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Le canapé de l’atelier

Le canapé de l'atelier
Le canapé récemment retapissé arbore un tissu à fleurs inspiré des photos de l’atelier de Monet dans les années 1920. Il était recouvert de tissu damassé vert dans la restauration précédente.

Claude Monet a présidé à la décoration de sa maison, et sans doute son épouse n’a guère eu son mot à dire. Ainsi, la chambre d’Alice est l’une des rares pièces de la maison où les meubles ne sont pas peints, comme si elle avait voulu se préserver son espace d’originalité en contraste avec les pièces autour. C’est aussi ce qui ressort d’un échange de lettres entre Claude et Alice tandis que Monet séjourne dans la Creuse, à Fresselines. Ou plutôt des seules lettres de Monet, car celles écrites par Alice ayant disparu, il nous faut lire entre les lignes.

Je voulais vous demander ce qu’il faudrait à peu près d’étoffe pour le divan de l’atelier, il y a ici de la véritable limousine. Ne croyez-vous pas que cela ferait très bien. Il y a chez Rollinat une portière comme ça, c’est très joli.

L 938 Fresselines 5 avril 1889

Monet a donc été séduit par l’aspect de cette épaisse étoffe de laine qui servait à faire des capes aux bergers dans le Limousin, et que le poète Rollinat, chez qui il prend tous les jours ses repas à Fresselines, utilise pour lutter contre le froid. Il soumet le projet à la maîtresse de maison, mais :

Je crois que vous avez raison pour le canapé, faites-le bien vite faire avec les rideaux de la salle et faites venir des échantillons pour les remplacer.

L942 8 avril 1889

Alice, en bonne maîtresse de maison économe, est la reine du surcyclage. Les rideaux de la salle sont défraîchis ? Ils feront très bien l’affaire pour retapisser le canapé de l’atelier, qui en a sans doute grand besoin. Mais Monet semble avoir oublié qu’il s’était rangé à son avis, car :

La limousine partira sans doute lundi, faites donc faire le nécessaire pour que ce soit fait pour mon retour.

L 947 12 avril 1889

Alice a dû être bien surprise de lire ceci et s’est sans doute précipitée pour avertir le tapissier de tout arrêter en attendant l’arrivée de la limousine. En tout cas Monet a l’air très content de son idée :

La limousine part aujourd’hui. Je crois que ce sera très joli, ne manquez pas de faire mettre la rayure en long dans le sens du divan.

L953 16 avril 1889

C’est précis, mais pas encore assez, car il trouve à redire aux choix d’Alice :

Vous auriez mieux fait de ne pas faire faire de volants au canapé et d’aplisser l’étoffe simplement, voyez donc ça si c’est temps encore.

L 961 23 avril 1889

On voit qu’en matière de décoration, c’est-à-dire d’esthétique, Monet sait ce qu’il veut et qu’il est maître chez lui.

Le canapé de l'atelier

Atelier de Monet, photo Lilla Cabot Perry (entre 1899 et 1909), Archives for American art, Smithsonian Institution Washington

Bouquetière

Bouquetière ou pique-fleur, GivernyDans la salle-à-manger de Claude Monet à Giverny, un vase vient de reprendre du service à l’occasion de la floraison des tulipes. Le dessus du vase présente une surface percée de trous dans lesquels on glisse les tiges des fleurs, qui restent ainsi élégamment disposées.
Les commissaires-priseurs donnent indifféremment le nom de bouquetière ou de pique-fleurs à ce type d’objet, mais ni l’un ni l’autre ne le définissent dans le dictionnaire, ni chez Robert, ni chez Larousse.
En cherchant dans les dictionnaires anciens, c’est plutôt le masculin que l’on trouve, sans grande précision : « bouquetier n.m. Vase à mettre des fleurs ». La bouquetière était la dame qui confectionnait et vendait des bouquets dans la rue. Pique-fleurs se réduit aujourd’hui à un « accessoire placé au fond d’un vase pour maintenir les fleurs dans la position choisie », et le mot est absent des dictionnaires anciens.
Puisqu’il faut choisir, c’est bouquetière qui a ma préférence, car c’est le plus gracieux. L’idée de piquer des fleurs ne m’a jamais beaucoup plu.
La bouquetière de Monet est un modèle qui s’accroche en applique, ce qui est assez classique. L’originalité est de la fixer sur un miroir, afin de multiplier les fleurs et de magnifier l’effet. Je suppose que l’idée est de Monet, car le miroir en vis-à-vis dans la pièce est lui aussi équipé d’un bouquetier.

