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Les bois bleus
Pour que l’enchantement soit parfait, il faudrait des rayons de lumière pétillante et quelques gouttes de rosée. Mais même ainsi, les jacinthes sauvages, en pleine floraison en ce moment, restent irrésistibles. Souplesse, couleur, charmantes bouclettes, elles ont toutes les grâces, mais plutôt que de se la jouer m’as-tu-vu comme leur cousin le Narcisse, elles ont l’esprit collectif et adorent se fondre dans la masse.
En traversant un bout de forêt en voiture ces jours-ci, il arrive qu’on en aperçoive un tapis qui bleuit le sous-bois. Si vous êtes comme moi, vous ressentez un irrépressible besoin de vous arrêter et d’aller marcher dans cette onde végétale.
Admettons que vous ayez quelques minutes, que vous ayez trouvé un endroit où vous garer en sécurité, que l’accès à la forêt – souvent privée – soit possible. Des milliers et des milliers de jacinthes sauvages se pressent au point de former un tapis bleu, parsemé de-ci de-là des étoiles blanches de quelques anémones sylvestres. Vous faites attention à l’endroit où vous posez les pieds : il y en a jusque dans le chemin.
Rien d’apprêté, de mis en scène. Des branches mortes gisent au sol. On ne nous attendait pas. On fleurissait pour soi et sans l’aide de la main de l’homme.
Ne cessent de m’émerveiller ces spectacles d’un poésie puissante que la nature s’invente. Soudain ils font irruption dans notre quotidien, coucher ou lever de soleil, arc-en-ciel, brume ou reflets sur la mer… Nous restons le souffle coupé, les yeux écarquillés, parcourus d’une joie profonde. Ils nous ont cueillis à l’improviste, nous ne nous y attendions pas.
D’autres fois il faut aller à leur recherche, s’aventurer dans les bois, marcher un peu au creux des vallons. Et avec de la chance, le cadeau était là, un spectacle intime et mystérieux qui nourrit l’âme. Nous avons juste pris le temps de l’attente, de l’espoir, de l’approche, de la rencontre. Le temps d’ouvrir le paquet.
Le belvédère de Giverny
Un panneau a fait son apparition à Giverny. Il se trouve à l’arrière du musée des impressionnismes, rue Blanche-Hoschedé-Monet, entre la mairie et la ferme de la Côte. Le musée a décidé de baliser l’accès à la colline sur ce terrain qui lui appartient, pour encourager les randonneurs à prendre de la hauteur et profiter d’une belle vue sur la vallée.
La grimpette est rude et clairement pas pour tout le monde, mais tout de même pour un large public, avec quelques pauses. Vous voyez le petit trait horizontal en haut de cette pâture à moutons ? C’est le banc. C’est là que nous allons.
Et voici la récompense ! Le regard porte jusqu’à la ligne de collines au pied desquelles coule la Seine. Entre les deux, la plaine est traversée de rangées d’arbres qui matérialisent les bras de l’Epte. Juste en bas, on aperçoit les toits végétalisés du musée. C’est agréable de pouvoir s’asseoir tranquillement pour contempler.
Voici l’angle choisi par Claude Monet pour peindre son quartier du Pressoir. A gauche, la ferme de la Côte. Avec la neige cela a dû être difficile de se hisser sur la colline avec son matériel.
Les villes en jaune
L’usage généralisé du GPS a rendu obsolète celui des cartes routières. Il est si pratique de se laisser guider, n’est-ce pas ? 😉 Dans notre monde pressé, cet instrument n’a pas son pareil pour nous emmener rapidement d’un point à un autre. Mais que l’on n’ait d’autre objectif que de musarder, et voilà notre navigateur dérouté. Ses fonctions supposées révéler les points d’intérêt sont décevantes. Dans ce cas, rien ne vaut le bon vieil atlas routier.
Peut-être avez-vous le même dans un recoin de votre voiture, épaisse couverture rouge et reliure à spirales. Il accuse quelques années, mais qu’importe, ce qui vous intéresse ne change guère : les localités pleines de charme.
Je voudrais profiter de ces lignes pour remercier les concepteurs de la carte, qui ont pris la peine d’évaluer l’agrément touristique non seulement des grandes villes, mais aussi des petites bourgades. Sur mon atlas, les noms des villages et des bourgs pittoresques nichés au bord de l’eau ou dans la verdure sont indiqués sur un fond jaune.
