La tulipe de l’Ecluse

Voici une tulipe particulièrement élégante avec ses deux couleurs : dehors, elle est rouge-rosé, dedans, blanche avec une macule violette. Pourquoi de l’Ecluse ? Ce nom qui intrigue est un hommage au botaniste Charles de l’Ecluse, qui vivait au 16e siècle et se passionnait pour les tulipes.

Vue du dessus, la tulipe de l’Ecluse charme par sa géométrie parfaite. Les trois pétales extérieurs sont pointus, les trois pétales intérieurs arrondis.
La tulipe clusiana était jusque dans les années 1960 une plante adventice des vignes dans le sud de la France. Les pratiques modernes de la viticulture l’ont fait quasiment disparaître. Elle a toutefois ses ardents défenseurs.

Voici la tulipe de l’Ecluse mise en scène par les jardiniers de Giverny, en compagnie de pâquerettes pompons, de tiarelles, de pensées et d’oeillets de poète. Au passage, ces voisines donnent l’échelle : la tulipe de l’Ecluse n’est pas très grande, entre 20 et 40 cm. Elle n’est pas de celles qui s’imposent à la vue, tandis que d’autres tulipes n’hésitent pas à parler fort.
La violette à taches de rousseur

Aussi discrète que ses soeurs les violettes des bois, la violette sororia « Freckles » s’en distingue par ses petites taches toutes mignonnes réparties sur des pétales plutôt blancs. De temps en temps, une marque violette plus grande que les autres anime les sages petits points.
J’ai photographié cette minuscule vivace au pied des pommiers en cordon, tout en haut de l’allée couverte de structures métalliques.
Les tulipes, reines de la couleur

C’est « le » grand moment. Vues de loin, les tulipes du massif violet et du massif orange se fondent en une mosaïque de couleurs. Les arbres sont en fleurs, le printemps est en fête et nos coeurs aussi !
L’aurore

Ce petit papillon ne passe pas inaperçu en ce moment dans les jardins de Monet, où sa belle couleur orange attire l’oeil au-dessus des massifs printaniers. Selon le site zoom-nature, qui nous dit tout de son comportement, l’aurore a une prédilection pour les fleurs de la famille des brassicacées. Il sait aussi bien se faire remarquer grâce à ses couleurs vives que se dissimuler par mimétisme en repliant les ailes.
Les aurores sont sortis de leur chrysalide à la faveur des belles journées du début du printemps, et marquent le retour des beaux jours. En anglais, ils s’appellent orange-tip, c’est-à-dire extrémité orange.
Sur les pas de Monet à Giverny et Vernon

éditions Orep, 12,90 euros
Mon nouveau livre est paru ! Il est disponible en librairie ou sur le site des éditions OREP. Il s’intitule Sur les pas de Monet à Giverny et Vernon.
C’est un guide de balade, dans un format facile à glisser dans le sac. Je propose au lecteur de retrouver les endroits où Monet s’est placé pour peindre à Giverny et à Vernon, la ville voisine.
J’adore me trouver pile à l’endroit où un peintre s’est mis, comparer le paysage avec ce qu’il en a vu, et je crois que c’est un plaisir partagé par un grand nombre de personnes.
Pour réaliser ce livre, je suis allée faire des photos des lieux peints par Monet. J’ai cherché s’il existait des photos anciennes montrant à quoi ils ressemblaient à l’époque, et j’ai placé ces images à côté des tableaux. La comparaison est très intéressante, par les similitudes et les différences. Certains lieux n’ont pas changé, c’est stupéfiant.
Des plans de Giverny et de Vernon permettent de se repérer et d’aller par soi-même chercher l’angle précis.

Evidemment, 140 ans plus tard, l’exercice a parfois été un défi. Quand les perspectives ont disparu, quand on ne peut pas savoir exactement où le peintre se trouvait, j’indique des points de vue qui évoquent le paysage de Monet, à quelques pas de là. On est dans l’ambiance, à défaut d’être à l’endroit précis.
J’ai aussi rassemblé dans ce petit guide tout ce qui peut intéresser les fans de Monet : des avant-après de sa maison et de ses ateliers, sa statue, les oeuvres présentées dans les musées de Vernon et de Giverny, sa tombe, la gare où il prenait le train, la mairie de son mariage, la maison bleue qui lui appartenait… J’ai hâte de voir des visiteurs se promener, guide à la main, sur les pas de Monet !
Je signerai ce livre (et les 5 autres !) ce samedi 12 avril 2025 de 10h à 12h à l’Espace Culture de Saint-Marcel et le samedi 17 mai de 10h à 12h à La compagnie des livres de Vernon. Si vous êtes dans le coin, je serai contente de vous rencontrer !
Giverny début avril




