blanche Hoschedé-Monet en avait 16 (les siens et ceux de Jean Monet, je suppose), Suzanne Hoschedé-Butler 4, Germaine Hoschedé-Salerou 9. En ce qui concerne Michel Monet, la liste est interminable.

Giverny pendant la Seconde Guerre mondiale

C’est une question qui revient souvent de la part des visiteurs : que s’est-il passé à Giverny pendant les années noires de l’Occupation, puis à la Libération ? Y a-t-il eu des dégâts ?

Le moulin de Cossy à Giverny

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, le village de Giverny est occupé par la Gestapo qui s’installe au moulin de Cossy, près du pont de Limetz (aujourd’hui propriété de la famille Balkany). Au printemps 1944 l’organisation Todt réquisitionne plusieurs propriétés de la commune. Celle de Claude Monet, où Blanche vit seule, échappe à ces réquisitions.
Des centaines d’ouvriers, parmi lesquels des prisonniers du front de l’Est et des déportés, s’activent à transformer les carrières de Mortagne, au-dessus de Manitot, entre Giverny et Vernon, en quartier général pour Rommel, installé en attendant à La Roche-Guyon. Sous la botte de l’occupant, les villageois retiennent leur souffle.

Enfin, la radio de Londres les informe du début des opérations de débarquement sur les plages normandes. Il faudra près de trois mois aux Alliés pour parvenir à Giverny.

Un événement dramatique marque cette période. Dans la nuit du 7 au 8 juin 1944, au lendemain du Jour J, un groupe de 18 bombardiers de la Royal Air Force survole Vernon en direction de la vallée de Chevreuse en région parisienne.

L’un des avions alliés a été repéré par un chasseur allemand au-dessus du pays de Caux. Atteint par plusieurs projectiles, les moteurs en feu, le Lancaster LL-H 864 s’écrase dans la plaine des Ajoux à Giverny.

Les sept membres d’équipage, âgés de 20 à 31 ans, périssent sur le coup. Ils sont enterrés dans une tombe commune dans le cimetière de Giverny.

En 1997 et en 2004, l’Association normande du Souvenir aérien et le Groupe normand de Recherche entreprennent des fouilles dans le champ où l’avion s’est écrasé. À six mètres de profondeur, plusieurs éléments, dont les moteurs et des pales d’hélice, sont retrouvés. L’intervention de démineurs est nécessaire pour désamorcer les 14 bombes de 250 kilos encore enfouies sous les restes de l’avion.

L’une des pales d’hélice sera érigée en monument commémoratif près de l’église, non loin de la tombe de Claude Monet.

L’église Sainte-Radegonde elle-même a été au cœur des combats pour la Libération. Des positions allemandes près du monument ont été la cible de l’artillerie anglaise. Les obus tirés par les chars alliés les ont neutralisées, mais ils ont aussi transpercé l’édifice et les toitures. Ces dommages ont pu être réparés dès 1946.

Après d’âpres combats, les hommes du 4th Wiltshire Regiment, sous la conduite de Jack Reavley, Sergeant Carrier Platoon de la « S » Company, ont libéré Giverny le 28 août 1944. Cette victoire met un terme à la rude bataille pour le franchissement de la Seine à Vernon. Les soldats se voient accorder deux semaines de repos dans le village, au cours desquelles ils fraternisent avec les habitants. Certains de ces liens vont perdurer pendant plus de 60 ans.

Le lieutenant britannique Peter Edge a payé de sa vie la libération de Giverny

Après ces moments de convivialité et le départ des Britanniques, les Givernois s’emploient à remettre leurs propriétés en état. Chacune a reçu des projectiles, surtout aux abords de l’église. Dans celle de Claude Monet, les vitres du grand atelier, des serres et de la maison ont été brisées, et quelques toiles ont été percées par des éclats de verre. Plus dramatique, des familles du village sont en deuil suite à la mort de trois civils pendant les combats.

Des ronds de soleil

Dans le jardin d’eau de Giverny, le long du Ru, le soleil qui filtre à travers le feuillage des grands arbres dessine des ronds de lumière sur le gazon. On pense au Déjeuner sur l’herbe, où le même effet de taches de soleil sur la nappe blanche avait étonné les contemporains de Monet :

Claude Monet, Le Déjeuner sur l’herbe, 1865-66, musée d’Orsay, Paris

Eventails

Le musée des Beaux-Arts de Rouen présente en ce moment une importante exposition sur Whistler et le whistlérisme. Les éventails y ont la part belle. Ce délicieux regard rêveur a été capté par Jacques-Emile Blanche (1861-1942), portraitiste de la bonne société française et anglaise ; il orne un projet d’éventail, où deux jeunes femmes en robes blanches manient des éventails noirs, en une amusante mise en abîme :

L’éventail était un accessoire de mode indispensable aux élégantes de la Belle Epoque, et, si Monet n’en a jamais peint, d’autres artistes de ses amis s’y intéressaient, par exemple Whistler et Mallarmé.

