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La salicaire, une sauvageonne
Voici l’énorme botte violette de la salicaire dans le jardin de Monet, où elle est bien arrosée…
Et voici la salicaire sauvage heureuse d’avoir les pieds dans l’eau au bord de la Seine. La photo est prise en plongée, il est difficile d’estimer la taille de la plante, mais j’ai eu l’impression que la salicaire sauvage soutenait la comparaison avec celle de culture en matière de hauteur et de floribondité. On en voit partout en ce moment au creux des fossés, plus modestes en général.
Orchidée sauvage
Oups ! J’ai failli marcher dessus. Cette petite chose mesure 10 centimètres environ et elle se distingue à peine au milieu des hautes herbes. Mais vu l’endroit – le coteau calcaire au-dessus de Giverny – je regarde où je pose les pieds, car je sais que la prairie est truffée d’orchidées sauvages.
Celle-ci est la première que je vois cette année, mais elle a énormément de soeurs dans ce pré exposé au sud-est. D’autres espèces, moins discrètes, suivront. Elles préparent déjà leurs boutons. Toutes sont protégées.
Je crois qu’il s’agit d’une ophrys araignée, une fleur qui n’a pas eu de chance au moment de son baptême, car elle n’a pas grand chose à voir avec les arachnides. Elle aurait plutôt dû s’appeler l’ophrys andrène, cet insecte qui ressemble à une abeille et vit dans le sol. Dans son très beau blog, le naturaliste Gilles Carcassès explique tout de la stratégie de reproduction de l’ophrys aranifera, des faux phéromones à la fourrure d’imitation, et tant d’habileté dans la duperie laisse sans voix. Comme beaucoup d’autres orchidées sauvages, l’ophrys araignée est une faussaire, bien décidée à se faire passer pour ce qu’elle n’est pas. Et les andrènes foncent dans le panneau !
Fritillaire pintade
Cette petite fleur pousse dans la nature, mais dans l'Eure il faut sûrement beaucoup de chance pour la découvrir, dans les milieux humides. Je n'en ai jamais vu de sauvage, alors qu'elle est courante au bord de la Loire.
Elle a été plantée un peu à l'écart dans les jardins de Monet, mais elle attire l'oeil. Les visiteurs de Giverny s'arrêtent tour à tour pour la nommer dans leur langue.
Pour les francophones, c'est en général une fritillaire pintade, comme le veut aussi son nom botanique fritillaria meleagris, qui signifie à taches de pintade.
Mais à y regarder de près, (c'est-à-dire en comparant avec les petits points blancs qui parsèment le plumage des pintades) son autre nom paraît plus exact : la fritillaire damier, ou en allemand die Schachbrettblume, c'est à dire la fleur échiquier.
Selon la littérature botanique, ces noms existent aussi en anglais (Chess Flower et Guinea-hen Flower). Mais le plus perturbant est celui que m'ont cité les personnes que j'accompagnais : Snake's Head, tête de serpent. Impossible qu'un nom aussi inquiétant se loge dans la mienne… à moins de se souvenir de l'analogie avec les écailles d'un serpent. Si l'on veut. Le plus étrange est que sa graine est très toxique. Vénéneuse, à défaut d'être venimeuse.
Lamier
C’est un peu un challenge d’arriver à photographier des fleurs sauvages dans le jardin de Monet, tellement les jardiniers sont à l’affut. Mais les plantes sont malignes, et il y en a toujours qui trouvent moyen de se glisser entre les mailles du filet, provisoirement du moins.
Monet y réfléchissait à deux fois avant d’arracher les jolies fleurs que la nature met gracieusement à notre disposition (et à celle des papillons), et peut-être que ces lamiers ont bénéficié de la même mansuétude calculée.
Le lamium présente une certaine ressemblance avec l’ortie, mais en version civilisée : c’est un pacifiste qui a renoncé au côté urticant pour le remplacer par des fleurs. S’il a adopté une philosophie peace and love, c’est qu’il veut que vous l’aimiez.
Au naturel les fleurettes sont blanches comme un drapeau de cessez-le-feu, quoi de plus normal.
