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A Giverny avec Forestier – 6
Revue Fermes et Châteaux de septembre 1908 (N° 37), p 16. Article « Le jardin de M. Claude Monet » par J.-C.-N. Forestier. La photo est légendée :
Le bassin de Nénuphars, la bordure d’Iris, les Saules autrefois taillés en têtards qui bordent la petite rivière de l’Epte que traverse un pont avec deux arceaux de Rosiers Crimson Rambler.
En 1908, le jardin d’eau a une quinzaine d’années d’existence mais n’est pas envahi d’ombre. Les grands saules laissés libres de pousser forment un arrière-plan argenté au jardin, tandis que la crête de colline du val de Seine se profile derrière eux. L’embarcadère n’a pas encore pris sa forme définitive, et il est intéressant de voir que Monet en a amélioré la forme progressivement. Il lui a paru nécessaire d’ajouter des arceaux de roses dans le sens perpendiculaire, pour fleurir la promenade le long des berges.
Tout comme pour les glaïeuls, la quantité d’iris cultivés par Monet a frappé ses contemporains, de Forestier à Truffaut.
Giverny, une fenêtre sur la nature
Dans son jardin d’eau, Monet a aménagé des vues qui ressemblent à des fenêtres. Le regard y est cadré, borné, conduit vers ce qui s’offre à l’oeil au-delà de la fenêtre.
Nous voici face à un paysage organisé par un peintre comme un tableau, un motif mis à disposition de toute envie de peindre qui saisirait son propriétaire ou ses visiteurs.
Et en même temps, sans aller si loin, c’est aussi un petit bout de nature qui présente un joyeux mélange de plantes très variées, une riche vie sauvage, et nous offre tous les plaisirs du ressourcement.
Du soleil sur la berge
Ce jeune saule est le dernier rescapé d’un groupe de trois qui ombrageaient la rive de l’étang aux nymphéas de Monet, du côté du pont japonais. Ses deux voisins, un peu plus grands, ont dû être abattus pour cause de maladie.
C’est une toute autre lumière, soudain, dans ce coin du jardin de Giverny qui était toujours à l’ombre. Mais il y a aussi comme un manque, une absence, une présence en creux, une tristesse. Et cette prise de conscience qu’un jardin sans ses arbres a bien moins d’intérêt. Les fleurs ne font pas tout, si belles soient-elles.
J’espère que l’absence de concurrence donnera de l’élan à ce jeune saule pour croître à toute allure et acquérir la belle majesté de celui qui résiste au passage du temps depuis un siècle, à l’autre bout du bassin.
Résilience
Enfin le premier nymphéa. Il s’est ouvert hier matin ; année après année il s’agit toujours du même nénuphar blanc à petite fleur non loin de l’embarcadère. Les nymphéas ont une semaine de retard suite au coup de froid de début avril qui les a ralenti dans leur élan, mais ils récupèrent. Selon Emmanuel Porc, le jardinier en charge du jardin d’eau, ils fleuriront simplement un peu plus tard, sans aucun dommage.
Les plantes font souvent preuve de résilience. Elles s’adaptent aux conditions climatiques, elles ont des ressources étonnantes. Cette fois, c’est la glycine qui m’a épatée. La toute vieille, celle plantée par Claude Monet lui-même au 19e siècle, qui fleurit mauve au-dessus du pont japonais, et un peu au-dessous.
C’est la plus précoce des glycines qui se succèdent sur la passerelle emblématique du jardin de Giverny. En mars, une météo très douce avait accéléré le développement de ses boutons tandis que les autres glycines, plus tardives, attendaient avec prudence. Hélas, la douceur a fait place à un temps glacé dans les premiers jours d’avril, brûlant de froid les fragiles boutons. Le pont est resté nu pendant plusieurs semaines. Enfin, début mai, les glycines tardives se sont ouvertes, ornant la passerelle de leurs longues inflorescences bleues ou blanches.
Et voilà qu’à l’instant où elles fanent, la vieille glycine prend le relais ! Elle a compris que ses premiers boutons avaient grillé et elle s’est dépêchée d’en fabriquer d’autres, pendant qu’on est encore à la saison des glycines. La première se retrouve la dernière, mais quelle joie, après la désolation de ne pas la voir fleurir, de recevoir le cadeau de cette floraison de la dernière chance !
Les iris du Japon
Les derniers iris du Japon sont encore en fleur à Giverny, bien après que leurs cousins germains les iris barbus ont achevé leur floraison. Ce décalage dans le temps est peut-être un peu causé par la différence de température entre leurs terrains préférés respectifs. L’iris germanica adore le plein soleil du clos normand, l’iris ensata préfère la mi-ombre du jardin d’eau. Il aime être planté sur la berge en terrain frais.
