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Notre-Dame-de-la-Mer

A environ un quart d’heure de route de Giverny – beaucoup plus en bateau et à pied, bien entendu – la chapelle de Notre-Dame-de-la-Mer était un but d’excursion de la famille Hoschedé-Monet. Elle s’élève sur une hauteur qui domine la vallée de la Seine, dans le département des Yvelines. Sa dernière reconstruction date de 1866, c’est donc ainsi qu’elle apparaissait aux excursionnistes givernois.

Un belvédère bâti au bord du plateau permet de se hausser encore un peu plus pour admirer la vue magnifique. A gauche sur la photo, la statue de la Vierge fait face à cette étendue. Sur l’origine de cette dévotion et sur le nom du lieu, qui remontent aux incursions des Vikings au 9e siècle, le site municipal fournit d’intéressants détails. On est bien loin de la mer, mais les hordes de pillards en venaient, et le nom pourrait jouer sur l’homophonie entre mer et mère.

La carte présentée sur le site du village permet de visualiser l’immense boucle que dessine la Seine, juste en face du belvédère.

Droit devant, le petit point blanc est le donjon du château de la Roche-Guyon, à une demi-heure en voiture :

Difficile d’imaginer, au vu de cette photo, que la Seine coule au pied du château, au creux de la vallée, soixante mètres en contrebas.

A l’extrême gauche du panorama, voici l’est de Giverny. Le jardin d’eau de Monet se cache derrière les branches de l’arbre sur la gauche de la photo. La maison qui présente un alignement de fenêtres est l’hôtel de la Musardière. Les buissons envahissent les terres au-dessus du village, si soigneusement cultivées à l’époque de la colonie impressionniste.

En montant sur le belvédère, la Seine devient plus visible.

Le chêne d’Allouville

Pour aller de Rouen à Etretat, on passe non loin d’Allouville-Bellefosse, en pays de Caux. Près de l’église du village se dresse le fameux chêne d’Allouville, qui serait âgé de 1200 ans. C’est l’un des plus vieux chênes pédonculés du monde, peut-être planté, pourquoi pas ? en 911, lors de la création du duché de Normandie.

Etre en présence d’un végétal d’une telle longévité force le respect. Voilà déjà bien longtemps qu’il est vieux, et il ne mesure (plus ?) que 18 mètres de haut, mais son tronc a une imposante circonférence de 15 mètres. A l’intérieur, des cavités se sont formées. En bas, une chapelle est dédiée à la Vierge ; au-dessus se trouve une seconde minuscule cellule ermitale à laquelle on accède par un escalier.

En hiver, sous la pluie, le chêne vénérable avait une allure accueillante de maison de hobbit. Il est plus beau de près que de loin, je trouve, car les ans lui ont donné un aspect bizarre, renforcé par les aménagements faits pour le préserver.

Mais j’ai aimé que la commune ait décidé de célébrer la Saint-Valentin en ornant ses potées fleuries de coeurs dont le rouge réveille la grisaille. A mon tour, permettez-moi de vous souhaiter, de tout coeur, la plus grande longévité à vos amours.

Quel enchantement !

Dans une pile de cartes postales adressées il y a quelques lustres aux grands-tantes de mon époux (et pieusement conservées par celles-ci, cela va sans dire), ce tondo de Nymphéas a capté mon attention. Ce n’est pas celui du musée de Vernon mais de Saint-Etienne, un peu plus coloré de jaune. En retournant la carte, je m’attends à des voeux de Nouvel An, mais c’est beaucoup mieux que cela :

Transcription :

Chères toutes deux, Quel enchantement ce jardin de Claude Monet. Toutes ces plantes sont vraiment le reflet de sa peinture et nous en sommes revenus comme revenant d’un rêve. Vraiment c’est une fin de semaine formidable avec Simone et Cousin André – si gentils. Nous vous espérons en bonne santé et vous envoyons nos pensées bien affectueuses. Maryvonne Bons baisers. A bientôt Madeleine bons baisers André Simone.

Des quatre signataires et des deux destinataires, seule la rédactrice, Maryvonne, est encore en vie. J’ignorais que cette petite équipe s’était rendue en juin 1983 à Giverny. A l’époque, je crois que je n’avais moi-même pas connaissance de l’existence de ce jardin, ouvert au public depuis trois ans seulement.

Voilà un commentaire sur ce premier jardin, celui de la restauration, avant que les arbres et les arbustes n’aient atteint leur plein développement, qui me touche profondément. La magie opérait déjà. On marchait dans le tableau, on retrouvait le reflet de l’oeuvre du maître, comme dit si bien Maryvonne.

Me touche aussi que cette carte ne me concerne en rien, qu’elle soit adressée à d’autres. En 1983, les quatre excursionnistes, les deux destinataires et moi-même ignorons que je la lirai un jour et la place que prendra ce lieu dans ma vie. Quand Maryvonne écrit qu’ils en sont revenus comme revenant d’un rêve, ce n’est pas pour me faire plaisir. C’est un compte-rendu de leur émotion à tous, et je me réjouis du fond du coeur qu’ils l’aient vécue.

Le château d’Anet

A 45 minutes de Giverny, dans la vallée d’Eure, le petit bourg d’Anet s’enorgueillit d’un prestigieux château Renaissance, toujours meublé et habité.
La visite des appartements est guidée, ce qui lui apporte naturellement un éclairage et du sens, permettant d’entrer dans l’Histoire et les histoires.

Le château a été construit à partir de 1548 par l’architecte Philibert Delorme pour le compte de la belle Diane de Poitiers. Très riche suite à son veuvage avec Louis de Brézé, elle n’a eu besoin de personne pour le lui offrir, nous a expliqué le guide, qui a aussi mis en avant son exceptionnelle intelligence et son goût raffiné.

Diane, la déesse romaine de la chasse, est célébrée dès l’entrée dans le domaine. Le groupe sculpté de cerf et de chiens au-dessus du portique est devenu l’image emblématique des lieux.

Le château, partiellement démoli à la Révolution, a été restauré et en partie rebâti. Cela est fait avec art, transportant le visiteur dans les fastes du 16e siècle. Le morceau de choix est certainement la chapelle du château, dont le sol fait écho au splendide dôme.

Le lien avec Vernon est le duc de Penthièvre, tout à la fois propriétaire du château de Bizy à Vernon et du château d’Anet, à la fin de l’Ancien Régime.