Mais le lamium a aussi des cousins horticoles survitaminés, plus grands, plus beaux, plus forts, avec des fleurs pourpres à Giverny.
Je ne sais pas si ces cousins bodybuildés donnent des complexes au lamier sauvage, en tout cas la domestication les a rendus un peu ballots. Ils forment des buissons compacts au feuillage dru, si denses que les fleurs ont tendance à disparaître à l’intérieur, au grand dam des humains, et des butineurs.
Les fleurs messicoles
La prairie fleurie du musée des impressionnismes Giverny chatoie de la floraison des plantes messicoles. Sur le vert de la toile de fond percent les rouges vermillon des coquelicots, les bleus des bleuets, le rose des nielles, pour ne citer qu’eux. Dans l’Eure, on a listé 97 espèces de messicoles différentes dont les noms rivalisent de poésie, de l’Adonis d’été à la pensée sauvage.
Les fleurs messicoles sont celles qui accompagnent les moissons. Elles aiment les terres labourées et se reproduisent par leurs graines chaque année. Elles sont différentes des fleurs qui poussent dans les prairies à vaches ou sur les pelouses des coteaux calcaires, où les vivaces dominent. Quand la terre n’est pas travaillée, les plantes qui restent en place toute l’année se développent au détriment des annuelles.
Depuis quelques années, la conscience de la valeur des fleurs sauvages augmente. On a compris qu’elles sont pile adaptées au climat, et en interaction étroite avec les insectes depuis des millénaires : à chaque région sa flore et ses petites bêtes.
Au musée des impressionnismes, le chef-jardinier va herboriser dans les champs pour récolter des graines. Et chaque automne, il retourne la terre de sa prairie.
Le conseil général de l’Eure se préoccupe de la protection des fleurs des champs ; il a même développé un plan d’actions départemental en leur faveur, soutenu par l’Europe. Dans son petit livre en ligne sur les plantes messicoles, il propose des pistes pour les sauvegarder et met en garde contre l’utilisation de mélanges tout faits de fleurs des champs vendus dans le commerce, qui entraînent par croisement la pollution génétique des plantes locales.
Le plan prévoit de créer une banque de graines sauvages locales pour semer des jachères fleuries, de préserver les messicoles là où il en reste, de les étudier pour mieux les connaître. Tous les promeneurs sont invités à partir « à la recherche du bleuet perdu ». Si on repère un bleuet sauvage sur un talus, on le prend en photo et on l’envoie au pôle environnement du Département de l’Eure. Voilà une quête charmante pour les esprits un peu fleur bleue…
Giroflée
Parmi les plantes bluffantes, celles qui vous épatent et vous font dire « mais comment fait-elle ? », la giroflée figure en bonne place.
Chaque année c’est une surprise joyeuse de la guetter dès la fin mars sur les vieux remparts, jaune comme la plupart des fleurs du début du printemps. Quelles acrobaties a-t-elle encore inventées ? Comme un enfant un peu casse-cou qui escalade les murs en ruines, la giroflée semble lancer un regard espiègle du haut de sa muraille. Tu as vu où je me suis faufilée ? fanfaronne-t-elle.
Il lui suffit de presque rien, une anfractuosité minime, et la voilà qui glisse ses racines et paraît se nourrir de l’air du temps. Sobre et frugale, elle se contente de si peu que c’en est déconcertant. Où puise-t-elle la matière première pour fabriquer ses belles touffes de feuilles vertes, ses pétales éclatants ?
La giroflée tire son nom de son parfum de clou de girofle. Pour les anglophones, c’est une fleur des murailles : a wallflower. Quand on l’a vu une fois pousser en fleur spontanée, le nom sonne comme une évidence.
A Château-Gaillard, où il est beaucoup question d’histoire, de faits d’armes et autres brutalités, j’aime bien parler aussi un peu des fleurs sauvages. C’est à cette occasion qu’un visiteur m’a appris l’autre sens de wallflower en anglais. L’expression désigne une jeune fille que personne n’invite à danser, et qui reste désespérément le long du mur. Une de celles qui, chez nous, faisaient tapisserie. Il semble que l’expression fait toujours florès dans le milieu scolaire pour désigner un élève en retrait des autres.
