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La tombe de Renoir à Essoyes
De la maison des Renoir à Essoyes au cimetière où ils reposent, il n’y a que quelques centaines de mètres. La tombe de Renoir est couverte d’une mince dalle, le peintre ayant demandé à son fils de ne pas lui mettre une trop grosse pierre, de façon à pouvoir la soulever pour aller se promener, si l’envie l’en prenait. Il ne devait pas être trop fan des lourds monuments funéraires de ses voisins.
Deux médaillons sont venus s’ajouter sous son buste de bronze par Richard Guino, celui de son fils Pierre, le comédien, et de Jean le cinéaste. Dido Freire était la seconde épouse de Jean Renoir.
Derrière la tombe d’Auguste Renoir, dans une sépulture jumelle mais dont le buste manque depuis 2005, reposent Aline, sa mère Thérèse Maire, son fils Claude dit Coco, et son petit-fils Claude, dit Claude Junior, fils de Pierre Renoir. Aline et Auguste sont morts l’une à Nice, l’autre à Cagnes, et ont d’abord été enterrés à Nice avant d’être transférés à Essoyes.
L’atelier de Renoir à Essoyes
Dans sa résidence d’été d’Essoyes, Auguste Renoir a fait construire un atelier à l’autre bout du jardin, aussi loin que possible de la maison. Officiellement « pour ne pas déranger les enfants dans leurs jeux ». Peut-être pour n’en être pas dérangé lui-même, ou pour peindre des nus commodément, qui sait.
L’atelier compte un rez-de-chaussée et un étage. La pièce d’en bas servait à stocker du matériel de peinture et à arranger des bouquets pour les natures mortes.
L’atelier proprement dit, baigné par la lumière du côté nord, se trouve à l’étage, auquel on accède par un escalier extérieur couvert d’une treille.
Le sol est taché de peinture.
Pour être peintes par Renoir, des personnalités ont fait le trajet jusqu’à Essoyes. L’artiste aimait aussi faire poser les jeunes filles du village. Il chantait volontiers en travaillant et il devait avoir une belle voix, car il avait un temps caressé l’idée de devenir chanteur lyrique. Ses joyeux refrains devaient bien amuser ses modèles. On imagine une atmosphère de gaieté, bien loin des affres et des tourments d’un Monet, qui trouvait souvent que la peinture était une torture.
Une très grande caisse marquée TABLEAUX FRAGILE est posée dans un angle de l’atelier. Ces caisses servaient à expédier les toiles par le train, pratique très courante.
L’étiquette, soigneusement rédigée, précise que la caisse doit voyager par grande vitesse. C’était peut-être le retour d’un grand tableau prêté pour une exposition, ou bien l’envoi d’une toile vierge.
A la fin de sa vie, Renoir s’est essayé à la sculpture. Voici le médaillon de Coco, dont Monet possédait une des premières versions en plâtre.
La maison des Renoir à Essoyes – 8
La chambre d’Auguste Renoir dans sa maison d’Essoyes donne une impression d’espace. Il n’aimait pas s’encombrer de superflu.
Le peintre passait des nuits douloureuses dans ce lit. A partir de 1897, date à laquelle il fait une chute de vélo, il souffre de polyarthrite rhumatoïde et devient peu à peu invalide. Il mange si frugalement qu’il ne pèse que 44 kilos en 1904, 15 ans avant sa mort. Ses proches s’occupent de lui pour lui faciliter les gestes de la vie quotidienne.
Dans le cabinet de toilette attenant, on peut encore voir le tub et le chauffe-eau utilisés par Renoir avec l’aide d’Aline, Gabrielle ou de la grande Louise.
Le meuble de toilette supporte un nécessaire à barbe : contrairement à Monet, Renoir se rasait.
Sur la petite table faisant office de bureau, des fac-similés de lettres, un encrier et des porte-plumes.
Tiens ! Renoir n’écrivait donc pas à la plume d’oie, comme Monet ?