L’iris du Japon se reconnaît à ses gros sépales ronds qui retombent avec un délicieux abandon. Au milieu, les pétales dressés sont petits et discrets. En raison de ses goûts pour les sols humides, il n’est pas de culture courante, et a de ce fait le charme de la rareté.
Dans le jardin de Monet, les iris ensata renforcent l’aspect japonisant du bassin. Le peintre adorait les iris. Il en possédait une collection si large qu’elle a attiré l’attention de Georges Truffaut. A sa demande, le jardinier chef de Monet a rédigé un article dédié aux iris pour la revue Jardinage dont Truffaut était le créateur : “Les Iris aux bords des eaux.” Il est paru en octobre 1913.
Au bord du Ru de Giverny
Après avoir laissé à sa gauche le cours principal de l’Epte, passé le moulin de Cossy (alias moulin Balkany) et longé la prairie, le Ru de Giverny entre dans le jardin aquatique de Claude Monet. Il ne ralentit pas pour autant son cours rapide. Sans flâner, il fait le tour du bassin, ignorant superbement les nénufars chers au peintre.
Ce sont des fleurs vivaces qui bordent ses berges. Le long du Ru poussent des lis d’un jour, des rhododendrons, des iris des marais ou des pétasites – impossible de toutes les citer. Si le bassin offre des reflets somptueux, l’eau courante répond à l’eau dormante. Le Ru apporte son mouvement.
Premiers nymphéas
Après un début mai bien frileux, les premiers nymphéas viennent de s’ouvrir à la surface du bassin de Monet. Le plus audacieux a pointé le bout de ses pétales dès le 14 mai. Leur nombre se multiplie de jour en jour. Pour l’instant ils sont tous blancs, comme toujours, les colorés suivront.
Sur les berges et dans les reflets, la symphonie des verts joue sa mélodie apaisante et joyeuse. Les fleurs et leurs couleurs se cachent dans les bordures. Elles pétillent d’orange, de rose ou de violet.
C’est l’époque délicieuse de la floraison des glycines, plus tardives ici qu’en ville. Tous les jours quelqu’un me confie : « j’adore la glycine ! » C’est si joli et si bref, il faut être là au bon moment.
Des berges au point
Du temps de Claude Monet, les berges de son bassin aux nymphéas étaient ornées de différents iris, de papyrus et autres plantes aquatiques. En haut, près du chemin, le peintre faisait pousser des pivoines arbustives, des rosiers, des hémérocalles ou des agapanthes.
Les jardiniers d’aujourd’hui ont densifié les plantations des berges, avec l’idée d’embellir le bassin, d’empêcher qu’on tombe dans l’eau et peut-être aussi de masquer un peu les visiteurs. Les plantations d’été déclinent les tons de rose, de rouge et de blanc, qui vont si bien avec le vert des feuillages.
Les hydrangeas sont en pleine floraison. Dans ce coin du jardin d’eau, ils tiennent compagnie à des phlox roses et fuchsia, dont le parfum diffuse parfois à plusieurs mètres. « Des phlox ! c’est donc ça ! « s’exclame une visiteuse ravie. « Je les connais par le Scrabble, mais je ne savais pas à quoi ils ressemblaient ! »
Je n’avais jamais considéré les phlox sous leur potentiel scrabblique, mais maintenant qu’elle en parle, il est clair que c’est un mot qui vaut de l’or : 19 points en seulement cinq lettres, et plutôt facile à caser pour tenter le mot compte double, voire triple.
Madame est une championne. Nous oublions les fleurs et discutons de son jeu favori – un jeu de points et non un jeu de lettres, dit-elle. Si vous avez l’intention de mettre à profit votre science botanique pour enfler votre score, attention quand même : bien peu de fleurs ont l’honneur des pages du petit Robert.
Si vous êtes embarassé d’un h, vous pouvez tenter hosta, ces feuilles bordées de blanc qui poussent au ras de l’eau et dressent en ce moment leurs longues hampes de fleurs bleu pâle. Mais je ne suis pas sûre qu’hydrangea (22 points) soit valide : Larousse propose à la place hortensia, son nom commun en français.
Soleil rose à Giverny
Il paraît que ce sont des nuées de sable venues du Sahara qui ont donné cette couleur étrange au ciel en début de semaine. Une lumière de soleil couchant baignait Giverny dès cinq heures de l’après-midi et teignait le jardin de Monet d’un drôle de rose. L’air exceptionnellement doux prolongeait la sensation d’été.