A Giverny, c’est encore la grande époque des giroflées. Les jardiniers les plantent en masse pour l’effet coloré qu’elles apportent. Les cultivars modernes offrent des coloris étonnants qui varient jusqu’au mauve en passant par tous les tons d’orange.
Les pieds dans la bonne terre et arrosées en abondance, les giroflées cultivées en rajoutent en hauteur et en largeur par rapport à leurs soeurs sauvages. Mais il leur est resté quelque chose de l’humeur vagabonde de ces dernières : elles adorent se ressemer dans le jardin, de préférence dans les endroits les plus inattendus.
Fleurs indigènes
Cultiver des fleurs indigènes était le cadet des soucis de Claude Monet. A son époque, le tournant du 19e et du 20e siècle, on n’avait pas encore inventé le mot écosystème. L’étude des liens très complexes qui unissent le milieu, les végétaux, les insectes, les batraciens, les oiseaux, les animaux viendrait plus tard. On en était encore à vouloir faire tenir toute la nature dans les muséums. A classer, nomenclaturer, collectionner le vivant, à l’état mort.
Les milieux bourgeois se démarquaient de la paysannerie en disposant d’un jardin d’agrément, dévolu à la promenade et au loisir. L’affirmation de l’appartenance à la classe sociale passait par la culture de plantes qui sortaient de l’ordinaire, délicates à faire pousser, chères à l’achat, à fort impact visuel.
On retrouve ce goût de l’exotisme dans le jardin de Monet, notamment dans ses touches japonisantes.
Mais Monet était surtout un peintre, et ses choix horticoles étaient guidés par son oeil plus que par l’envie de paraître. C’est pourquoi dans son jardin les plantes les plus rares coexistaient avec les plus banales, des sauvageonnes glanées dans la nature que Monet invitait en raison de leur couleur ou de leur forme.
Parmi les plantes indigènes cultivées par le peintre, on trouve la pétasite, la molène, la centaurée, le coquelicot, la marguerite.
Tout cela perdure dans la restitution des jardins de Monet à Giverny. Quelque 4000 espèces de plantes, dont beaucoup d’exotiques, se disputent les deux hectares que couvre le jardin. Ce chois de variétés exotiques est à sa place. Mais pas forcément un exemple à copier.
Il a fallu des décennies avant de commencer à percevoir les risques liés à la perturbation de l’écosystème par l’introduction de plantes exotiques, inadaptées aux insectes pollinisateurs locaux, non soumis au contrôle naturel exercé par l’écosystème. C’est une prise de conscience récente et encore balbutiante qui fait préférer dans les jardins les plantes qui ont toujours été là, les plantes indigènes.
Qu’est-ce que ça veut dire, toujours ? Par convention on considère comme indigènes les plantes attestées avant 1492, l’année de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, le début d’échanges horticoles intenses de part et d’autre de l’Atlantique. C’est une convention qui a tout son sens d’un point de vue américain. En Europe, on aurait pu placer la barre plus tôt, avant les Croisades par exemple. Ou pourquoi pas avant l’invasion de la Gaule par les Romains, la vigne dans leurs bagages. La difficulté est de connaître le parcours d’une plante, surtout si elle n’est pas directement utile à l’homme. Comment remonter la trace d’une mousse, quand on a déjà du mal à suivre celle de l’abricotier ?
Par chance, on dispose maintenant de listes établies par des scientifiques qui recensent les plantes indigènes de façon aussi complètes que possible, avec leur degré de rareté. Pour ceux que le sujet intéresse, voici un catalogue de la flore d’Ile de France, et un inventaire de la flore vasculaire de Haute-Normandie. Vous trouverez probablement la flore de votre région, à privilégier dans les jardins privés.
Anémones sauvages
J’ai déjà évoqué ici la surprise des visiteurs qui viennent de loin quand ils découvrent dans les jardins de Monet, cultivées avec amour, des fleurs de la plus extrême banalité chez eux : agapanthes, arums, volubilis, poussent comme du chiendent ailleurs sur la planète, et que nous nous donnions tant de mal à les cultiver ne manque pas de les étonner.
