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Conches-en-Ouche ou la beauté du verre

Vitrail de François Décorchemont, Conches-en-Ouche, Musée du verre de Conches

La petite ville de Conches-en-Ouche se trouve à l’écart des circuits touristiques, ce qui lui vaut d’avoir préservé sa paisible atmosphère hors du temps. Elle est pourtant desservie par le train, à 12 minutes seulement de la préfecture de l’Eure, Evreux. De Giverny, compter une bonne heure en voiture pour parcourir les 55 kilomètres qui séparent les fleurs de Monet des merveilles conchoises.

Conches possède deux joyaux ayant un matériau pour point commun : l’église Sainte-Foy aux éblouissants vitraux du 16e siècle, et le musée du Verre.

Vitrail de l’Annonciation, 1552, église Sainte-Foy de Conches

Voici par exemple le vitrail de l’Annonciation de l’église Sainte-Foy. Pour une fois, l’ange Gabriel arrive par la droite. Il lance sa salutation à Marie, inscrite sur le phylactère qui s’enroule à la manière du ruban d’une gymnaste olympique. A cet instant, un rayon émane de Dieu le Père en direction de la Vierge.

A l’intérieur, la colombe de l’Esprit-Saint est suivie d’une petite forme humaine blanche : j’y vois l’âme de Jésus qui vient s’incarner. Ce grand mystère de l’Incarnation est symbolisé par le vase au premier plan. La Vierge est le vase sacré ; d’elle, pure comme un lis, naîtra le Christ.

Chaque détail est magnifique, comme ce paysage à l’arrière-plan, si renaissant.

Et voici Jean-Baptiste baptisant Jésus dans l’eau du Jourdain, au milieu d’une faune digne de saint François d’Assise. Il paraît que dans la verrière entière on compte 22 oiseaux !

Le musée du Verre est si riche qu’il mérite le détour à lui tout seul. Ses nouveaux locaux, inaugurés en 2022, servent d’écrin à une collection présentant l’évolution de l’art verrier depuis le 19e siècle. C’est fascinant, époustouflant.

Le Havre de Monet

Peut-on marcher sur les pas de Monet au Havre, reste-t-il, dans cette ville meurtrie par la Seconde Guerre mondiale, quelque chose de la cité portuaire que l’artiste a connue ? C’est presque une question saugrenue, tant l’architecture de la Reconstruction est présente et célébrée, surtout depuis l’inscription des quartiers rebâtis par Auguste Perret au Patrimoine mondial de l’Unesco. Mais à côté des très remarquables hectares de ville voués au béton, il n’est pas nécessaire d’aller très loin pour retrouver des immeubles plus anciens, en briques et en pierres.

Il arrive qu’une signature corrobore une supposition. En 1881, Monet avait la quarantaine, et plus beaucoup de raisons de venir au Havre, mais il aurait pu connaître cet immeuble.

Je n’ai malheureusement pas trouvé de date sur cet ancien bureau de postes et télégraphes, mais son décor de coquillages et de vagues est splendide, et on est avant l’ajout du téléphone.

Certaines rues semblent n’avoir guère changé. Même le tramway est de retour. Tiens ! Un atelier d’artiste !

Oh ! Une porte Art nouveau !
En me voyant faire des photos dans la rue, une dame m’invite aimablement à visiter son appartement.

L’escalier est magnifique et rappelle celui de Giverny ou d’Argenteuil. Fin XIXe ?

A l’intérieur, le double salon à moulures et à parquet de chêne des appartements haussmanniens, et un joli balcon.
Finalement, les immeubles centenaires abondent. Mais pour trouver des bâtiments qui existaient déjà à l’époque de la jeunesse de Monet, au milieu du XIXe siècle, il faut chercher un peu plus.

Voici l’hôtel Dubocage de Bléville, autrefois propriété d’un navigateur et négociant, corsaire de sa majesté, aujourd’hui espace d’exposition.

Juste à côté, l’église Saint-François est toujours debout, au centre d’une place reconstruite.

Mais l’exemple le plus frappant, c’est celui de la merveilleuse « maison de l’armateur », sur l’ancien Grand Quai. Elle date du XVIIIe siècle, et Monet est passé devant un million de fois. Mais peut-être n’a-t-il pas eu, lui, la chance de pouvoir la visiter, alors qu’elle est maintenant ouverte au public.

Le chêne d’Allouville

Pour aller de Rouen à Etretat, on passe non loin d’Allouville-Bellefosse, en pays de Caux. Près de l’église du village se dresse le fameux chêne d’Allouville, qui serait âgé de 1200 ans. C’est l’un des plus vieux chênes pédonculés du monde, peut-être planté, pourquoi pas ? en 911, lors de la création du duché de Normandie.

Etre en présence d’un végétal d’une telle longévité force le respect. Voilà déjà bien longtemps qu’il est vieux, et il ne mesure (plus ?) que 18 mètres de haut, mais son tronc a une imposante circonférence de 15 mètres. A l’intérieur, des cavités se sont formées. En bas, une chapelle est dédiée à la Vierge ; au-dessus se trouve une seconde minuscule cellule ermitale à laquelle on accède par un escalier.

En hiver, sous la pluie, le chêne vénérable avait une allure accueillante de maison de hobbit. Il est plus beau de près que de loin, je trouve, car les ans lui ont donné un aspect bizarre, renforcé par les aménagements faits pour le préserver.

Mais j’ai aimé que la commune ait décidé de célébrer la Saint-Valentin en ornant ses potées fleuries de coeurs dont le rouge réveille la grisaille. A mon tour, permettez-moi de vous souhaiter, de tout coeur, la plus grande longévité à vos amours.