Quelle joie de fêter le retour des couleurs sous ce beau soleil.
Les dindons du musée de Vernon

Cette toile vibrante peinte sur le vif dans une basse-cour est due à Marcel Couchaux, peintre normand et infatigable observateur de la vie à la campagne dans le pays de Bray. Ce néo-impressionniste attachait une grande importance au traitement de la lumière et de la couleur, en une pâte épaisse sans cesse retravaillée. Ses dindons vaquent à leurs importantes occupations sans se soucier du peintre, ni du spectateur. Le musée de Vernon a consacré une exposition monographique à Couchaux en 2019.

musée Blanche-Hoschedé-Monet, Vernon
Dans ce paysage pris dans la vallée de la Seine, à Freneuse, près d’Elbeuf, les dindons, tout petits, sont réduits à l’anecdote. C’est le printemps, les vergers sont en fleurs, mais l’air encore frais oblige la jeune gardeuse de dindons à se blottir sous sa capeline. Elle s’appelle Maria. Le peintre la connaît bien. Bouchor, qui a séjourné pendant des années dans l’ancien presbytère en colombages que l’on aperçoit à droite du tableau, l’a peinte à de multiples reprises.
Bouchor était membre du jury du Salon, formé à l’école des Beaux-Arts, et sa peinture reflète son goût pour la tradition. Ce tableau, laissant une grande place à un très beau ciel, montre sa connaissance et son amour de la campagne normande. Et les dindons ? Ils ne sont pas blancs comme ceux de Couchaux ou de Monet, mais noirs. Les revoici un peu agrandis :

Le gros plan révèle une touche visible qui s’affranchit des canons académiques.
Et pour finir, pour le plaisir, les Dindons de Monet qu’on peut admirer au musée d’Orsay à Paris. Notre oeil les voit blancs, mais Monet, pour décrire leur plumage, use de bleu, de jaune, de vert, d’orange, de rose…

Un parfum de printemps

Tous les cerisiers du Japon sont en fleurs à Giverny, un spectacle qui nous enchante tous les ans, encore plus beau sur fond de ciel bleu.

Dans le jardin du musée des impressionnismes, ouvert depuis le 28 mars, le temps des tulipes a déjà commencé. Les myosotis pointent leur nez bleu entre les tiges élancées de leurs voisines.

Ces adorables tulipes naines bicolores ne sont pas plus hautes que les jacinthes. Sous les rayons du soleil, ces dernières dégagent un parfum puissant, qui se mêle à celui des narcisses. Que c’est bon de respirer à nouveau l’odeur des fleurs !

Dans la prairie du musée, l’herbe se remet à pousser. Les pâquerettes font des galaxies blanches sur le tapis vert. Une meule de foin, bien conçue par les jardiniers, a résisté tout l’hiver. Par ce temps printanier, Monet n’aurait pas résisté à l’appel du plein air.
La collection Nahmad s’expose à Giverny

Jusqu’au 29 juin 2025, le musée des impressionnismes Giverny présente une sélection d’oeuvres issues de la collection des frères Nahmad, l’une des plus importantes au monde. En un demi-siècle, Joe, l’aîné, Ezra et David, seul encore en vie, ont amassé près de 5000 toiles entrant ou sortant de leur collection au gré de leurs achats et reventes.
Ces banquiers originaires de Syrie et du Liban sont devenus marchands d’art par passion, sans études artistiques, se fiant à leur goût. Ils ont manifesté un grand talent pour repérer les peintres en devenir.
C’est l’époque moderne, disons le XXe siècle, qui avait leur préférence. Mais la spécificité du musée de Giverny, l’impressionnisme, a conduit le commissaire, Cyrille Sciama, à piocher dans l’immense collection plutôt des peintures antérieures à 1925, annonçant la modernité, de Delacroix et Corot aux impressionnistes Monet, Sisley, Pissarro, Renoir, Degas.
En parallèle, on peut admirer dans l’exposition de nombreuses oeuvres symbolistes de Gustave Moreau et Odilon Redon, ainsi que des toiles italiennes du XIXe siècle. En effet, les Nahmad se sont installés à Milan dans les années 1960, et c’est là qu’a vraiment débuté leur activité de marchands.
L’exposition se termine par quelques trop rares toiles puisées dans le coeur de leur collection : de purs trésors de Modigliani, Matisse, Picasso nous régalent de couleurs, et on en vient à regretter qu’ils ne soient représentés que par un tableau chacun : la famille Nahmad possède 300 oeuvres de Picasso !
Les hérissons du musée de Vernon