Le château de Martainville

Le château de MartainvilleIl y a de la magie dans la façon qu’a le château de Martainville de surgir soudain au bout des champs sans qu’on s’y attende, dressant avec bonhomie ses tourelles au milieu des moutons et des vergers de pommiers.
Tout est charmant dans ce domaine, de sa taille assez réduite pour qu’on y sente encore la demeure plutôt que le palais, à la couleur chaude de ses briques qui flamboient au soleil de l’après-midi.
On s’approche avec des interrogations plein la tête, et d’abord sur l’époque, sur le style. Cela sent la Renaissance et c’est vrai, le château bâti fin 15e avec des allures de forteresse est remanié deux décennies plus tard dans le goût de la Renaissance, avec des ouvertures plus larges, des toits plus hauts, et des ornementations en pierre de Vernon.
Où est l’entrée ? se demande le visiteur, cherchant quelque accès vitré, une caisse… jusqu’à s’approcher de la porte du château qu’un écriteau discret invite à pousser, tout simplement. Promu par ce geste hôte ou châtelain, selon son penchant, le visiteur a donc l’heur de découvrir l’intérieur.
Si beaucoup de châteaux déçoivent par le vide sidéral des appartements, ici, c’est meublé. Très meublé. Car Martainville, propriété du département de la Seine-Maritime, abrite le musée des Arts et Traditions Normands. Chaque pièce regorge d’armoires somptueuses, de coffres, de lits clos, de buffets et de tables, organisés par siècle et par région. Tout ce chêne sent bon la cire.
La cuisine est toujours la cuisine, avec un âtre si grand qu’on pouvait y cuire un boeuf. On peut passer du temps à détailler les innombrables objets proposés à la curiosité du visiteur, qu’on rencontre encore parfois dans les brocantes sans deviner leur usage. Le beurre, par exemple, a donné lieu en Normandie à la création d’une multitude d’ustensiles et de contenants.
Tout en haut, c’est le domaine du verre, du tissu, des instruments de musique. Le musée possède 15 000 pièces, véritable mémoire d’un savoir-faire et de gestes et usages disparus. On n’a pas pu tout voir. On reviendra.

Saint-Ouen-sur-Iton

Saint-Ouen-sur-ItonSaint-Ouen-sur-Iton mériterait de s’appeler Saint-Ouen-sur-Maire, mais le nom était déjà pris. Ce village de l’Orne dédié au grand saint normand (Saint-Ouen de Rouen, et merci de faire rimer les deux, quand bien même vous seriez un habitué des puces de « Saint-Ouin »), ce village donc a eu un maire un peu spécial, et si la canonisation existait pour les premiers magistrats des communes, nul doute qu’il aurait été sur les rangs.
Voilà longtemps que j’avais envie d’y aller car Saint-Ouen-sur-Iton est célèbre pour une particularité architecturale, ses cheminées qui tire-bouchonnent. Elles font un tour, ou deux, voire trois pour les plus folles, et cela donne un côté fantaisiste et inattendu aux maisons.
C’est très charmant, mais ce n’est pas ce qui surprend le plus sur la place du village. Non, ce qui cloue les visiteurs, c’est l’envahissante présence d’un maire au long cours disparu depuis un siècle, Désiré Guillemare. Il n’a pas seulement sa rue, il a sa statue, sa colonne monumentale, et bien sûr une tombe qui vaut le détour dans le cimetière municipal.
Un peu imbu de lui-même, le bonhomme ? On serait tenté de le croire, et puis on se met à lire les textes interminables qui accompagnent les monuments, et l’image qu’on se fait de ce maire du 19e siècle s’affine jusqu’à devenir involontairement touchante.
Quand Désiré Guillemare arrive aux affaires, en 1852, Saint-Ouen compte 400 habitants répartis en plusieurs hameaux. L’ambition, le désir de Désiré est de créer un bourg là où il n’en existait pas. En rase campagne, entre Verneuil-sur-Avre et l’Aigle, le maire va jouer à Sim City avant l’heure, en vraie grandeur et le plus souvent avec ses deniers.
Selon « Ouest-France », Guillemare était rentier, fils unique d’agriculteurs aisés, et propriétaire d’un commerce de bois. Il a du temps, quelques moyens, le sens du bien commun et sans doute l’angoisse sourde de laisser une trace de son passage sur la terre.
Alors il bâtit : une mairie et une école, des lavoirs, il trace et répare des chemins, il obtient une halte (de chemin-de-fer je suppose) et des ponts… Et pour tout cela il se démène, réclame des subventions, lance des souscriptions avec promesse (tenue) de faire graver les noms des généreux donateurs, il négocie pour éviter les dommages dus à la guerre.
Comme son énergie est inépuisable, il s’occupe de tout, il sponsorise le concours de labourage, il ouvre des carrières pour pallier le chômage hivernal, il établit un cimetière, une compagnie de sapeurs-pompiers, un bar-tabac, un théâtre « pour les pauvres », un jeu de boules, il offre une horloge pour la mairie, il va jusqu’à instituer une fête de la rosière qu’il dote, naturellement. Et encore, interminablement classés par ordre chronologique, des chemins, des chemins, des chemins…
Lui-même arrive au bout du sien et se prépare à passer de l’autre côté. Je ne sais pas s’il a eu des descendants ou s’il a légué tous ses biens à la commune, notamment la mairie qui était « sa demeure » comme l’indique une carte postale. Tout comme l’école, le maire avait fait construire la mairie à ses frais et percevait un loyer. Les affaires communales et les siennes propres étaient décidément bien emmêlées.
A la fin de son parcours, donc, Guillemare se préoccupe de sa gloire. Il est décoré. Il organise l’inauguration en grandes pompes du village. Il devient doyen des maires de France, indéfectiblement réélu pendant 52 ans jusqu’à sa mort à l’âge de 84 ans. Et il a cette idée extravagante de la colonne à sa gloire.
Quand je dis colonne, ce n’est pas tout à fait cela. C’est un phare Sollerot. Du haut de ses quatorze mètres, il éclairait la place du village à l’acétylène dès 1897. Mais le monument n’a rien d’un phare, c’est un empilement de niches ornées de statues naïves glorifiant le maire.
Sur la fin, Désiré Guillemare s’est préoccupé davantage de l’église. Il lui a offert une cloche, des bancs, un harmonium, a fait paver le choeur… Ses obsèques ont certainement eu toute la solennité requise. Post-mortem, Guillemare a même fait une surprise à ses concitoyens : sa statue grandeur nature, qui a l’air d’être en bronze, a été dévoilée le jour de son enterrement. Comme s’il avait voulu dire à ses administrés : « Je ne vous quitterai pas. »
Peut-être croyait-il aux forces de l’esprit, comme François Mitterrand. De fait, on a l’impression qu’il est toujours là.