Qu’importe le prétexte, quitter l’autoroute pour une conduite plus détendue, profiter d’un déconfinement, organiser un road-trip à moto en mode slow tourisme, trouver un but de promenade de week-end avec mamie… les villes en jaune tiennent leurs promesses. Je ne cesse de m’étonner qu’il y en ait tant dont je n’ai jamais entendu parler, des petits bijoux patrimoniaux et tranquilles qui vous offrent avec bonhomie leurs façades et leurs églises, leurs ruelles tortueuses et les fleurs de leurs jardins.
Dans notre coin, on ne sera pas surpris de voir Giverny et Vernon être indiqués en jaune, tout comme Les Andelys, La Roche-Guyon ou Lyons-la-Forêt. En regardant de plus près, on trouve inévitablement des villes qui n’ont pas eu ce privilège et l’auraient sans doute mérité. C’est le cas de Gaillon, à mon avis. Mais dans l’ensemble la sélection est fiable.
Regardez autour de chez vous, et vous aurez peut-être la surprise de découvrir des noms jamais entendus, et plus encore d’aller voir ce qu’ils cachent. C’est l’occasion de changer d’itinéraire. Nous arpentons toujours les mêmes routes, et quelquefois le changement de département ou de région constitue une barrière psychologique dont nous n’avons même pas conscience. Repérez une ou mieux plusieurs localités en jaune et lancez-vous… Quand vous serez au fond de la campagne, votre GPS sera content d’avoir un nom à se mettre sous la dent.
La Seine à vélo à Vernon
Envie de prendre l’air ? Quelques tours de pédales le long de la Seine, cela vous tente ?
L’itinéraire de la Seine à vélo, qui relie Paris à la mer, n’est pas encore aménagé pour les cyclistes sur tout son parcours. Il se compose de sections aménagées et d’autres où les vélos doivent s’insérer dans la circulation. A Vernon, une très jolie portion a été réalisée le long du fleuve. Si elle n’est pas très longue, elle offre un confort optimal et des vues superbes.
Le parcours très bucolique traverse les prés de Vernonnet. Voici leur aspect au mois de juin.
Côté Seine, le panorama est celui des motifs de Monet.
Au milieu de toute cette nature, la technologie fait son apparition. Voici l’e-Tree :
Grâce à ses feuilles en panneaux photo-voltaïques, cet arbre du futur est autonome en énergie. Il la restitue sous forme de borne à clés USB :
Ce n’est pas toujours facile pour les cyclistes de recharger leur portable ! Ici ils peuvent faire une petite pause et se désaltérer :
Des tables à pique-nique plus conventionnelles ont été prévues, où l’on peut s’abriter de la pluie comme du soleil.
L’aménagement est en cours sur la commune de Giverny. Il emprunte assez largement le tracé de l’ancienne ligne de chemin de fer : autant dire que c’est tout plat !
Arbres en fleurs
Tous les arbres sont en fleurs dans les vergers de Normandie.
Les plus précoces ont ouvert le ban, des pruniers échevelés aux cerisiers géants tout cotonneux.
Pâques a vu fleurir les poiriers vénérables, ceux qui sont plein de sagesse et savent comment il convient de s’habiller pour la saison.
Les pommiers arrivent en dernier avec leur floraison délicate d’un blanc rosé poudré de vert.
Avant que le vent ne vienne faire le fou dans les branches ébouriffées, rompant l’instant magique, les arbres fruitiers se retrouvent miraculeusement réunis pour la grande fête du blanc.
Sous leurs branches, les prés sont d’un vert si tendre qu’on en mangerait, de ce velours qu’éclabousse le jaune des pissenlits. C’est d’un bucolique à tenter Virgile. Mais de boeufs, point encore. Seuls les moutons sont déjà de sortie.
Cerf-volant
Le panneau qui signale un risque de traversée d’animaux sauvages est si fréquent à la campagne qu’on n’y fait plus attention : on le trouve au coin de chaque bois.
Il faut pour le remarquer à nouveau voyager en compagnie de très jeunes enfants. Les boutchous adorent repérer le papa de Bambi qui saute, c’est leur panneau préféré.