Le cartel de Monet

Pendule cartel de Claude Monet, GivernyCette jolie pendule posée sur une console se trouve dans la chambre à coucher de Monet à Giverny.
Placée comme elle est dans l’encoignure du mur à côté de la fenêtre, derrière la porte qui mène au cabinet de toilette, il faut être un visiteur attentif pour la remarquer.
Son raffinement surprend, dans cette chambre au lit et à l’armoire tout simples.
Je ne me souviens pas d’avoir lu quelque chose sur cette pendule, elle gardera donc son mystère. Si un horloger ou un antiquaire passe sur cette page, j’aimerais bien avoir son avis.
A première vue, il me semble que c’est un cartel de style Louis XV, que Monet pourrait s’être acheté à la fin du 19e siècle, à moins qu’il ne l’ait reçu en cadeau. Le cadran, orné de deux très belles aiguilles, ne porte pas de signature apparente.
Je ne crois pas non plus avoir jamais entendu sonner ce cartel, j’ignore s’il fonctionne, à l’inverse de l’horloge du salon bleu qui rythme les heures et les demies de son timbre aigu tout simple.
On passait beaucoup de temps autrefois à remonter les montres, les pendules et les horloges. On a oublié cette servitude aujourd’hui.
Mais demain, il faudra faire le tour de tout ce qui donne l’heure dans la maison pour remonter le temps de soixante minutes, sauf bien sûr les appareils qui sont assez malins pour se mettre à l’heure d’hiver tout seuls.

Les carreaux vichy

Fenêtre à rideaux bonne femme en carreaux vichy, Giverny, Maison de Claude MonetQuand les petites filles dessinent une maison, elles aiment lui faire des rideaux aux fenêtres. Les fenêtres sont les yeux de la maison, avec des rideaux elles ont l’air d’avoir des paupières, et ce sont des détails qui comptent quand on a à coeur de représenter les choses avec minutie.
Les petites filles, en général, se plaisent dans la maison de Claude Monet. Les fenêtres de la cuisine ont exactement le type de rideaux qu’on imagine, des rideaux bonne femme, ces voilages courts et volantés retenus par des embrasses.
En harmonie avec les carreaux en faïence bleue de Rouen qui recouvrent les murs, les rideaux sont en tissu vichy bleu. Je ne sais pas ce que ça vous évoque, les carreaux vichy, peut-être la chemise de nuit de Pimprenelle ? la robe de mariage de Brigitte Bardot ? Aujourd’hui c’est un tissu sage qui préfère l’ameublement à la mode. Il donne un style campagne, un côté un peu désuet, authentique dans le sens terroir du mot.
Dans les dessins d’enfant, encore plus souvent que des rideaux les fenêtres ont des croisillons. C’est aussi le cas de celles de Monet, c’est l’époque de construction qui veut ça. Et, cohérence du détail, on ouvre la fenêtre grâce à une magnifique poignée en fonte ouvragée.
La tentation est grande de se prendre pour la cuisinière de Monet, de tourner la poignée, d’ouvrir la fenêtre. Les rideaux tamisent le soleil, voilent le dehors sans le cacher. Mais fenêtre ouverte, le jardin fait irruption dans la pièce. De la fenêtre il ne reste que l’encadrement, ce que justement on nomme le tableau de la fenêtre. Quand on est à l’intérieur de la maison, le jardin y apparaît comme un tableau du maître des lieux.