Face à la mer

Plage de Dieppe, vue sur Varengeville-sur-Mer, début décembre, coucher du soleil

En 1928, le peintre Jacques-Emile Blanche publie un recueil de critiques d’art sur de grands peintres de son temps : « Propos de peintres, » à lire sur gallica. Monet fait partie de la 3e série, entre Gauguin et Helleu. Un peu comme Fosca, Blanche est mitigé sur l’art de Monet. Un peu comme Fosca, il aime la période d’Argenteuil, mais il rejette les séries et les nymphéas. D’une génération plus jeune que Monet, il n’a pas connu les luttes des impressionnistes pas plus qu’il n’a bien connu Monet. Selon ses dires, il n’a été reçu qu’une seule fois à Giverny. C’est plutôt quelqu’un qui s’est tenu en marge de la vie de Monet, l’observant de loin, comme il le raconte magnifiquement dans cette scène :

Monet avait rénové l’interprétation de la mer en poète. Les côtes normandes et bretonnes (Belle-Île, Le Havre, Pourville, Varengeville) lui suggérèrent quelques-unes de ses plus chatoyantes toiles. Après la guerre, je l’aperçus à Dieppe, vieilli, mais bien beau, descendant d’une voiture puissante, enveloppé d’une somptueuse fourrure. C’était en novembre, un jour de tempête. J’appris qu’il avait désiré contempler une fois encore cette rade qu’il avait si souvent peinte calme, ensoleillée, balnéaire. Il s’assit sur la digue, par un aigre vent d’ouest qui échevelait sa longue barbe blanche, y mêlait l’écume des vagues. Des nuages sinistres, à l’occident, s’étendaient comme un suaire sur la falaise de Varengeville, l’église et son cimetière marin ; le phare d’Ailly commençait à les zébrer de ses éclairs. Monet remonta dans sa torpedo, l’équipage démarra dans un plaintif mugissement du klaxon. Le crépuscule, la nuit, les nefs sombres des cathédrales, l’avaient de tout temps épouvanté, me racontait Edmond Maître, son ami de jeunesse.

Liste des voitures des Monet en 1926. La torpedo a été acquise en 1922.

La scène sent le vécu. La torpedo est vraisemblablement celle de Michel Monet, une Voisin. Monet a rapporté de Norvège des fourrures, il est aussi possible, trois décennies plus tard, qu’il se soit offert un manteau entre temps. (Une photo le montre aux courses de côte de Gaillon, portant un manteau de fourrure, et Alice, derrière lui, également. La voiture garée à proximité est la Panhard-Levassor, on est au tout début du siècle.)
Et il n’y a rien d’étonnant à ce que Monet ait ressenti l’appel de la mer, d’autant qu’il était habitué à braver tous les mauvais temps. Peut-être est-ce même la tempête qui l’a attiré. Pour arriver à Dieppe peu avant le crépuscule, à 132 kilomètres de Giverny, la décision de partir a dû être prise dans l’impulsion, après le repas de midi, façon « ça doit être bien beau, sur la côte, en ce moment. »

Qui était dans la voiture ? « J’appris », dit J.-E. Blanche laconiquement. Auprès de qui s’est-il renseigné ?
Pour qu’il ne juge pas nécessaire de préciser, il faut croire que c’est auprès d’un personnage subalterne qui ne mérite pas d’être mentionné dans la logique de l’époque. Je parierais qu’il s’est adressé au chauffeur, Sylvain. N’aurait-il pas, sinon, écrit « son fils m’apprit » ? On peut donc imaginer qu’ils sont quatre dans la voiture, Monet, Michel, Sylvain, et certainement aussi Blanche Hoschedé-Monet qui n’aurait pas laissé Monet partir en excursion sans elle. Tout ce monde se tient à une petite distance du peintre pour le laisser seul avec la mer.

Plage de Dieppe, début décembre

Jacques-Emile Blanche, lui aussi, laissera le peintre tranquille. En 1928 il a des regrets de s’être montré timide, ou discret :

J’aurais voulu me faire reconnaître, embrasser Monet, partageant de tout mon coeur ses transes. Oh ! ses yeux ! ses petits yeux, d’aventurine pailletée, qui semblaient doués d’une vie autonome, être le foyer de ses cinq sens ! Ils avaient tour à tour une mobilité, ou une fixité douce, caressante, s’ils se posaient sur un gazon, sur des fleurs, sur des objets tentants à peindre.
Mais Edmond Maître m’avait dit encore : « Quand on s’adresse à lui, Claude se détourne, ne vous regarde jamais. Son attention est ailleurs. »

 Propos de peintres

On se demande à quel moment Maître avait fait cette observation. Dans leur jeunesse ? Monet étant alors trop absorbé par ses pensées pour entendre ? Ou dans leur vieillesse ? Alors qu’il était devenu par moments misanthrope, reclus à Giverny, et que peut-être il avait du mal à reconnaître les gens ? Dans la même page, Blanche cite une anecdote que lui aurait contée Maître et qui paraît bien bizarre :

Un soir, Maître rencontre Monet qui est de garde sur une place de sa garnison. L’artiste le supplie de ne point l’abandonner, de causer avec lui : « Quand il fait noir – aurait-il dit – il me semble que je meurs, je ne pense plus. »

Propos de peintres

De quelle place et de quelle garnison peut-il bien s’agir, sachant que Monet s’embarque pour l’Algérie trois semaines après avoir tiré son numéro ?

On sent que Blanche a stoppé l’élan de son coeur par crainte de déranger le face à face du vieux peintre et de la mer. Et peut-être s’est-il retenu de se faire connaître parce qu’il a craint de ne pas se faire reconnaître, ce qui aurait créé un moment de gêne et de peine, pour lui et pour Monet. C’est ce qui s’appelle avoir du tact.

Lyons-la-Forêt

C’est l’un des bijoux du département de l’Eure, serti dans l’écrin émeraude de sa forêt : Lyons (on prononce Lyonsse pour ne pas confondre) est l’un des Plus Beaux Villages de France. Du charme à la puissance 10.

On est dans le même département que Giverny, à 45 kilomètres tout de même, mais on croirait avoir changé de région. Ici les maisons sont en bois (forêt oblige) ou en briques, et non en pierres. Si à Giverny on cherche un centre, à Lyons la place Bensérade, espace en triangle sur lequel se dresse la grande halle, est le coeur battant du village. La tête de la comète, dont la queue serait la rue du Bout-de-Bas, qui s’étire jusqu’à l’église Saint-Denis.

La municipalité a fait le choix d’un fleurissement extraordinaire, récompensé au concours des villages fleuris par quatre fleurs et la rare Fleur d’or. Maurice Ravel, qui a séjourné longuement dans la maison ci-dessus, celle de sa marraine de guerre, a contribué au renom du village.

Tout est si charmant, si joli qu’on a envie de photographier chaque détail, comme les paons qui décorent ces rideaux ou la forme élégante des pans de bois, et le gris doux des persiennes et des volets.

