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Interlude
Si vous avez connu la télé noir et blanc, vous vous souvenez peut-être du petit train d’interlude qui faisait patienter les spectateurs avec des rébus ou de petites histoires, qui défilaient à un rythme d’une lenteur inimaginable aujourd’hui.
Les feuilles d’automne à la queue leu leu au milieu des nénuphars m’ont fait penser à vous proposer cet interlude dans la visite de la maison de Monet.
Nous irons bientôt nous promener à l’étage et dans la salle-à-manger et la cuisine.
En attendant, un petit coup d’oeil sur le jardin que l’automne poétise.
Premier atelier
Dans la maison de Monet, la petite entrée, réservée à l’usage du peintre, mène d’un côté à l’escalier vers sa chambre, de l’autre à son premier atelier. Celui-ci se trouve en contrebas du reste de la maison. Si l’on vient du jardin, il faut donc monter quelques marches juqu’au perron pour ensuite les redescendre, ce qui ne semble pas très logique.
La disposition un peu bizarre des lieux s’explique par leur affectation d’origine. Quand il s’installe à Giverny, Monet trouve une grange sur le côté gauche de la maison. De cette vaste pièce au sol en terre battue, il va faire son premier atelier, en ajoutant un plancher, des boiseries et une volée de marches pour le relier au reste de la maison. Conformément au goût de l’époque, ces éléments sont réalisés en pitchpin.
Du haut de l’escalier, le regard embrasse l’atelier où rien ne semble avoir changé, du mobilier aux bibelots, des lampes au bouquet de plumes de paon.
Sur le côté, on remarque à peine une grande porte cochère, la porte d’origine de la grange, de plain-pied avec le jardin. Le peintre pouvait aussi passer par là pour entrer ou sortir avec ses invités.
L’épicerie
Dans la maison de Monet à Giverny, une petite épicerie fait suite au salon bleu. C’est une pièce qui fait office d’office, si j’ose dire, pas vraiment un office officiel, plutôt une entrée transformée en épicerie. Ceci explique sa place pas du tout conventionnelle ni pratique, entre salon et atelier. On s’attendrait plutôt à la trouver près de la cuisine, ou à la limite à proximité de la salle-à-manger.
Les couleurs des murs, vert pâle et mauve, ne frappent pas dans ce local, et les jolis meubles ont échappé à la fièvre coloriante qui prévaut ailleurs. Le buffet façon bambou a gardé sa couleur naturelle, de même que les boîtes à oeufs et le vestiaire, en vrai bambou cette fois.
Le salon bleu se traversait en diagonale. L’épicerie, quant à elle, distribue quatre ouvertures, si bien qu’il y avait à l’époque de Monet de multiples façons d’y passer en allant au jardin ou en en revenant. Elle pouvait aussi être plus qu’un corridor, le but d’un trajet depuis le salon pour y chercher ou y déposer quelque chose.
Le charme de cette petite pièce, une de mes préférées dans la maison, tient beaucoup à sa simplicité, sa décoration un peu désuète qui n’en fait pas trop. Surtout, les boîtes à oeufs lui donnent un esprit campagne qui sied bien à la demeure.
Le salon bleu
A gauche de l’entrée de la maison de Monet s’ouvre le salon bleu. Autrefois, c’était un séjour. Aujourd’hui, les visiteurs traversent rapidement la pièce, comme s’il s’agissait d’une antichambre.
On est frappé, dans les maisons bourgeoises du 19e siècle, par la petitesse des volumes. Impossible d’imaginer recevoir dans ce salon. Mais à la campagne, on recevait autour de la table, dans la salle-à-manger.
A part le sol fait de carreaux de ciment dans le goût de l’époque, tout est bleu dans la pièce. Monet avait fait peindre les meubles, les murs et le plafond en bleu pâle. Son mot d’ordre : de la couleur partout, à saturation, presque à l’excès. Des couleurs claires et gaies.
Peints ton sur ton, les meubles se fondent dans les murs. La bibliothèque, un buffet cauchois dans lequel trônent les livres de jardinage, et l’horloge ont l’air de faire partie d’un tout uniforme.
Les deux bleus durs font ressortir le bleu doux des estampes japonaises, dont la collection se poursuit d’une pièce à l’autre à travers une grande partie de la maison.
Par la fenêtre étroite entre un jour parcimonieux. Après le bain de lumière du jardin, il fait sombre dans ce salon ombré par les ifs.
Assailli par toutes ces perceptions visuelles insolites, le visiteur tente d’imaginer la vie de famille dans ce petit salon. Cette fois l’image paraît plus conventionnelle. Alice assise sur le canapé, peut-être en train de coudre ou de lire, avec ses enfants en train de jouer à côté…
Les petites photos disposées ça et là dans le salon ne nous dévoileront rien sur l’usage qui pouvait être fait de cette pièce. Elles racontent des scènes qui se jouent ailleurs, Michel sur un véhicule à moteur qu’on n’ose appeler une automobile, Jacques posant dans son garage, la petite-fille d’Alice avec une poupée… Chacune d’elle apporte davantage de questions que de réponses.
L’entrée
Depuis l’entrée de la maison de Monet, du haut de la véranda, la vue plonge tout droit sous les ifs et les arceaux de la grande allée pour aller buter tout au fond contre le portail et la glycine du pont japonais.
Tout l’après-midi, le soleil dore de ses rayons les capucines et leur donne cette belle teinte chaude.
Par la porte ouverte, le jardin s’invite dans la maison, happé par le miroir. Image virtuelle, reflet du réel : la grande spécialité du maître des lieux.