Jaune de chrome

Salle à manger de Claude Monet, détailDans sa maison, ce n’est pas Claude Monet qui maniait le pinceau. Pour faire repeindre les murs, il engageait un peintre en bâtiment qui recevait des consignes précises sur les couleurs à employer.
C’est ainsi que nous savons exactement ce que Monet souhaitait pour sa salle-à-manger, un jaune de chrome soutenu pour les moulures, un jaune de chrome plus clair sur les murs.
Les mêmes couleurs se retrouvent sur le mobilier, comme ce buffet cauchois qui abrite quelques éléments de la vaisselle bleue collectionnée par Monet.
Cette description précise du coloris attendu paraît être le fait d’un artiste habitué à l’usage des couleurs.
Mais on peut aussi y voir un choix de jardinier.
Christoph Becker, dans « Monets Garten » (éd. Hatje Cantz) estime non sans poésie que le « jaune très clair, presque pâle, rappelle celui des fleurs d’iris » tandis que « le deuxième, vigoureux, est de la couleur des tournesols. »
A vous de venir comparer, les deux fleurs sont présentes dans le jardin de Monet, l’une au printemps, l’autre à la fin de l’été.

Japonaiseries et chinoiseries

Buffet style bambouY a-t-il une autre mode qui puisse se comparer à cette déferlante ? On a du mal aujourd’hui à imaginer à quel point tout ce qui évoquait l’Extrême-Orient a pu être populaire à la fin du 19ème siècle. Même Claude Monet, d’habitude si peu enclin à suivre une mode, a succombé.
Je ne parle pas de son immense collection d’estampes japonaises, toujours exposées sur les murs de sa maison de Giverny. Qu’un artiste ait été inspiré par une façon radicalement différente de concevoir l’art, qu’il ait eu envie d’explorer de nouvelles voies, quoi de plus naturel. En collectionnant les gravures des maîtres japonais, Monet fait oeuvre d’esthète.
Mais Monet n’a pas résisté à la japonaiserie et la chinoiserie ambiantes, cet Orient de pacotille qui envahit tout. Dans sa maison, il a mélangé allègrement les objets venus d’Asie et les imitations, faïences à décor d’éventail et de branches de cerisiers, magots peints et meubles en faux bambou.
Ce buffet, par exemple, fabriqué dans un bois tendre qui paraît être du pin, est décoré de motifs imitant le bambou. Des baguettes annelées rehaussent tous les reliefs. Le faux ne cherche pas à passer pour du vrai. C’est une évocation, une petite touche orientale qui rappelle celle de son jardin, bien européen malgré les plantes exotiques.
Le style bambou a fait fureur, chez Monet on le retrouve aussi bien sur des miroirs que sur des chaises légères ou du mobilier de jardin.
Dans ce buffet, Alice rangeait des conserves, du thé, des liqueurs… Il est situé dans l’entrée menant à l’atelier de Monet, une pièce non chauffée qui servait d’épicerie.
Détail de cette époque où l’on vivait avec des domestiques, toutes les portes et même les tiroirs sont équipés de serrures. Impossible de savoir si Alice s’en servait ou non, mais c’est probable. La nourriture était beaucoup plus chère qu’aujourd’hui. Ca aussi, on a du mal à l’imaginer.