Mais même si on ne transporte plus de passager de l’âge de la maternelle, ce panneau-ci a de quoi attirer l’oeil, un détail différent des autres. Vous avez vu ? Il y a deux petites ailes attachées dans le dos du cerf.
Je passe souvent à cet endroit juste à la sortie de Vernon, et à chaque fois ce cerf volant est là comme un sourire, prêt à traverser d’un bond toute la largeur de la route en quelques battements gracieux.
On pourrait croire que quelqu’un a griffonné ces ailes vite fait au marqueur, pris d’une inspiration soudaine. Mais vu de près la préméditation se révèle. Les ailes sont soigneusement découpées dans une matière douce comme du velours et collées sur le panneau.
Il y a dans cette intention quelque chose qui m’enchante. Quelqu’un a conçu le projet de transformer le cerf banal en Pégase des grands chemins, juste pour donner un peu de poésie à la banalité de la vie. Cette personne a trouvé le matériau adéquat, dessiné les ailes, est venue les mettre en place…
Face au flux des automobilistes pressés apparaît, le temps d’un éclair, une étincelle de fantaisie.
Les Refusées du Salon
Il n’y a pas qu’au Salon de l’Agriculture (qui, au cas où cela vous aurait échappé, se tient cette semaine Porte de Versailles à Paris) qu’on peut voir des vaches et des veaux. En Normandie, on a ça toute l’année chez nous. Certes, les bovins ne sont pas aussi astiqués que ceux qui participent au salon parisien. Les vaches ont des mensurations ordinaires. Ce ne sont pas les Claudia Schiffer des bovidés. Elles sont juste normales, comme vous et moi, qui ne songeons pas à concourir pour Elite. A tous les coups, si elles essayaient, elles seraient refusées au Salon.
Hier, je suis allée assister à la traite du soir. Elle commence à 17 heures, et il faut une heure trente pour traire les 80 vaches laitières de l’exploitation, une opération qui se répète deux fois par jour.
Ca rend zen de regarder des vaches. Certaines sont pressées de se faire traire, les dominantes du troupeau passent les premières. Mais la plupart patientent avec placidité. Elles s’engagent les unes derrières les autres dans la file qui mène à la salle de traite, comme si elles faisaient la queue au self, et certaines devront attendre près de 90 minutes, mais elles ne semblent pas s’en soucier. Comment font-elles ? D’où leur vient cette sérénité ? Elles ne discutent pas avec leurs voisines. Elles n’ont pas de MP3 dans les oreilles. Aucune distraction à l’horizon. Elles sont là, présentes de toute la masse de leur gros corps. A quoi pensent-elles ? Pensent-elles, d’ailleurs ?
La fermière m’a fait voir les veaux. Il est regrettable que ce mot soit masculin, car tous étaient des femelles. Les demoiselles sont conservées pour renouveler le troupeau, tandis que les jeunes gens finissent rapidement à l’abattoir. Cela peut être un avantage certain de naître avec des mamelles, en tout cas chez les vaches.
Il faut apprendre aux veaux à boire au seau, car cela ne va pas de soi de baisser la tête pour se nourrir quand on est programmé pour la lever vers le pis de sa mère. On leur appuie légèrement sur la tête, certains pigent au quart de tour, d’autres mettent plusieurs jours…
Les petits veaux sont tout à fait attendrissants, ils vous tètent la main goulûment, ils ont l’air de la prendre pour une grosse tétine en silicone. Leur pelage dru a le toucher d’une peluche.
En grandissant, les veaux deviennent joueurs et turbulents. Ils courent d’un côté à l’autre de l’étable sur leurs pattes grêles, si vite qu’on a peur qu’ils ne les cassent. Puis les génisses s’assagissent. Des plus jeunes veaux aux vaches allaitantes, les bêtes sont regroupées par âge, comme à l’école.
Toutes attendent avec impatience le moment d’aller brouter et gambader dans les prés. C’est pour bientôt, il y a de l’herbe, mais la pluie a rendu le terrain trop boueux. Est-ce à cela que vous songiez, Mesdames, en attendant la traite ?
Trivial Pursuit Normandie
Les soirées sont longues, les enfants en vacances : c’est le moment de ressortir les jeux de société, et pourquoi pas le Trivial Pursuit si vous en avez un ; sinon, je vous souffle l’idée-cadeau pour Noël 2007.