Biotropica

BiotropicaIl neige sur Giverny… Juste le temps qui donne envie d’aller visiter Biotropica, la grande serre zoologique ouverte depuis septembre à Val de Reuil, entre Vernon et Rouen.
A l’entrée, on vous invite gentiment à laisser le manteau au vestiaire. C’est une précaution qui s’impose, car il fait une chaleur moite très dépaysante dans la serre, grâce à des brumisateurs et des averses artificielles.
Bien à l’abri dans cette immense verrière, des plantes tropicales assurent le décor, bananiers, caféiers, papayers… et beaucoup d’autres, étranges et inconnues.
Un parcours thématique conduit devant des cages, des aquariums, des vivariums, peuplés d’animaux choisis pour leur aspect spectaculaire et leur rôle dans l’histoire de l’évolution.
Parfois on peut même entrer dans les volières.
Trois fois par jour, le public est invité à nourrir les loriquets. Ces petits perroquets chamarrés sont friands de nectar de fleurs, qu’on leur sert dans des cuillères.
Un loriquet perché sur votre tête, trois autres accrochés à votre bras qui attendent leur tour, vous vous appliquez à ne pas renverser le précieux nectar, tout en admirant les couleurs extraordinaires de ces oiseaux, et la vitesse à laquelle le premier lape le contenu de la cuillère, sans en laisser une goutte pour les suivants. Vous vous sentez timide, maladroit, vous réalisez seulement à quel point vous aimez cette intimité avec les oiseaux.
Chaque jour de nombreuses animations sont proposées, du côté des loutres, des alligators ou des poissons… En saison, la visite se poursuit à l’extérieur. Si j’arrive à m’échapper cet été, j’irai voir le Territoire australien et le lac des Pélicans.

Le château du Champ de Bataille

Le château du Champ de BatailleA une heure de Giverny, le château du Champ de Bataille étale sa magnificence inspirée de Versailles en pleine campagne, dans la plaine du Neubourg. 38 hectares de parc qui déclinent bosquets, labyrinthe, pièces d’eau, broderies et topiaires, statues à l’antique et fabriques, serres et potager… Tout cela par la volonté d’un seul homme, le propriétaire des lieux Jacques Garcia, décorateur aussi prisé que passionné.
38 hectares magiques, et pas âme qui vive. En ce moment les appartements du château n’ouvrent que le week-end, si bien qu’en semaine, quand seul le parc est accessible, il n’y a personne. Le prix d’entrée élevé (12 euros pour les jardins) y est peut-être aussi pour quelque chose.
C’est une expérience extraordinaire que ce Versailles contemporain pour soi tout seul. Garcia a mêlé le grandiose et l’inventivité, le très proche et le lointain, la poésie et une touche d’ésotérisme, le jeu et l’exotisme, l’opulence et l’épure.
On joue à se perdre dans les bosquets impeccablement taillés, on guette la prochaine surprise nichée dans la charmille.
Le long des bassins, des baignoires empire abritent des jets d’eau.
Partout des sphinges, des déesses aux courbes sublimes, et des détails dorés, comme les énormes grenouilles qui tiennent concile sur les marches du plan d’eau.
Le retour ressemble à un voyage, avec des escales en Asie, en Grèce, en Italie peut-être, et un dernier point de vue sur un impressionnant alignement d’agaves en pots. C’est un jardin qui sait surprendre.

Le pont de Mantes

Le vieux pont de Mantes-la-Jolie Quand on franchit la Seine de Mantes-la-Jolie à Limay, l’élégant pont de pierres qui subsiste presque intact sur un bras du fleuve attire le regard. Avec sa pittoresque petite maison à l’extrémité, il a un air familier : c’est le modèle d’un célèbre tableau de Corot conservé au Louvre, popularisé par la philatélie.
Le tableau se nomme Le pont de Mantes, mais pont de Limay serait plus juste. C’était l’autre partie du pont, entre l’île et Mantes-la-Jolie, qui s’appelait le pont de Mantes. Passons. Corot, dont on a déjà du mal à savoir s’il se prénommait Camille ou Jean-Baptiste, n’est pas entré dans ces subtilités.
Mantes-la-Jolie se trouve en Île de France à une cinquantaine de kilomètres de Paris, assez près pour que soit organisée depuis 1935 une marche nocturne Paris-Mantes qui réunit plus de trois mille sportifs le dernier dimanche de janvier. Le pont de Mantes, Camille Corot
Et Mantes se trouve bien loin de Nantes, en Bretagne, sur la Loire, à qui le tableau de Corot est parfois attribué, par contagion sans doute avec la fameuse chanson « Sur le pont de Nantes, un bal y est donné ». Mais Mantes n’est pas davantage Avignon, pas de bal donné sur le pont, pas de chanson et pas de tragédie, non.
C’est paisible, Corot, c’est pour ça qu’on l’aime. Pour cette lumière argentée qui enchante le paysage, pour ses arbres brumeux, fumeux, pour ses architectures solides et douces. Et pour ses petits personnages à bonnets rouges qui viennent donner de la vie au paysage, à la manière classique.
La photo n’est pas prise sous le même angle que le tableau. Le peintre devait se trouver en diagonale par rapport au pont, sur l’île aux Dames. On reconnaît tout de suite la curieuse maison du passeur. Le bâtiment du milieu, sans doute un moulin, a disparu. Le pont lui-même a été endommagé par le Génie français en 1940 et n’a pas été reconstruit.
Les arches paraissaient plus hautes quand Corot les a peintes. C’est que le niveau de la Seine, depuis qu’elle est aménagée, canalisée presque, a monté. On peut se figurer sous la surface les belles arches de pierre, ce qui donne une idée de la profondeur actuelle du fleuve, autour de cinq ou six mètres me semble-t-il. Difficile aujourd’hui d’imaginer que nos lointains ancêtres pouvaient, en été, trouver des endroits pour passer à gué.
Mais revenons au tableau. Corot a séjourné fréquemment à Mantes, et il aimait tellement ce paysage qu’il l’a peint plusieurs fois. Mais pourquoi s’installer sur l’île plutôt que sur la berge de Limay, où la vue sur le pont est plus dégagée ?
Mon hypothèse est que c’est à cause des arbres, justement. Le vrai sujet du tableau, si je peux hasarder cette interprétation, ce n’est pas le pont, ce sont les deux arbres au premier plan, en plein milieu de la composition. Regardez comme celui de droite, plus fin, moins massif que celui de gauche, ondule langoureusement.
On dirait un couple qui se rapproche de plus en plus, et on ne peut s’empêcher de penser qu’il y a une histoire d’amour là-dessous, peut-être entre Corot et la tante d’un de ses amis d’enfance, une certaine Madame Osmond qui habitait Mantes et portait un prénom à faire rêver : Parfaite.