Inversement, quand on aime les fleurs, c’est un émerveillement de découvrir dans la nature celles qui demandent habituellement tous nos soins.
Rencontrer des cyclamens en montagne, trouver du muguet dans les bois ou des jonquilles procure une joie particulière, comme si la nature devenait un jardin.
Nombre des visiteurs de Giverny sont sensibles à l’émotion botanique. Celle-ci intervient pour une large part dans leur bonheur d’être ailleurs. Vous rêvez de cocotiers ou de palmiers ? J’en connais d’autres qui craquent pour les anémones sauvages, la férule cousine de l’antique silphium, les prairies d’oxalis jaunes et les asphodèles.
De l’usage des fleurs sauvages
C’est un fait établi, Monet aimait inviter les fleurs sauvages dans son jardin.
Au printemps, on pourrait croire qu’elles sont là par accident, les primevères jaunes, les violettes des bois, les pâquerettes les plus communes, épargnées lors du désherbage par la main compatissante du jardinier.
Plus tard viennent les centaurées, ces gros bouquets de fleurs bleues assez spectaculaires pour qu’on les tolère, et les coquelicots, respectés comme l’une des fleurs fétiches de Monet.
Mais quand arrive l’été, et qu’au milieu des lis et des dahlias les plus extraordinaires émergent des molènes, ce bouillon blanc de nos grands-mères, des reines des prés, des tanaisies, des achillées, des verges d’or, on est amené à se poser des questions. Ce n’est plus le fruit du hasard, c’est un système.
Pour le fin connaisseur de Giverny Derek Fell (The Magic of Monet’s Garden, Ed. Frances Lincoln), il ne fait pas de doute que Monet herborisait dans la nature pour semer dans ses massifs les graines recueillies sur les talus et dans les prés.
Le but n’était pas de se procurer à bon compte de quoi remplir le jardin : on sait que Monet se montrait prodigue dès qu’il s’agissait de fleurs. L’idée était plutôt d’amener la nature chez soi, cette nature que Monet aimait par-dessus tout. D’éviter le côté artificiel des jardins trop bien arrangés.
Précurseur des jardins d’aujourd’hui, qui font la part belle aux fleurs spontanées, Monet aimait que son jardin n’ait pas l’air apprêté, mais qu’au contraire il permette de s’immerger jusqu’au vertige dans la verdure et les fleurs.
A l’image des connexions que le peintre a imaginées entre les deux jardins, le clos normand est un lien entre la maison, qui protège l’homme, et l’immensité de la nature sauvage.
Ficaires et pensées
Ce petit massif du jardin d’eau est un vrai concentré de l’esprit de Claude Monet comme jardinier. Des pensées de différents bleus ont été plantées au milieu de ficaires qui ont dû arriver là spontanément.
La ficaire est presque aussi envahissante que le bouton d’or avec qui elle cousine, mais on lui pardonne ses manières de conquistador à cause de ses jolies feuilles vertes qui tapissent bien les sols frais, et surtout par tendresse pour ses petits soleils qui s’ouvrent dès qu’il y en a (du soleil ; quand il fait gris, elle boude, et elle n’est pas la seule).
Monet aimait accueillir des fleurs sauvages dans son jardin, et on y voit en ce moment, outre les ficaires, des primevères dodues d’un jaune doux. Le peintre appréciait aussi l’accord du bleu et du jaune, tel qu’il éclate dans sa salle-à-manger.
Le jardin de Monet est drôlement fleuri pour un 1er avril, avec au moins quinze jours d’avance sur l’année dernière. Les prunus et les cerisiers du Japon sont déjà passés, par exemple, tandis que les pelouses débordent de narcisses et de tulipes.
Et naturellement, on peut compter sur les pensées. Il y en a partout, en tapis colorés aux teintes changeantes, une vraie exposition de tous les tons qu’elles peuvent prendre. Les jardiniers en ont planté des milliers et des milliers, dans tous les recoins imaginables.
C’était la rentrée aujourd’hui à Giverny, avec tous les sentiments mêlés qu’on éprouve d’habitude en septembre, regrets que les vacances soient finies, joie de revoir les copains ou les collègues, difficultés à se remettre en route, plaisir de retrouver son travail, curiosité autour des nouveautés…
Différents tons de bleu, et différents tons de jaune.