Il existe une version normande du célèbre jeu de questions. Hasbro la recommande à partir de 15 ans, mais on peut faire des équipes adulte-enfant : comme il faut la plupart du temps répondre au hasard, les plus jeunes peuvent très bien participer, et n’ont pas plus de chances de se tromper que les grands…
L’édition Normandie balaie les cinq départements de la région, en proposant 3000 questions et leurs réponses. Disons-le : la plupart du temps, elles supposent une telle érudition que cela en est agaçant.
« – Les centrales nucléaires normandes sont-elles de la filière graphite-gaz, zirconium bi-fluoré (!) ou de la filière des réacteurs à eau sous pression ?(Réponse : eau sous pression)
– Dans quelle ville de Basse Normandie peut-on visiter le parc Saint-Martin, qui est un parc animalier ? (R: Montaigu la Brisette)
– A quel réalisateur italien doit-on Malena, lauréat du Grand Prix du Festival du film romantique de Cabourg en 2001 : Tornatore, Bertolucci ou Moretti ? (R: Tornatore)
– Sur quel trimaran Francis Joyon établit-il le record de la traversée de l’Atlantique en solitaire dans le sens Est-Ouest en juin 2000 ? (R: Eure-et-Loir). » Etc…
A ce compte, on met une demi-heure à décrocher la première part de camembert, et la partie s’éternise.
Cela a dû être un travail considérable de formuler toutes ces questions, et d’éviter les erreurs. J’en ai toutefois relevé une dans cette question : » Quel édifice de Giverny devint le lieu de rencontre d’artistes peintres américains vers 1890 : l’hôtel Baudry, Caudry, Daudry ou Faudry ? » On a beau relire, la bonne réponse, l’hôtel Baudy, ne figure pas dans la liste. L’erreur est humaine, même parmi les grosses têtes qui torturent celles des autres, petite revanche !
Et puis tout à coup la chance vous sourit, allez savoir pourquoi. Vous tombez sur une question d’une déconcertante facilité, dont tout le monde connaît la réponse.
« A quel peintre doit-on Le Bassin aux Nymphéas, harmonie verte ? »
Et celle-ci, ma préférée : « A quel jeu de société peut-on l’emporter en étant le premier à gagner, selon le langage populaire, six parts d’un célèbre fromage normand ? »
Au gui l’an neuf
Un des moments les plus ludiques du 31 décembre, c’est d’aller chercher une boule de gui dans les arbres. Je devrais dire marauder, car il faut se glisser sous les barbelés, armé de son sécateur, mais j’ai la bénédiction du propriétaire du terrain. S’agissant d’un parasite comme le gui, cela ne peut faire que du bien aux arbres d’en être débarassés, même si les prélèvements de la Saint-Sylvestre sont loin de se montrer efficaces. Pour tout dire, ils sont insignifiants, on a même l’impression que d’année en année, le gui prend ses aises.
Le gui ne pousse pas que dans les chênes de la forêt des Carnutes, mais aussi sur toutes sortes d’autres arbres, en particulier les pommiers et les peupliers. Je ne vous apprendrai rien en disant que ce sont les oiseaux qui le disséminent par leurs fientes, dans lesquelles on retrouve les baies non digérées et prêtes à germer un peu plus loin.
Le gui s’installe ensuite très solidement, et il n’est pas facile à couper. Mais ce n’est pas le pire : le plus difficile, c’est d’en trouver un brin accessible, et non pas rivalisant d’altitude avec les nids de pie.
Je me refuse toutefois à traverser les prés avec un escabeau, il ne faut pas exagérer. Jusqu’ici, cela n’a jamais été indispensable. Déjà, l’appareil photo sous les barbelés, c’était moyen. Le temps est si couvert aujourd’hui qu’il a fallu le flash en plein après-midi, c’t’une honte.
Voilà, la branche de gui est accrochée sous la poutre, à côté du carillon soigneusement remonté pour sonner les douze coups tout à l’heure. C’est moins précis que l’horloge atomique, mais on s’en fiche, non ?
Promis, à minuit sonnante, je me mets sous le gui et je vous embrasse tous par la pensée. Bonne année !
Récolte des betteraves
De loin, c’est un nouveau plissement de terrain, une petite chaîne montagneuse apparue soudainement à la lisière des champs. De près : un amoncellement de racines charnues, beiges, qui s’entassent en un terril végétal long parfois de plusieurs centaines de mètres.