Un millénaire et demi

Verrière de l'église Saint-Louis à PoissyUn millénaire et demi, un tel anniversaire n’arrive pas tous les jours. Et pourtant on vient de célébrer les mille cinq cents ans de la mort de Clovis dans l’indifférence quasi générale, hormis à Soissons où Clovis est une star, bien entendu.
L’affaire remonte, donc, au 27 novembre 511. Après une vie trépidante et un règne mené au grand galop, le roi des Francs décède à 45 ou 46 ans. Il est inhumé dans une église qu’il a fait construire avec son épouse la pieuse Clotilde, l’église des Saints-Apôtres. Elle ne tardera pas à devenir l’abbatiale Sainte-Geneviève, dans l’actuel quartier latin. Geneviève est contemporaine de Clovis : la patronne de Paris, si déterminée face à Attila et ses Huns, meurt en 512.
Il s’en passe des choses en quinze siècles. L’abbatiale a disparu, de l’abbaye il reste une tour dénommée la tour Clovis, juste derrière le Panthéon. C’est un hommage posthume : la tour elle-même ne date que du 12e siècle.
Cette tour Clovis règne aujourd’hui sur le lycée Henri IV, et c’est un privilège d’être autorisé à y monter. Le lycée lui-même s’élève rue Clovis, c’est bien le moins.
Si la mort de Clovis n’émeut guère, en revanche son baptême a marqué les esprits. Son mille cinq centième anniversaire avait lieu à la Noël 1996.
Et oui, c’était hier ou presque. Un rapide calcul rappelle que pour une fois, la date du baptême ne correspond pas à celle de la naissance. Clovis, païen, s’est converti au catholicisme à l’âge adulte.
Une verrière de la collégiale de Poissy rapproche dans ses trois lancettes le baptême de Clovis, celui du Christ et celui de Saint-Louis. A gauche, on voit le roi franc, les pieds dans une piscine, en train d’obéir à l’injonction de saint Rémi, à Reims : « Courbe la tête, fier Sicambre ! »
Au milieu, c’est Jésus baptisé par saint Jean-Baptiste dans le Jourdain.
A droite, bébé Louis IX est porté sur les fonts baptismaux en l’église de Poissy.
Un tel rapprochement donne à méditer. A première vue, il me choque. Si je peux comprendre la présence de Louis IX, canonisé, aux côtés de Jésus – et déjà avec réticence quand on pense à son intolérance à l’égard des juifs – que Clovis, ce roi brutal, sanguinaire, opportuniste soit élevé à cette dignité, voilà qui surprend !
C’est que Clovis, par son baptême, a été le premier roi des Francs à appuyer le pouvoir monarchique sur le pouvoir ecclésiastique. Saint-Louis s’inscrit dans cet héritage. Son prénom même, Louis, est dérivé de Clovis.

Les vignes du Seigneur

Abbaye de Boscherville, Seine-MaritimeCette abbaye romane qui se dresse derrière des rangées de ceps de vigne n’a pas été photographiée en Bourgogne, mais bien en Normandie. Elle se trouve à quelques kilomètres de Rouen dans l’une des boucles de la Seine qui serpente paresseusement jusqu’à la mer, ponctuée d’abbayes le long de son parcours. C’est l’abbaye Saint-Georges de Boscherville.
Il n’y a plus de communauté religieuse en activité ici. Pour cela, il faut aller à Saint-Wandrille ou au Bec-Hellouin. Mais une association très active restaure et entretient les lieux. Les jardins de l’abbaye, en particulier, ont été entièrement recréés, y compris les vignes, qui fournissaient autrefois le vin de messe.
On dit pis que pendre du vin du val de Seine. Non loin de là, à Jumièges, celui de Conihout faisait l’objet de ce distique définitif :

De Conihout ne buvez pas,
car il mène l’homme au trépas.

Le vin de Vernon, Giverny ou Saint-Marcel, nommé le cailloutin, n’était guère meilleur. On dit qu’il fallait trois mains pour boire le vin normand : une pour tenir le verre, et deux pour s’accrocher fermement à la table pour ne pas s’écrouler.

Tout cela, c’est du passé ! J’ai goûté cette semaine un raisin incroyable à Boscherville.
En me voyant prendre la photo, le viticulteur qui peaufinait l’entretien du clos avant la vendange m’en a proposé une grappe : surprise, les grains étaient gorgés de sucre et de saveur.
Le muscat de Hambourg est réputé pour fructifier très au nord. Le vigneron m’a assuré qu’il demande peu de traitement, juste un peu de bouillie bordelaise. Peut-être que le vin qu’on en tirerait ne serait pas exceptionnel, mais comme raisin de table, cueilli à point, il surpasse celui qui nous arrive du sud au terme d’un long voyage.