Et voici la jolie vue qu’on a depuis l’étage, sur le jardin. L’autre côté donne sur la rue.
Le visiteur ne découvre cette façade sur la rue Auguste Renoir qu’après avoir quitté la maison, en revenant du cimetière.
La maison des Renoir à Essoyes – 7
La chambre d’Aline Renoir donne sur celle de ses enfants. Une belle pièce où les garçons avaient de la place pour jouer. Malgré leur différence d’âge, ils étaient contents d’être réunis dans la maison d’Essoyes, car ils passaient l’année scolaire au pensionnat. La pièce a été reconstituée avec deux lits ayant appartenu aux Renoir. Je suppose que c’était ceux de Pierre et Jean, puis Jean et Coco. Devenu grand, Pierre logeait au 2e étage.
A nouveau, une multitude de détails captent le regard. Un costume marin est accroché au placard, près d’une coiffeuse d’enfant. Sous le lit est glissé le pot de chambre. Partout, des jouets.
Des toupies, le jeux des quatre souris, le jeu des pénitences très récréatif en société, jeu de puces, des sauterelles, c’est à prendre ou à laisser, jeu du triangle, jeu de la croix… Les décorateurs se sont bien amusés.
Les sciences ne sont pas oubliées : cahier pour faire un herbier, boîte de science amusante autour du magnétisme… Un nounours bourré de paille siège dans un petit fauteuil, à côté d’un plus grand orné de tapisserie, où les fils Renoir pouvaient s’installer pour lire.
Dans le petit lit, un jeu de l’oie, un album sur les animaux de la campagne, et un cahier pour apprendre à dessiner (quand même !) : le moniteur de dessin des tout petits.
A côté de la bassinoire qui a appartenu à la famille, une collection de pierres pour s’initier à la minéralogie.
Enfin (mais on pourrait continuer), sur le grand lit, des livres pour enfants, des fables, et une boite contenant des billes en terre et des calots. Est-ce que vous craquez autant que moi ? C’est, mis en situation, le musée du jouet.
La maison des Renoir à Essoyes – 6
A l’étage de la maison familiale des Renoir, au-dessus du salon-atelier, de la cuisine et de l’ancienne salle à manger se trouvent trois chambres. On y accède par l’escalier de la tour. Aline et Auguste ne dormaient pas ensemble, comme c’était l’usage dans les familles bourgeoises. Voici le lit d’Aline.
Sur la coiffeuse qui a appartenu à la famille sont disposés quantité de jolis objets, brosses, boites à poudre, flacons…
Le placard et la malle sont pleins de linge, comme si les Renoir venaient d’arriver pour l’été.
Un renfoncement était réservé aux travaux d’aiguilles.
La baignoire en zinc a appartenu aux Renoir. Elle est placée dans la chambre même. Quel luxe de prendre un bain chaud !
La belle cheminée de marbre blanc, la pendule témoignent d’un confort bourgeois qui était une revanche sociale pour Aline : elle a été élevée par sa tante et son oncle, sa mère ayant été obligée de quitter Essoyes pour aller travailler à Paris alors qu’Aline était encore bébé. Elle n’avait que quinze mois quand son père a quitté le domicile conjugal. Après son départ, sa mère n’était plus en mesure de payer son loyer. Posséder une maison était par conséquent l’un des rêves d’Aline.
La maison des Renoir à Essoyes – 5
Après le salon-atelier de la maison des Renoir et l’ancienne salle à manger transformée en espace d’exposition, voici l’immense cuisine d’Essoyes. Aline Renoir aimait faire la cuisine et régaler sa famille et les amis de passage. Elle cultivait elle-même un potager et un verger.
Le grand buffet, à la forme originale, et la table ont appartenu à Auguste et Aline Renoir. Le sol est en pavés de terre cuite rouge, les murs peints en jaune clair donnent une atmosphère chaleureuse à la pièce.