Rollon
L’oeuvre s’appelle « Rollon, chef Viking et premier duc de Normandie, sur son drakkar Ariane ». Elle a été présentée au public au musée de Vernon dans le cadre des journées du Patrimoine, en clin d’oeil au 1100e anniversaire de la Normandie.
On doit ce petit bijou d’inventivité, d’humour, de tendresse et de fin bricolage à un ancien de la Snecma, Jean-Claude Conchard. Celui-ci a recyclé des éléments des moteurs de fusées fabriqués et testés à Vernon pour les assembler en un Rollon futuriste et rigolo.
Le corps du farouche guerrier est une chambre de combustion du moteur HM7 du deuxième étage d’Ariane, les jambes des tuyaux d’échappement de Viking (l’ancien moteur du lanceur européen), tandis que les boucliers jumeaux sont faits avec des turbines de Viking qui dans leur environnement normal se flattaient d’être deux fois plus puissantes qu’un TGV.
La nef du drakkar, quant à elle, vient de la coque d’un moteur Vulcain, qui propulse Ariane 5 à l’aide d’hydrogène et d’oxygène liquides, donc extrêmement froids.
L’artiste n’a pas dû avoir la tâche facile pour découper et souder les différents éléments de son Rollon. L’industrie spatiale fait appel à des métaux très spéciaux, des aciers réfractaires de type inox à fort taux de nickel, m’ont expliqué ses collègues présents à l’inauguration de l’oeuvre. Ces métaux, très chers comme on peut s’y attendre, ont l’avantage de ne pas s’oxyder et d’offrir une grande résistance thermique. En revanche, ils sont difficiles à usiner.
J’imagine que lorsqu’on est de la partie, le plaisir est grand de reconnaître ici et là les pièces de réemploi, familières dans un autre contexte.
Pour le spectateur non averti, les éléments gardent tout leur mystère, avec leur patine et leur éclat si particuliers, et leurs formes détournées de la fonction initiale pour laquelle ils ont été conçus afin de leur insuffler un sens nouveau.
Avec sa bouille toute ronde et ses yeux en rondelle, le bonhomme Rollon sur son Ariane propose un drôle de voyage au fil du temps.
Plume
Les araignées se montrent plus industrieuses que jamais ces derniers temps. Chaque nuit, elles tissent des milliers de toiles dans le jardin de Monet.
Le matin, la brume révèle leurs délicates broderies disposées sur les plantes comme du linge à sécher.
Toutes les qualités de fils sont en démonstration, les gros fils tirés d’un arbre à l’autre qu’on nomme fils de la Vierge, les fils très fins et serrés qui forment des résilles sur les massifs de fleurs, les toiles en fils moyens comme autant de petits parachutes arrondis par la brise.
Infatigables, les araignées tissent. Que pensent-elles attraper en lançant ainsi leurs filets à filtrer l’air, les uns à côté des autres ? Y aurait-il pléthore de provende, surproduction de moucherons ?
Ce matin j’ai eu la réponse.
Si les araignées tendent partout leurs pièges dérisoires, c’est qu’elles espèrent y capturer l’un des anges qui rendent visite, la nuit, au petit paradis terrestre de Claude Monet.
Aux fils de nos voyages
Autrefois, l’épouse de Claude Monet Alice et ses filles s’asseyaient sous le paulownia du rond des dames pour broder ou coudre les belles après-midi d’été.
Tirer l’aiguille est un loisir convivial qui se pratique volontiers à plusieurs. A Vernon, une association perpétue cette tradition. Deux mille et une croix, c’est ainsi qu’elle se nomme, rassemble toutes les personnes qui souhaitent se réunir pour broder au point compté ou coudre quilts et patchworks.
Comme son nom le laisse entendre, l’association existe depuis dix ans. Pour fêter son anniversaire, elle organise une grande exposition d’art textile sur le thème du voyage les 14, 15 et 16 octobre 2011, à l’Espace Philippe-Auguste de Vernon.
La salle Viking accueillera une rétrospective des ouvrages collectifs réalisés au fil du temps par les membres de 2001 croix. On pourra admirer notamment le magnifique paravent fleuri dont ce nénuphar est extrait (cliquez sur l’image pour le voir).
Des oeuvres de broderie en appliqué réalisées par des jeunes femmes de Pondichéry offriront un voyage dans l’Inde ancienne.
La mezzanine recevra des mercières et des créatrices, des dentellières, des auteurs de livres de points de croix. La salle Maubert proposera des ateliers de cartonnage ou de scrap.
Si vous prévoyez d’aller à Giverny ce week-end là, un petit crochet par l’Espace Philippe Auguste, en plein centre de Vernon, à deux pas de la gare, ravira toutes celles et ceux qui aiment les loisirs créatifs.
Bourdaloue
Ce qu’on attend d’un guide, c’est qu’il vous fasse découvrir des choses que vous n’auriez pas vues sans lui. Un vrai challenge pour les conférenciers bénévoles des Journées du Patrimoine qui parlent de leur propre ville à un public largement composé de fins connaisseurs de celle-ci.
Pour moi, cette année, le morceau de choix se nommait Bourdaloue.
Si vous êtes gourmand, vous avez déjà à la bouche un goût de poire et d’amande, principaux ingrédients de la tarte Bourdaloue. Mais c’est mettre la charrue avant les boeufs, car ce Bourdaloue-là n’est qu’une conséquence des précédents dans l’ordre chronologique, à venir dans ce billet. Vous ne comprenez rien ? Patience ! Ce n’est pas encore l’heure du dessert !
Samedi dernier, nous nous trouvions donc avec Jean Baboux, historien vernonnais, à l’arrière de la collégiale de Vernon, quand celui-ci nous montre un insignifiant petit cercle métallique inséré dans le bas de la muraille, qui ressemblait à un tuyau bouché.