Le vieux lavoir sur la Lieure donne envie de s’approcher de l’eau.

En cette saison, le ruisseau fait à peine vingt centimètres de profondeur et coule une eau limpide sur un fond de gravier. Sa fraîcheur est délicieuse par cette météo caniculaire.

Honfleur

Le bassin de Honfleur 

Il y a des endroits qu’on peut visiter toute l’année et où il fait bon retourner encore et encore. C’est le cas de Honfleur. Le petit port normand situé sur l’embouchure de la Seine, à 1h 15 de route de Giverny, est bourré de charme et dégage un attrait magnétique, peut-être à cause du jeu de l’eau et de la lumière. On peut avoir envie de Honfleur comme on a envie de Giverny.

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Les 500 ans du Havre

Vue de la ville du Havre depuis la tour de l'hôtel de ville

Depuis le 17e étage de l'hôtel de ville du Havre, la vue est magnifique, même au coeur de l'hiver. Par delà les pelouses et les fontaines du parvis, le regard porte sur les quartiers reconstruits par Perret et devenus Patrimoine mondial de l'Unesco. A moitié caché par l'une des rares tours qui ponctuent le paysage, le Volcan,

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Allée monumentale


En ces temps de rentrée, voici une petite escapade au vert. C’est à Heudicourt, près de Gisors, dans l’Eure, que l’on peut admirer cet exceptionnel alignement d’arbres. Sur quatre rangées et un bon kilomètre de long, platanes et tilleuls s’élèvent vers le ciel comme les piliers d’une cathédrale. Les deux rangées d’arbres de chaque côté de la route figurent la nef. Les rangées extérieures forment les bas-côtés, un mot commun au vocabulaire des églises et à celui des routes. Du côté des champs, les branches des platanes s’étirent et retombent vers le sol. Elles évoquent des arcs-boutants.
La comparaison n’est pas de moi mais des concepteurs du spectacle « Gothique frémissant », un son et lumière projeté l’an dernier sur les voûtes de l’abbatiale Saint-Ouen de Rouen. Françoise Jolivet et Roy Lekus ont eu l’idée de photographier l’allée d’Heudicourt à travers les saisons et d’adapter ces images à l’architecture gothique de l’église. Le résultat était envoûtant.
L’allée est une route de campagne qui vient buter contre les grilles du château d’Heudicourt. Celui-ci est entouré d’un parc intéressant ouvert ponctuellement à la visite. Je pense que ce sera le cas pour les journées du Patrimoine. Le village d’Heudicourt lui-même ne manque pas de charme, autour de l’église Saint-Sulpice bâtie en moellons de silex.

La côte des Deux-Amants

La côte des Deux-Amants Sur la côte des Deux-Amants, l’érosion dessine un coeur. Deux rivières se rejoignent au pied de la colline. L’Andelle vient se jeter dans la Seine et ne faire plus qu’une avec elle.
Ce confluent est chargé de légende. Les détails de l’histoire nous sont contés par Marie de France, la toute première poétesse de langue française. Elle vivait au 12e siècle et elle est l’auteur du lai des Deux Amants, repris, déjà, d’une légende bretonne.
Au pied du « mont », on s’interroge. L’ascension d’une traite de ce dénivelé d’une centaine de mètres avec une demoiselle sur le dos peut-elle vraiment tuer un jeune homme ? L’épreuve, vue avec les yeux d’aujourd’hui, ne paraît pas insurmontable.
L’histoire raconte que le roi de Pitres (aujourd’hui un village de 2 400 habitants) imposait à tous les prétendants à la main de sa fille de la porter jusqu’au sommet du mont. Celui que la princesse aimait s’y essaya, et en mourut.
Comme toujours, la légende brute paraît un peu obscure. Jacques Ribard en propose une interprétation à plusieurs niveaux.

Une lecture sociologique du poème verrait volontiers dans ce roi vieillissant et autoritaire le symbole d’un pouvoir féodal qui cherche artificiellement à se survivre alors qu’il a fait son temps. Le jeune héros représenterait les aspirations légitimes à un renouvellement de la société, en même temps qu’il serait l’image de ces jeunes nobles privés de fief que le système social du temps empêchait d’atteindre à la maturité et à la responsabilité que représentait la possession d’une femme et d’une terre.

Mais l’auteur va plus loin en avançant une lecture allégorique de l’oeuvre, l’ascension étant assimilée à une montée au calvaire.

C’est, une fois de plus, la destinée, le salut de l’homme qui sont en cause – car cette destinée, ce salut, sont en définitive les seuls sujets dignes d’intérêt pour les auteurs du Moyen Age comme pour leur public.

L’abbaye de Fontaine-Guérard

Même en hiver ce lieu rayonne de beauté calme.
La rivière s’appelle l’Andelle, un nom qui coule et raconte les prairies et les aulnes, les coteaux et les bois.
Un peu plus loin l’Andelle va grossir la Seine, mais avant d’aller mêler ses eaux au fleuve majestueux, elle est cette rivière au cours tranquille qui reflète le bleu du ciel.
Au 12e siècle une communauté de femmes est venue s’installer dans ce vallon, tout près de Radepont, dans ce qui est devenu beaucoup plus tard le département de l’Eure. Ces moniales suivaient la règle de Cîteaux. Leur logis est intact, avec ses arcatures de pierre blanche.

Tout près des bâtiments conventuels, une source jaillit du sol, sans margelle, sans apprêt, au milieu de l’herbe.
C’est la vie même qui sourd des profondeurs de la terre, comme une naissance.
Le cours d’eau balbutiant traverse le pré, attiré par la rivière, la trouve et va s’y fondre.

C’est un lieu où se fondre soi-même dans la paix qui règne.
Dans cette sagesse du temps qui passe, des saisons qui alternent, du soleil qui monte dans le ciel puis laisse place aux étoiles, des plantes qui germent, poussent et meurent.
Tout est si fluide ici, uni, en harmonie.