Dépôt du centre national des arts plastiques
Bien connu pour sa collection de toiles impressionnistes et nabies, le musée de Vernon est aussi un merveilleux musée d’art animalier. A ce titre, c’est un endroit parfait pour initier les tout-petits à l’art, mais il n’est pas indispensable d’avoir ce prétexte pour aller visiter le deuxième étage du musée, car ses collections de sculptures et de tableaux d’animaux captivent à tout âge.
Je suis fan, par exemple, de ce hérisson en bronze doré, finement exécuté par Eugénie Grégoire, une plasticienne sur laquelle le net reste muet. Selon Stéphane Allavena, conservateur du patrimoine chargé de la mission de récolement au centre national des arts plastiques, « Eugénie Grégoire transforme son Hérisson en un objet décoratif aux lignes élégantes inspiré par l’Art Déco. »
Les piquants du hérisson se font douces aspérités, tandis que la forme de sphère et la finition dorée anoblissent l’animal.

Dépôt du Fonds national d’art contemporain (FNAC)
Marguerite Turgel a choisi une position plus inhabituelle pour son hérisson, couché sur le dos. Les yeux, les pattes et le museau apparaissent au milieu d’un nid de piquants qui semblent doux comme de la fourrure. Il y a quelque chose de très tendre dans cette attitude, qui nous évoque le visage d’un enfant émergeant des couvertures. Mais ce n’est pas une façon de se tenir très naturelle au hérisson, plutôt l’image de ce que découvre un prédateur qui retourne l’animal pour le dévorer. Brrr… Cela n’a toutefois guère de chances d’arriver : le cartel du musée précise que seulement 9% des hérissons périssent en raison de leurs prédateurs naturels. Leur pire ennemi, c’est l’homme avec ses véhicules, ses pesticides, ses piscines et ses débroussailleuses.
Une autre photo, prise par Yves Chénot, ici.
Les barques du musée de Vernon

musée Blanche-Hoschedé-Monet, Vernon
Le musée de Vernon possède plusieurs toiles de Pierre Maubert, peintre local « prolifique », nous dit le cartel associé à ce tableau. Ses oeuvres, plaisantes à regarder, n’ont pas atteint la notoriété que confèrent une technique hallucinante associée à une audace avant-gardiste prodigieuse, mais, en toute modestie, elles égaient les murs et offrent un témoignage sur une époque révolue. Celle-ci nous renseigne sur le type de barques qui était en usage dans le val de Seine au début du siècle, à une époque où Monet peignait ses Nymphéas.
A côté de la barque pimpante verte et orange qui paraît prête à servir, une autre, immergée, se devine sous le saule. Moins bien entretenue, elle a sans doute pris l’eau par des interstices entre ses planches disjointes, et va demander des soins avant d’être à nouveau en état. Cet aspect noyé, le saule qui paraît sur le point de tomber dans l’eau, introduisent des éléments inquiétants dans ce paysage à priori si riant.

musée Blanche-Hoschedé-Monet, Vernon
En contraste avec le soleil qui baigne le tableau de Pierre Maubert et fait chanter les verts, Gabriel Rogier nous propose une vue de la Seine par temps couvert. Malgré la date annoncée, avril, et les feuilles aux arbres, on se croirait en hiver, dans une atmosphère qui décline les tons de gris et de bruns. Rogier s’est placé assez près du fleuve pour être presque à la même hauteur que la barque, qui occupe le centre du tableau.

Vaclav Radimsky (Kölin 1867 – Pasinka 1946) Barques sur un fleuve, 1906
musée Blanche-Hoschedé-Monet, Vernon
Enfin, le célèbre peintre impressionniste tchèque Vaclav Radimsky nous offre toute une collection de barques alignées le long de la berge. On peut observer les similitudes et les différences entre les embarcations. Radimsky était un proche de Cézanne et bien connu de Monet, puisqu’il a séjourné à Giverny en 1894 avant de s’installer dans les environs de Vernon, au Goulet, jusqu’à la Première Guerre mondiale.
L’atelier de Nadar

On peut encore voir à Paris, au 35 boulevard des Capucines, l’immeuble où se trouvaient les salons et l’atelier du photographe Nadar, de 1860 à 1874. C’est en traversant la rue qu’on le voit le mieux, et la ressemblance avec la célèbre photo de l’atelier est indéniable :

On note que le photographe qui a pris ce cliché officiait depuis un étage élevé de l’immeuble d’en face, et non depuis la rue comme moi. On remarque aussi que le bâtiment a été surélevé de deux étages, et que les fiacres ont fait place à des véhicules automobiles.