Observé de plus près, il révèle une information intéressante : altitude 17 mètres.
C’est l’un des repères du Nivellement Général de la France réalisé entre 1857 et 1864 par Paul-Adrien Bourdaloue. Sept ans pour accomplir un travail de titan, mesurer l’altitude de 15 000 points en France, de proche en proche.
Le niveau zéro est pris à Marseille, car la Méditerranée n’a presque pas de marées. Ces repères ont été fixés sur des bâtiments publics aussi immuables que possible. Le calcul était autrefois exact au centimètre près. Depuis, les repères ont été remplacés et l’altitude a été arrondie au mètre. L’inscription aujourd’hui largement rongée précisait « Nivellement général de la France au-dessus du niveau moyen de la mer. »
Ce Paul-Adrien Bourdaloue, conducteur des Ponts et Chaussées à qui l’on doit aussi le calcul prouvant que la Méditerranée et la mer Rouge sont à la même altitude, était de la famille d’un autre Bourdaloue, encore bien plus illustre : Louis Bourdaloue.
Louis Bourdaloue vivait deux siècles plus tôt, à l’époque de Louis XIV. Jésuite né en 1632, prédicateur du roi, il était une vraie star en son temps, où l’on aimait les beaux sermons. A en croire la marquise de Sévigné, ceux qui voulaient à tout prix assister au prêche du Vendredi Saint envoyaient leurs laquais occuper leurs places dans l’église dès le mercredi…
Le jour venu, les fidèles étaient tellement tassés qu’il ne fallait pas songer à sortir cinq minutes pendant les homélies de Bourdaloue, qui duraient plusieurs heures. Les dames avaient donc pris l’habitude de s’équiper d’un mini pot de chambre portatif, bien vite surnommé un bourdaloue.
C’est là que notre guide, joignant le geste à la parole, a sorti de son sac l’un de ces fameux bourdaloues, pour le brandir devant nos yeux ébahis. On en trouve toujours dans les brocantes, où par ignorance on vous le vendra peut-être comme saucière pour une bouchée de pain !
Comme les stars d’aujourd’hui, le look de Bourdaloue était copié. Le grand prédicateur portait un chapeau à ruban. Les modistes appellent toujours ce type de ruban un bourdaloue.
Une telle célébrité méritait bien qu’on attribuât à Bourdaloue le nom d’une rue parisienne. C’est dans cette rue Bourdaloue qu’un pâtissier inventa vers 1900 la tarte frangipane-poire, devenue depuis la tarte Bourdaloue.
Paon du jour
Tout le monde a déjà vu ce beau papillon orangé dont les ocelles rappellent ceux des plumes de paon. Sans chercher plus loin, l’imagination populaire l’a aussitôt baptisé paon, plus précisément paon de jour, puisque c’est un papillon diurne, pour le distinguer des paons de nuit.
Il existe deux autres sortes de papillons à ocelles, nocturnes, le grand et le petit paon de nuit. Le premier mérite son qualificatif : c’est le plus grand papillon d’Europe.
Je ne me promène pas à la nuit tombée dans les jardins de Monet, impossible donc de savoir si des paons de nuit le fréquentent dans les ténèbres. Cela doit être impressionnant d’en croiser, grands comme la main, guidés par leur odorat si performant qu’ils sentent une femelle à cinq kilomètres. (Encore plus forts que le Grenouille de Süskind dans le Parfum !)
En revanche, ces jours-ci, le clos normand est plein de paons du jour, battant des ailes sur les asters.
On ne sait pas trop pourquoi les paons, les vrais, les oiseaux, ont des ocelles. Certes, en faisant la roue ils séduisent les femelles, mais selon Darwin, ils auraient dû disparaître, voyants, lents et repérables comme ils le sont.
Le paon ne cherche jamais à faire dans la discrétion, même sur le plan auditif. Son cri caractéristique de « Léon ! » est si sonore qu’il s’entend à un kilomètre. (Et Léon, c’est justement le nom du paon du jardin des Plantes de Rouen. )
Malgré ces handicaps, le paon n’a pas disparu, peut-être parce que ses plumes lancent au prédateur un message du style « Ne t’en prends pas à moi ! Si je ne me cache pas, c’est parce que je suis totalement immangeable. » Quant à savoir si c’est vrai… On en mangeait au Moyen Âge, mais on mangeait n’importe quoi, et j’imagine que si la grande distribution ne nous en propose pas, c’est que ce n’est pas terrible.
Monet était fasciné par les plumes de paon. Il en avait un gros bouquet dans le coin de son salon-atelier, où il pouvait à loisir admirer le chatoiement de la lumière dans les plumes qui sont, à la base, noires.
Pour ceux que l’explication scientifique des jeux de lumière dans les plumes de paon intéresse, Maurice Pomarède indique que leurs microlamelles parallèles forment un réseau.
Leur écartement est de l’ordre du 1/10 de micron, de telle sorte que le retard entre deux rayons d’une même radiation frappant deux lamelles successives peut entraîner leur annulation. La suppression d’une radiation dans la lumière blanche se traduisant par l’apparition de la couleur complémentaire, de tels réseaux seront à l’origine de couleurs structurales.
Après cela, les plumes de paon ont-elles perdu pour vous une partie de leur mystère ?
Si l’on ignore encore pourquoi les paons alignent des ocelles dans leur plumage, on sait en revanche très bien pourquoi les paons du jour en arborent sur leurs ailes.
Regardez la photo, et vous ne verrez plus que ça : les deux ocelles du bas sont la copie conforme des yeux d’un chat. Incroyable, non ?