Liseron
Pris sur le fait en plein élan, le boa constrictor des plantes est à l’oeuvre. La tige du liseron s’est enroulée autour de l’iris et continue sa course vers la feuille qui le surplombe.
Ravi d’avoir trouvé un endroit où s’accrocher, le liseron se prépare à s’y entortiller, pour mieux poursuivre son chemin. Où s’arrêtera-t-il ?
Au début, le liseron n’a pas l’air bien méchant, avec sa tige en bout de ficelle de rien du tout. Pour un peu, on l’inviterait dans le jardin, séduit par le charme de ses fleurettes en coupelles blanches et roses. Mais ses feuilles en forme de flèche devraient inciter à la méfiance. Le liseron a des intentions conquérantes. Et il est rapide.
Sous ses allures chétives cette vivace cache une vigueur d’athlète, des ruses infinies pour s’étendre, une détermination sans faille.
Sa tige, comme une tête chercheuse, bat les alentours en quête d’un point d’appui. Quand elle en rencontre un, malheur ! Elle s’y emberlificote à plaisir, trouvant dans les autres plantes le maintien ligneux qui lui fait défaut. Et que je te serre, et que je t’enserre, mieux qu’avec des serres.
Sous ce garrot, la brave plante qui a accueilli le liseron chancelle. Est-ce ainsi qu’on la remercie de son hospitalité ? Elle subit, la pauvre, de toute la passivité des créatures du règne végétal, dépourvues de bras pour repousser, de dents pour mordre, de jambes pour flanquer des coups de pieds, et même de voix pour crier leur colère. Les plantes souffrent en silence. Leur détresse est muette, sauf à les observer d’un peu près.
Et des observateurs, ce n’est pas ce qui manque dans les jardins de Monet. « Vous avez du liseron ? » s’enquièrent les visiteurs, qui ne tardent pas à s’apercevoir que oui.
Ils s’imaginaient sans doute que par quelque merveille due au professionnalisme des jardiniers de Giverny, à leur vigilance sans faille, le liseron aurait disparu du jardin de Monet, en même temps que les pucerons, les limaces et les escargots.
Cela ne se peut, n’est-ce pas. Même le paradis a son serpent.
Mauvaises herbes
Dans un jardin de deux hectares, impossible d’éradiquer toutes les mauvaises herbes. Il y faudrait quatre-vingts jardiniers plutôt que huit, à l’affût tous les matins. Pour éviter leur prolifération, on plante serré, c’est encore le meilleur moyen d’expliquer aux herbes folles que c’est la crise du logement par ici et qu’elles feraient mieux d’aller se ressemer ailleurs. Mais certaines sont têtues, bref il en reste toujours si on regarde bien.
Que quelques graines sauvages se faufilent dans les massifs de Monet, je ne trouve pas que ça dérange. Il y en a même qui sont craquantes, comme ce pissenlit dont la tête jaune s’est glissée parmi les narcisses. On dirait un gamin taquin entre les jambes des adultes, qui vous ferait coucou avec un grand sourire.
Les visiteurs ont des réactions étonnantes quand ils découvrent la présence de ce qu’il est convenu d’appeler une mauvaise herbe quelque part dans les jardins de Giverny, surtout ceux qui ont un jardin eux-mêmes et qui luttent sans relâche pour se débarrasser des indésirables. Même ici ! triomphent-ils, comme si la défaite face aux envahisseurs de ceux qu’ils perçoivent comme une armée de jardiniers les disculpait de leur propre échec, eux qui livrent seuls le combat dans leur carré de pelouse.