Nadar occupait ces deux étages-ci, avant de déménager et de prêter ses locaux aux artistes peintres, sculpteurs, graveurs, etc, pour qu’ils y organisent en 1874 ce que la postérité nommera « la première exposition impressionniste ».

Un petit panneau apposé sur la façade rappelle l’évènement, mais malgré le bruit fait l’an dernier autour des 150 ans de la naissance de l’impressionnisme, je n’ai pas vu de communication officielle aux alentours de l’immeuble.
Terrasse à Sainte-Adresse

Comme son nom l’indique, le tableau de Monet intitulé « Terrasse à Sainte-Adresse » a été peint depuis une terrasse privée qui surplombe la Manche, sur la commune de Sainte-Adresse, près du Havre. Le lieu n’existe plus tel qu’il apparaît sur la toile, mais à vrai dire, la vue n’est guère différente depuis la promenade qui longe le bord de mer, à quelques détails près. A gauche sur la photo, on aperçoit l’entrée du port du Havre. Monet, qui bénéficiait d’un point de vue plus élevé et d’un temps clair, a fait figurer la colline qui marque l’estuaire de la Seine au sud. Selon Géraldine Lefebvre, directrice du Musée André-Malraux du Havre, qui a identifié les lieux avec précision, on reconnaît au second plan « la colline de Beuzeval qui domine l’entrée de la Dive sur la côte bas-normande (..) appelée également falaise des Vaches noires. »
La terrasse bordée de croisillons « appartient à une modeste maison à pans de bois. » Ce chalet destiné à la villégiature en bord de mer était celui d’une famille amie, les Bodson de Noirefontaine.
Depuis leur villa du Coteau, située dans un vallon boisé perpendiculaire à la côte, les Monet-Lecadre ne pouvaient pas observer les régates. Claude Monet, son père Adolphe, sa tante Jeanne Lecadre, sa cousine Marguerite et l’époux de celle-ci, Eugène Lecadre, ont accepté l’invitation de leurs amis, absents du tableau. Peut-être les Bodson de Noirefontaine n’étaient-ils tout simplement pas là, ce « 21 juillet 1867 en fin de matinée ».
Les couleurs de la mer

Les jours de beau temps, la mer n’est pas juste bleue, quand on la regarde avec les yeux de Monet. Elle se colore de vert, de violet, et de bien d’autres teintes, du bleu lavande au bleu outremer.
Le petit point clair dans l’eau, c’est une personne qui se baigne, début mars.

Dans le port du Havre, j’ai pu observer ce phoque, qui ne m’a pas moins surprise.
Notre-Dame-des-Flots

La chapelle Notre-Dame-des-Flots domine l’estuaire de la Seine et le port du Havre. Elle se dresse dans le haut de Sainte-Adresse, tout près du Pain de Sucre, tournée vers la Manche. Le coucher du soleil baigne sa façade occidentale : comme la plupart des églises, elle est orientée.

Ce n’est pas un édifice très ancien. La chapelle a été bâtie au milieu du 19e siècle, en deux ans, et consacrée en 1859, le 11 septembre. Un an plus tôt, la Vierge apparaissait à Bernadette Soubirous. La levée de fonds a sans doute bénéficié de la ferveur mariale suscitée par les apparitions de Lourdes.
Oscar Claude Monet avait 18 ans. S’est-il glissé dans la foule venue assister à la cérémonie ? Sa famille était-elle présente ? Ils avaient pu voir le sanctuaire se construire quasiment sous leurs yeux, à quelques centaines de mètres de chez eux. Mais les Monet n’étaient pas portés sur la religion, et peut-être ont-ils volontairement snobé l’évènement.

Si toutefois, un jour, le jeune peintre a eu la curiosité d’entrer dans la chapelle, il a pu en apprécier la sobre élégance néo-gothique. Une statue de la Vierge placée au-dessus de l’autel accueille les fidèles. Les nombreux vitraux dans le style du 13e siècle donnent un aspect coloré à l’édifice.

Maquettes de bateaux et tableaux rappellent la vocation du lieu : confier les marins à la protection de la Vierge. Et cela, qu’ils soient vivants ou trépassés.

Les ex-voto, gravés dans le marbre blanc, tapissent les murs. Le jour de l’inauguration, ils devaient être rares. Depuis, ils ont envahi tout l’espace disponible.

Gratitude, espérance, foi se mêlent, rendant les murs vibrants de ces marques de dévotion.