Le jour où la roulette des mutations s’est arrêtée sur cette combinaison, pour le paon du jour, cela a été le jackpot.
Le papillon a surtout à craindre des oiseaux. Or, qui est l’ennemi héréditaire des oiseaux ?
Mistigri.
Raminagrobis.
Grippeminaud.
Qu’un oiseau affamé s’approche du paon de jour, celui-ci écarte grand ses ailes, comme s’il faisait « bouh ! » et l’oiseau découvre le regard d’un chat fixé sur lui. Panique du prédateur sur le point de devenir, croit-il, proie.
Tous les oiseaux ne s’y laissent pas prendre, bien sûr, pas plus qu’aux épouvantails. Mais souvent, ça marche.
Alors, paon du jour ? Papillon chat serait plus approprié.
Journées du Patrimoine
Sur l’une des portes du garage situé dans la pittoresque ruelle Malot à Vernon, on lit encore « Vitrerie », sur l’autre « Peinture ». La porte de gauche annonce le prénom : Alfred, celle de droite, le nom : Rouge.
A l’écriture des majuscules, et surtout à cause de ce prénom, on devine que l’inscription ne date pas d’hier. On aimerait bien en savoir un peu plus sur cet atelier…
L’une des visites proposées dimanche matin dans le cadre des Journées du Patrimoine à Vernon partira sur les traces de ces inscriptions disséminées aux quatre coins de la ville, il sera notamment question des palais, un mot qui a tout de même une autre allure que bazar, et des cafés.
La visite est conduite par un Vernonnais de toujours, qui connaît son Vernon comme sa poche.
Dimanche, on pourra aussi en apprendre long sur le vitrail de Décorchemont de la mairie, que les Vernonnais voient tous les jours mais dont bien peu connaissent le processus de création.
Ce sont ces découvertes originales, ces angles insolites qui font tout l’agrément des Journées du Patrimoine partout en France, et maintenant aussi dans le monde.
En plus, bien sûr, de pouvoir pousser des portes d’habitude fermées à clé. A Vernon, ce sera encore une fois celle de la tour des Archives, qui offre un si joli panorama sur la ville, après l’ascension de 99 marches. Et les caves de l’Office de Tourisme, qui valent la peine d’en descendre quelques-unes de plus. S’il leur reste des jambes, les visiteurs ne manqueront pas la découverte du buffet d’orgues de la collégiale, c’est un grand moment de se retrouver là-haut.
Le programme complet est en ligne sur le site de la ville. Et comme d’habitude, il impose des choix cornéliens. Partir sur les traces de l’Hôtel-Dieu et du Vernon ducal, samedi à 15h, ou se faire expliquer comment analyser le format et le cadrage d’un tableau ? Je suis sûre que c’est pareil chez vous.
Une allée de capucines
D’ici quinze jours, voici l’aspect qu’aura la grande allée du jardin de Monet à Giverny : un tapis de capucines avec deux côtés verts et une rivière orange au milieu. La pente du terrain accentue cette illusion de rivière, on a l’impression que les fleurs coulent et s’en vont remplir le bassin aux Nymphéas, de l’autre côté de la route.
Cet effet, l’un des charmes d’octobre à Giverny, est la récompense de six mois de patience et de travail.
Dès le mois d’avril, les capucines sont semées en place. Tous les dix centimètres, au milieu des myosotis, les jardiniers enfouissent une graine grosse comme un petit pois à deux centimètres de profondeur, après l’avoir fait tremper plusieurs heures.
Puisque c’est la rentrée ces jours-ci, un peu de calcul : l’allée centrale mesure 53 mètres de long. Combien de graines de capucines le chef-jardinier doit-il commander pour la garnir de chaque côté ?
Vous avez la réponse ? 53 x 10 x 2 = 1060 graines.
En sachant combien de graines contiennent les sachets de capucines de Lobb, alias Tropaeolum lobbianum, que ce soient les variétés Spitfire ou Lucifer cultivées à Giverny pour obtenir des fleurs de couleur orange, jaune et rouge, on peut calculer le nombre de sachets de graines nécessaires : 27.
Et comme tout cela a un coût, le budget graines de capucines pour l’allée centrale se chiffre à 80 euros environ. L’équivalent de dix billets d’entrée à la Fondation Monet cette année.
Pour parvenir à la poésie, les calculs s’imposent. Le travail aussi. Planter n’est pas tout, il faut ensuite arroser, puis, quand les capucines commencent à pousser et expriment leurs velléités de s’élancer n’importe où, leur expliquer qu’elles doivent se diriger vers le centre de l’allée et nulle part ailleurs.
Dans leur absence de discernement, les capucines partiraient bien à l’assaut des dahlias ou des asters de chaque côté de l’allée. Ce n’est pas du tout ce que l’on attend d’elles.
Les jardiniers surveillent donc leur croissance de près et tirent régulièrement les tiges volubiles vers le milieu du chemin. Pendant quelques heures, les capucines un peu vexées d’être rappelées à l’ordre font la tête, mais elles ne tardent pas à se redresser et à repartir de l’avant.
Enfin, les jardiniers s’imposent une tâche ingrate : couper les feuilles pour qu’on voie mieux les fleurs. A mon humble avis, c’est une corvée dont ils pourraient bien se passer. Les feuilles coupées, ce n’est pas très joli. En plus, elles ne tardent pas à repousser.
Monet dans Secrets d’histoire
Stéphane Bern dans l’atelier de l’hôtel Baudy, photo France Télévision
France 2 diffusait hier un long documentaire sur Claude Monet, présenté par Stéphane Bern dans son magazine Secrets d’histoire. (Il n’est plus possible de le visionner en ligne, mais le CD est disponible).