La messe des conducteurs

Eglise de St-Christophe sur CondéUne tradition se maintient bien vivante à Saint-Christophe sur Condé, dans l’ouest de l’Eure. Dimanche prochain, le 29 juillet, le village si paisible devrait connaître une animation inhabituelle à l’occasion de la traditionnelle messe des conducteurs.
Dans la charmante petite église en damier de silex et calcaire, où les bancs de bois s’alignent dans la nef, les bannières et les porte-cierge sont prêts à reprendre du service. Dans l’entre-deux guerres, des cartes postales anciennes en témoignent, c’était tout un défilé d’automobiles qui venaient se faire bénir solennellement par le clergé à Saint-Christophe sur Condé.
C’est que saint Christophe, patron du village, est aussi celui des gens qui voyagent, qui circulent, qui conduisent les autres. Comme son nom le rappelle, il a porté le christ sur son épaule. Il a résisté à tant de martyres qu’il est devenu un grand protecteur.
Au temps de la foi, on l’invoquait en cas de difficulté, mais aussi de façon préventive, pour qu’il protège le croyant tout au long de la journée.
Son effigie est facile à reconnaître : saint Christophe est figuré en géant qui porte un enfant sur l’épaule. Son grand bâton lui permet de prendre un appui lorsqu’il traverse à gué les rivières.

Le château du Champ de Bataille

Le château du Champ de BatailleA une heure de Giverny, le château du Champ de Bataille étale sa magnificence inspirée de Versailles en pleine campagne, dans la plaine du Neubourg. 38 hectares de parc qui déclinent bosquets, labyrinthe, pièces d’eau, broderies et topiaires, statues à l’antique et fabriques, serres et potager… Tout cela par la volonté d’un seul homme, le propriétaire des lieux Jacques Garcia, décorateur aussi prisé que passionné.
38 hectares magiques, et pas âme qui vive. En ce moment les appartements du château n’ouvrent que le week-end, si bien qu’en semaine, quand seul le parc est accessible, il n’y a personne. Le prix d’entrée élevé (12 euros pour les jardins) y est peut-être aussi pour quelque chose.
C’est une expérience extraordinaire que ce Versailles contemporain pour soi tout seul. Garcia a mêlé le grandiose et l’inventivité, le très proche et le lointain, la poésie et une touche d’ésotérisme, le jeu et l’exotisme, l’opulence et l’épure.
On joue à se perdre dans les bosquets impeccablement taillés, on guette la prochaine surprise nichée dans la charmille.
Le long des bassins, des baignoires empire abritent des jets d’eau.
Partout des sphinges, des déesses aux courbes sublimes, et des détails dorés, comme les énormes grenouilles qui tiennent concile sur les marches du plan d’eau.
Le retour ressemble à un voyage, avec des escales en Asie, en Grèce, en Italie peut-être, et un dernier point de vue sur un impressionnant alignement d’agaves en pots. C’est un jardin qui sait surprendre.

Le moulin d’Andé

Le moulin d'Andé, Eure, NormandieOn ne sait ce qui est le plus extraordinaire ici, du monument ou du centre de création qu’il est devenu. Le moulin d’Andé s’enorgueillit d’être l’un des tous derniers moulins à roue pendante sur la Seine, dans l’Eure, à une quarantaine de kilomètres de Giverny. Il est mentionné dès le 12e siècle, et fournissait Château-Gaillard en farine.
Bâti à cheval sur un bras de la Seine, il permet d’accéder à une petite île plantée de peupliers. Côté rive, la vallée est très encaissée et le coteau grimpe raide, dégageant juste une petite aire où les bâtiments annexes du moulin ont trouvé place. Cette situation fait du moulin d’Andé un endroit retiré, protégé, qu’on ne découvre qu’au dernier moment.
Il règne ici une atmosphère très particulière, mélange de pure nature, de présence humaine séculaire, et d’un petit quelque chose en plus tout à fait indéfinissable.
Depuis 1962, à l’instigation de sa propriétaire Suzanne Lipinska, les plus brillants esprits se sont retrouvés au moulin d’Andé, pour se détendre et pour créer. Tout ce que Paris a connu d’intellectuels, d’artistes, de cinéastes, d’écrivains, de musiciens s’y est donné rendez-vous, et ce lieu inspirant s’est retrouvé creuset, source d’émulation dans la convivialité.
Cette année, le moulin d’Andé fête ses 50 ans en tant que centre culturel, et offre tout l’été une programmation théâtrale et musicale de grande qualité. Ceux qui craignent de reprendre la route après le spectacle trouveront à se loger dans l’une des 35 chambres, le temps d’un week-end hors du temps.

Le chêne d’Allouville

Le chêne millénaire d'Allouville-BellefosseOn a déjà vu des chênes plus impressionnants. Plus grands, plus majestueux. Mais jamais de plus vieux ni de plus étranges. A Allouville-Bellefosse, en Seine-Maritime, le chêne qui se dresse à côté de l’église mêle son destin à celui des hommes depuis douze siècles.
Dans quelques jours le printemps va une nouvelle fois faire monter la sève dans les branches fatiguées, les feuilles s’ouvriront, témoignage de vie, puis l’arbre se mettra à fabriquer ses glands, pour la mille deux centième fois environ.
Ce qui lui donne son air bizarre et lui confère une certaine célébrité parmi les arbres étonnants de la planète, ce sont les bardeaux dont son tronc est couvert. Au fil des ans l’arbre a perdu son écorce. Il a fallu inventer une protection pour éviter l’agression des intempéries. Tout en haut du tronc mutilé par la foudre, un petit toit lui fait un drôle de chapeau.
Le chêne chenu a aussi droit à des cannes pour le tenir debout. De tous côtés des étais de métal viennent renforcer sa structure défaillante.
On sent dans ces bons soins une intention de préservation. Les êtres vivants qui ont plus de mille ans ne sont pas légion. Un arbre de cinq ou six siècles, comme le platane de Fervaques, c’est déjà beaucoup. Mais ce n’est pas la seule raison. Le chêne d’Allouville, comme d’autres, fait l’objet d’une dévotion mystique.
L’installation d’une chapelle et d’une chambre ermitale dans la cavité de son tronc date de 1696. C’est un curé de la paroisse nommé l’abbé du Détroit qui en a eu l’idée, un nom prédestiné : on accède à la petite chapelle mariale par une fente à peine assez large pour s’y glisser.
C’est une naissance à l’envers. Une fois vaincue la peur de rester coincé, quand on est dans les entrailles de l’arbre, on se sent étrangement bien. Le monde extérieur n’est plus. L’arbre enveloppe le pèlerin de son manteau protecteur. Il règne là un recueillement qui invite à la prière.
Un escalier fait le tour de l’arbre et mène à la petite chambre où vécut en ermite au début du 18e siècle le père du Cerceau, un jésuite lettré qui devait aimer, lui aussi, être encerclé par l’arbre.