Voici le fourneau, cousin de celui de Giverny, avec les casseroles en cuivre à portée de main, la bouilloire et la cafetière poussées dans le fond, et le moule à gaufres prêt à régaler les enfants.
Devant la fenêtre, disposé comme une nature morte, de quoi parfumer les plats. A droite, sous la jolie cruche, se trouve le garde-manger treillagé.
Dans l’évier, une cuvette et un broc émaillés près du robinet de cuivre qui ne distribue que de l’eau froide, des torchons de lin pour essuyer les verres, une crédence à petits motifs, un savon de Marseille…
Et voici un détail des étagères du buffet. Quel charme dans cette cuisine de campagne de la famille Renoir !
La maison des Renoir à Essoyes – 4
Cet été, les visiteurs de la maison des Renoir à Essoyes ont la chance de pouvoir y admirer quatre tableaux du maître, célébrant son triomphe à l’occasion de son exposition rétrospective chez Durand-Ruel en 1892. Ces oeuvres originales ont été prêtées par le musée d’Orsay et la société Durand-Ruel et Cie et sont présentées à Essoyes jusqu’au 22 septembre 2024 dans l’ancienne salle à manger de la maison de l’artiste.
La très belle Maternité, dite aussi Madame Renoir et son fils Pierre ou encore L’enfant au sein est de retour dans le village où elle a été peinte. Elle représente Aline, la future épouse de Renoir, et leur premier-né Pierre, âgé de quelques mois. Tout est lumineux et adorable dans ce tableau, les couleurs douces, l’expression épanouie d’Aline, le bébé grassouillet qui attrape son pied, la simplicité du décor de campagne tout autour… Les traits, bien dessinés, signalent la période où Renoir s’éloigne de l’impressionnisme et renoue avec la fermeté du dessin, que lui inspire son admiration pour Ingres.
Le saisissant portrait de Richard Wagner a été exécuté en 35 minutes seulement. Les deux hommes se rencontrent à Palerme, en Sicile, en janvier 1882. Renoir est un admirateur de la musique de Wagner et souhaite le peindre, mais il est éconduit deux fois. A sa troisième tentative, Wagner, qui vient d’achever la composition de Parsifal et se sent fatigué, accepte tout de même de le recevoir. Après un verre ou deux, les deux hommes sympathisent. Wagner accorde une séance de pose à Renoir pour le lendemain. Elle est brève, mais le peintre s’en accommode : c’est assez pour saisir la ressemblance, vêtements et fond ne sont qu’esquissés. Selon Renoir, il eût fallu qu’elle fût plus courte encore : « Si je m’étais arrêté avant, c’était très beau, car mon modèle finissait par perdre un peu de gaité et devenir raide. J’ai trop suivi ces changements. » On connaît même, grâce à cette lettre de Renoir à un ami, la réaction de Wagner : « A la fin Wagner a demandé à voir il a dit Ah ! Ah ! Je ressemble à un prêtre protestant ce qui est vrai. » Wagner devait mourir à Venise l’année suivante.
Ma photo ne rend pas les couleurs lumineuses de ce beau portrait de la fille de Paul Durand-Ruel, commandé à Renoir par le marchand des impressionnistes, qui se faisait à l’occasion mécène. Cette oeuvre est restée dans la famille et n’a jamais été exposée depuis 1892. Marie, dont la taille ultra-fine est certainement prise dans un corset, a une expression pensive. A-t-elle aimé ce portrait d’elle voulu par son père ? Renoir s’est-il montré aussi rapide qu’avec Wagner ?
Auguste Renoir, Vue de La Rochelle, vers 1890, collection Durand-Ruel
A côté de ces oeuvres majeures, la petite Vue de La Rochelle (19 x 26 cm) passe presque inaperçue. Elle aussi, pourtant, fait partie de la collection Durand-Ruel et n’a jamais été exposée depuis la rétrospective Renoir de 1892. Le marchand avait réuni 110 toiles, ne négligeant pas les petites, à la portée de davantage de bourses. Renoir a séjourné à La Rochelle en juin 1890 et a exécuté plusieurs toiles du port. Là encore, ma photo est bien en deçà de la réalité, beaucoup plus jolie.