Le Pain de Sucre vu de près

A Sainte-Adresse, de la maison du Coteau, où Monet résidait avec sa famille pendant l’été, à la placette où s’élève cet intrigant monument, il n’y a que quelques minutes de marche. Autant dire que le jeune peintre connaissait le lieu par coeur.
Le nom de Pain de Sucre est dû à sa forme et à sa couleur. Un panneau indique aux visiteurs curieux qu’il s’agit d’un amer prévenant les marins des dangers. Il a été construit par la veuve du général-comte Charles Lefebvre-Desnouettes en 1852, en mémoire de son mari péri en mer. Elle-même repose depuis 1880 dans le monument, qui est donc aussi un mausolée. Une cérémonie d’hommage en costume a eu lieu en 2023.

Situé sur une hauteur, l’amer offre une belle vue sur le Havre et son port, mais je ne crois pas que Monet ait jamais peint depuis cet endroit. En revanche, le Pain de Sucre est bien visible sur plusieurs de ses tableaux peints depuis la plage.
La villa du Coteau

C’est à Sainte-Adresse que se trouve la villa Le Coteau, construite à l’emplacement d’une maison du même nom où Monet et sa famille séjournaient aux beaux jours. Le domaine, d’une certaine étendue, appartenait à la demi-soeur du père de Claude, Jeanne Lecadre, et son époux.
C’est maintenant une résidence privée, fermée par ce magnifique portail normand. Il laisse deviner un chemin qui monte en épingle et longe un terrain de tennis, signe qu’il existe un endroit plat dans le jardin. Est-ce là que s’étendait autrefois la roseraie peinte par le jeune Monet ?

Sur le côté s’ouvre une porte piétonne. Un panneau explique les liens de Claude Monet avec Sainte-Adresse. Le texte est illustré par le tableau Jeanne-Marguerite Lecadre au jardin, peint dans la propriété.
Les quais du Havre

A l’heure où d’autres rues, d’autres villes fourmillent d’activité, un grand calme règne en début de matinée à l’entrée historique du port du Havre. De rares promeneurs sortent leur chien ou joggent sur la jetée. Le ciel recouvre de son azur la mer tranquille.

C’est là, devant ce paysage maritime ouvert sur le monde, que se trouve le musée Malraux et ses riches collections impressionnistes.

Le musée est implanté dans un quartier entièrement reconstruit après-guerre par Auguste Perret et ses collaborateurs, qui a valu à la ville son classement au patrimoine mondial de l’Unesco. A droite, une installation colorée, la catène de conteneurs, anime l’esplanade gagnée sur le bassin. Au milieu de la photo, un immeuble plus haut, en saillie, se dresse à peu près à l’endroit d’où Monet a peint Impression, soleil levant. L’artiste bénéficiait d’un point de vue plus haut et plus éloigné que celui qu’on a en se trouvant sur le quai.

En s’approchant, on découvre que des personnages ont été intégrés dans les façades de ces immeubles Perret. Celui-ci m’a fait peur : l’espace d’un instant, j’ai crû que quelqu’un s’apprêtait à se jeter dans le vide.
Soleil levant au Havre

L’attente du lever du soleil est toujours un moment fascinant, qui n’a rien perdu de sa magie depuis l’aube des temps. Le spectacle n’a lieu que par temps clair, mais quel spectacle. Il suffit de trouver un endroit dégagé vers l’est, de se lever assez tôt, et d’attendre.
Il fait froid, peut-être humide. Il n’y a rien d’autre à faire que regarder les modifications très douces de la lumière, des couleurs.
Le port du Havre a changé depuis que Monet y a peint Impression, soleil levant en 1872. Le coeur de l’activité s’est déplacé, le plan d’eau de l’avant-port a rétréci, les bassins proches de l’ancien Grand Quai, aujourd’hui le quai de Southampton, sont devenus bien calmes. A cette heure matinale il n’y passe à mes yeux de profane que de rares bateaux de pêche, quelques remorqueurs qui viennent troubler l’eau, créant une vague vite apaisée. Sur le plan graphique, en se modernisant le paysage industriel de l’arrière-plan n’a rien perdu de son intérêt.
L’est devient orange. Le soleil va poindre. Il s’annonce. Ca ne va pas tarder. C’est imminent. Ah ! Enfin, le voilà…

Aussitôt levé, l’astre éblouit. Il s’élève doucement, distribuant généreusement sa lumière, et voici que s’allume sur le plan d’eau la trainée de corail qui avait tant plu à Claude Monet.
Le peintre a dû se dépêcher, ou alors peindre de mémoire, car l’effet ne dure qu’une quinzaine de minutes.
Portrait de Mademoiselle Bonnet