La baie du Mont-Saint-Michel

Tangue dans la baie du Mont-Saint-MichelParcourir à pied la baie du Mont Saint-Michel, c’est une belle balade à faire même en hiver, quand le temps est clément. Si l’on n’est pas du coin, il est indispensable de prendre un guide pour déjouer les pièges mortels que cette zone entre mer et terre tend aux imprudents.
Les guides de la Baie ne font pas que vous accompagner, ils proposent une analyse du milieu qui permet de comprendre les spécificités de l’écosystème local.
A la base de tout, il y a la tangue, un sédiment composé de sable et de vase. La mer apporte des sables et des débris de coquillages, les rivières (pardon, les fleuves) qui se jettent dans la baie charrient des argiles, tout cela se mélange à chaque marée, pour se déposer ou repartir au large, au gré des flots.
La tangue est un terrain fertile, dans la région du Mont elle sert d’amendement aux sols acides. Au sud du Mont, depuis longtemps des polders ont été gagnés sur la mer.
Plus on s’avance vers le nord, vers le Mont, plus les terrains sont susceptibles d’être visités par les vagues. Leur pente imperceptible laisse monter l’eau plus ou moins loin, selon le coefficient de marée. La fréquence avec laquelle l’eau salée recouvre le sol varie, de même pas une fois par an à deux fois par jour. La végétation varie en conséquence.
Juste au-dessus de l’estran, dans des zones que la mer recouvre régulièrement mais pas tous les jours, on trouve les fameux prés salés. Ces herbus sont colonisés par des plantes halophytes, c’est-à-dire qui supportent le sel. Certaines sont délicieuses, croquantes et savoureuses, comme la salicorne ou l’obione, alias faux pourpier. D’autres sont appréciées des moutons, comme la puccinellie, une graminée de bord de mer qui a l’apparence de l’herbe la plus banale. Au total 70 espèces se partagent ce domaine instable et menacé.
Car la cartographie de ces terrains change d’une année sur l’autre, selon les fantaisies des cours d’eau, qui serpentent dans la baie et balaient la tangue sur leur passage. Pour l’instant, les herbus gagnent du terrain. Mais cela devrait changer bientôt, grâce au vaste programme de restitution du caractère maritime du Mont.

Les plus beaux villages de l’Eure

Le village du Bec-HellouinLes moines ont toujours su admirablement choisir les endroits où ils construisaient leurs monastères. La belle abbaye du Bec-Hellouin est nichée dans une petite vallée verdoyante, celle du Bec, et elle est accompagnée d’un petit bijou de village normand.
Le département de l’Eure possède deux villages labellisés « plus beaux villages de France » : Lyons-la-Forêt et le Bec-Hellouin.
Deux villages, ce n’est pas énorme, mais la vocation touristique de l’Eure n’est pas aussi prononcée que celle des départements qui concentrent le plus de villages labellisés, comme, disons, la Dordogne, où ils sont les uns à côté des autres.
Tout près de Giverny, dans le Val d’Oise, la Roche-Guyon est le seul village labellisé de toute l’Ile-de-France, une région pas vraiment en pointe pour le tourisme rural.
Ce n’est pas une distinction qui tombe du ciel, mais le fruit d’une démarche de la municipalité. Pour entrer dans le club assez fermé des Plus Beaux Villages, qui ne compte actuellement que 155 membres en France, il faut d’abord le demander. Et satisfaire à une série de critères, dont certains éliminatoires. Il est ainsi impératif de rester sous la barre des 2000 habitants, et d’avoir au moins deux monuments classés.
27 autres critères sont examinés par le jury avant l’attribution du label. Si le résultat est concluant, le gain en terme d’image sera très important. Le coût lui aussi n’est pas négligeable, puisque le village doit payer une cotisation annuelle de plusieurs euros par habitant.

Saint-Clair-sur-Epte

L'Epte à Saint-Clair sur EpteOn va beaucoup entendre parler de Saint-Clair-sur-Epte cette année : on fête en 2011 le 1100e anniversaire du traité fondateur de la Normandie, qui s’est conclu, comme vous l’avez conclu vous-même, à Saint-Clair-sur-Epte en 911.
Onze siècles plus tard, voilà à quoi ressemblent les bords de l’Epte à Saint-Clair. Le site est très paisible, le parfait endroit pour faire la paix.
On ignore la date exacte à laquelle eut lieu l’évènement historique, et par conséquent la saison. Peu importe. Ce jour de 911, donc, Rollon le Marcheur, chef d’une bande de Vikings, arrive par la grande route, la voie romaine, et franchit le gué à Saint-Clair-sur-Epte.
On a pu retrouver par l’archéologie l’emplacement exact de la voie et du gué, à peu près où se trouvent les pêcheurs sur la photo. Les lieux n’ont pas été bouleversés au cours des siècles.
Je l’imagine pataugeant gaillardement dans l’Epte, Rollon, tandis que ses troupes sont restées sur la berge ouest, futur côté normand.
Le voilà sur l’autre rive, qui demeurera territoire du roi de France. Devant lui, la voie romaine se poursuit tout droit jusqu’à l’église. Et entre les deux, se dresse le château carolingien.
Il ne reste rien du premier château de Saint-Clair-sur-Epte. Les ruines subsistantes, qui se trouvent dans une propriété privée, sont ultérieures. Mais la photo aérienne a révélé l’emprise d’un fortin dont les murailles s’étendaient sur 200 mètres.
Selon toute vraisemblance, c’est dans ce château qu’a dû se conclure le fameux traité. Le roi de France Charles III le Simple, (c’est-à-dire sincère, honnête, et non pas stupide comme on est tenté de le penser), avait certainement choisi d’accueillir Rollon dans un endroit symbole de son pouvoir.
Rollon, par cet accord verbal passé avec le roi de France, reçoit le pays autour de Rouen, à charge pour lui de le défendre des raids vikings.
Le traité de Saint-Clair-sur-Epte est un accord habile, qui a garanti longtemps la paix. Pendant tout le 10e siècle, une parfaite entente règne entre Normands et Français, et de nombreuses alliances matrimoniales sont scellées. Les tensions commenceront au 11e siècle avec Guillaume le Conquérant, et aboutiront à la fortification de la frontière de l’Epte grâce à l’édification d’une dizaine de châteaux.