L’émission est excellente, avec beaucoup de bons intervenants historiens d’art comme Philippe Piguet, Marianne Alphant, Pascal Bonafoux…
Et puis, magie de la télé, on entre partout : dans la maison de Monet à Vétheuil, dans les archives du marchand de tableaux Paul Durand-Ruel, dans la salle de l’actuel Office de Tourisme de Rouen d’où Monet a peint les Cathédrales, chez Clemenceau, dans la chambre de Monet à l’hôtel Danieli à Venise…
Les vues aériennes de Giverny, au-dessus du jardin ou de l’église, sont magnifiques. Le reportage a été tourné au printemps, à l’époque des tulipes et des juliennes, il offre de jolis plans du jardin.
Surtout, le documentaire est une mine d’informations, très vivantes, même si le format de Secrets d’histoire oblige à des impasses sur des pans entiers de la vie de Monet. Il faut bien faire des choix…
Je serai heureuse de connaître vos réactions sur cette émission.
La lutte contre les taches
Il a fait un temps superbe aujourd’hui à Giverny, et comme d’habitude les visiteurs étaient nombreux à se photographier sur le pont du bassin aux nymphéas.
Au milieu d’eux, accoudé au parapet, j’ai été surprise d’apercevoir l’un des jardiniers de la Fondation Monet. S’était-il subitement métamorphosé en touriste ? Les apparences étaient trompeuses : en réalité, il était en plein boulot.
De cette position en surplomb, le jardinier évaluait la disposition des îlots de nénuphars à la surface de l’étang. Ce n’est pas simple d’obtenir une impression de naturel, tout en contrôlant la prolifération des plantes.
Les jardiniers du bassin se préoccupent constamment de la taille de ce qu’ils nomment « les taches » de nymphéas.
Il faut retirer des feuilles presque tous les jours pour éviter l’envahissement.
C’est mieux si les radeaux restent détachés, bien formés, ne se mélangent pas.
Et puis, il faut respecter l’alignement.
Là, j’ai ouvert de grands yeux. Un alignement ? Où donc ? J’avais en mémoire une photo des débuts du jardin, où les nymphéas étaient rangés comme à la bataille, et je trouve cela tellement plus joli qu’il n’y en ait pas, d’alignement…
Eh bien si, voyez-vous ! Il est en diagonale ! Un rangement tout en rondeur, comme le reste du jardin d’eau…
« Ça a l’air naturel, mais rien n’est laissé au hasard ! » a souri le jardinier avant de retourner à son bateau, les défauts qu’il est le seul à voir enregistrés dans sa tête.
Hydrangéas de collection
Je viens de voir les plus beaux hydrangéas de ma vie. Ces petites merveilles s’épanouissent dans « le jardin des Hortensias », à Varengeville-sur-Mer, en Seine-Maritime, à quelques kilomètres de Dieppe.
Corinne Mallet, spécialiste du genre, y a planté sa collection de quelque 1200 hydrangéas différents. C’est, dit-elle, la plus grande collection au monde, distinguée en France par le titre de collection nationale.
Je n’ai pas eu la présence d’esprit de lui demander pourquoi elle a nommé sa collection « Shamrock », comme le trèfle irlandais. Pour se porter chance ? En tout cas l’endroit, à la terre curieusement acide en plein plateau calcaire du pays de Caux, plaît aux hydrangéas.
Ils prospèrent à l’ombre des paulownias, offrant leur diversité étourdissante aux promeneurs. Inflorescences rondes, plates, en cornets, pétales plats ou frangés, en forme d’étoiles, empilés les uns sur les autres comme les brochettes de l’apéro, étamines contrastantes, duveteuses, branches gracieusement ployées, lianes parties à l’assaut des arbres, bouquets denses…
Il y a un ordre derrière ce foisonnement. A l’entrée, Corinne Mallet explique comment elle a classé chaque hydrangéa : par continent, selon qu’il s’agit d’une espèce trouvée dans la nature ou d’un hybride obtenu par la main de l’homme, par date d’introduction, etc.
Plan du jardin à la main, on déambule, fasciné par les curieuses feuilles en forme de chêne américain de variétés d’outre-Atlantique, par l’exotisme des fleurs japonaises que Corinne Mallet va chercher sur place, par l’inventivité de la nature.
Comme on aimerait, en partant, pouvoir emporter un hydrangéa à planter dans son jardin en souvenir de la visite !
Un goût d’été
Tiens ! C’est encore l’été ! On avait failli l’oublier, à force que la saison galope avec toujours ses trois semaines d’avance depuis le printemps, faisant déjà s’épanouir les fleurs de septembre, à force surtout de temps gris et frais qui n’avait rien d’estival.
Et voilà que soudain la canicule s’est abattue sur Giverny cet après-midi. On sursaute, mais oui, au fait, c’est le mois d’août !
Les robes légères ont refait leur apparition dans les allées du jardin, où les visiteurs ne stationnent qu’à l’ombre.
Les fleurs ont droit, aux petites heures du matin, à l’arrosage automatique, minuscules filets d’eau à leurs pieds, amples jets d’eau dans les airs.
Mais déjà, ce soir, l’arrosage automatique du ciel a pris le relais.
Monet dans les collections suisses et à Marmottan
Peut-être que j’arriverai encore à aller voir l’exposition Monet qui se déroule en ce moment et jusqu’au 20 novembre à Martigny, dans le Valais suisse. Pour vous situer l’endroit, imaginez le lac Léman, en forme de quartier d’orange, avec Genève à la pointe ouest. Martigny se trouve à l’opposée, dans la vallée qui prolonge la pointe est.