La présence d’un petit chien aux côtés de cette fillette m’offre un prétexte pour évoquer cet étonnant Portrait de Mlle Bonnet, que la fondation Barnes appelle Girl with Dog. La toile est présentée à Philadelphie dans l’accrochage de 1951 décidé par Barnes lui-même. Le philanthrope attachait une grande importance à l’éducation à l’art des adultes comme des enfants. C’est peut-être ce qui lui a fait choisir ce tableau : des jeunes seraient à même de s’identifier à cette petite, et de là, découvrir le mouvement impressionniste avec ses touches rapides et visibles, ses couleurs claires, son goût pour le plein air.
Monet date souvent ses toiles, mais pas toujours. Ici, la date bien lisible qui précède la signature sera utile aux propriétaires du portrait pour se souvenir de l’âge de la fillette.
Selon le catalogue raisonné, Monet représente donc une certaine Mlle Bonnet. En 1873, le peintre séjourne à Argenteuil. Wildenstein note qu’une Mme Bonnet y dirige alors une école privée et que toutes deux pourraient avoir un lien de parenté, la première étant possiblement la fille ou la petite-fille de la seconde. Pourquoi pas ? On imagine bien notre Monet, toujours aux abois, réalisant un tableau pour s’acquitter des frais de scolarité du petit Jean.
La tâche ne devait guère l’amuser. On ressent une hâte d’en finir dans l’exécution rapide de la robe, de l’herbe, du petit chien. Ou bien est-ce la petite chérie qui trouve le temps long et pousse le peintre à écourter la séance ? Monet la garde debout. Rester immobile de longs quarts d’heure devait paraître fatigant et bien ennuyeux à l’enfant.
C’est une demoiselle de bonne famille. Elle est coiffée d’un chapeau. Elle porte une robe à rayures et boutons bleus qu’un jupon fait gonfler. La tenue est assez courte pour dévoiler des bottines à talons et leurs rangées de boutons.
On a un peu pitié d’elle. Le courant n’a pas l’air de trop bien passer entre ces deux-là, pourtant Monet aime bien les enfants. Finalement, le plus joli, le plus attirant dans ce tableau, c’est la langue rose du chemin ensoleillé, presque au centre de la composition, qui donne envie de courir et de disparaître derrière les buissons.
La chienne Follette

Claude Monet, Tête de chien griffon, « Follette », 1882, collection particulière
Voici Follette, la chienne d’Eugénie et Paul Graff, hôteliers-restaurateurs à Pourville, chez qui Monet séjourne pendant l’hiver 1882. A cette époque, il se consacre entièrement au paysage, et il faut les circonstances particulières du mauvais temps et du manque d’argent pour qu’il exécute quatre tableaux en intérieur : le portrait du père Paul en cuisinier, celui de son épouse, les galettes pour lesquelles l’établissement est renommé, et cette étude de leur animal favori, que Monet reproduit ensuite dans le tableau de « la mère Paul ».

Je me demande si Monet avait besoin de l’immobilité de la chienne pour la peindre, ou si ses mouvements ne le gênaient pas. Etait-elle maintenue par sa maîtresse ? En tout cas, on ne voit pas de mains, de bras pour retenir la petite chienne. Etait-elle aussi follette que son nom l’affirme ? Ou au contraire intriguée, impressionnée, et sage comme une image ?
Concernant la date indiquée par Monet, Wildenstein lit 82, et il a raison puisqu’on sait par la correspondance que l’artiste fait la connaissance du couple Graff en 1882. Mais ce 2 ressemble beaucoup à un 1.
Toujours pointilleux, l’auteur du catalogue raisonné de Monet précise l’âge de Mme Graff : elle a 63 ans quand Monet la peint. Je ne sais pas si elle a aimé son portrait.
Camille au petit chien