La maison des Renoir à Essoyes – 3
La maison des Renoir à Essoyes, en Champagne
Le clou du « parcours Renoir » du village d’Essoyes, c’est bien entendu la visite de la maison familiale. Ce sont les Renoir qui ont fait ajouter la tour, qui sert de cage d’escalier, transformant une bâtisse rurale en demeure bourgeoise. Aline, qui avait du tempérament et la tête sur les épaules, s’est beaucoup occupée du suivi du chantier.
Les principaux meubles sont restés sur place, déposés par les héritiers Renoir, tandis que l’atmosphère de l’époque est rendue par une époustouflante mise en scène réalisée dans l’esprit d’un décor de cinéma. Cette pièce, le salon-atelier, était au départ une grange, bientôt aménagée en atelier, jusqu’à la construction d’un atelier neuf au bout du jardin : des étapes identiques à celles du salon-atelier de Monet à Giverny.
Voici le bureau où rien ne manque, pas même les lunettes. Les cigarettes déjà roulées sont prêtes à être fumées.
Pinceaux et brosses sont rangés près de la fenêtre dans des pots en grès de Betschdorf, tels qu’on en voit un dans le tableau présenté en 1874 à la première exposition impressionniste, Fleurs dans un vase prêté ce printemps à Orsay par le museum of fine arts de Boston :
Pierre-Auguste Renoir, Fleurs dans un vase, vers 1865, museum of fine arts, Boston
Près du chevalet se trouve une palette qui fait penser à celle donnée par Jean Renoir au musée d’Orsay. Elle est moins volumineuse que celle de Monet, qui aimait travailler avec de très grandes palettes aux formes courbes :
La palette de Monet, conservée au musée Marmottan-Monet à Paris
Revenons à la maison de Renoir à Essoyes. Un paravent marque la limite entre l’atelier et le salon. Renoir aimait déguiser ses modèles, les parer d’accessoires.
Entre les fauteuils, une adorable chaise d’enfant. Les jeux en bois sont sortis.
Des châssis, des toiles sans cadre qui ne se prennent pas encore pour des chefs-d’oeuvre, se mêlent aux figurines de plomb et à la cafetière sur son petit plateau.
Le piano porte des partitions de Lieder de Liszt. Le fauteuil roulant est devenu indispensable à Renoir à partir de 1910. Le joli papier peint a été refait d’après celui d’origine.
On n’en finit pas d’observer tous les détails, les dragées dans leur drageoir, les livres sur les étagères… J’ai été conquise par la finesse des rideaux, et cette douce harmonie des roses dans la cruche. Renoir adorait peindre des roses, il y étudiait les tons de ses nus.
La maison des Renoir à Essoyes – 2
Essoyes, le centre culturel
Le « parcours Renoir » à travers le village d’Essoyes débute au centre culturel, qui fait office de centre d’interprétation. Après avoir vu un petit film d’une vingtaine de minutes, le visiteur peut lire de nombreux panneaux thématiques, pour se familiariser avec la famille Renoir et comprendre son lien avec Essoyes. Quelle riche idée ! C’est tout ce qui manque à Giverny, où les explications font cruellement défaut.
Le visiteur apprend ainsi qu’Aline Charigot, originaire du village, a d’abord été le modèle puis l’épouse de Renoir. Son visage nous est familier. Aline incarne par exemple la femme de Danse à la campagne du musée d’Orsay.
C’est Aline qui a convaincu l’artiste de venir séjourner dans son village natal. Renoir adorait « paysanner en Champagne ». A partir de la naissance de leur fils Pierre en 1885, la petite famille passe régulièrement l’été dans le village. En 1896, ils achètent une maison. Jean vient de naître. Le petit dernier, Claude, naît dans la maison familiale à Essoyes en 1901.