Une cuisine bleue

la cuisine de Monet à GivernyC’est Claude Monet lui-même qui a présidé au choix des couleurs dans toutes les pièces de sa maison de Giverny. Pour la cuisine dernier cri qu’il a fait construire à l’extrémité Est de la demeure, à la place d’une cuisine trop petite et d’une remise, Monet a opté pour le bleu.
Tout est bleu sauf le sol. Murs, meubles et plafond sont recouverts de carreaux de faïence bleus et blancs ou laqués bleu ciel.
Le bleu est une couleur froide, et pourtant c’est une impression chaleureuse qui se dégage de cette cuisine, souvent la pièce préférée des visiteurs. Car une impressionnante batterie de cuisine en cuivre vient réchauffer le plus grand mur, alignant ses casseroles de différentes tailles, ses sauteuses, ses saumonières, sa turbotière, ses couvercles et autres écumoires. Les reflets chauds du cuivre et le bleu des carreaux s’équilibrent. Il est probable aussi qu’il devait faire très chaud dans cette cuisine à cause de l’énorme fourneau, une impression de fraîcheur était sans doute la bienvenue.
Mais Monet ne s’en est pas tenu là. Non content d’associer les tonalités dans une pièce, il a voulu aussi harmoniser les pièces entre elles.
Par la porte ouverte de la cuisine, on aperçoit la salle à manger. En général, cette porte restait fermée, séparant le domaine des maîtres de celui des domestiques. Mais au moment de servir à table, on l’ouvrait.
Monet avait un sens tatillon du détail. Pour éviter toute faute de goût, il fallait que la couleur de la cuisine réponde à celle de la salle à manger. Celle-ci était jaune de chrome, de manière à mettre en valeur la vaisselle bleue et les estampes japonaises à dominante bleue, et aussi pour apporter plus de luminosité à une pièce éclairée par des ouvertures assez étroites.
Pour aller avec tout ce jaune, Monet a voulu du bleu pour la cuisine : c’était une de ses associations de couleurs préférée. On la retrouve dans de nombreux tableaux, par exemple la série des escaliers aux tournesols du jardin de Vétheuil.

Poignée de porte

poignée de porte en corneComment faisait-on avant le pétrole et le plastique ? Ils ont tellement envahi notre quotidien qu’il est devenu difficile à croire que l’on ait pu s’en passer. Et pourtant il existait naguère des solutions alternatives pour tous les objets.
En Normandie, terre d’élevage, on utilisait volontiers la corne à toutes sortes d’usages. Les portes-fenêtres de la maison de Monet à Giverny sont équipées de poignées de portes anciennes en corne tournée, vraisemblablement d’origine.
Le temps et les intempéries y ont creusé de fines gerçures. Elles rappellent les mains âgées qui s’y sont posées, il y a bien longtemps.

Esprit campagne

fenêtre aux rosesLes roses qui courent sur la pergola devant la maison de Monet sont en fleurs, donnant plus que jamais un esprit campagne à la demeure du peintre.
A quoi cela tient-il ?
Aux rideaux à carreaux bleus que l’on aperçoit à la fenêtre de la cuisine.
Aux petits bois de la fenêtre, peints en vert.
A la douceur conférée par les roses grimpantes dont les têtes lourdes de pluie s’abandonnent le long de la barrière de la terrasse.
A cet accord vert et rose plein de fraîcheur, la plante copiant l’harmonie des huisseries et des murs.

Entrée

EntréeL’entrée principale de la maison de Monet joue de la symétrie. De chaque côté de la porte à deux battants, deux grands pots chinois présentent des arbustes fleuris où se perdent les appliques identiques. Les rideaux retenus par des embrasses renforcent l’impression théâtrale. Le regard est conduit vers le centre, comme en suivant des lignes de fuite qui se rejoindraient à l’intérieur de la maison, au point exact de son centre de gravité.

Les goûts et les couleurs

Roses d'IndeQuelle est votre couleur préférée ? Je doute que vous me répondiez le jaune, ou même l’orange. C’est pourtant une couleur lumineuse, chaleureuse, comme celle de ces belles roses d’Inde dans les jardins de Claude Monet.
Alors que la Chine ou l’Inde le placent en tête de leurs préférences, le jaune est mal aimé chez nous. Notre civilisation occidentale préfère le bleu, symbole de paix, neutre et consensuel.
Michel Pastoureau a consacré en 2000 une étude passionnante à la couleur bleue, qui a détrôné le rouge au Moyen-Age, grâce à la montée en puissance du culte marial (le bleu était la couleur associée à la Vierge Marie). Il y montre à quel point nos goûts pour les couleurs sont dictés par l’époque à laquelle nous vivons.
Nous croyons nous déterminer en toute liberté, en fonction de quelque chose que nous pensons subjectif et individuel, alors que sans le savoir nous sommes totalement sous influence.
Quelle indépendance d’esprit il faut pour se détacher de cette symbolique sous-jacente et considérer les couleurs pour ce qu’elles sont, comme le faisait Monet dans son travail de décorateur !
Je pensais à cette histoire de rejet du jaune en entendant une fois de plus une visiteuse me dire dans la salle à manger de Monet, où les murs et les meubles sont entièrement peints de deux tons de jaune de chrome : « C’est beau, ce jaune, mais je n’en voudrais pas chez moi. C’est trop jaune pour moi. »