Voici celui d’Anna Rodenbach, femme de lettres belge et épouse du poète Georges Rodenbach. Il est co-signé par Puvis de Chavannes et Whistler, tandis que Stéphane Mallarmé y a tracé un quatrain de sa belle écriture, déjà rencontrée sur ses enveloppes :
Ce peu d’aile assez pour proscrire
Le souci, nuée ou tabac
Amène contre mon sourire
Quelque vers tu de Rodenbach.

Madeleine Roujon, épouse de l’académicien Henry Roujon, a eu droit elle aussi à son quatrain de Mallarmé :
Simple, tendre, aux prés se mêlant,
Ce que tout buisson a de laine
Quand a passé le troupeau blanc
Semble l’âme de Madeleine.

L’épouse de Mallarmé, Maria, possédait un éventail magnifique, qui figure aussi à l’exposition. Le texte écrit en rouge sur fond foncé est difficile à déchiffrer, et pas plus facile à comprendre :

Avec comme pour langage
Rien qu’un battement aux cieux
Le futur vers se dégage
Du logis très précieux

Aile tout bas la courrière
Cet éventail si c’est lui
Le même par qui derrière
Toi quelque miroir a lui

Limpide (où va redescendre
Pourchassée en chaque grain
Un peu d’invisible cendre
Seule à me rendre chagrin)

Toujours tel il apparaisse
Entre tes mains sans paresse

Mallarmé ne manquait jamais d’adresser ses nouveaux livres à Claude Monet. Dans ses remerciements, le peintre avouait ne pas tout comprendre, mais disait sentir que c’était bien beau.

Des arbres sous surveillance

Rouen, square Verdrel

Pour éviter toute polémique, la ville de Rouen communique sur les raisons qui ont contraint à l’abattage d’un magnifique hêtre pourpre ombrageant l’an dernier encore le square Verdrel, devant le musée des Beaux-Arts. Une partie du tronc, mise en vedette sur des rondins, montre la circonférence qu’atteignait l’arbre vénérable, planté en 1865.
Depuis 2008, les racines étaient attaquées par un champignon, le polypore géant. Ce Meripilus giganteus dégrade tout doucement l’ancrage de l’arbre au sol. En 2023, des fissures ont été constatées, laissant présager une chute imminente du hêtre. Vu son emplacement en plein centre ville, l’abattage d’urgence a été décidé.
Reste à espérer que ce Meripilus horripilant ne viendra pas s’en prendre au hêtre pourpre de Monet… Les arbres du jardin de Giverny eux aussi sont observés à la loupe par une commission de sécurité. C’est ainsi que le vieux saule au bout du bassin, creux et fragile, a été remplace l’hiver dernier par un saule plus jeune. Mais pas de panneau d’information. Il est vrai que les visiteurs, ici, ne sont pas des administrés.

Le hêtre pourpre

Voici le plus bel arbre du jardin de Monet : un hêtre pourpre planté par ses soins, au tournant du 19e et du 20e siècle. Comme l’arbrisseau devait avoir déjà quelques années à sa plantation, il aurait donc 130 ans, au bas mot. C’est un âge où les hêtres, arrivés à leur plein développement, sont majestueux.

L’arbre ne présente aucune trace de fatigue, de vieillesse : il lui reste encore de longues années à vivre, 200 peut-être. Il se tient droit et noble, étalant son houppier à vingt mètres de haut.

J’aime bien prendre le temps de le présenter aux visiteurs. Dans leur silence, les arbres ont tant de choses à nous dire. Celui-ci nous relie au geste de Monet de le planter. Cette essence, à cet endroit précis. L’artiste savait qu’il ne le verrait jamais arriver à maturité : le peintre avait déjà soixante ans. Il l’a planté pour nous, les générations futures, en se disant qu’un jour, il ferait bien. Merci, Monet.

C’est la signature d’un bon jardinier : en ce qui concerne les arbres, un vrai jardinier sait que nous profitons de ceux plantés par les générations qui nous ont précédés, et que nous plantons pour celles qui nous suivront. Ce hêtre est un trait d’union entre l’époque révolue de Monet et celle pas encore advenue de nos arrières-arrières-petits-enfants.

L’arbre interroge aussi par ses couleurs changeantes. Au printemps, quand les feuillettes se déplient, elles sont pendant quelques jours d’un rose adorable. Puis elles foncent au soleil. De loin, en été, l’arbre a l’air presque noir. Mais, surprise ! Quand on se trouve en-dessous, les feuilles paraissent du plus beau vert, si bien que certains visiteurs ont peine à croire qu’il s’agit bien d’un hêtre pourpre. Les feuilles ont besoin de lumière pour foncer, or l’arbre se fait de l’ombre à lui-même, et seules les feuilles extérieures, celles que l’on voit de loin, deviennent sombres.