A l’étage du centre culturel, 150 ans obligent, la première exposition impressionniste de 1874 est évoquée par des reproductions et quelques objets. Vous prendrez bien un petit verre d’absinthe ?
Le parcours traverse le village, en passant par l’église et la maison de Gabrielle Renard, engagée à 16 ans pour être la nounou de Jean Renoir. Le futur cinéaste se souviendra d’elle avec une grande tendresse. Il l’appelait Bibon. Gabrielle, qui a beaucoup posé pour le peintre, était native d’Essoyes, tout comme Aline Charigot, l’épouse d’Auguste Renoir, dont elle était la cousine.
La maison des Renoir à Essoyes – 1
Le petit village d’Essoyes se trouve dans le département de l’Aube, au sud de la Champagne, à la limite de la Bourgogne. Il est traversé par l’Ource, un affluent de la Seine, et compte à peine plus de 700 habitants. Depuis 2017, on peut y visiter la maison d’Auguste Renoir et sa famille.
Le village est labellisé « Petite cité de caractère » et a obtenu 3 fleurs au concours des villes et villages fleuris. Au bord de l’Ource se dresse un important lavoir. Du temps de Renoir néanmoins, à en juger par ses tableaux, certaines laveuses travaillaient directement dans la rivière.
Le village, qui a compté 1800 habitants au début du XIXe siècle, a vu sa population baisser à 650 il y a vingt ans. Elle repart timidement à la hausse.
L’église Saint-Rémi a été reconstruite après un incendie, et consacrée en 1865.
Partout des vélos décorés et des fanions jaunes : le Tour de France est passé par là. L’impression qui domine est néanmoins celle d’un grand calme. On est à 2h30 de Paris, en dehors de la zone d’influence de la capitale. Beaucoup de maisons paraissent inoccupées, plusieurs sont à vendre. Je ne peux m’empêcher de comparer avec le marché immobilier de Giverny, où les biens sont rares et chers.
De nombreux puits subsistent devant les maisons vigneronnes construites en pierres apparentes.
Certaines maisons anciennes possèdent encore la pierre d’évier par où les eaux de la cuisine s’écoulaient dans la rue.
Un parcours aux panneaux bien visibles permet de découvrir tous les lieux du village en lien avec les Renoir.
La maison de Zola
A Médan, joli village sur la Seine à l’ouest de Paris, près de Poissy, on visite la maison de campagne d’Emile Zola. L’écrivain y passait la belle saison. D’octobre à mai, il séjournait à Paris.
Zola est l’exact contemporain de Monet, puisqu’ils sont tous deux nés en 1840. L’un et l’autre ont lutté pour imposer un style nouveau, sont parvenus au succès et à l’aisance, et ont agrandi une maison bourgeoise qu’ils n’avaient pas bâtie en lui rajoutant deux ailes. Chez Zola, il s’agit plutôt de tours. La première extension est la tour carrée, dite tour Nana, construite grâce au succès du roman éponyme. La tour à pans coupés s’appelle la tour Germinal pour la même raison.
De dehors, la distinction entre les trois parties des bâtiments est très nette. De l’intérieur, on passe d’un espace à l’autre avec fluidité.
La maison initiale est minuscule, mais ils n’étaient que trois à y loger : Emile, son épouse, et sa mère madame Zola les deux premières années. Les extensions leur ont apporté plus de place et de confort : salle de musique et de billard, grande lingerie, vaste cabinet de travail, terrasse avec vue Seine… Des pièces inexistantes à Giverny.
Evidemment, je ne peux m’empêcher de comparer. Sur les partis pris de visite, d’abord : elle est guidée, avec une jauge à 26 personnes. Le rêve ! Sur les choix de l’écrivain et du peintre, ensuite, qui n’avaient ni les mêmes contraintes ou besoins ou désirs, ni les mêmes goûts. Si chez Monet on donne dans le japonisme, chez Zola règne la Belle Epoque, sous forme de vitraux magnifiques.