Voie gallo-romaine

Vestiges de la voie gallo-romaine de Lisieux, médiathèque municipaleC’est une des curiosités de Lisieux : en plein milieu de la médiathèque, la moquette s’arrête pour laisser place à… une voie romaine. D’énormes blocs de pierre passablement bosselés pavent le sol, irruption du passé dans un lieu dédié au savoir. Il y a deux mille ans, la route de Lutèce à Vieux, près de Caen, passait là et menait, pour ceux qui le souhaitaient, jusqu’à Rome.
Après l’invasion de la Gaule, les Romains ont fait bénéficier le pays conquis de leur maîtrise des travaux publics.
Ce n’est pas le seul endroit de Normandie où l’on a décidé d’intégrer des vestiges gallo-romains dans un bâtiment. Le musée d’Evreux s’adosse au rempart gallo-romain, tandis qu’à Rouen, une fontaine antique est mise en valeur dans la vitrine de l’immeuble EDF.
A Lisieux, la découverte de la voie gallo-romaine a posé quelques problèmes. Elle se trouve un bon mètre en contrebas du sol actuel. Les architectes lyonnais qui ont conçu la médiathèque il y a une quizaine d’années ont donc imaginé un bâtiment de verre où l’on descend vers la salle de lecture.
De la rue, les passants plongent le regard vers les usagers de la bibliothèque et les rangées de livres, alignés sur des étagères vert pâle. Cette couleur a une histoire, c’est le vert choisi pour les huisseries à l’époque de la Reconstruction dans les années 50.
Ce vert qui évoque les destructions de la Seconde Guerre mondiale fait sens face à la voie gallo-romaine. Les terribles bombardements et l’incendie qui ont ravagé Lisieux ont eu ce que l’on pourrait appeler un bénéfice collatéral, ils ont mis au jour les vestiges antiques. La terrible invasion de la Gaule, de même, a débouché sur la construction d’équipements.
Symboles du renouveau après l’épreuve, ces deux éléments rappellent que la vie, toujours, se poursuit après les cataclysmes. Les cartes sont battues et redistribuées, une nouvelle partie commence, quelque chose de neuf surgit dans un monde nouveau.

A l’heure où blanchit la campagne

Sphinge dans le jardin de la maison Vacquerie à VillequierAvec sa tête penchée qui paraît sur le point de choir, cette sphynge située dans le jardin de la maison Vacquerie à Villequier me fait penser à Léopoldine. Peu importe qu’elle n’ait sans doute qu’une vague ressemblance avec la fille de Victor Hugo, au visage fin et doux, lui aussi, selon les portraits d’elle qui nous sont parvenus.
Peu importe, car la légende et les idées reçues règnent en maître autour de sa fin tragique.
Nul ne l’ignore, Léopoldine s’est noyée dans la Seine le 4 septembre 1843, à Villequier, à 500 mètres de la maison de ses beaux-parents, dans le naufrage du bateau où elle avait pris place avec son mari.
L’histoire de ce fait-divers nous paraît familière à cause du poème si célèbre des Contemplations, « Demain dès l’aube… », où Victor Hugo, s’adressant à l’être aimé, lui décrit le pèlerinage qu’il va entreprendre le lendemain pour se rendre, on ne l’apprend qu’à la fin, sur sa tombe.
Douze vers émouvants, efficaces, d’une grande maîtrise stylistique. Il s’en dégage une première idée fausse : Hugo était un familier de Villequier, qui ne pouvait s’empêcher d’aller régulièrement se recueillir sur la tombe de Léopoldine. En fait, il a attendu trois ans après le naufrage avant de se décider à venir pour la première fois dans le village des bords de Seine, où il ne s’est rendu qu’à quatre ou cinq reprises.
Et puis, allez savoir pourquoi, le prénom de Léopoldine reste lié à un mot qu’on n’emploie pas tous les jours : le mascaret.
L’occasion était-elle trop belle de passer de la leçon de poésie à la leçon de géographie ? L’école de la république nous a fourré dans la tête que la barque dans laquelle se trouvait la fille d’Hugo avait été renversée par la grosse vague venue de la mer qui, les jours de grande marée, remontait le fleuve jusqu’à Pont-de-l’Arche, bien en amont de Rouen.
Pure invention. Le récit circonstancié qu’on peut lire sous la plume d’Alphonse Karr, ami des Hugo et présent à Villequier, dans le Siècle du 9 septembre 1843, bat en brèche cette version. « Entre deux collines s’élève un tourbillon de vent qui, sans que rien n’ait pu le faire pressentir, s’abat sur la voile, et fait brusquement chavirer le canot. » Une embarcation de course toute neuve, peu stable, mal lestée de cailloux emportés au dernier moment.
Les quatre occupants de la barque périssent dans le naufrage. Évidemment, puisqu’on ne savait pas nager à l’époque, n’est-ce pas ? Encore une idée reçue. Le mari de Léopoldine, Charles Vacquerie, était, nous dit Karr, un excellent nageur. Il a tenté tout ce qu’il a pu pour sauver sa jeune épouse. Il reparaît sur l’eau, appelle à l’aide, replonge, remonte pour crier… Hélas, les témoins de cette scène ont cru qu’il jouait !.. Désespéré, épuisé, il finit par se laisser couler pour rejoindre Léopoldine dans la mort, alors qu’il aurait pu se sauver.
Alors, d’où sort cette histoire de mascaret ? C’est sans doute que, pour tous ceux qui n’avaient pas eu connaissance des détails du drame, la dangereuse vague était l’explication allant de soi, la plus plausible. Des dizaines de bateaux chaviraient chaque année en aval de Rouen à cause de la barre.
Explication qui peut être écartée sans hésitation. Outre le récit de Karr, on sait aujourd’hui qu’à l’heure du naufrage, 13h, il n’y avait jamais de mascaret à Villequier, et que le coefficient de marée du 4 septembre 1843 était faible. Mais ce drame emblématique en raison de la gloire de Victor Hugo, devenait l’occasion d’un discours de prévention sur la dangerosité du fleuve. Aujourd’hui, il ne sert plus à rien de guetter l’arrivée de la vague sur les bords de la Seine. Le mascaret a disparu depuis cinquante ans, suite à l’endiguement des berges.