L’endroit est grandiose. La ville de Martigny s’étend au fond d’une vallée glacière toute plate, entourée de hautes montagnes. On est près du Mont-Blanc, à deux pas des pistes.
La fondation Pierre Gianadda a rassemblé 70 toiles connues et moins connues de Claude Monet. 26 ont été prêtées par le musée Marmottan. Les autres, celles qui intéresseront davantage les habitués du musée parisien, proviennent de collections publiques et privées suisses.
La Suisse n’est pas seulement le pays des banques, c’est aussi celui des musées. Monet y est largement représenté, et c’était une riche idée de réunir les oeuvres dispersées dans les différentes collections de la confédération helvétique.
A Martigny, c’est certain, l’exposition Monet réserve la double émotion de voir en vrai des tableaux très connus, et d’en découvrir d’autres qui ont moins fait parler d’eux.
Ce gâteau est agrémenté de 45 cerises : la fondation Claude Monet a prêté une partie des estampes japonaises collectionnées par le peintre, qui ne trouvent pas place sur les murs de sa maison à Giverny. Comme d’habitude, un régal de finesse.
Si vous voulez un avant-goût de l’exposition, Tania en parle très bien ici, et vous suggère même une autre expo à voir pour faire d’une pierre deux coups.
Claude Monet, Poirier en fleurs, 1885, huile sur toile 65 x 81 cm, collection particulière
Jardin des plantes de Rouen
L’année dernière, à l’occasion du festival Normandie impressionniste, un pont de bois à la Monet a été construit dans le Jardin des Plantes de Rouen. Pas plus japonais que celui de Giverny, il est peint en bleu clair. Les visiteurs ne peuvent pas y monter.
Le Jardin des Plantes est un bel endroit pour rendre hommage au chef de file de l’impressionnisme : Monet y avait ses entrées.
Le deuxième séjour de Claude Monet à Rouen pour peindre la cathédrale a lieu en 1893. C’est l’année où commence, en même temps, la création du jardin d’eau de Giverny.
Monet a beau être entièrement absorbé par son travail, il ne peut s’empêcher de penser de temps en temps à son cher jardin. Aux démarches à faire, aux travaux de terrassement qu’il surveille de loin, et, le plus agréable, au fleurissement futur.
Le 16 février, à peine arrivé, Monet écrit à son épouse à Giverny :
J’ai pu ce matin, après avoir travaillé, faire ma visite à M. Varenne au Jardin des Plantes. Très aimable, M. Varenne, et je pense avoir pas mal de choses de lui ; il m’a offert un pied de ce beau bégonia grimpant que j’apporterai dimanche. Nous avons visité toutes les serres, c’est superbe, quelles orchidées ! c’est épatant ! Quand aux plantes pour les jeunes botanistes, à ma prochaine visite il me présentera au jardinier-chef qui ne doit donner des plantes que sur l’ordre de M. Varenne, mais il me dit qu’il serait bon que les enfants me donnent une sorte de liste des genres et des familles qu’ils désirent ; ils pourraient faire cette liste avec le curé. Il m’a donné pas mal de bons conseils sur bien des choses. Enfin ce sera une bonne connaissance. Il m’a dit d’aller partout comme chez moi. Voilà.
Les jeunes botanistes dont parle Monet, ce sont les deux plus jeunes des enfants, son propre fils Michel Monet et celui d’Alice, Jean-Pierre Hoschedé. Inséparables, ils sont âgés d’une quinzaine d’années et se sont mis avec enthousiasme à la botanique, avec la complicité de l’abbé Toussaint, le curé de Giverny. Monet se réjouit évidemment de cette passion qu’il encourage.
Un mois plus tard, le 15 mars, Monet a refait une visite au Jardin des Plantes et fait moisson de spécimens rares. Il annonce à Alice :
J’ai expédié ce matin les plantes du Jardin des Plantes. Qu’on les mette en jauge en ayant bien soin des étiquettes que Blanche sera bien gentille de refaire. Je n’ai rien pu joindre pour les petits, j’ai trouvé ces plantes toutes préparées et n’ai eu que le temps de courir chez un jardinier les faire emballer.
Mais Monet ne peut distraire que bien peu de temps de son travail. Dix jours plus tard, il ajoute tout en bas de sa lettre quotidienne à sa femme, après la signature :
Je n’ai pas eu de loisirs pour voir les jardins ni le Jardin des Plantes.
C’est sa dernière allusion au jardin botanique de Rouen.
Bauta
Cette pierre dressée dans le jardin des plantes de Rouen, qui fait vaguement penser aux menhirs d’Obelix, est un bauta : autrement dit une pierre commémorative runique en norvégien. En 1911, elle a été offerte à la ville de Rouen au nom du peuple norvégien par le « Normands Forbundet » de Christiania.
Il y a cent ans, Norvégiens et Rouennais commémoraient le millénaire de la Normandie, dont on célèbre cette année, sans doute avec moins de faste, le mille centième anniversaire.
La pierre, qui fait bien cinq ou six mètres de haut, présente des bas-reliefs figurant boucliers, épées, éclairs, c’est-à-dire selon l’artiste de l’époque, les difficultés des Vikings « menacés par les périls du ciel et de la mer ». Là, le lecteur français sursaute, étranger à cette admiration et cette mansuétude à l’égard d’envahisseurs qui ont tout de même semé la désolation sur leur passage.
Mais tout cela est bien loin, mille ans après. On peut bien passer l’éponge. D’autant qu’une autre surprise attend le lecteur de la plaque commémorative insérée dans le bauta : la date d’inauguration.