Le décor évoque la Renaissance, en particulier un splendide plafond à caissons, et la salamandre en mosaïque qui flamboie devant l’âtre est un clin d’oeil appuyé à François Premier. Des fleurs de lys partout, qui surprennent chez ce fervent républicain. Beaucoup de meubles ou de bibelots ont été vendus par la veuve de Zola pour survivre après le cauchemar de l’affaire Dreyfus. Mais certains sont toujours là, ornés de superbes marqueteries, témoins d’un goût pour les beaux objets.
Au mur, très peu de cadres, mais une collection d’armes exotiques, d’instruments de musique, qu’on chercherait en vain chez Monet. Seul point d’intersection, le coffre renaissant du salon-atelier de Giverny dont on aperçoit un bout sur cette photo. A vrai dire il surprend et dénote presque chez le peintre, à se demander comment il est arrivé là. Héritage ? Rescapé du château de Rottembourg ? Cadeau ? Achat inattendu ? Je n’y avais jamais réfléchi auparavant.
Dans la cuisine, une curiosité, le plafond carrelé. Comment ont-ils fait pour la pose ?
Cette pièce rappellerait la cuisine de Monet à Giverny. Moui. Un peu.
La salle de bains présente un luxe de confort, avec son beau chauffe-eau en cuivre. Zola prenait un bain chaque matin. Monet, lui, n’avait qu’un tub, tout comme Alice.
Dans la salle à manger, le décor mêle bois sombre, carreaux bleus de Delft et papier peint en cuir peint. Il fallait oser.
Dans le village, une exposition de photos anciennes montre la belle vue bucolique qui s’offrait sur la vallée de la Seine, au-delà de la ligne de chemin de fer qui bornait le bas du jardin. La maison devait être un havre de paix où écrire et se ressourcer, jusqu’à l’Affaire.
La maison de Sorolla à Madrid
Lors de son voyage à Madrid en 1904, Monet n’a pas rencontré le célèbre impressionniste espagnol Joaquin Sorolla, d’après ce que nous pouvons déduire de la lettre que lui envoie son meilleur ami Aureliano de Beruete. Mais Monet a été accueilli chez Beruete, il est donc entré dans un intérieur de peintre madrilène.
Si on ne visite pas la maison de Beruete, celle de Joaquin Sorolla est devenue un musée. Au moment de sa construction, le quartier devait être paisiblement résidentiel. Le joli bâtiment est maintenant cerné par des édifices récents, comme un témoin du Madrid d’autrefois qui résiste.
Buis taillés, jeux d’eau, statues lui donnent un caractère formel et bien entendu hispanisant, un aspect renforcé par l’usage de carreaux de faïence décorés.
La maison est un rêve de maison d’artiste : elle a conservé le mobilier, de nombreux tableaux, les objets et souvenirs, la décoration d’origine… On est chez les Sorolla.
L’intérieur est bourgeois et chic, parfaitement conservé, tout à fait dépaysant dans le temps et dans l’espace. Harmonie, religiosité à l’espagnole, c’est une maison pour vivre heureux, et peindre.
Chez Zadkine
On vient à Giverny pour découvrir le lieu où vécut Claude Monet et qui fut sa source d’inspiration, mais les tableaux sont ailleurs. A Auvers-sur-Oise, on découvre la dernière chambre de van Gogh, d’une humilité monacale, et les paysages qu’il a représentés. Pas de toiles non plus. Le lien entre la résidence de l’artiste et l’exposition de son oeuvre fluctue selon les artistes, d’un musée à l’autre, entre le rien du tout d’Auvers et la richesse remarquable de la maison de Rodin à Meudon ou du musée Courbet à Ornans.
J’étais curieuse de découvrir l’atelier d’Ossip Zadkine, le sculpteur qui a réalisé le monument à van Gogh d’Auvers-sur-Oise. Il se trouve au 100 bis rue d’Assas à Paris, entre le Quartier latin et Montparnasse.