Perron

Entree de la maison de MonetC’est tout un art de rendre un perron accueillant. La maison y révèle son âme, se montre invitante ou au contraire hostile.
Voici la petite porte d’entrée qui était réservée à Monet dans sa maison de Giverny, par où il faisait entrer les visiteurs venus voir ses dernières toiles.
On y accède par un bref escalier. D’en bas, les yeux donnent sur ce gros pot chinois débordant de fleurs.
Monet ne craignait pas le heurt des couleurs franches, le bleu du pot, le rouge des géraniums sur le vert omniprésent des boiseries, qui donne une unité de ton.
Tout un jeu de lignes droites structurent l’espace. Ces droites sont heureusement adoucies par le flou de la potée et la courbe si gracieuse du voilage, qui semble faire la révérence.

Buffet cauchois

Buffet cauchoisCe buffet cauchois de la fin du 18e siècle ressemble comme deux gouttes d’eau à ceux que Monet a installés côte à côte dans sa salle à manger de Giverny : même corniche en anse de panier, mêmes portes vitrées à volutes… A un détail près : celui-ci a gardé son aspect bois d’origine, la belle teinte chaude du mélèze.
Pour qu’ils se fondent parfaitement dans le décor de la pièce, Monet a fait peindre ses deux buffets comme les murs et les corniches, de deux tons de jaune de chrome. La vaisselle bleue qu’ils abritent et qui se devine à travers les portes vitrées s’en trouve mise en valeur.
Au moment où Monet les a achetés, les deux buffets jumeaux étaient sans doute neufs, ou peu anciens. Ce n’était donc pas un sacrilège de les recouvrir de peinture. Aujourd’hui, il vaut mieux y réfléchir à deux fois avant de faire subir le même sort à des buffets cauchois, devenus des antiquités, qui y perdraient irrémédiablement une patine de deux siècles. Les buffets suédois contemporains conviennent davantage à l’expression de tous les talents de coloristes.

La cuisine de Monet

La cuisine de Monet en miniatureCette adorable vitrine de Cheryl Miller représente la cuisine de la maison de Monet à Giverny. C’est l’une des pièces les plus spectaculaires de la maison.
A l’origine, la demeure ne comportait qu’une petite cuisine. C’est Monet qui a fait construire et aménager celle que nous pouvons voir aujourd’hui.
Les murs sont entièrement carrelés de carreaux bleus et blancs en céramique de Rouen, et les meubles peints en bleu ciel. Cette couleur n’a pas été choisie au hasard : la salle-à-manger jaune est juste à côté, si bien que lorsqu’on ouvre la porte pour le service, le bleu doux et froid et le jaune vif et chaud des deux pièces se répondent.
La pièce maîtresse de la cuisine, c’est le piano, le grand fourneau de tôle et d’acier, digne d’un restaurant. Il possède deux fours, et permet de cuire simultanément plusieurs plats. Il faut dire qu’on préparait quotidiennement des repas pour une bonne douzaine de personnes, sans compter les invités.
Le fourneau fonctionnait au bois ou au charbon, et dégageait une forte chaleur dans toute la pièce. Heureusement les deux portes-fenêtres donnant sur le jardin permettaient de ventiler la cuisine. Le fourneau possède encore son réservoir à eau, qu’il suffisait de remplir pour obtenir de l’eau chaude. On venait se servir au robinet situé à l’avant du fourneau.
Une magnifique rangée d’ustensiles en cuivre occupe le mur face au jardin. Casseroles, poêles, sauteuses, couvercles, écumoire, chocolatière… sont alignés comme à la parade, soigneusement astiqués. La collection est si complète qu’elle compte aussi des pièces d’usage moins fréquent comme la saumonière, un ustensile tout en longueur qui sert à cuire les poissons longs, ou la turbotière, à la curieuse forme de losange, adaptée à la cuisson des poissons plats comme le turbot.
Entre les deux portes-fenêtres se trouve l’évier en grès où on lavait les légumes du jardin potager. Les oeufs venaient de la basse-cour.
Au fond de la cuisine, une porte donne sur le cellier, une pièce fraîche au sol en terre battue où étaient stockés le vin et les fruits, bien rangés sur des étagères à claire-voie.
Cheryl Miller a représenté une femme en train de s’activer dans la cuisine, et elle a raison, c’était le domaine des femmes, la cuisinière, ses aides et Alice, qui décidait des repas et des achats. Monet ne mettait pour ainsi dire jamais les pieds dans la cuisine, ce qui ne l’empêchait pas de suivre avec attention ce qui s’y passait, en gourmet averti !