Par une coïncidence qui touche à la prescience, la pierre symbolisant le débarquement des Vikings en Normandie a été dévoilée officiellement un 6 juin. Le 6 juin 1911, 33 ans jour pour jour avant le D-Day.
Giverny sous la pluie
Je vais vous faire une confidence, à vous qui êtes des esthètes : c’est sous la pluie que le jardin de Monet est le plus beau.
Ce n’est pas seulement parce que les ondées font fuir les visiteurs, et que le jardin, soudain, s’offre à vous presque seul. Avantage appréciable, certes, mais rien au regard de la métamorphose du lieu.
Alors, voilà. Il ne pleut pas très fort en général à Giverny. Au moment des premières gouttes, vous êtes allé vous asseoir sous le grand saule au bout de l’étang.
Les branches qui s’agitaient tout à l’heure ont fini de se balancer. La pluie chante doucement autour de vous en piquetant les frondaisons.
L’intensité lumineuse a baissé. Les yeux se reposent sous l’écran des nuages, dans la lumière argentée qu’ils diffusent.
Devant vous, sur l’étang, des cercles d’abord épars, puis de plus en plus nombreux se dessinent, et leur rondeur répond à celle des feuilles de nymphéas. Animé de cette géométrie sans cesse renouvelée, le bassin est plus hypnotique que jamais.
Il fait doux.
Sous la pluie, chaque feuille se met à briller, lustrée d’argent.
Les fleurs font des points lumineux encore plus intenses que d’habitude.
Tandis que l’humidité envahit l’atmosphère, l’ambiance se met à changer.
Vous sentez le végétal se détendre autour de vous.
En tendant l’oreille, on entendrait les plantes soupirer d’aise.
Vous respirez la bruine fraîche aux odeurs de terre et d’herbe froissée.
Un oiseau passe, rapide.
Vous êtes bien, occupé seulement à être là, parcelle de la nature autour.
Pelotonné dans la tiédeur, sous le saule, vous regardez tomber la pluie sur le jardin de Monet.
De l’usage des fleurs sauvages
C’est un fait établi, Monet aimait inviter les fleurs sauvages dans son jardin.
Au printemps, on pourrait croire qu’elles sont là par accident, les primevères jaunes, les violettes des bois, les pâquerettes les plus communes, épargnées lors du désherbage par la main compatissante du jardinier.
Plus tard viennent les centaurées, ces gros bouquets de fleurs bleues assez spectaculaires pour qu’on les tolère, et les coquelicots, respectés comme l’une des fleurs fétiches de Monet.
Mais quand arrive l’été, et qu’au milieu des lis et des dahlias les plus extraordinaires émergent des molènes, ce bouillon blanc de nos grands-mères, des reines des prés, des tanaisies, des achillées, des verges d’or, on est amené à se poser des questions. Ce n’est plus le fruit du hasard, c’est un système.
Pour le fin connaisseur de Giverny Derek Fell (The Magic of Monet’s Garden, Ed. Frances Lincoln), il ne fait pas de doute que Monet herborisait dans la nature pour semer dans ses massifs les graines recueillies sur les talus et dans les prés.
Le but n’était pas de se procurer à bon compte de quoi remplir le jardin : on sait que Monet se montrait prodigue dès qu’il s’agissait de fleurs. L’idée était plutôt d’amener la nature chez soi, cette nature que Monet aimait par-dessus tout. D’éviter le côté artificiel des jardins trop bien arrangés.
Précurseur des jardins d’aujourd’hui, qui font la part belle aux fleurs spontanées, Monet aimait que son jardin n’ait pas l’air apprêté, mais qu’au contraire il permette de s’immerger jusqu’au vertige dans la verdure et les fleurs.
A l’image des connexions que le peintre a imaginées entre les deux jardins, le clos normand est un lien entre la maison, qui protège l’homme, et l’immensité de la nature sauvage.
Photographier les nymphéas
Les nymphéas qui flottent sur le bassin de Giverny sont passionnants à photographier !
Monet avait raison, leurs possibilités sont infiniment variées.
Mais on arrive aussi très bien à rater ses photos, (j’en sais quelque chose !) avec des nénuphars plantés au milieu d’une masse de salade verdâtre.
Un truc si vous débutez : ne pas chercher à tout prix à avoir une vue dégagée sur le nymphéa.
Un premier plan flou peut avoir son charme, que ce soit des feuilles d’iris, des tiges qui apporteront leur graphisme, ou des fleurs.
Les fleurs à pétales légers, à travers lesquelles on peut voir, sont les plus intéressantes.
Sur cette photo, il s’agit d’un cléome, dont la forme disparaît et devient cette ombre rose vaporeuse.
Les fleurs plus denses, qui ressemblent à des marguerites, font des taches moins floues.
Mettre soigneusement au point sur le nymphéa. Si c’est le premier plan qui est net et le nymphéa flou, il est rare que le résultat soit satisfaisant.
Bonne séance photo ! Et surtout, attention où vous mettez les pieds. Cadrer les nymphéas dans l’objectif n’est pas une raison pour écraser les bordures de fleurs, comme je le vois faire tous les jours à mon grand désespoir !
Les trous de la mémoire
Êtes-vous satisfait de votre mémoire ? Je parierais bien que non. Tout le monde aimerait que cette fonction de notre cerveau en fasse un peu plus.
Cesse, par exemple, de faire sa maniaque en fichant à la poubelle beaucoup trop vite ce que nous nous sommes donné tant de mal à apprendre.
Tienne à jour le trombinoscope de nos relations pour nous ressortir la fiche adéquate instantanément en cas de besoin.
Accepte d’accueillir des données nouvelles. Oui, oui, ça va faire des cartons supplémentaires à stocker, mais quand même, on a la place !