Des vaches sous les pommiers

Vache sous un pommier en fleursIl suffit qu’une voiture s’arrête au bord de la route pour que toute vache qui se respecte se sente prise de curiosité. Elle se demande, sans doute, ce qui peut bien provoquer la vôtre, et vous fixe intensément en quête d’une réponse, le regard encadré par ses boucles d’oreilles numérotées.
A quelques kilomètres de Giverny, les plateaux du Vexin sont plutôt des terres à blé, où s’étendent de vastes champs de colza, de lin, d’escourgeon et autres cultures intensives. Mais il arrive qu’on y croise, près des villages, de petits coins de vergers, souvenirs d’un temps où chaque fermier produisait son cidre pour l’année.
La logique veut que les pommiers s’élèvent dans des prairies, et que des vaches s’occupent, à grands coups de langue, de limiter la croissance de l’herbe.
En cette saison, les pommiers sont encore en fleurs, les pissenlits et les boutons d’or aussi, et le tableau que composent les arbres, l’herbe grasse et les bovins a quelque chose qui réjouit l’oeil.
C’est l’image de l’opulence qui se traduira dans la cuisine normande par force crème, beurre, pomme et calvados, comme une promesse d’agapes à venir, d’assiettes savoureuses à dévorer à grand coups de dents.

Festival Normandie Impressionniste

Festival Normandie ImpressionnisteC’est une première qui va faire du bruit : de juin à septembre, la Normandie va vivre à l’heure de l’impressionnisme. Tout au long de l’été, des centaines d’évènements vont animer la région autour de ce thème, dans le cadre du premier festival Normandie impressionniste.
L’idée a germé dans la tête des politiques il y a quatre ans. Selon ses dires, Jacques-Sylvain Klein, directeur du service de l’’économie et de l’’évaluation scientifique à l’Assemblée nationale et proche de Laurent Fabius, a soufflé le concept à l’ancien Premier ministre socialiste. Tous deux ont de fortes attaches haut-normandes et un vif intérêt pour la peinture : la fortune des parents de Laurent Fabius est issue du marché de l’art, tandis que Jacques-Sylvain Klein a longuement étudié l’impressionnisme normand.
Les collectivités locales ont rapidement été embarquées dans le projet, qui leur coûte au total 5 millions d’euros. Les conservateurs des musées normands ont joué le jeu en organisant des expositions impressionnistes qui seront les manifestations phares du festival.
Mieux encore, l’originalité de Normandie impressionniste est de ne pas s’en tenir aux expos des musées. Le principe est de fédérer les initiatives autour du thème retenu. Le comité du festival a lancé un appel à projets, dont le résultat a dépassé ses espérances. Plus de deux cents manifestations ont été labellisées, organisées par des institutions, des associations ou même initiatives privées.
En laissant les projets venir d’en bas et pas seulement d’en haut, les politiques ont insufflé beaucoup de dynamisme au festival, qui promet d’être très populaire. L’inventivité des acteurs a suscité une infinie variété d’évènements. En plus de voir de la peinture impressionniste, on pourra déjeuner sur l’herbe, danser dans des guinguettes, écouter les chansons de Bruant, admirer les monuments normands sous des feux d’artifices, écouter des lectures de correspondances d’artistes, faire des croisières sur la Seine, assister à des colloques et des conférences, découvrir des oeuvres d’artistes contemporains, participer à un concours de vidéos, etc.
Si le festival est un succès, et il semble parti pour, il devrait être pérennisé avec une nouvelle édition tous les trois ou quatre ans. A Rouen, on pense tout de suite à l’Armada et ses millions de visiteurs. Reste à savoir si l’impressionnisme est aussi populaire que les grands voiliers.

Eglise inachevée

Chapelle de château sur EptePerdue au milieu des champs, la chapelle du cimetière de Château sur Epte a une drôle d’allure. On dirait qu’on en a coupé un bout.
Je n’ai pas trouvé d’infos sur cet édifice, me voilà donc réduite aux conjectures, et cette impression que le bâtiment est tranché est si forte qu’il m’est venu l’idée qu’il avait peut-être été partiellement démoli à la Révolution, dépeçage qui se serait arrêté juste à temps pour nous laisser la partie encore debout.
L’explication paraît toutefois bien peu probable. Pourquoi s’arrêter en si bon chemin sur un bâtiment aussi petit ?
Il semble plutôt qu’on a ici un exemple d’une vision très familière il y a quelques siècles, celle d’une église inachevée. Ce n’est plus si courant.
La plupart des édifices religieux ont eu le temps d’être plus ou moins terminés depuis le siècle lointain où ils ont été commencés, et pour nous qui les observons au 21e siècle ils offrent un aspect fini. Les quelques rares églises qui se construisent encore sont bâties avec des méthodes modernes en un temps record, on n’a pas une impression de chantier interminable. Il faut la vaste entreprise de la Sagrada Familia de Barcelone pour retrouver cette impression d’étalement des travaux dans le temps, à l’échelle de plusieurs générations.
Ici, à l’époque où la France « se couvre d’un blanc manteau d’églises », à en croire la belle baie gothique, les paroissiens de Château-sur-Epte ont uni leurs efforts pour bâtir cette chapelle. Ils ont eu de quoi construire l’abside. Et puis, plus rien. Gel définitif des travaux après la première travée.
Que s’est-il passé ? Le village a-t-il été dévasté ? Les efforts se sont-ils portés ailleurs ? Si vous le savez, merci de me laisser un petit mot d’explications ! Telle qu’elle est, la chapelle de Château sur Epte ne manque pas d’une bonne dose de mystère.