La vaisselle de Monet

Service de porcelaine de Limoges Giverny par HavilandRaffinement d’esthète : Monet, quand il a eu atteint une certaine aisance, s’est fait faire son propre service de table à Limoges. Un service de porcelaine fine, plus chic que la faïence de tous les jours, réservé aux grandes occasions et aux invités de marque.
Le modèle qu’il a dessiné est d’une étonnante sobriété : sur une base blanche, un marli jaune rehaussé d’un filet bleu. En pleine Belle Epoque, une telle simplicité n’était pas commune !
Quand on visite la maison de Monet à Giverny, on comprend pourquoi le peintre a choisi d’associer ces deux couleurs dans sa vaisselle : ce sont celles de sa salle-à-manger, peinte de deux tons de jaune de chrome, et décorée d’une multitude d’estampes japonaises à dominante bleue.
Bleue aussi, la vaisselle dont on se servait tous les jours, le célèbre service « Japon » en faïence de Creil et Montereau, qu’on apercevait dans les vitrines des deux buffets cauchois.
Aujourd’hui, le service de porcelaine de Monet n’est plus un modèle unique. Il fait l’objet d’une réédition par la société Haviland. On peut, à condition d’y mettre le prix, s’offrir le luxe d’un design signé Monet, et dresser sa table comme le maître de Giverny.

Les entrées de la maison de Monet

Entrée principale de la maison de Monet à GivernyLa maison de Monet a trois portes d’entrée, toutes trois sur la même façade, côté jardin. Elles sont desservies par une étroite terrasse qui court le long de la maison.
Trois portes, cela peut paraître beaucoup. Pourtant, c’est le minimum requis : à chacune de ces portes correspond une affectation.
A gauche, la porte « professionnelle » mène au salon-atelier où Monet reçoit amateurs et marchands. Au centre, la porte « familiale » voit passer les habitants de la maison et les amis. A droite, la porte « de service » donne sur la cuisine.
C’est le cloisonnement de la société au 19e siècle qui l’exige. A Paris, les immeubles haussmanniens sont équipés d’escaliers séparés pour les domestiques et pour les locataires. Ne pas se croiser entre gens qui ne sont pas du même monde revêt une grande importance.
Monet est un bourgeois de son temps, rien d’étonnant donc à ce qu’il organise sa maison selon les principes de son époque. Mais je crois que la disposition des lieux est dictée encore davantage par une volonté de ne pas se gêner, dans une maisonnée qui compte huit enfants, ce qui suppose une intendance importante.
La maison que Monet loue en 1883 est nettement plus petite que celle que nous voyons aujourd’hui. Quand Monet décide de la faire agrandir, il en profite pour modifier l’organisation de l’espace et des circulations. Sa propre chambre est située au-dessus de l’atelier, avec son propre escalier et une entrée distincte, nommée l’épicerie, qui dessert aussi l’atelier. Grâce à cette nouvelle disposition des lieux, Claude Monet peut se lever avant l’aube sans déranger personne. L’espace destiné au travail est distinct de celui dévolu à la vie de famille.
Le salon-atelier possède même une quatrième porte en rez-de-jardin, en contrebas de la terrasse, qui permet d’accéder directement au clos fleuri. Elle est bien pratique pour sortir les fauteuils de rotin à l’ombre des tilleuls, à la belle saison.