Notre mémoire, elle nous fait l’effet d’être aussi vaste que celle d’un ordi tout neuf, mais elle se comporte comme celle d’un ordi qui a déjà bien servi : elle s’imagine toujours qu’elle est sur le point d’exploser et qu’il faut faire du vide.
Tous les métiers font appel à la mémoire – je veux dire à la fonction de restitution de choses apprises – mais certains plus que d’autres. En ce qui me concerne, et sans doute pour beaucoup de jardiniers aussi, l’apprentissage des noms de fleurs est un bras de fer permanent.
Pourquoi est-ce si difficile ? Certains noms rentrent tout seuls, presque par jeu, comme asclépia ou crocosmia. D’autres reviennent au bout de quelques jours quand la plante réapparaît, comme lysimaque. Mais certains se rebellent.
J’avais oublié le nom de l’agastache, cette belle vivace à fleurs bleues. Par chance, j’en ai une dans mon jardin, avec l’étiquette de la jardinerie ; j’ai pu me rafraîchir la mémoire, me taper le front et comprendre l’origine du problème.
Quand on lui dit agastache, notre inconscient entend agace tache. Comme nous sommes des gens bien élevés, nous avons appris que nous devons avoir une tenue correcte et absolument exempte de tache. Si on s’en fait une, c’est agaçant. Il va falloir se changer ou supporter un malaise.
Quand la mémoire flanche, il y a souvent du malaise pas loin. Dans le discours professionnel, où nous contrôlons notre langage, nous nous efforçons d’éviter les familiarités et pire, les grossièretés. En proférer une par inadvertance nous mettrait très mal à l’aise.
Notre surmoi en alerte a tendance à en faire un peu trop. C’est lui qui fait trébucher les présentateurs télé sur les mots en ouille, aussi innocents soient-ils.
Le nom de fleur qui a le malheur de présenter la moindre analogie avec des vocables appartenant à la sphère génito-anale est impitoyablement éliminé. A la trappe, l’osteospermum !
Alors, il y a des ruses. Pour éviter que les mots ne passent dans le vide-ordure, chacun a ses astuces. Les listes de vocabulaire. Les sachets de graines qui traînent dans la voiture, et dont on va relire le nom trois fois par jour. La décomposition en calembour.
Tous les moyens sont bons, surtout quand il faut apprendre le nom des fleurs en trois voire quatre langues. Parce que, pour les guides à Giverny, il est préférable de ne pas sécher trop souvent. Ça créerait un malaise.
La preuve ? Aujourd’hui, c’est un comble, j’avais oublié comment on disait mémoire en allemand. (Gedächtnis, merci, mon interlocuteur me l’a soufflé.)
L’Aiguille et la falaise d’Aval
4 septembre 2011 / 7 commentaires sur L’Aiguille et la falaise d’Aval
Sterling and Francine Clark Art Institute, Williamstown, Massachusetts
Cette vue prise à Etretat est l'un des chefs-d'oeuvre de Claude Monet que l'on peut admirer en ce moment au musée des Impressionnismes de Giverny. Le MDIG accueille jusqu'au 31 octobre une exposition en provenance du Sterling and Francine Clark Art Institute de Williamstown, dans le Massachusetts.
Monet a capturé le moment fugace où le soleil touche la pointe de l'Aiguille d'Etretat. On sent que l'ombre va progressivement descendre le long du rocher, à mesure que le soleil va monter. La toile, peinte en 1885 en pleine période impressionniste, est emblématique des recherches de Monet sur le rendu des éclairages éphémères, des "effets" de lumière.
Placé presque au centre du tableau, le rocher ensoleillé est le vrai sujet de l'oeuvre. Il se pare de tons chauds, dont les jaunes viennent s'harmoniser avec les tonalités bleues et grises qui baignent la toile.
La composition, qui fait s'avancer la falaise, tronquée, sur la droite, exprime l'aspect écrasant de cette gigantesque paroi minérale. Mais les gentilles vaguelettes qui animent la mer, le ciel bleu où flottent des nuages de beau temps, la douce plage rose du premier-plan, l'éclat du rayon de soleil et de son reflet, confèrent une atmosphère paisible à la scène, confirmée par la flottille de bateaux de pêche qu'on aperçoit à l'arrière-plan.
En 1885, Monet n'en est pas à son premier séjour dans la célèbre station balnéaire du littoral normand. C'est même plutôt le dernier. Le plus long, le plus abouti sur le plan artistique.
Le peintre a 45 ans, il vient de s'installer à Giverny 18 mois plus tôt. L'hiver, il aime s'éloigner pour des campagnes de peinture en solitaire.
Lors de ce septième séjour à Etretat, Monet prend le temps de chercher de nouveaux angles pour exprimer la beauté grandiose et sauvage de ce site naturel. Pour peindre ce tableau, explique Daniel Wildenstein, "il fallait, au siècle dernier, descendre le périlleux escalier de la valleuse de Jambourg. Une fois en bas, on est seul terriblement, surtout à l'approche de l'hiver, comme c'est le cas de Monet, dont la carrière, avec la vie, a bien failli s'arrêter là."
Le 27 novembre, installé avec son chevalet, Monet s'imagine que la mer descend, jusqu'à ce qu'arrive
Le tableau du Clark a sans doute été peint plus tôt. Aucune trace d'un potentiel danger ne perce en tout cas dans la vision majestueuse et sereine que donne Monet de la falaise d'Aval et de l'Aiguille.
Sauf, à bien y regarder, le risque d'éboulement, marqué par les rochers sur la photo comme il y a quelque 125 ans sur le tableau.