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Cathédrale, nuit

Cathédrale de Rouen la nuit J’ai profité de la Nuit des musées samedi dernier pour aller visiter l’exposition « Cathédrales » à Rouen, ouverte exceptionnellement jusqu’à 23h.
L’expo révèle la fascination qu’a exercée l’architecture gothique à travers les siècles, et qui perdure encore.
Le plus étonnant, c’est peut-être de découvrir au milieu d’une collection de tableaux et de photos la salle consacrée aux arts décoratifs. « La manie du gothique » selon le mot de Michelet sévit dès le début du 19e siècle et se déploie sur les sièges, les verres, les pendules, la porcelaine ou les bijoux. Le style dit « à la cathédrale » règne en même temps que Charles X, avec son lot d’ogives et de pinacles.
Le plus décevant pour moi, c’est sans doute l’absence d’oeuvres de Goethe… à part le moulage d’un graffiti de sa main sur les pierres de la cathédrale de Strasbourg, mais peut-on parler d’oeuvre ? Vu du 21e siècle, ne serait-ce pas plutôt du vandalisme ? Goethe est portraituré, son importance dans le retour en grâce des cathédrales est expliquée, mais pas le moindre petit dessin, alors qu’on en voit plusieurs de Victor Hugo.
Après la visite, un détour par la cathédrale, la vraie, s’imposait, pour aller la saluer dans son habit de lumière. Celui-ci n’était probablement pas aussi beau du temps de Monet. En tout cas, si le peintre l’a représentée 28 fois de face à toutes les heures du jour, il ne l’a jamais peinte la nuit.

Comment terrasser un dragon

Quadrilobe, portail des libraires de la cathédrale de RouenRegardez bien, le truc est bon à savoir la prochaine fois où vous vous trouverez face à un dragon : pour lui faire rendre gorge à coup sûr, il faut l’attraper par les oreilles. Tirez-les en arrière, tout en maintenant les pattes du monstre sous votre pied. Le dragon ouvrira une gueule béante où vous n’aurez plus qu’à enfoncer votre épée.
Ce quadrilobe orne depuis le 13e siècle le portail des libraires de la cathédrale de Rouen, parmi 165 autres. Ceux de la partie supérieure du portail représentent des scènes bien connues issues de la Genèse. Mais les quadrilobes les plus proches des yeux du passant, tels que celui-ci, sont plus énigmatiques. De quoi s’agit-il ici ? Ce n’est pas Saint-Michel terrassant le dragon, l’homme à gauche n’a pas d’ailes, ni Saint-Georges, il n’a pas d’armure.
Est-ce une invitation au courage, à faire face à ce qui nous effraie, sans peur aucune ?
Est-ce une représentation allégorique de la christianisation ? Si c’est le cas, le valeureux chrétien fait montre de toute sa détermination à lutter contre le paganisme pour éradiquer les anciennes croyances du pays. De petits dragons se tapissent dans les coins, tâchant de se faire oublier derrière les frontières du quadrilobe.

Pour Franck Thénard-Duvivier, qui s’est longuement penché sur le sens de ces quadrilobes fantastiques, ces bas-reliefs ont une autre interprétation :

Ces images procèdent de la mise en scène du combat intérieur que doit mener l’homme pour triompher des vices et de ses instincts… animaux ! Elles traduisent une crainte diffuse, qui se précise à la fin du Moyen Age, de la « bête intérieure » (the beast within selon Joyce E. Salisbury) qui sommeille en chaque homme et qui menace d’annihiler ses capacités rationnelles et spirituelles pour le livrer tout entier aux instincts bestiaux, à la concupiscence et à la chair.

S’il glisse sur cette pente dangereuse, l’homme du Moyen Âge risque bien plus que de se faire tirer les oreilles, il pourrait y laisser son coeur.