La récolte des betteraves sucrières bat son plein dans l’Eure. La France est le premier producteur mondial de sucre de betteraves, une culture concentrée dans le nord du pays. Elle occupe une bonne place dans les terres agricoles de Haute-Normandie.
On doit son essor à Napoléon, qui cherchait un moyen de remplacer le sucre de canne lors du blocus de la France par l’Angleterre. C’est un Français, Benjamin Delessert, (pour un peu, il s’appelait Dessert…) qui a réussi à extraire le sucre de la betterave en 1812. Depuis, la betterave sucrière est devenue la première culture industrielle en France.
La récolte va durer plusieurs mois. Les racines sont arrachées, effeuillées et séparées de leur collet, puis stockées au bord des champs où les camions viennent les chercher à mesure des besoins de la raffinerie. La plus proche est celle d’Etrepagny, à une vingtaine de kilomètres de Giverny et Vernon.
Si vous trempez dans votre café un sucre Saint-Louis, il a peut-être été produit ici…
Boules de Noël
Le vent a soufflé toutes les feuilles, mais il a laissé les dernières pommes, celles qui étaient trop haut perché dans les arbres pour qu’on les récolte. Rouges ou jaunes, elles pendent comme des boules de Noël oubliées.
Il y a quinze jours j’ai aperçu dans une vitrine un premier sapin. Ciel ! Déjà ? C’était un éclaireur. Le gros de la troupe est en train de suivre. Depuis que Noël est à moins d’un mois, des forêts jaillissent des trottoirs, d’autres remplissent les boîtes aux lettres.
L’offensive est lancée.
Je voudrais trouver des images moins guerrières, mais la perspective de la Fête m’évoque, chaque année, un combat à livrer, qui demande une préparation minutieuse. Il y aura, dans la maison familiale transformée en camp retranché contre le froid et l’hiver, des lits pliants partout, et assez de provisions pour soutenir un siège.
Et j’ai peur de cela, car je suis un piètre général.
Mais il y aura aussi des princesses, des princes, des chevaliers, et la perspective de leurs rires et de leur émerveillement me comble de joie d’avance et me donne l’énergie de partir à l’assaut.
Je vais faire entrer un bout de forêt dans la maison, le sapin sera tellement grand qu’il touchera le plafond.
Couleurs d’automne
« Avez-vous des arbres qui changent de couleur à l’automne ? » demande mon amie Marie, avec son charmant accent de Montréal. Il faut bien faire une réponse de Normand. Oui, par chez nous, les arbres changent de couleurs avant de perdre leurs feuilles, mais c’est loin d’être aussi spectaculaire qu’au Canada.
La palette de l’automne normand est plus impressionniste que fauve, elle décline les roux, les jaunes mêlés de vert, comme dans le tableau La Chasse de Monet. Vue de loin, la forêt moutonne en bruns orangés pleins de douceur.
C’est dans les parcs où se mêlent les essences d’ici et d’ailleurs, comme ci-contre à Vernon dans le quartier de Bizy, que l’on trouve les plus jolies couleurs d’automne.
Parmi les arbres indigènes, le cerisier se distingue par une parure plus somptueuse que les autres. On le voit au bas de cette photo, habillé d’orange et de rouge lumineux. Ces derniers jours, il réchauffait de ses tons chauds les journées les plus grises, et s’enflammait dans le moindre rayon de soleil.
Mais le feu d’artifices tire à sa fin. Ce matin, un grand coup de vent a semé la débandade dans les feuillages desséchés. Les hélicoptères des érables tourbillonnaient, emportés au loin. Des bataillons de feuilles roussies s’enfuyaient devant le grain. Les tourterelles secouées par la bourrasque en oubliaient de savoir voler.
Il fait bizarrement doux, seize degrés ce matin, le vent souffle du sud. Dire que dans un mois c’est Noël.
Ecureuil
Ce matin, j’ai aperçu un écureuil. C’était tôt, peu après l’aube. Il a déboulé de la colline et il a sautillé à travers le chemin, sa longue queue en panache bondissant derrière lui. Il a semblé hésiter un moment, puis il s’est enfoncé dans un buisson et je l’ai perdu de vue.