L’autre jour, j’étais incognito dans le jardin de Giverny en train de faire quelques photos, quand un visiteur m’a interpelée. « Vous êtes guide ? vous faites toujours voir le jardin ? » Il y a dix ans, il avait suivi une de mes visites. Il se souvenait de mon visage, ce qui m’a paru déjà un exploit, mais aussi « de l’arbre qui change de couleur ».

J’ai été touchée de ce témoignage. Ce sont toujours nos émotions que nous gardons en mémoire, et non les faits et les explications. Et je sais que découvrir depuis le bout du bassin le pourpre intense du hêtre qui paraissait si vert tout à l’heure surprend, voire saisit les personnes à qui je fais remarquer ce changement de couleur.

Alors peut-être que cela n’a pas grand chose à voir avec l’impressionnisme, mais c’est merveilleux qu’un détail, dans le commentaire délivré, ait marqué assez mon auditeur pour rester dans sa mémoire.
Et peut-être qu’au fond, ce jeu de couleur, dans le jardin d’un peintre, a plus de sens qu’il n’y paraît. Peut-être que Monet, en jardinier avisé, avait pleinement conscience de l’effet futur, et qu’en plantant ce hêtre pourpre, il riait sous cape du bon tour qu’il allait jouer à nos yeux, un siècle plus tard.

Le jardin de Berchigranges

Quittons un peu Giverny pour les Vosges, car je voudrais vous partager mon enthousiasme pour l’un des plus jolis jardins qu’on puisse visiter en France : le jardin de Berchigranges. Fruit de la passion d’un couple, Monique et Thierry Dronet, qui l’invente depuis plus de quarante ans, il combine fantaisie, poésie, rêverie, amour et harmonie avec la nature, faisant de sa visite un moment enchanté, un émerveillement sans fin, un rêve éveillé.

Nous sommes arrivés sous l’averse et la pluie ne s’est pas arrêtée tout le temps de la visite, ce qui n’est pas idéal pour les photos mais parfait pour avoir le jardin à soi tout seul, un luxe exquis quand on vient de Giverny. Monique et Thierry Dronet ont même poussé la délicatesse jusqu’à créer un jardin de pluie. Il met en valeur le bruit des gouttes sur les différents végétaux et les parfums particuliers qui se répandent quand il pleut. Nous n’aurions pas pu profiter de ce raffinement s’il avait fait sec.

Ce n’est pas l’eau qui manque à Berchigranges, grâce à la présence de plusieurs sources. Des ruisselets circulent partout au milieu des plantes, suscitant des petits ponts et créant des étangs.

L’humidité a permis aux Dronet de créer un jardin de mousse absolument magique, à partir de plusieurs dizaines de variétés de mousses vosgiennes. J’en ai admiré la propreté méticuleuse, connaissant le labeur qui se cache derrière. Sur la mousse, chaque feuille tombée se ramasse à la main.

Le jardin de Berchigranges regorge de contrastes. Netteté des haies taillées de la chambre des dames dédiée aux parfums, et du jardin flipper, exubérance sauvageonne savamment orchestrée un peu plus loin.

Des loges contenant des bancs permettent d’apprécier la vue au sec.

Partout des petites cabanes, des sièges plus originaux les uns que les autres, des splendeurs horticoles, et une vue comme un balcon sur ce vallon des Vosges… Tout ce que je pourrais dire sur ce jardin serait le réduire, et mes pauvres photos ne lui rendent pas justice. Il faut y aller !

Un été à Vernon

Comme chaque année, la ville de Vernon affiche son programme estival, « destination Vernon », sur des affiches disposées aux quatre coins de la ville. En 2024, c’est le château des Tourelles et son parc qui sont mis à l’honneur. Les amateurs de sport sont invités à s’y rassembler pour suivre ensemble les JO (les paralympiques maintenant) sur écran géant, à l’heure du coucher du soleil. On aperçoit la forteresse du 12e siècle sur la photo, de l’autre côté de la Seine.

Faire des scènes

Voici, à l’entrée du jardin d’eau de Monet, une scène très réussie : des hémérocalles doubles aux deux tons d’orange se marient à un hydrangea serrata dont les étamines deviennent très bleues pendant quelques jours. De l’autre côté du Ru se dressent les bambous au feuillage si particulier, au-dessus d’un jupon d’hémérocalles défleuries.

Je parle de scène, comme au théâtre, parce qu’on dirait que les végétaux sont des personnages qui se donnent la réplique et ont besoin mutuellement de la présence de l’autre. Peut-être, dans le jardin de Giverny, le terme de tableau serait-il plus approprié, encore qu’il serait plus statique, et prêterait sans doute à confusion avec les vrais tableaux, les peintures de Monet.

Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

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