Chapelle Saint-Martin

Chapelle Saint-Martin de Château sur EptePeut-être cette photo vous dit-elle vaguement quelque chose. J’avais été intriguée, il y a plus d’un an, par cette chapelle tronquée, et vous avais fait part de mes conjectures.
Samedi dernier, j’ai découvert le fin mot de l’histoire de cette église, à l’occasion d’une journée de formation en compagnie d’un archéologue. Une histoire encore plus étonnante que ce que j’avais pu imaginer.
Cette chapelle s’élève à Château-sur-Epte et se nomme chapelle Saint-Martin. Une dédicace à Saint-Martin indique en général un édifice très ancien. C’est le cas ici.
Remontons à la fin du 11e siècle, vers 1096. Guillaume le Roux, fils de Guillaume le Conquérant et duc de Normandie, a décidé de construire un château-fort pour défendre la frontière de son domaine avec le royaume de France. Au sommet du coteau qui domine l’Epte, à 1,5km de la voie romaine, il fait élever une motte castrale surmontée d’une tour. La forteresse prend le nom de Château-sur-Epte. Elle se dresse à huit cents mètres d’un village regroupé autour d’une église paroissiale, notre chapelle Saint-Martin, une église complète plus grande qu’aujourd’hui.
Le duc est tué dans un accident de chasse, et c’est son frère Henri Ier Beauclerc qui lui succède. Le nouveau duc décide que la forteresse de Château sur Epte doit être entourée d’un village, lui-même fortifié. Comment remplir ce bourg castral ? C’est simple : d’une main ferme qui manie la carotte autant que le bâton, le duc va obliger les habitants de la paroisse Saint-Martin à déménager.
Voilà donc tout le village de Château-sur-Epte qui se translate de huit cents mètres. Le duc est content, il va pouvoir contrôler la production des artisans, les ventes sur les marchés, et percevoir des taxes qui serviront à entretenir le château.
Les habitants, de leur côté, sont peut-être moins enthousiastes. Car leur église n’a pas suivi le mouvement, elle est restée à son ancien emplacement. Et les fidèles de multiplier les aller-retour entre le bourg et la chapelle, maintenant perdue au milieu des champs.
Les navettes ont duré aussi longtemps que la chapelle est restée église paroissiale, jusqu’au 19e siècle. Puis elle a été abandonnée et elle est devenue une carrière de pierres. Il n’en reste plus que l’abside et une partie du choeur, tout le reste a été démoli.
Pour étayer son hypothèse concernant le déplacement du village, notre archéologue nous a raconté qu’autour de la chapelle on trouve fréquemment, à l’époque des labours, des fragments de céramiques datant du 10e au 12e siècle, et jamais au-delà. C’est le signe de la présence d’un village à cet endroit, puis de sa disparition.

Dentelle de Normandie

Dentelle ancienne Notre époque n’a pas inventé le bling-bling. Il faut croire que montrer qu’on a des sous est une nécessité de la nature humaine. Bien avant les yachts et les Rolex, le 17ème et le 18ème siècle ont eu la rage de la dentelle.
C’est somptueux, la dentelle. Celle que l’on produisait autrefois en Normandie est d’une stupéfiante finesse, avec des détails si minuscules qu’il faut la loupe pour les apercevoir. Chaque pièce est un chef-d’oeuvre de dextérité et de minutie.
Si la dentelle a été un tel must, c’est parce que c’est très beau et aussi parce que c’est très cher ; son prix en faisait la valeur, si j’ose dire, la marque du statut social.
Quand on essaie d’imaginer le prix d’une pièce de dentelle sous Louis XIII ou Louis XIV, on est généralement en dessous de la réalité. Un beau mouchoir que les élégants tenaient à la main valait 700 grammes d’or : 14 000 euros ! Plus précieux qu’un bijou.
Le prix horriblement élevé vient un peu de la cherté de la matière première, des fils de lin, de coton ou de soie très très fins et de la meilleure qualité, mais surtout de la main d’oeuvre et des intermédiaires. Même sans les charges, il fallait quand même payer les dentellières, et elles y passaient du temps, les pauvres.
La fabrication de la dentelle est d’une lenteur désespérante. 15 à 25 heures pour un centimètre, paraît-il, selon la difficulté du motif. Ce qui revient à dire qu’en une journée de 7 heures on fait entre 3 et 5 millimètres.
Elles ont été des dizaines de milliers à s’y atteler, à ce patient labeur de fourmi. Des armées de dentellières levées dans les provinces, puisque la fabrication de la dentelle portée à la ville par les riches était délocalisée à la campagne, notamment en Basse-Normandie. Et tous ces yeux et tous ces doigts agiles entraînés dès l’âge de la maternelle ont produit des flots de dentelles qui sont allés orner les cols, les poignets, les mouchoirs, et jusqu’aux carrosses et aux harnachements des chevaux.
Dans la course aux signes extérieurs de futilité et de richesse, les aristocrates du Grand Siècle sont allés très loin. Ils importaient tant de dentelles de Venise qu’ils en déséquilibraient la balance du commerce extérieur. Pour que tous ces beaux capitaux profitent à la richesse du royaume, Colbert a pris des mesures radicales. Il a fondé des manufactures royales de dentelles où l’on a d’abord copié ce qui se faisait de mieux en Italie, puis créé des points nouveaux hallucinants de délicatesse.

Il nous reste de ce prestigieux savoir-faire des noms célèbres : dentelle de Bayeux, Blonde de Caen, point d’Alençon… Les villes dentellières normandes se sont réunies dans une route des dentelles qui sillonne trois départements, allant d’Alençon, Argentan et La Perrière dans l’Orne à Bayeux, Courseulles et Caen dans le Calvados, avec un crochet par Villedieu les Poëles dans la Manche.
Au fil des musées on se familiarise avec les techniques, dentelles à l’aiguille, aux fuseaux ou au filet. Et l’on reste soufflé par les jonchées de pivoines et de roses que les dentellières ont fait naître du bout de leurs doigts, et qui témoignent encore aujourd’hui de la maîtrise absolue qu’elles avaient de leur art. Celles qui savaient créer ces merveilles avaient plus de prix que les personnes qui les ont portées.

Je crois que la dentelle photographiée ci-dessus est normande, mais sans en avoir la certitude. Si vous pouvez m’aider à la localiser, un grand merci d’avance.

Château d’Anet

chateau d'AnetIl n’y a pas que dans le val de Loire que l’on trouve des châteaux Renaissance ! A Anet, à une quarantaine de kilomètres de Giverny, on peut en visiter un qui a été construit au bord de l’Eure pour les beaux yeux de Diane de Poitiers, favorite du roi Henri II.
La demeure a le charme des châteaux habités par leurs propriétaires, patiemment meublée et décorée dans le style du 16e siècle. On y perçoit tout le faste et le raffinement de la Renaissance.
Les décorateurs ont décliné ici les symboles liés à Diane, déesse de la chasse. Un exemple ? Le portail d’entrée est orné d’une pendule. A l’époque où Diane de Poitiers était la maîtresse des lieux et du roi, les statues qui surmontent la pendule étaient des automates. Le cerf frappait du sabot pour marquer les heures tandis que les chiens aboyaient.