Du noir chez Monet
Quand le soleil se lève sur le bassin de Claude Monet à Giverny, ses rayons touchent d’abord le haut des arbres.
Des reflets aux tons chauds apparaissent sur la pièce d’eau encore dans l’ombre.
Ils viennent éclabousser de lumière les nénuphars couleur de nuit.
Paré de pourpre
Les plantes à feuilles sombres sont une des merveilles du jardin d'eau de Monet.
En mai, quand toutes les feuilles sont ouvertes, on voit ressortir les nuances pourpres du cotinus, de l'érable du Japon, des berbéris… Ils créent des contrastes qui mettent en valeur les plantes voisines à feuillage clair. Imaginez cette même vue avec du vert et rien que du vert… Un peu monotone, non ?
Monet le savait bien. Avec toute la générosité de qui oeuvre pour les générations futures, il a planté le magnifique hêtre pourpre qui domine le jardin du côté des bambous.
Vision et prévision. Tandis qu'il supervisait le travail de ses jardiniers en train de creuser le trou de plantation, il devait sourire dans sa barbe en pensant à la tête que nous ferions, un bon siècle plus tard, devant l'arbre devenu adulte. En peintre, il devait déjà s'imaginer le contraste du sombre sur le clair, du pourpre sur le vert. Et les nouveaux reflets.
La chaleur des couleurs
Hier à Giverny vers 16 heures, dans le jardin désert…
Quand la température baisse, il reste, pour quelques semaines encore, la chaleur des couleurs.
Reflets
En automne, les massifs qui bordent le bassin aux Nymphéas ont pris de l’ampleur.
Ils reflètent leurs différents tons de vert dans l’étang, tout autour des radeaux de Nymphéas.
Tout ce vert est réveillé par les petites touches de couleur des fleurs : mauve des asters, blanc des anémones du Japon, qui font écho au rose des nénuphars.
C’est un « bassin aux Nymphéas, harmonie verte » traité en petites touches vibrantes et variées, pour un rendu très impressionniste.
Arrêt sur image
C’est le temps si court où les trois glycines qui ornent le pont japonais de Claude Monet sont en fleurs, en même temps. La précoce et les deux tardives se rencontrent à la façon de l’équipe de nuit relayée par l’équipe de jour (ou l’inverse). Le chassé-croisé des juillettistes et des aoûtiens.
On voudrait faire durer l’instant, s’éterniser sur cette image. Mais la nature tourne les pages du livre à notre place et à son rythme à elle, trop lentement à notre goût en hiver, bien trop vite à la belle saison.
C’est un peu triste de voir les moments les plus magiques s’effacer, mais c’est toujours pour laisser la place à d’autres. Et l’avantage de ce livre-là, c’est qu’on le relit chaque année.
Le texte est le même et pourtant changé. 2015 aura été une très belle année pour la floraison des arbres, par exemple. Qui sait si 2016 sera aussi généreuse ?
Le texte est le même mais la pièce est interprétée par une troupe différente, parfois brillante et parfois décevante, à l’image de la météo.
La bambouseraie de Monet
La bambouseraie plantée par Claude Monet, captive sur son île, a subi une cure de jouvence cet hiver.
Un fort éclaircissage a ouvert des perspectives nouvelles dans le jardin d’eau de Giverny.
Les visiteurs qui entraient dans le jardin en cheminant le long du Ru étaient face à un imposant mur de verdure à travers lequel on ne distinguait rien.
Ce printemps, ils pourront voir à travers les bambous jusqu’au pont japonais.
C’est le pouvoir du jardinier de modeler les opacités et les transparences.
Quant aux bambous, ils sont par nature coriaces, et si on les laisse faire, il reprendront vite le dessus.
Au printemps, la croissance des tiges qui sortent de terre est impressionnante, digne d’une époque où les plantes géantes étaient dans l’air du temps.
Photo avril 2009
La lutte contre les taches
Il a fait un temps superbe aujourd’hui à Giverny, et comme d’habitude les visiteurs étaient nombreux à se photographier sur le pont du bassin aux nymphéas.
Au milieu d’eux, accoudé au parapet, j’ai été surprise d’apercevoir l’un des jardiniers de la Fondation Monet. S’était-il subitement métamorphosé en touriste ? Les apparences étaient trompeuses : en réalité, il était en plein boulot.
De cette position en surplomb, le jardinier évaluait la disposition des îlots de nénuphars à la surface de l’étang. Ce n’est pas simple d’obtenir une impression de naturel, tout en contrôlant la prolifération des plantes.