Tout le monde voudrait cesser de culpabiliser parce qu’il y a des mauvaises herbes dans son jardin. Une dame que j’ai guidée l’an dernier m’a révélé qu’elle avait été libérée par une petite phrase anodine de mon commentaire : Monet accueillait les fleurs sauvages dans son jardin, au milieu des fleurs cultivées. « Maintenant, raconte-t-elle, quand quelqu’un me fait remarquer les mauvaises herbes, je lui dis que je fais comme Monet ! » C’est surinterpréter l’histoire, puisque Monet acceptait seulement certaines fleurs sauvages qui lui plaisaient, coquelicot, centaurée, verbascum… Mais qu’importe, je suis enchantée si sans le savoir j’ai apporté un peu de sérénité à cette dame. Il faudra que je pense à le redire, ce détail-là, une graine aussi bienfaisante mérite d’être semée à tous vents !
Violette
Dans les forêts de Normandie, les violettes ont jailli en touffes colorées qui se mêlent aux anémones des bois.
En faire un bouquet demande une bonne dose de patience, mais il en faut bien plus encore si on veut en cueillir pour les croquer. C’est irrésistiblement joli dans une salade verte ou une salade de fruits.
La violette a la saveur douce des bonbons de Toulouse – la ville rose a fait de cette fleur parme son emblème.
Tout est délicat chez la violette, son parfum, sa teinte passée, la courbure de sa tige et même son maquillage raffiné. Regardez bien ! Son coeur est un oeil bordé de longs cils et de fard à paupière.
Il faut s’approcher tout près pour découvrir ces coquetteries, si contradictoires avec l’idée qu’on se fait d’un fleur qui symbolise la modestie…
Violette rime avec Colette. Quand j’étais collégienne en classe de sixième, nous avions eu en dictée ce texte de l’écrivaine :
« Violettes blanches et violettes bleues, et violettes d’un blanc-bleu veiné de nacre rose. Ô violettes de mon enfance ! Vous montez devant moi, toutes, vous treillagez le ciel laiteux d’avril, et la palpitation de vos petits visages innombrables m’enivre. »
Je cite de mémoire, c’est peut-être un peu transformé. Mais la nostalgie émerveillée de Colette fait tellement écho à la mienne ! Merveille du retour du printemps, merveille de l’écriture poétique et de l’observation juste de cette grande dame.
Chaque année quand reviennent les violettes je me récite ces mots avec gourmandise, et le regret d’avoir oublié, si je l’ai jamais su, de quel ouvrage sont tirées ces lignes. Et puis il y a quelques mois, j’ai trouvé dans le grenier une vieille édition des Vrilles de la vigne de Colette. Cachées dans les pages jaunies qui sentaient le vieux papier, elles étaient là, les violettes… Depuis, le livre est retourné dormir dans son carton. Vous me pardonnerez de ne pas aller le réveiller.
Champ de coquelicots
Etonnant destin que celui du coquelicot : de mauvaise herbe, de fleur des champs indésirable, le voici devenu icône. Il a suffi pour cela de quelques coups du pinceau magique de Monet.
Cette photo a été prise dans le pré qui borde le musée d’art américain de Giverny.
Le MAAG organise des ateliers de peinture, et la prairie fleurie est l’un des sujets favoris des élèves. Bleuets et coquelicots s’y poussent du col, en petites touches de couleur pure au milieu du vert.
Mais les fleurs n’ont plus rien de sauvage. Partout les herbicides ont fait disparaître les champs de blé envahis de coquelicots. Pour recréer le spectacle des étendues de coquelicots chères à Monet, il a fallu les semer.
Les orchidées de Giverny
Les collines calcaires qui s’élèvent au-dessus de Giverny et de Vernon récèlent des trésors. C’est l’endroit de la vallée de la Seine où l’on trouve le plus d’orchidées sauvages : on en a identifié 35 espèces, toutes protégées.
Elles connaissent en ce moment leur pic de floraison. Les plus faciles à repérer sont les orchidées pyramidales, d’un rose vif et d’une forme caractéristique, qui aiment pousser en stations de plusieurs fleurs.
Celle-ci, également commune, est une orchidée pourpre. Elle peut dépasser les 80 cm.
On peut partir à leur recherche le long du chemin qui relie Vernon et Giverny, et à travers la colline. C’est un émerveillement de les observer de près, avec leurs airs de grandes dames réduites à l’état de miniatures, leurs couleurs et leurs formes sophistiquées. Le bouquet sera photographique seulement, car il est interdit de les cueillir.
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