La dernière fois que j’ai vu un écureuil, c’était dans le parc du château de Versailles. Pas farouche, celui-là, habitué aux promeneurs. Il sautait de branche en branche dans un bosquet, je l’ai suivi des yeux très longtemps, j’ai même réussi à le photographier, mais j’étais tellement fébrile que l’image est floue.
Chaque fois, j’éprouve une joie enfantine. J’aborde les passants, Vous avez vu l’écureuil ? Ils sourient, ils restent impassibles, Où ça un écureuil ? demandent les plus polis.
Ce sont les mammifères sauvages qui sont les plus craquants. Les biches, les chevreuils, même les sempiternelles petites souris.
Leur fourrure a l’aspect de la peluche, ils ont des yeux doux et craintifs.
Nous éprouvons des réactions irrationnelles et extrêmes devant les animaux, de l’enthousiasme puéril au dégoût total, en passant par l’indifférence, l’admiration, la crainte. Pourtant tous les animaux méritent une égale considération. Il faudrait éduquer les enfants dans ce sens, très tôt.
Je n’ai pas peur des chauves-souris parce que j’en ai tenu dans les mains quand j’étais petite.
Tous les animaux se valent. Et les humains, se valent-ils tous aussi ? Les jugeons-nous sur la mine, eux aussi ?
Gelée de mûres
Les dernières mûres sont à point le long du chemin qui va de Giverny à Vernon. Une petite pause grappillage est la bienvenue : les baies noires ont une saveur douce, peu prononcée. Aïe ! Ces saletés de ronces m’ont attrapé la manche !
Il faut une bonne dose de détermination et des vêtements épais pour cueillir des mûres en vue d’en faire de la gelée. Les fruits sont petits, protégés des gourmands par des épines acérées. Pourtant, à la campagne, il est bien rare que la saison en passe sans que l’on se retrouve tôt ou tard devant les buissons de ronces avec son petit panier.
Plusieurs plaisirs s’entremêlent, les souvenirs d’enfance, le rite qui marque la fin de l’été, la satisfaction de profiter d’un aliment que la nature nous offre, peut-être même un atavisme qui nous vient du plus profond des âges, quand nos ancêtres étaient des chasseurs cueilleurs.
Une fois à la maison, on lave rapidement les fruits, on les met dans la bassine à confiture avec une petite goutte d’eau et on les fait bouillir cinq minutes tout en écrasant les baies. Après quoi on filtre le jus et on le refait cuire avec le même volume de sucre (ou un peu moins) et un jus de citron. Une odeur délicieuse emplit la cuisine, qui est déjà une première compensation à vos bras lacérés. Au bout d’un quart d’heure de cuisson, théoriquement, c’est pris. Quelques gouttes versées sur une assiette froide sont sensées figer rapidement. Il est temps de mettre la gelée en pots.
Mais la gelée de mûres est capricieuse. Au cas où, après plusieurs jours dans des pots, elle refuserait de se conformer à votre désir, ne vous obstinez pas. Transvasez-là dans une bouteille et rebaptisez-là sirop de mûres. C’est très bon en cocktail avec un vin mousseux, consommé modérément comme il se doit.
Balade en forêt
La forêt est aux portes de Giverny et de Vernon. De chaque côté de la vallée de la Seine, les collines sont couvertes de belles futaies de chênes, de châtaigniers et autres feuillus.
Une des promenades les mieux aménagées se trouve dans la forêt de Bizy, juste au-dessus de Vernon. De grandes allées cavalières parcourent ce qui fut le domaine du château.
A l’horloge de la forêt, c’est encore l’été. Tous les arbres ont des feuilles vertes. Mais au sol, l’automne pointe le bout de son nez. Les conditions climatiques des derniers jours ont fait jaillir de terre des milliers de champignons, transformant le bois en forêt enchantée.
Soyons clair : un champignon de forêt ne se mange pas, il se regarde. De mon point de vue, on peut tout aussi bien laisser les paniers et les guides d’identification à la maison. On n’a presque aucune chance de tomber par hasard sur un coin où poussent cèpes, girolles et pieds de mouton, et tous les riques de se tromper. Pour se régaler de champignons, il vaut mieux aller au marché.
Le temps de la moisson
Après la moisson, ce champ fauché court ressemble à une carte géodésique, avec le dessin des courbes de niveau. La parcelle doit sa forme un peu biscornue à une zone plus humide à gauche, au fond du vallon, qui est cultivée en prairie.