Collégiale de Mantes-la-Jolie

Collégiale de Mantes-la-JolieMantes-la-Jolie peut s’enorgueillir de posséder une superbe collégiale. Guillaume le Conquérant ayant incendié le précédent sanctuaire juste avant de mourir (il n’a pas dû l’emporter en paradis !), une nouvelle église est bâtie à partir de 1170, près d’un siècle plus tard.
On a pris le temps de la réflexion, mais une fois lancé le chantier va assez vite. La collégiale est pour ainsi dire achevée en moins de cent ans.
La façade est inspirée du gothique rayonnant parisien. Le plus admirable, c’est cette colonnade qui ajoure le ciel d’Ile de France, ces tours si légères, ouvertes aux quatre vents.
Sauf que, à propos des tours… Seule celle de droite, la tour sud, date du 13ème siècle. L’autre, la tour nord, en est à sa troisième mouture. On ne sait pas exactement à quoi elle ressemblait au départ, en 1266. Etait-elle identique à sa voisine ? On l’ignore parce qu’elle menaçait ruine et qu’il a fallu la reconstruire à la fin du 15ème, une époque où le style flamboyant domine.
Pendant trois cent cinquante ans les Mantais ont eu sous les yeux deux tours dissemblables. Ils s’en accommodaient fort bien, comme les Chartrains. Et puis vers 1850 est arrivé un certain Alphonse Durand, architecte de son état.
Sans doute inspiré par les principes de Viollet-le-Duc, il a jugé bon de donner plus d’harmonie à la façade en reconstruisant la tour nord en tous points symétrique à sa jumelle.
C’était comme cela que l’on envisageait les restaurations, au 19ème siècle. On « améliorait », on pastichait, on finissait l’inachevé, sans toujours très bien comprendre l’architecture d’origine. Cette désinvolture a fait de belles catastrophes, à Louviers ou à Evreux notamment. Ici, à Mantes, il est bien dommage que l’on ait perdu la tour du 15ème, mais la restauration du 19ème se laisse oublier et le résultat est agréable à l’oeil.

Tour Saint-Martin

La Tour Saint-Martin à Mantes-la-Jolie, FranceIl y a des tours d’enceintes moyenâgeuses qui font les faraudes sous les feux de la rampe tous les soirs, enfilées comme des perles le long d’un rempart caressé par les projecteurs. Des monuments choyés, bichonnés et pomponnés, habilement restaurés par des entreprises hautement qualifiées.
Et puis il y a les tours oubliées au fond des cours, toutes monuments historiques qu’elles soient.
C’est une surprise délicate pour le promeneur de découvrir par hasard l’une de ces vieilles dames endormie dans son coin. Elle a l’air de s’être trompée d’époque. Elle se demande peut-être ce qu’elle fait là, dans ce parking réservé à la clientèle. Pour le passant, c’est l’irruption d’un témoin d’un autre âge dans notre monde actuel, une impression qui peut être plus forte que devant un monument soigneusement mis en valeur qui a toujours un petit côté déco.

A Mantes-la-Jolie, la tour Saint-Martin défie le temps dans une arrière-cour à l’écart des flux touristiques. Elle semble à l’abandon, mais elle n’est pas ignorée pour autant, un panneau explicatif renseigne le promeneur qui aurait l’idée de diriger ses pas de ce côté, peut-être en suivant l’itinéraire de la promenade Saint-Maclou proposée par la ville.
Autrefois la tour faisait partie des remparts qui protégeaient les habitants de Mantes, elle gardait la Porte aux Saints voisine et le prieuré Saint-Martin qui lui a donné son nom. Elle date du 15ème siècle.
Pourquoi, quand on a démantelé l’enceinte, a-t-on conservé cette tour ? Mystère !
Le palimpseste n’a pas été tout à fait gratté, il reste des traces déchiffrables qui nous rappellent que nous ne sommes pas les premiers à marcher à cet endroit.
Si cela pouvait nous aider à nous souvenir que nous ne serons pas les derniers non plus…

Châteaux de la Loire

ChenonceauLes châteaux de la Loire sont à trois heures de route de Giverny. C’est une excursion envisageable sur la journée à condition d’être assez motivé pour se lever tôt, rouler beaucoup et rentrer tard. Mais avec toutes ces merveilles à l’horizon, qui s’en soucie ?
Quand la décision est prise il reste à savoir quels châteaux on va aller voir. Comme devant le chariot de desserts, il faut choisir. Certains, fort tentants, il faudra pourtant les laisser de côté. On se promet qu’on y reviendra.
On peut faire un choix kilométrique : les plus proches seulement, mais à quelques minutes près est-ce bien raisonnable ? Ou se laisser séduire par les superlatifs : Chambord le plus grand, Cheverny le plus meublé, Chenonceau le plus féminin…
A chaque fois l’ambiance est différente. On aime les châteaux de la Loire parce qu’ils ont chacun leur personnalité, leur âme. Ils sont enfilés comme des perles le long des rivières, mais des perles qui ne se ressemblent qu’un peu.
On les aime aussi pour leur audace, leur raffinement, leur originalité.
Et parce qu’on s’y verrait bien, pour un temps, châtelain ou châtelaine…

Henri IV

Henri IVDeux villes proches de Vernon sont liées à l’histoire du roi de France Henri IV : Rosny sur Seine, près de Mantes la Jolie, est la ville natale de son ministre des Finances Sully. Et surtout, dans la vallée d’Eure, Ivry a vu se livrer une bataille décisive, qui a valu a la petite cité de devenir Ivry-la-Bataille.
C’est à Ivry que le courageux roi aurait prononcé son célèbre « ralliez-vous à mon panache blanc » qui a inversé le cours de la bataille.
C’est peut-être parce qu’Ivry commence par IV que cette victoire a ouvert à Henri IV la voie vers Paris…