Des précisions inattendues ici

L’âne de Saint-Germain

L'âne de Saint-Germain, église d'ArgentanJuché à flanc de pilier, à plusieurs mètres de hauteur, un âne bâté sourit. A moitié couché, il se redresse. Il est sur point de se relever.
Impossible de ne pas le voir, comme le montre la photo agrandie. L’âne se trouve sur le premier pilier de la nef, semblant jaillir de la pierre. C’est l’une des curiosités de l’église Saint-Germain d’Argentan, dans l’Orne, une disposition originale, unique pour une statue.
La brave bête qui intrigue tant les visiteurs est en lien avec l’histoire du saint auquel l’église est consacrée. Elle rappelle l’un de ses miracles, une histoire charmante où perce même, chose rare, une pointe d’humour.
Transportons nous au 5ème siècle, en 448 ou à peu près. Germain est un homme d’une merveilleuse piété. Évêque d’Auxerre, il part évangéliser la Bretagne et convertit les foules. De là le bon saint, qui n’a pas peur des voyages, s’en va à la cour de Ravenne en Italie plaider la cause des Bretons auprès de l’impératrice Placidie. Pourquoi ? Selon les sources il demande leur grâce pour s’être révoltés, à moins qu’il ne supplie qu’on les grève moins d’impôts. Que voilà un bon saint !
Germain se déplace à pied ou à dos d’âne, par humilité. Mais c’est épuisant, un tel voyage, surtout quand on jeûne et qu’on prend de l’âge. Arrivé à destination, notre saint est à bout de force, sa monture aussi. Exténué, le brave animal s’écroule et meurt.
L’impératrice Placidie, entendant cela, veut se montrer généreuse. Elle offre un magnifique cheval à Germain pour remplacer le baudet.
C’est mal connaître le saint homme, qui bien sûr refuse le cadeau. Il n’a pas besoin d’un cheval.
Nullement embarrassé, il se tourne vers l’âne mort et lui dit, allez viens, on rentre à la maison. Là-dessus le brave âne se redresse en pleine forme, prend l’évêque sur son dos et le ramène à son auberge. C’est dans cette hôtellerie de Ravenne que Germain passe de vie à trépas une semaine plus tard. L’histoire ne dit pas si l’âne, sa mission accomplie, l’a suivi dans l’au-delà.
On voit sur la statue d’Argentan que l’âne sourit, mais en même temps il couche les oreilles. Il n’est pas franchement ravi de reprendre du service sur terre, mais il s’amuse du bon tour que sa résurrection joue à l’impératrice.
On aurait bien voulu voir sa tête, à Placidie. Elle n’a pas dû rester si placide que ça.

Trouville, hôtel des Roches Noires

Trouville, hôtel des Roches NoiresQuel est ce ressort qui nous fait éprouver une jubilation étonnante à découvrir le motif du peintre, le paysage qui a servi de modèle à un tableau célèbre ?
J’étais toute heureuse, à Trouville, de voir de mes yeux et en vrai l’hôtel des Roches Noires, un établissement de standing aujourd’hui divisé en appartements qui donne directement sur la plage de sable blond.
Et un peu frustrée de n’avoir pas sous la main une reproduction de la toile que Claude Monet en a fait en 1870 pour comparer, chercher l’emplacement exact où il a planté son chevalet et voir ce qui est resté semblable et ce qui a changé depuis 138 ans.
La façade de pierre dorée est toujours la même, mêmes volets blancs, même ligne brisée des balcons, même toit d’ardoise gris bleu.
La tour se devine dans le fond, mais les réverbères ont disparu tout comme les drapeaux, tandis que des bancs tournés vers le large ont fait leur apparition.
Hôtel des Roches Noires, Trouville, par Claude Monet, 1870, Musée d'Orsay Paris Le lion de pierre qui monte la garde était-il déjà là à l’époque de Monet ?
Combien de temps a-t-il fallu pour que son pelage se creuse et s’érode sous les colères de la mer ?

Je ne sais pas ce que l’on cherche sur les lieux de la création, ce qui fait venir tant de gens de si loin pour admirer le bassin aux Nymphéas à Giverny.
Peut-être l’identification au ressenti du peintre face au motif ?
Mais il y avait dans ce que j’éprouvais à Trouville quelque chose de la joie de revoir un ami après de longs mois, avec ce décalage entre l’image que nous avons gardé de lui et sa présence effective, quand nous recherchons sous sa nouvelle coiffure et son visage un peu changé les traits que nous avons conservé en mémoire.

Bohin

machine à trier les aiguilles Les objets, et pas seulement les photos, ont le pouvoir de suspendre le temps. Le passé peut ressurgir au détour d’une brocante, au hasard d’une poupée de porcelaine ou d’un moulin à café.
Que dire alors quand c’est une usine entière qui semble arriver tout droit du 19ème siècle ? Qu’elle n’a pourtant rien de factice, qu’elle tourne et produit, qu’elle s’inscrit face à une concurrence mondialisée en ce début de 21ème siècle ?
Cette impression étrange que rien n’a changé depuis plus de cent ans est celle que l’on éprouve en visitant l’usine d’aiguilles et d’épingles Bohin à Saint Sulpice sur Risle, dans l’Orne.
La fabrique est installée depuis 1833 au bord de la rivière qui lui fournissait la force motrice. Le moulin ne sert plus, la cheminée de brique n’est plus qu’un perchoir pour les pigeons. Mais à l’intérieur des longs bâtiments en brique les méthodes de fabrication sont inchangées, et certaines machines sont là depuis 150 ans.
Celle ci-dessus, par exemple. C’est la doyenne. Elle a une petite tâche pas vraiment indispensable mais puisque la machine fonctionne comme une horloge, autant s’en servir : elle trie les aiguilles par longueur. C’est-à-dire que sur un lot d’aiguilles de même longueur elle distingue celles qui sont un chouïa plus longues ou plus courtes. Elles seront mises ensemble dans les pochettes, exactement identiques, c’est plus joli pour le coup d’oeil.
Tout est comme ça chez Bohin, un souci du détail et une recherche de perfection dans un environnement à la fois très technologique et archaïque.
En tant que patrimoine industriel l’usine est inscrite à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques. Elle devrait prochainement voir une partie de ses locaux transformés en musée. Ce sera très intéressant, à n’en pas douter. Mais si vous en avez l’occasion, visitez-là, en groupe, dès maintenant, pendant que tout a cet air incroyablement authentique et sans apprêt. Quitte à retourner la voir quand elle sera devenue un outil pédagogique, un conservatoire des méthodes de travail traditionnelles au parcours didactique.

Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

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