Les lignes disent l’expérience issue de siècles de culture, le temps lointain du défrichage, qui a laissé de côté le petit bois du fond, au sol sans doute moins riche.
A quoi pense le conducteur du tracteur tandis que le passage de ses roues dessine les marques blanches qui se verront encore des mois plus tard ? Il connaît sa parcelle par coeur. Il en parcourt la surface machinalement, comme on tond la pelouse ou comme on passe l’aspirateur. On peut refaire des yeux le chemin du tracteur, passage après passage.
C’est long. Le temps s’écoule.
Entre les lignes claires, les bandes dorées des restes de paille. Le blé a germé comme un duvet vert, puis poussé, grandi, changé de couleur au soleil de l’été, jusqu’à être à point pour la récolte. Cette brosse blonde qui coiffe la terre raconte les saisons qui passent.
Un champ après la moisson ? Non, un calendrier, une horloge, une stèle !..
Château d’eau
Les petites routes de campagne réservent parfois de jolies surprises. A Caillouet Orgeville, près d’Evreux, ce château d’eau sans doute assez disgracieux par le passé est devenu une oeuvre d’art.
Le sujet rend hommage à la vocation agricole du village. C’est un paysan qui avance droit vers nous, tout en jetant de pleines poignées de grains dans les sillons. Devant lui, assis dans l’herbe, un lapin le regarde approcher. L’artiste a soigneusement choisi ses couleurs pour que le bleu se fonde dans le bleu du ciel et que le vert se mêle au vert du champ.
J’imagine que ce n’est pas facile de peindre un château d’eau. Il doit falloir tout un matériel de nacelle adapté. Mais quelle astuce de transformer cette tour de béton en atout de charme pour le village ! Si toutes les communes s’y mettaient, quel circuit à travers les champs cela ferait !
Les châteaux d’eau méritent de tels égards. Ce sont les phares de nos campagnes. L’eau n’est-elle pas aussi précieuse que la lumière ?
Meule de paille
Les moissons sont terminées dans la région de Giverny. Il ne reste plus ça et là dans les champs que ces immenses constructions de paille. Des murailles éphémères, le temps de charger les bottes sur les remorques.
Deux écoles existent, celle des bottes cylindriques et celle des bottes en forme de brique. Cela dépend des machines. Du temps de Monet, on façonnait plutôt des meules en forme de case, toutes rondes avec un toit pointu. La paille est un matériau assez rigide qui se prête à ce genre de construction beaucoup mieux que le foin. On voit bien la différence dans les tableaux de Monet.
Les meules de blé étaient de bonne taille, comme aujourd’hui. A l’époque, elles servaient à conserver les gerbes entières avant de battre le grain quand on aurait plus de temps, à la morte saison.
Un soin tout particulier était mis à construire les meules. Elles devaient protéger parfaitement la récolte entassée dessous. La paille de blé est l’un des matériaux utilisés pour les toits des chaumières, avec le chaume de seigle et les roseaux des marais. La paille ne pourrit pas au contact de l’eau, dont elle assure un bon écoulement.
Reste l’énigme du succès des Meules. Monet s’attaque à ce sujet à la fin de l’été 1888, puis il y revient en 1890. Est-ce d’ailleurs un sujet ? Juste un objet qui capte la lumière. Pour la première fois, Monet se concentre exclusivement sur l’enveloppe lumineuse irradiée par le motif, saisie dans ses variations temporelles au fil de l’heure et de la saison.
Et pour la première fois de sa vie, il connaît le triomphe. Lorsqu’il expose sa série de Meules au printemps 1891, les toiles se vendent en quelques jours. « C’est tellement séduisant que franchement, ce n’est pas étonnant, » juge Pissarro.
Pourtant ni le public ni la critique ne semblent avoir vraiment compris ce que Monet recherche, « saisir l’instant juste » où « le paysage donne tout ce qu’il est capable de donner ».
Le rouissage du lin
Tout est singulier dans la culture du lin. En ce moment, les champs de lin de l’Eure sont en train de rouir : après avoir arraché, et non pas fauché la tige de lin, on la laisse étendue sur place en longues bandes, les andains, ce qui donne un aspect très graphique aux champs.