Départ pour Hastings

Guillaume le Conquérant partit de Saint-Valéry sur Somme pour envahir l'AngleterreLa Normandie, et tout particulièrement le Calvados, cultive le souvenir de son grand duc Guillaume le Conquérant. Du château de Falaise où il est né à celui de Caen dont il a fait sa capitale, la dotant de deux abbayes, en passant par la Tapisserie de Bayeux qui célèbre ses exploits, Guillaume a laissé une empreinte encore bien visible un millénaire plus tard.
Mais il est plus étonnant qu’hors de Normandie, une autre ville lui rende un hommage appuyé. C’est le cas de Saint-Valéry-sur-Somme. Comme son nom l’indique, la ville est située dans le département de la Somme, à deux heures trente de Giverny.
Bien qu’elle soit devenue station balnéaire au début du siècle dernier, cette très ancienne cité a conservé un fort caractère médiéval.
L’histoire raconte que c’est dans son port que la flotte normande partie de Ouistreham Dives-sur-Mer, près de Caen, a fait une longue escale dans l’attente des vents d’est (pas si fréquents) qui lui permettraient de faire voile vers l’Angleterre, avec armes et bagages. Stèle et bas-reliefs rappellent cet événement.
L’autre héroïne locale reliée à la Normandie n’est autre que Jeanne d’Arc qui, prisonnière, fit un passage à Saint-Valéry-sur-Somme avant d’être conduite à Rouen.

Le Grand Orgue de l’abbaye de Juaye-Mondaye

Le Grand Orgue de l'abbaye de Juaye-Mondaye, Calvados« Vous pouvez dire que c’est le plus beau buffet d’orgues de France ! Ou au moins de Normandie ! » Le frère de l’abbaye de Juaye-Mondaye qui fait visiter son église n’est pas peu fier de l’instrument qui s’élève au fond de la nef. Il faut reconnaître qu’il y a de quoi.
L’orgue de Mondaye a été construit en 1741, par un facteur d’orgues du nom de Claude Parisot. Le buffet lui-même est de Melchior Verly. Le sculpteur a su donner le meilleur du style Louis XV, alors à son apogée. L’ensemble est « une oeuvre unique par l’équilibre et l’élégance, la richesse et la profusion de son ornementation, le mouvement général du dessin, le détail fouillé, pittoresque et quasiment ciselé » selon le site de l’abbaye.
C’est une envolée d’anges musiciens, conduits à la baguette par un ange chef d’orchestre. Toute cette troupe ailée joue du cor, de la trompette, du violon, de la harpe, du tambour… des instruments que les tuyaux de l’orgue reproduisent à merveille.
L’orgue anime la messe dominicale dans l’église que se partagent la communauté des Prémontrés et la paroisse de Mondaye. Mais on pourra aussi l’entendre chanter lors du 6e Festival de musique sacrée Mondaye-en-Musiques du 12 au 27 mai 2007.

Miniatures de maisons normandes

La maison de la rue des cuisiniers à Bayeux, collection de miniatures des maisons Gosselin, prieuré de Graville, Seine-MaritimeTout à côté du Havre, le prieuré de Graville s’élève au-dessus de l’estuaire de la Seine. Depuis mille ans, on y vénère Sainte Honorine, dont les reliques auraient séjourné, dit-on, dans un sarcophage toujours visible dans l’église. Un trou circulaire a été pratiqué dans le cercueil de pierre pour que l’on puisse passer la tête à l’intérieur, ce qui était réputé guérir de la surdité.
La visite du prieuré est un régal d’architecture romane, tout en équilibre. Une très importante collection de statues à thème religieux – mobilier d’église, figures de proue, sculptures de maisons – en augmente encore l’intérêt. L’une à côté de l’autre s’alignent des représentations de la Vierge, toujours un visage doux et grave dont les traits évoluent avec les siècles.
Tout cela suffirait amplement à une belle visite, d’autant qu’on peut aussi se promener dans le jardin belvédère, le vieux cimetière et au pied de la Vierge Noire monumentale. Mais voilà qu’on vous annonce qu’il reste quelque chose à voir sous les combles, au deuxième étage. Inattendue, à croquer, voilà la cerise.
C’est l’oeuvre d’une vie, réalisée avec minutie par un instituteur passionné. Jules Gosselin (1863-1936) a fabriqué de ses mains plus de 200 maquettes de maisons. Il a commencé par la demeure familiale, puis des maisons normandes ont suivi. Progressivement, d’après gravures, il s’est lancé dans un véritable panorama de l’habitat humain à travers les âges et les continents, de l’abri sous roche à la pagode chinoise.
Ses réalisations, assez grandes pour être pédagogiques, ont un charme extrême, une réelle présence qui vient à la fois de la finesse d’exécution de la maquette et de la qualité architecturale du bâtiment qui a servi de modèle.
En mettant en oeuvre l’extrême habileté de ses mains, Gosselin rend, intentionnellement ou non, hommage au génie du genre humain.

Place de la Concorde

Paris, L'Obélisque de la Place de la Concorde et la Tour EiffelC’était la journée la plus frigorifiante depuis le début de l’hiver, en dépit du soleil. La bise ratissait les rues de Paris de son peigne glacé, faisant rougir les oreilles, gelant les doigts et traversant les manteaux. Pas vraiment le temps idéal pour patienter en plein vent à l’entrée de l’Orangerie… Mais à la sortie, par ce temps clair, la place de la Concorde était toute poudrée d’or.
Ici aussi la perspective s’amuse avec le spectateur. Elle fait paraître l’Obélisque plus grand que la Tour Eiffel ! La majestueuse statue a l’air d’arbitrer le match, juchée en haut de sa chaise, comme au tennis.

Le pont de Normandie

Le pont de NormandieLe pont de Normandie a emprunté leur silhouette aux grands voiliers. Ses haubans s’étirent en lignes parallèles comme les cordages des trois mâts qui se glissent sous son tablier à chaque Armada, le grand rassemblement de voiliers anciens qui a lieu tous les quatre ans à Rouen.
Ici, entre Honfleur et le Havre, la Seine se confond déjà presque avec la mer. Le pont de Normandie est le dernier qui la franchit avant son embouchure. Il a fallu sept ans pour le construire, et le moins que l’on puisse dire est que cela n’a pas été simple d’aller chercher un appui pour les deux pylônes, l’un sur la rive, l’autre les pieds dans l’eau.
C’est le pont de la démesure. Au moment de sa construction, en 1995, il était le plus grand du monde dans sa catégorie, les ponts à haubans. De bout en bout, il fait deux bons kilomètres (2141m exactement), dont 856 mètres entre les deux pylônes.
Dans ce paysage ouvert, il est difficile d’apprécier les distances. Les pylônes, par exemple, mesurent 214 mètres de haut, à comparer avec les 324 mètres de la tour Eiffel. Détail significatif : la rotondité de la Terre est perceptible entre le haut et le bas des pylônes, leurs sommets sont distants de 4 cm supplémentaires par rapport à leurs bases.
Au milieu du pont, on surplombe la Seine de 60 mètres, la hauteur du premier étage du monument parisien. La comparaison ne s’arrête pas là : comme lui, le pont bénéficie, la nuit, d’une mise en lumière superbe.