Lumières sur la cathédrale

Cathédrale de Rouen, spectacle première impressionIl fait nuit plus tôt maintenant, ce qui a permis d’avancer l’horaire des spectacles de lumières sur la cathédrale de Rouen à 22h. Les non-rouennais peuvent ainsi profiter plus facilement de la magie. Si vous voulez y aller, il vous reste jusqu’au 29 septembre.
C’est un peu comme avant un feu d’artifices, mais en moins prévisible. Sur le parvis, on attend dans la nuit close et la douceur du soir, au milieu des autres spectateurs, avec peut-être en mémoire le souvenir de Rouen aux pixels, le précédent spectacle qui rendait hommage à Monet et à l’héritage de l’impressionnisme.
Celui-ci, Première impression, évoque aussi le célèbre mouvement de peinture et se joue avec humour et poésie de ses poncifs. Les barques glissent sur la façade, les nymphéas fleurissent, une jeune femme se balance sur une escarpolette… On se laisse emporter dans l’enchantement et la fraîcheur, jusqu’au tableau final de la cathédrale coloriée par les enfants.
Le second spectacle, Jeanne(s), est dédié à Jeanne d’Arc et aux prénommées Jeanne. Là encore, si l’on ne sait rien de l’histoire de l’héroïne, on ne comprend pas, mais comme elle n’a pas de secret pour les spectateurs, les images jouent sur la connivence.
C’est beau, bourré d’inventions et de surprises, et tellement bien fait que l’illusion de mouvements est saisissante. Comment font-ils pour que la façade pleine de reliefs de la cathédrale accepte si bien de servir d’écran ? Ses pierres dialoguent merveilleusement avec les images.

Face à la cathédrale

Cathédrale de RouenL’urbanisme de la ville de Rouen est ainsi fait : impossible de voir la façade ouest de la cathédrale en entier avec un certain recul. Le parvis est trop étroit, 50 mètres environ, par rapport à l’ampleur du monument. A Paris ou à Chartres au contraire, la majesté de l’édifice peut être contemplée de loin.
Si la vue d’ensemble se dérobe à Rouen, la disposition des lieux permet en revanche un face à face unique avec le monument, depuis les maisons qui l’entourent. En 1892, Claude Monet, désireux se se lancer dans une série de différentes vues du massif occidental, se cherche donc une fenêtre en vis-à-vis de la cathédrale.
Pour venir à bout de son projet, qui comportera 28 toiles et auquel il travaillera pendant deux saisons, le peintre va occuper successivement trois endroits.
La première fenêtre est dans l’axe de la cathédrale, à l’emplacement de l’actuel magasin Etam. A l’époque de Monet, c’est là que se dresse l’immeuble de « la Grande Fabrique », avec au rez-de-chaussée une chemiserie dont le propriétaire, J. Louvet, prête pendant quelques jours l’appartement vide du premier étage à Monet.
Deux tableaux seulement nous en sont parvenus, et Monet a trouvé moyen d’essayer la vue depuis deux fenêtres différentes. Arrivé le 12 février, Monet doit déjà déménager le 25. Il ne peut rester plus longtemps chez Louvet, car des ouvriers ont débarqué pour effectuer des travaux dans le logement. Monet ne l’ignorait pas, mais il pensait en avoir rapidement fini…
Le Portail (soleil), Claude Monet, 1892-1893, Cathédrale de Rouen, huile sur toile 100x65cm, The metropolitan Museum of Art, New York Monet déniche aussitôt, dans l’urgence, un autre endroit d’où peindre. Il s’agit du premier étage de l’actuel office de tourisme. C’est alors le salon d’essayage d’un magasin de vêtements dont le propriétaire se nomme Fernand Lévy.
Un salon d’essayage ! Voilà de quoi faire travailler l’imagination des amateurs de détails croustillants ! Il est curieux de voir comment, selon son tempérament, chacun s’empare de la chose.
On sait que des clientes ont fini par se plaindre de la présence de cet homme dans le salon d’essayage. On sait que le collectionneur rouennais Depeaux a prêté un paravent pour isoler Monet. On sait que, de retour l’année suivante pour terminer ses toiles, Monet s’est vu opposer un refus formel de M. Lévy d’utiliser sa fenêtre.
Que s’est-il passé exactement ? Lilla Cabot Perry, voisine américaine de Monet à Giverny, qui nous a laissé ses souvenirs, édulcore l’anecdote. Pour elle, Monet peint depuis

la fenêtre d’une boutique de modiste juste en face de la cathédrale. A peine avait-il bien commencé à travailler à sa série des cathédrales, la modiste vint se plaindre amèrement de ce que ses clientes refusassent d’essayer les chapeaux en présence d’un homme, et qu’il lui fallait donc aller peindre ailleurs puisqu’il perturbait son commerce. Monet n’était pas homme à se laisser intimider et il la persuada de le laisser travailler derrière une sorte de cloison le séparant du reste de la boutique, formant ainsi un petit réduit où il n’avait jamais plus d’un mètre de recul par rapport à sa toile.