Les jardiniers du bassin se préoccupent constamment de la taille de ce qu’ils nomment « les taches » de nymphéas.
Il faut retirer des feuilles presque tous les jours pour éviter l’envahissement.
C’est mieux si les radeaux restent détachés, bien formés, ne se mélangent pas.
Et puis, il faut respecter l’alignement.
Là, j’ai ouvert de grands yeux. Un alignement ? Où donc ? J’avais en mémoire une photo des débuts du jardin, où les nymphéas étaient rangés comme à la bataille, et je trouve cela tellement plus joli qu’il n’y en ait pas, d’alignement…
Eh bien si, voyez-vous ! Il est en diagonale ! Un rangement tout en rondeur, comme le reste du jardin d’eau…
« Ça a l’air naturel, mais rien n’est laissé au hasard ! » a souri le jardinier avant de retourner à son bateau, les défauts qu’il est le seul à voir enregistrés dans sa tête.
Complémentaires
Les dernières tulipes sont en fleurs à Giverny.
Du côté du jardin d’eau, quelques-unes percent les pelouses qui bordent le bassin.
Au milieu de l’harmonie de tons de verts qui règne autour de l’étang, leur rouge éclate, plus radiant que jamais.
C’est l’effet des couleurs complémentaires, qui se font vibrer réciproquement jusqu’à la stridence.
On pense à Camille Corot, qui disait qu’il faut toujours un accent rouge dans un tableau.
Les petites tulipes aux pieds des grands arbres verts jouent ce rôle de réveiller les tons apaisants des feuillages.
Pointillisme de printemps
Voici ce que l’on découvre le matin en débouchant dans le jardin d’eau de Monet.
Tout fait touche de peinture dans la lumière matinale : les feuilles vert tendre, les pensées aux couleurs de porcelaine, les tulipes mauves, et les fleurs des cornouillers. On aperçoit à peine, tout au fond près du pont japonais, le cornouiller rose, mais devant, le blanc, un cornus kousa milky way, étale ses branches presque jusqu’au sol.
Milky way, la voie lactée : son nom lui va bien, lui qui se couvre de milliers de fleurs blanches au printemps. Je suis sûre que le soir, il doit luire doucement dans l’obscurité.
On pleure un saule
Je ne suis pas tout à fait sûre que le saule qui se mire ici est bien celui à droite vu de la rive opposée, qui avait jauni le premier à l’automne dernier, offrant de magnifiques reflets d’or autour des derniers nymphéas. Si ce n’est lui, c’est son frère, car il sont trois alignés sur le bord de l’étang de Monet côté route. C’est ce qu’avait voulu le peintre : un panneau de l’Orangerie intitulé « trois saules » les prend pour motif.
Cet automne précoce ne laissait rien augurer de bon, et il n’est pas certain que l’arbre puisse être sauvé, malgré les bons soins qui lui ont été prodigués aussitôt. Quand je suis passée la semaine dernière, il avait subi une taille sévère.
Votre coiffeur, s’il a le sens des affaires, vous l’a sans doute déjà dit : une bonne coupe redonne du tonus à vos cheveux. Il semble qu’il en aille de même pour les saules.
En Normandie, les saules qui ne sont pas pleureurs, les saules à osier donc, dont les rameaux se dressent en cette saison, orange vif, comme la crête d’un punk, sont régulièrement rabattus et finissent par former ce que l’on nomme des trognes. Leur tronc se termine en tête boursouflée pleine de caractère.
Il reste quelques-uns de ces très vieux saules à Giverny le long du Ru, tout près de la propriété de Monet, entre le parking et le jardin d’eau. Ils ont sans doute connu Monet, et méritent un coup d’oeil. Leur circonférence est impressionnante, leur santé aussi.
J’espère que leur cousin moins en forme va se remettre grâce à son traitement de choc. Si ce n’est pas le cas, il faudra l’abattre et le remplacer, quelle désolation. Couper un saule pleureur, ce serait vraiment trop triste.
Comme un vitrail
La belle page de l’automne se tourne à Giverny.
Le vent des derniers jours a arraché les feuilles les plus jolies.
Il y a deux semaines à peine, elles formaient une matière colorée et translucide où les rayons du soleil jouaient comme dans un vitrail.
Sur la surface aqueuse du bassin de Monet, l’illusion vitrée était totale.
L’automne, grand illusionniste, a fini son tour.
Il ne reste plus qu’à battre des mains, un peu déçu par cette fin trop rapide.
Comme la floraison des cerisiers au printemps, le grand show est bref.
S’il durait, la magie n’y perdrait-elle pas un peu ?
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