Comme chez Delacroix, la résidence de Zadkine est au calme, derrière la rangée d’immeubles sur rue qui dissimule et protège. Au bout de l’impasse, une maison à un seul étage, un peu anachronique au milieu des programmes immobiliers qui l’entourent. C’est tellement caché qu’on s’imagine qu’on sera seul. En fait non : c’est si petit que quinze personnes donnent une impression de foule.
Les espaces de vie et de travail ont été transformés en salles d’exposition. On peut regretter la disparition des meubles, mais en contre -partie le visiteur est gratifié d’une magnifique présentation d’oeuvres originales abouties sculptées en taille directe par Zadkine : des bois, des pierres qui expriment la diversité de ses recherches artistiques et son sens de la matière. L’émotion jaillit devant la beauté de ces sculptures qui font figure aujourd’hui de classiques, où la figure humaine est omniprésente.
Le jardin de Delacroix
C’est l’un des plus jolis petits jardins dont on puisse rêver à Paris. Pour le trouver, il faut d’abord dénicher la place Furstemberg, un bonheur de petite place en plein quartier Saint-Germain, où fleurit en ce moment un grand paulownia.
Reflet à Majorelle
Il y a même un bassin aux nymphéas ! A la fin de ma visite du jardin Majorelle à Marrakech, découvrir ce plan d’eau de la taille d’une piscine où flottent des feuilles de nénuphars encore dépourvus de fleurs me réjouit. C’est absurde, mais j’ai l’impression que le jardin m’a réservé une surprise pour me faire plaisir, comme si ma grand-mère m’avait préparé mon dessert préféré. Quelque chose de familier, et que j’aime.
Chaque visiteur fait sa propre visite d’un lieu, avec toute son histoire personnelle, ses références, ses connaissances, son vécu. Les lieux changent un peu, les visiteurs plus encore. La perception d’une scène est par essence unique. Les réflexions des visiteurs de Giverny, quand ils m’en font part au cours des visites, me passionnent.
Qu’est-ce qui m’enchante devant le bassin de Majorelle ? Le familier allié au décalé, la variance du connu, essence de la collection, notamment la collection photographique. Je retrouve les reflets d’arbres dans le bassin, mais ce sont des palmiers et non des hêtres ou des saules. L’effet, rapporté au bassin de Monet, est presque humoristique.
Que vient faire ici ce bassin aux nymphéas ? Je ne sais s’il y a une explication officielle. Je présume que Jacques Majorelle, qui tenait à donner une impression de fraîcheur à son jardin souvent caniculaire, a voulu utiliser différentes ressources des jeux d’eau, fontaines, jets, bassins.
Quand il crée son jardin de Marrakech, dans l’entre-deux guerres, celui de Monet est archi connu par le biais de ses tableaux de nymphéas. Impossible de savoir si Jacques Majorelle pense à Giverny en créant son bassin. Monet n’est pas propriétaire du concept, le nénuphar a été une fleur en vogue à la Belle-Epoque, décliné sur tous les supports par l’Art Nouveau. Et Jacques Majorelle, fils d’un des ébénistes les plus talentueux de l’école de Nancy, a engrangé le vocabulaire artistique de l’époque dès son berceau.
C’est peut-être simplement la valeur d’exotisme de la fleur qui a séduit le peintre. Le nénuphar coloré arrive d’ailleurs, et c’est ce qui lui donne sa place dans ce jardin de collectionneur où sont réunies des espèces végétales venues de tous les horizons.
Le jardin Majorelle
Le bassin de Monet à Giverny n’est pas le seul jardin de peintre qui soit célèbre. A Marrakech, le jardin conçu par le peintre Jacques Majorelle (fils de l’ébéniste art nouveau Louis Majorelle) attire 600 000 visiteurs par an.
C’est plus que Giverny, mais sur douze mois et non sur sept. Bon, c’est idiot de comparer, ce sont deux lieux uniques et magiques, envoûtants. Mais même en disant cela, je suis encore en train de comparer. Impossible de faire autrement : le parallèle entre les deux sites est assez troublant, tout en coïncidences et correspondances.