Est-ce Madame Perry qui, par puritanisme, a transformé les robes en chapeaux ? Est-ce Monet, en lui racontant l’anecdote, qui a opéré le glissement, pour rendre l’histoire plus absurde et gagner son auditrice à sa cause ?
Dans une lettre à Alice du 2 avril, Monet raconte :

Le marchand de nouveautés chez qui je travaille m’a demandé tantôt de ne plus venir l’après-midi, que cela gênait les clientes qui venaient : je ne lui ai pas caché ma désolation, lui offrant mille, deux mille francs, ce qu’il voudrait, et il veut bien me tolérer encore quelques jours, mais je vois bien que cela le gêne. »

Pour Daniel Wildenstein, l’histoire peut s’analyser ainsi :

Les clientes chic de l’après-midi apprécient médiocrement la présence de cet homme barbu qui leur tourne le dos et dont le regard paraît osciller d’un mouvement régulier de pendule, entre la façade de la cathédrale et un chevalet sur lequel une toile, à chaque fois, reçoit quelques touches nouvelles. Un paravent obligeamment prêté par le collectionneur François Depeaux, qui fréquente assidûment le peintre, met fin à une tension du reste tardive et sans influence majeure sur la série des Cathédrales peintes chez le marchand de nouveautés.

Il est vrai que Monet rentrera quinze jours plus tard à Giverny, épuisé et dégoûté provisoirement de son motif.
Quel type de vêtements les dames en question venaient-elles essayer dans le salon ? Probablement rien qui risque de choquer les bonnes moeurs. Selon Michel de Decker, M. Lévy est marchand de nouveautés, c’est son épouse qui tient un magasin de lingerie dans la rue aux Juifs. D’où l’inscription des Lévy dans la rubrique « lingerie et nouveautés » de l’Almanach de Rouen, qui a fait trotter les imaginations.
Une légende veut que le paravent utilisé pour cacher Monet ait présenté un trou… Voilà qui paraît bien invraisemblable quand on connaît la concentration de Monet au travail, sa fièvre face au motif, son obsession de peindre.
Monet revient l’année suivante à Rouen avec ses toiles inachevées. Mais cette fois, Lévy est catégorique, il ne prêtera plus son salon. Monet se rabat alors sur une maison située deux numéros plus bas, d’où la cathédrale apparaît davantage de profil. C’est l’étage du commerçant Edouard Mauquit, où Monet se fait construire un enclos de planches autour de l’embrasure d’une fenêtre qu’il laisse ouverte. Il va passer deux mois dans cet espace confiné, et y peindre la majorité des toiles de la série.
Arrivé au terme de son travail, Monet, qui n’a pas versé un sou à Mauquit pour l’utilisation du local, remercie l’aimable commerçant d’un « j’ai fini » accompagné d’un ballotin de bonbons et d’une poupée défraîchie pour sa petite fille.
Cette anecdote rapportée au Journal de Rouen par le commerçant meurtri (et sans doute déçu de ne pas se voir gratifié d’un tableau) me semble plus révélatrice de la personnalité de Monet que celle d’un voyeurisme supposé. Avec son geste condescendant et un peu mesquin, Monet a fait une erreur dans l’évaluation de la classe sociale de Mauquit. Lui-même se considère comme un grand bourgeois, et les services qui lui sont rendus par des personnes moins distinguées ne suscitent chez lui que peu de reconnaissance. Cette pingrerie écorne un peu son image, il faut toutefois la replacer dans le contexte du 19ème siècle.

Ci-dessus : « Le Portail (soleil) », Claude Monet, 1892-1893, Cathédrale de Rouen, huile sur toile 100x65cm, The metropolitan Museum of Art, New York. Vue prise depuis l’actuel office de Tourisme.