Le catalogue raisonné de Monet place ce portrait de Camille de profil entre l’immense Déjeuner sur l’herbe, jamais terminé, et la magnifique Femme à la robe verte enlevée dit-on en quatre jours, et appelée à faire du bruit au Salon. L’artiste a conservé le doux visage de sa première épouse toute sa vie, puis celui-ci est resté en mains privées, c’est pourquoi il est moins connu que les deux oeuvres citées.
Monet a pris grand soin de bien peindre le visage de Camille, dans une facture lisse propre à plaire à un jury académique. Elle se tient droite, elle regarde devant elle, sérieuse, avec une grâce dans la pose qui lui est propre et qu’on retrouve sur plusieurs tableaux. Deux petites pattes de cheveux lui descendent devant l’oreille et font ressortir la pâleur de sa peau.
Son petit chien au pelage blanc bouclé se blottit dans ses bras. Est-ce un bichon maltais ? Ces petits chiens adorent bouger, mais celui-ci semble se résigner à l’immobilité.
La capeline rouge fait penser à celle d’Argenteuil, quelques années plus tard, sans qu’on puisse être certain que ce soit la même. Mais les vêtements étaient chers et il est possible que Camille ait conservé cet accessoire plusieurs années. Monet s’est attaché à rendre le gros noeud de velours rouge bordeaux, qui se confond par endroits avec le fond sombre.
L’harmonie chromatique de ce portrait, la douceur qu’il dégage le rendent hypnotique. Mais pourquoi Monet a-t-il souligné l’oeil de ce cerne sombre ?
Victor et son chien

Quel beau chien ! D’après vous, de quelle race est-il ? Je penche pour un épagneul français, mais je me trompe peut-être.
Victor Jacquemont, dont les coordonnées figurent dans la plus ancienne liste d’adresses de Monet conservée au musée Marmottan-Monet, était un ami d’enfance de Claude, ou plutôt d’Oscar. Le musée de Zurich affirme qu’il a aussi possédé des toiles de Monet, jouant ainsi le rôle de mécène. Ce serait intéressant de savoir lesquelles. Le catalogue raisonné ne fait pas mention de Jacquemont parmi les propriétaires d’oeuvres. La question de savoir si ce portrait est une commande ou non reste ouverte.
Qui, de Monet ou de son ami, a eu l’idée de cette mise en scène ? Sorti se promener en compagnie de son chien, le jeune homme s’arrête, pensif, au milieu du chemin, un parapluie ouvert sur l’épaule alors qu’il ne pleut pas et qu’il est à l’ombre. Dans la main gauche, il tient un objet difficile à identifier, peut-être un journal. A-t-il prévu de s’asseoir quelque part pour lire en laissant son chien vagabonder ? Le toutou, bien obéissant, s’est arrêté lui aussi, les quatre pattes au sol.
Avant de devenir l’impressionniste que l’on connaît, pour qui la fidélité à ce qu’il voit est primordiale, Monet, dans ses oeuvres de jeunesse, ne s’est pas gêné pour bricoler avec la réalité. L’homme debout, le chien et le paysage de sous-bois n’ont peut-être pas été peints le même jour, ni sur le motif.
Je me figure que Monet aimait la façon dont un parapluie ouvert (ou une ombrelle) offre un fond sombre à un visage et le met en valeur. Au Havre, le parapluie noir était un objet du quotidien. Les hommes s’en servaient-ils pour se protéger du soleil ? Ce n’est pas sûr, mais cette possible invraisemblance n’était pas de taille à déranger un Monet absorbé dans un travail pictural.
Wildenstein classe le tableau en 1865, juste avant les vues de Chailly. Les trouées de soleil dans le sous-bois viennent irradier le chemin à l’arrière de Victor Jacquemont et présentent des similitudes avec celles peintes en forêt de Fontainebleau, ce qui justifie cette datation. Pour le musée de Zurich, il est également possible qu’il ait été peint après Chailly, jusqu’en 1867.
L’histoire de ce tableau est assez poignante. Il est pieusement conservé chez les Jacquemont jusqu’à la mort de Victor en 1907. Suite à ce décès, la veuve le propose aux enchères, mais la toile (pas assez impressionniste ?) ne trouve pas d’acquéreur. La veuve confie alors le portrait à un marchand, Bernheim-Jeune, qui le cède à la galerie Paul Cassirer de Berlin pour 3000 francs. Il part ensuite à Breslau, (ville allemande jusqu’en 1945, aujourd’hui en Pologne), où il est exposé. C’est là qu’il entre dans la collection de Carl Sachs. Cet entrepreneur de confession juive a fait fortune dans la production et la vente en gros d’articles de mercerie, lingerie et prêt-à-porter. Il collectionne la peinture et les oeuvres graphiques.
La crise de 1929 et la montée du nazisme vont mettre un terme à ces belles années. Après avoir dû vendre une partie de sa collection, Sachs se voit exclu du conseil d’administration du musée de sa ville, auquel il a pourtant consenti des dons importants. Sentant que ses biens ne sont plus en sécurité à Breslau, il prête plusieurs oeuvres d’art au musée de Zurich, parmi lesquelles notre Monet. Breslau se vide de sa communauté juive, soit un tiers de ses habitants, les lois fiscales antisémites ruinent Sachs, mais ce n’est qu’en février 1939 qu’il parvient à émigrer en Suisse avec son épouse. Il a 80 ans. Il est contraint de vendre des tableaux pour survivre. Il meurt en 1943.
Les toiles vendues en émigration sous la pression des évènements sont désormais considérées à l’égal des oeuvres pillées, comme des biens culturels confisqués en raison des persécutions nazies. Le musée de Zurich s’est rapproché des héritiers de Carl Sachs et recherche avec eux une solution équitable et juste. le tableau quittera-t-il les cimaises du musée ? Affaire à suivre.
Le fumeur de pipe et son chien