Estampes japonaises

Monet dans sa salle à manger à GivernyUne des surprises que la maison de Monet réserve au visiteur, c’est la décoration des murs. Là où il s’attendrait à un accrochage de toiles du peintre, il découvre une extraordinaire collection d’estampes japonaises.
Extraordinaire par son ampleur, 231 gravures, et par le goût très sûr de Monet. Son choix s’est porté sur les meilleurs artistes, Utamaro, Hokusai, Hiroshige, dont les oeuvres constituent plus de la moitié de la collection.
Monet n’était pas le seul à aimer les estampes japonaises en France, puisqu’un marchand parisien, Tadamasa Hayashi, en a importé très précisément 156487 en onze ans.
La collection de van Gogh est exposée au musée Vincent van Gogh d’Amsterdam. Celle d’Auguste Rodin se trouve au musée Rodin à Paris.
Comme on l’aperçoit sur cette photo prise dans la salle à manger de Giverny, Monet a opté pour un accrochage très serré. Les murs sont recouverts d’estampes, dont les teintes bleutées ressortent à merveille sur le jaune des murs.
Les gravures japonaises ont envahi plusieurs pièces de la maison : salle à manger et salon bleu, escalier, chambre d’Alice, cabinets de toilette… Deux exceptions notoires, l’atelier-salon, où Monet s’entourait de ses propres oeuvres de différentes époques, et sa chambre à coucher, où il aimait avoir autour de lui les toiles et les esquisses offertes par ses amis, Pissarro, Sisley, Boudin, Renoir, Berthe Morisot, Manet, Cézanne, Delacroix…
Une partie de cette collection personnelle impressionniste est conservée aujourd’hui au musée Marmottan-Monet à Paris. L’hiver prochain, on pourra y voir exposées les estampes de Giverny, au côté des oeuvres de Monet et de ses amis. D’intéressants rapprochements en perspective.

Banc de jardin

banc MonetSur le tableau « Le Déjeuner » du musée d’Orsay, peint par Monet en 1873, le banc de jardin est d’un style des plus courants en France dans les jardins publics. Il est composé d’une multitude de lattes de frêne montées sur une armature en fonte. Ce modèle de forme gondole, confortable et pratique, a eu un grand succès. Il est généralement peint en vert foncé, comme dans le tableau, ou en blanc.
On retrouve le même banc du jardin de Monet à Argenteuil dans un autre tableau intitulé carrément « le Banc ». Il représente Camille, l’air fatigué, les traits tirés. Un homme en chapeau haut de forme se penche vers elle.
C’est encore le même type de banc qu’on peut voir sur les photos de Monet prises dans son jardin près de l’étang aux nymphéas. Rien que du classique. Et puis, tout à coup, voilà Monet qui se pique de dessiner des bancs de jardin. Monet designer ? Oui, quand c’est pour faire plaisir au roi des Belges ! Leopold II aimait beaucoup la région de Giverny, il s’était même fait construire un château à une dizaine de kilomètres, à Rolleboise, le château de la Corniche, aujourd’hui transformé en hôtel restaurant.
Le banc gondole ne favorisait pas la conversation. C’était un banc de jardin public fait pour s’asseoir les uns à côté des autres sans se parler. Le banc que Monet invente a un air de famille avec les bancs anglais qu’il a pu voir lors de ses fréquents voyages à Londres. Légèrement cintré, il est plus convivial.
A Giverny, trois grands bancs de ce style sont disposés en cercle tout en bas du clos, sous le paulownia. On appelle cet endroit le rond des dames. C’est là qu’Alice et ses filles venaient tirer l’aiguille les après-midi d’été.

Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

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