L’histoire commence presque pareil. Jacques Majorelle, peintre, tombe amoureux d’un lieu, décide de s’y installer, achète un terrain, puis l’agrandit, en fait un jardin par passion, par plaisir et pour l’inspiration, y a son logement et son atelier. A sa mort, le jardin souffre du manque d’entretien, jusqu’à ce que le mécénat le sauve et le rende célèbre.
Le plus intéressant, ce sont les différences, qui donnent une image en creux de l’autre jardin, révélant ce qu’il est et ce qu’il n’est pas. Différences d’abord dans la conception du jardin, et donc des perceptions du visiteur.
Si Giverny est voué au reflet, à Majorelle ce sont les jeux d’ombre et de lumière qui dominent. Profondeur des ombrages, luminosité des parties exposées au soleil : on ne sait jamais s’il faut garder les lunettes teintées ou les ôter, dans ce jardin où l’intensité de la lumière est si contrastée. Ces flashes lumineux suivis d’ombre apaisante sont une autre façon de troubler l’oeil, effet que Monet obtenait dans le jeu infini des reflets de son étang.
La forme, ensuite. A Majorelle, dès l’entrée, le promeneur se sent avalé par les bambous géants, puis il avance dans la fraîcheur d’arbres de toutes sortes, une nécessité dans un pays où la chaleur peut devenir écrasante. Le visiteur est happé vers le haut, son regard glisse le long des troncs lisses des palmiers dont la couronne se détache sur le bleu du ciel.
A Giverny, en revanche, on ne passe pas vraiment sous les arbres. On les longe. L’impression d’enveloppement est fournie par l’effet de clairière autour du bassin, et par les fleurs du clos normand, surtout quand elles deviennent géantes à la fin de l’été.
Si le climat de la Normandie est idéal pour les fleurs, celui de Marrakech, trop chaud, est plus difficile. Elles sont rares à Majorelle, et les taches colorées des bougainvillées n’en sont que plus saisissantes.
Ce sont les apports de couleur des éléments peints qui font vibrer les verts. Jacques Majorelle est réputé pour son bleu, dont il a orné sa maison et les pots et maçonneries de son jardin, un magnifique bleu cobalt intense découvert par lui dans les villages de l’Atlas. Il l’a complété d’un jaune vif, une association qui est un régal pour l’oeil.
Et puis, parmi toutes les émotions qui submergent le visiteur de beaux jardins, joie esthétique, surprises, émerveillement, on trouve aussi des peurs. C’est un mot un peu fort, je veux parler de ces craintes vagues et informulées dont on a à peine conscience, qui transforment le cheminement en parcours d’Alice au Pays des Merveilles, délicieux et un peu effrayant.
Pour le visiteur occidental, la luxuriance même du jardin Majorelle est aussi fascinante qu’inquiétante, avec son effet de jungle, ses plantes inconnues, bizarres, qui vivent leur vie tout autour de lui. Cachent-elles un danger ? A peine débouche-t-on « à l’air libre », devant la maison, qu’une collection de cactus assaille les perceptions. Inaccessibles, intouchables, les épines dardées transmettent pourtant, par l’oeil, une impression piquante.
D’autres craintes encore s’immiscent, celle de se perdre au milieu du dédale végétal, inquiétude liée à la profusion du jardin, que l’on n’aurait pas à Versailles, par exemple, un parc infiniment plus grand mais où l’oeil embrasse d’un coup tout l’espace. Et puis, de la désorientation induite par le jardin découle la peur de tomber, à force de regarder partout, crainte de trébucher sur un obstacle, et même de tomber dans l’eau.
Au fil de la déambulation, ces angoisses discrètes s’estompent et se dissolvent. Le visiteur s’approprie l’espace, l’inconnu devient connu, l’impression de danger devient ridicule.
Et en même temps, c’est un peu de la magie du jardin qui disparaît.
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