Allée couverte de Dampsmesnil

L'allée couverte de Dampmesnil, dans l'Eure, le jour du solstice d'hiverSaviez-vous que la région de Giverny possède un remarquable mégalithe, une allée couverte, à Dampmesnil ?
La balade démarre par une grimpette de cinq minutes en sous-bois. Les hommes de la préhistoire sont allés construire leur sépulture au sommet d’une colline qui surplombe la vallée de l’Epte. Quand vous commencez à être essoufflé, ouf, le chemin oblique à gauche et devient plat. Encore quelques pas et vous y êtes.
C’est à peine une clairière. Des blocs de rochers sont alignés en deux rangées parallèles, à moitié enterrés, sur six mètres de long. Une énorme dalle forme un toit. L’ensemble rappelle les dolmens. On voit encore la base de la pierre qui fermait la chambre funéraire, percée d’un trou rond pour le passage d’un homme. Juste à côté de l’entrée, insolite, un visage est gravé dans la pierre.

Cette allée couverte est là depuis 4000 ans. Au néolithique final, des agriculteurs ont vécu dans les environs. Il ne reste plus rien d’eux, de leurs huttes, sauf ce mausolée qu’ils ont bâti pour ensevelir dignement leurs morts. Vous essayez de les imaginer ici-même, tous les hommes du clan en train d’unir leurs forces pour déplacer ces blocs de calcaire de plusieurs tonnes. Vous vous sentez plein d’admiration, quand vous réalisez qu’à la même époque, les pharaons se faisaient bâtir des pyramides. A côté, nos ancêtres étaient des rustauds.

S’il fait beau comme aujourd’hui, ne manquez pas de faire cette promenade autour du 22 décembre. En vous plaçant à l’arrière du mégalithe, votre regard suit la même direction que celui des hommes préhistoriques : ils ont soigneusement orienté l’allée couverte face au coucher du soleil au solstice d’hiver. Enfin, presque. Depuis, l’axe de rotation de la terre s’est incliné d’un chouïa, le soleil se couche un peu plus à l’ouest. Ca donne un peu le vertige, de pouvoir visualiser quatre millénaires.

Si j’ai un conseil à vous donner, ce serait de ne pas oublier que vous vous trouvez dans un sanctuaire, et de vous montrer respectueux de ce monument qui nous arrive tout droit de nos ancêtres des âges farouches.
Il y a quatre ans, j’ai eu la chance d’être en contact via internet avec un chercheur écossais qui travaille sur l’orientation des cairns. Ayant vu la page consacrée à l’allée couverte de Dampsmesnil, il voulait savoir si son orientation était la même que ses homologues écossaises.
J’ai profité d’une éclaircie fin décembre pour foncer sur place, me ruer en haut de la colline et surgir derrière le monument mégalithique deux minutes avant le coucher du soleil. Là, j’ai constaté avec une émotion certaine que le soleil éclairait le fond de l’allée, comme en Ecosse, incroyable !
Les mânes des anciens ont-elles ressenti une profanation ? Toujours est-il que lorsque j’ai voulu reprendre ma voiture, elle était embourbée… Et j’ai eu tout le temps de revenir à plus de recueillement, sur fond sonore de cris de chouettes, en attendant que la dépanneuse arrive à la nuit noire !

Les petits secrets du Mont Saint-Michel

Visite guidée du Mont Saint MichelJ’en ai appris de belles sur le Mont Saint-Michel aujourd’hui.
Figurez-vous qu’il y a toute une polémique autour du crâne de Saint Aubert. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Pour la comprendre, il faut revenir à l’origine légendaire du Mont.
Selon la tradition, l’archange Michel (appelé abusivement Saint Michel, mais il semble qu’il ne se vexe pas) s’est dérangé personnellement pour réclamer son monastère.
Il est apparu en songe à l’évêque d’Avranches, Aubert. Avranches, vous savez, c’est la petite ville merveilleusement située sur un promontoire au-dessus de la baie du Mont Saint-Michel.
Donc, Aubert rêve que l’archange lui demande de lui bâtir une église sur le mont Tombe, l’ancien nom du Mont Saint-Michel. Mais au réveil, l’évêque doute : était-ce vraiment un message archangélique, ou un effet de son imagination ? La nuit suivante, Aubert refait le même rêve. Et doute toujours au réveil. Alors, l’archange lui apparaît une troisième fois en songe. Et pour mieux se faire comprendre, il touche Aubert.
La légende raconte que l’évêque a gardé toute sa vie une marque de ce contact. Le doigt de l’archange s’est posé sur sa tempe. Pas sur son front, à l’endroit où l’on se frappe quand on a une riche idée. Plutôt sur le côté, là où on fait toc-toc pour signifier un brin de folie. Ceci a son importance.
Oui, car la précieuse relique de saint Aubert, vénérée depuis le Moyen-Âge, existe toujours. Elle se trouve aujourd’hui à Avranches, où l’on peut voir un crâne très ancien, qui présente un défaut à l’os pariétal. Un trou.
Après qu’on eut longtemps crû qu’il s’agissait de la véritable boîte crânienne de l’évêque véritablement touchée par l’archange, la belle histoire a été fichue par terre au siècle dernier. D’après des analystes qui ont examiné l’ossement, il s’agirait plutôt du crâne d’un homme du néolithique ayant subi une trépanation. Récupération et détournement, en somme…
J’en étais restée à cette thèse un peu triste jusqu’à ce matin. Et puis, alleluia ! Amis du merveilleux, réjouissez-vous ! Aux dernières nouvelles, le crâne date réellement de la période de saint Aubert, et il présente des traces de kyste plutôt que de trépanation.
Le 21e siècle sera religieux ou ne sera pas.

Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

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