Claude Monet, L’Homme à la pipe, portrait présumé de Jongkind, 1864, collection particulière
En quelques coups de brosse, Monet évoque ce petit chien roulé en boule au pied de la chaise où son maître goûte une moment de repos. Deux yeux noirs émergent d’une fourrure mêlant les bruns, le noir et le blanc. On dit parfois que les chiens ressemblent à leurs maîtres, et il est vrai qu’il y a un petit quelque chose de semblable, en effet, entre le grand humain blond à la barbe un peu rousse et la boule de poils qui l’accompagne.
Est-ce le portrait de Johan Barthold Jongkind, peintre néerlandais ami de Monet, son aîné de 21 ans ? Le jeune Oscar Claude le campe en homme mûr, alors que lui-même est encore tout jeune. Un argument penche en faveur de cette identification : Monet a gardé la toile toute sa vie, en dépit des vicissitudes de l’existence ; c’est son fils Michel qui s’en défera. On peut donc penser que le peintre y tenait énormément, comme un souvenir de cet ami cher dont il disait qu’il lui devait l’éducation définitive de son oeil.
Les premiers essais de Nymphéas
3 avril 2025 / Leave a comment
Cette grande toile sobrement encadrée est l’une des oeuvres phares de l’exposition Nahmad au musée des impressionnismes Giverny. Alors qu’elle figure au catalogue raisonné dans les pages consacrées aux tableaux de 1914-1917, des études récentes la datent de 1897, ce qui fait d’elle l’une des premières tentatives de Monet de peindre des nymphéas pour eux-mêmes.
Sans doute assis sur la berge, le peintre représente un tout petit coin de son bassin. Je crois qu’il se trouve près de la petite île et que les « hautes herbes » en question sont des feuilles d’iris. Monet insiste sur le contraste entre les feuilles éclairées et leur ombre. La disposition en surplomb, la forme tortueuse des feuilles me fait penser à l’estampe d’Hokusai La Grande Vague de Kanagawa que possédait Monet. « L’ombre des plantes occupe la plus grande partie de la toile, projetant un espace inquiétant sur les fleurs à peine esquissées », commente le rédacteur du cartel.
Face à la toile, j’ai été frappée par la couleur des nénuphars. Monet les a peints verts, comme il les voyait, alors qu’ils devaient être blancs ou jaunes. En bon observateur, il décrit les feuilles qui flottent plus ou moins vertes ou violettes selon leur âge.
La petite zone laissée inachevée à droite du tableau est fascinante, laissant entrevoir à quoi il ressemblait après une ou deux séances seulement. C’est comme si le peintre nous proposait de soulever le coin du tableau pour découvrir un autre stade de l’oeuvre par dessous. Tout au long de sa vie, Monet n’a cessé de s’interroger sur la peinture, et l’une des questions les plus récurrentes était celle du moment où il faut arrêter d’ajouter de la couleur au tableau. Sa correspondance avec Durand-Ruel révèle qu’il n’acceptait de se séparer d’une oeuvre que s’il en était à peu près satisfait. Mais il lui est aussi arrivé de gâcher des toiles, à ses yeux, en s’entêtant dessus.
Celle-ci est restée dans sa propre collection toute sa vie, comme l’atteste le cachet d’atelier apposé par son fils Michel après sa mort. Cette petite zone incomplète, c’est le pinceau qui reste en suspens, c’est la modestie de Monet affirmant que le tableau est inachevé. Selon lui, achevé voudrait dire parfait, or la perfection n’est pas à la portée de l’humain.
Ce tableau faisait-il partie des « tentatives anciennes » retrouvées dans sa cave par Monet, des années plus tard, que Clemenceau jugeait « bien sages », et qui lui ont donné l’envie de se lancer dans les Grandes Décorations ? Le cadrage ignorant les berges, centré sur l’eau et les plantes aquatiques, pourrait le faire penser.