Le soleil, la rosée et la pluie sont chargés de faire évoluer la fibre. Des micro-organismes présents dans les racines se développent et décollent la couronne fibreuse du bois central.
Les tiges changent de couleur, elles deviennent rousses. Comme les crêpes, il faut les retourner pour qu’elles fassent bronzette des deux côtés. Vous trouverez tous les détails sur la culture du lin sur le site les 100 jours du lin.
Tournesol
Les champs de tournesols sont parmi les plus jolies cultures qui soient, ce qui explique sans doute leur grande popularité. Au moment de la floraison, en juillet, quand le soleil est bas sur l’horizon et qu’il illumine les corolles, le spectacle est magnifique.
Le tournesol est assez rare aux environs de Giverny, et c’est bien dommage. Ceux-ci poussent en vallée d’Eure, formant un joli tableau avec à l’arrière-plan des buissons qui rappelent les Matinées sur la Seine de Monet.
Les feuilles des tournesols sont encore bien vertes, mais les plants vont se dessécher peu à peu, pour atteindre la maturité des graines en septembre.
L’huile de tournesol est la plus consommée en France. La culture du tournesol a de l’avenir : certaines variétés oléiques sont employées comme biocarburants et biolubrifiants.
Cette plante peu exigeante sait aller chercher l’eau loin dans le sol grâce à sa racine pivotante qui plonge à 1m50 de profondeur. Elle permet d’augmenter les rendements du blé semé sur la même parcelle l’année suivante. Enfin, les tourteaux sont appréciés des animaux.
Avec tous ces atouts, pourquoi n’y en a-t-il pas plus ? La région manquerait-elle de la chaleur qui leur est nécessaire ? Messieurs les agriculteurs, faites-nous plaisir, semez du tournesol !
Champ de blé
En Normandie, la moisson bat son plein dans la chaleur de juillet. Les moissonneuses-batteuses tournent sans relâche, soulevant des nuages de poussière.
Les grands plateaux de l’Eure sont des terres à blé ; ce n’est pas la seule culture, mais elle arrive en bonne place.
J’aime traverser ces étendues d’épis dorés, voir toutes ces têtes barbues qui se balancent dans la brise jusqu’à l’horizon.
Certaines cultures vous parlent au coeur. Le blé est de celles-là. La vue d’un champ de blé mûr comble d’une joie inexpliquée, qu’aucun champ de pommes de terre ne produira jamais.
C’est une émotion qui semble venir du fond des âges, cette satisfaction devant l’abondance, cette promesse de pain. Nous sommes une civilisation du blé.
Fleur des champs
On dirait des gouttes de pluie sur un carreau vert. A votre avis, quelle est cette plante largement cultivée aux environs de Giverny ?
Allez, je vous aide. La France en est le premier producteur mondial, la Haute-Normandie la première région de France pour cette culture, l’Eure le deuxième département au niveau national. Vous voyez, ça compte.
Si ça se mange ? Oui, mais ce n’est pas pour la consommation qu’on en fait pousser autant. Si ça fleurit ? Oui, par millions de petites fleurs bleues.
Si vous donnez votre langue au chat, approchez votre souris de l’image pour voir s’afficher la réponse : un champ de lin. Vous aviez trouvé ? Bravo !
La phacélie
Dans la vallée de l’Eure, je tombe en arrêt devant un champ tout en fleur, d’un joli mauve. Qu’est-ce que c’est ?
Une amie bien informée me renseigne : il s’agit de phacélie, une plante qui a plus d’une corde à son arc. Une étude canadienne détaille tous ses atouts.
D’abord, c’est une merveilleuse plante mellifère. Les abeilles adorent son nectar bien sucré. La phacélie donne un miel sombre et très parfumé.
Les abeilles ne sont pas les seules séduites par la phacélie. Toutes sortes d’insectes la visitent, elle permet donc d’attirer les prédateurs des pucerons pour protéger d’autres cultures comme le chou ou la betterave. C’est aussi un bon engrais vert, qui permet de reconstituer les réserves du sol quand on l’enfouit avec le labour d’automne.
Enfin, les éleveurs peuvent s’en servir de fourrage pour les bêtes.
Ce que l’étude canadienne ne précise pas, c’est l’utilisation picturale et, pourquoi pas, touristique qu’on peut faire de la phacélie, à l’instar des champs de lavande en Provence.
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