Le prix du beurre

La tour de Beurre, cathédrale de Rouen On avait eu la fracture sociale, puis l’insécurité, voici maintenant que le pouvoir d’achat est le préoccupation essentielle des Français. C’est du moins l’avis des médias qui excellent dans l’art de faire du neuf avec du vieux.
Le coût de la vie, n’est-ce pas une vieille rengaine ? Il y a déjà quelques années, je me souviens que la question du prix du beurre animait les repas de famille. C’était devenu un jeu de lancer le sujet et de voir combien de temps le débat allait durer.
Aujourd’hui leur porte-monnaie raplapla contraint les Français à se serrer la ceinture, et voyez comme les choses sont bien faites, on vient d’entrer en Carême mercredi dernier.
On n’a plus qu’une très vague idée de ce que ce mot recouvrait de privations pour les chrétiens d’avant le concile de Vatican II, jusque dans les années 1960, et de l’habileté qu’il fallait pour préparer un repas sans viande ni graisse animale ni oeuf ni lait.
Il y avait pourtant un moyen jadis, c’était de faire un don important à l’église, ce qui vous valait l’indulgence du clergé et vous autorisait à consommer des aliments interdits pendant le Carême. A Rouen on dit que c’est grâce à la gourmandise des bourgeois que la tour sud de la cathédrale a pu être bâtie. Ils désiraient tant continuer à savourer le bon beurre normand qu’ils payaient sans sourciller. La tour, en pierre un peu plus jaune que le reste de l’édifice, a gardé le nom de tour de Beurre.
Je me demande à combien pouvait bien leur revenir la plaquette de beurre alourdie de cette « taxe ». Cela devait en faire un produit affreusement luxueux pendant 40 jours.
Il faut croire que leur pouvoir d’achat ne devait pas trop préoccuper les riches Rouennais…

Cathédrale de Rouen

Cathédrale de RouenVoyez-vous les gargouilles qui dépassent à gauche de la photo ? Ce sont celles de la tour Saint-Romain, qui limite au Nord la façade de la cathédrale de Rouen. Le manque de recul rend l’édifice difficile à photographier : il est très large car ses deux tours ont été construites hors oeuvre, à l’extérieur de la nef plutôt que de la surmonter au dessus des portails latéraux. Résultat, la façade mesure 61 mètres de long, les tours 75 et 82 mètres de haut, sans parler de la flèche qui s’élève à 151 mètres.
Le même problème de cadrage s’est posé à Claude Monet quand il a entrepris sa célèbre série des Cathédrales. Il a tranché : fidèle à son principe de ne peindre que ce qu’il voyait comme il le voyait, il n’a représenté qu’une partie du monument sur ses toiles.
La cathédrale Notre-Dame de Rouen est fort ancienne puisque sa crypte date du 11ème siècle. Le duc de Normandie assiste à sa dédicace en 1063. Trois ans avant la bataille d’Hastings, Guillaume n’est pas encore surnommé le Conquérant, il n’est encore que le Bâtard.
Quatre-vingts ans plus tard, pourtant, on rase tout. Pourquoi ? Parce que le nouvel archevêque a vu Saint-Denis, où l’abbé Suger a introduit la voûte sur croisée d’ogives. Cette nouveauté enthousiasme l’archevêque de Rouen. Son église romane ne lui plaît plus. Il veut, lui aussi, des voûtes en pierre et des verrières immenses.
On construit d’abord la tour Saint-Romain, puis la façade, et ensuite la nef. En dépit d’un incendie en 1200, l’oeuvre est terminée au milieu du 13ème siècle.
Terminée, c’est une façon de parler. Car la cathédrale n’a jamais cessé d’être en travaux d’un côté ou de l’autre. Pas seulement pour réparer ou entretenir. On modifie, on embellit sans relâche.
Prenez la façade, par exemple. La première n’avait pas du tout cet aspect là. Au 12ème siècle on construisait sobre, sans ornement et guère plus d’ouverture. Deux cents ans plus tard, une telle austérité ne convient plus. C’est l’apogée du gothique rayonnant, on va donc habiller cette façade d’un décor très fouillé composé de dizaines de statues et d’élégants remplages.
Le portail est une nouvelle fois remanié au 16ème siècle quand on abat la partie médiane pour y ouvrir une rose. Pour ne pas nuire à l’harmonie de la façade, l’architecte y applique le style flamboyant, bien que la Renaissance ait déjà conquis la Normandie.
Ce remaniement fait suite à la construction de la tour sud, à droite sur la photo. Elle a causé des désordres au portail principal qui menace ruine. Nos aïeux avaient bien de la constance pour remettre cent fois sur le métier leur ouvrage !

Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

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