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Les Monet à télécharger

Claude Monet, Bras de Seine près de Giverny, 1897, Art Institute of Chicago

Les oeuvres de Claude Monet sont depuis longtemps dans le domaine public, puisqu’il est mort en 1926. On peut donc, en théorie, faire l’usage que l’on veut des reproductions de ses tableaux, sans acquitter de droits d’auteur. La difficulté est plutôt de disposer d’une bonne image de la toile convoitée. La législation de certains pays, comme la France, conserve des droits au photographe de l’oeuvre. Pour une image gratuite, il faut, dans ce cas, aller dans le musée faire soi-même sa photo.

Aux Etats-Unis, la photographie d’oeuvres en deux dimensions n’est pas protégée. Les musées ont maintenant pour la plupart digitalisé leurs collections, mais leur politique de mise à disposition des images peut varier du tout au tout. Certains gardent jalousement leur trésor numérique et font payer les images, tandis que d’autres les mettent généreusement à disposition de tout le monde en téléchargement gratuit. C’est une politique de communication à long terme, puisque les oeuvres qu’ils possèdent vont se trouver reproduites partout, le nom de l’institution y étant associé. La notoriété de ces musées s’en trouvera accrue… sans un centime de publicité.

Voici, sans engagement de ma part, naturellement, un début de liste des institutions qui me paraissent pratiquer le CC0 (Creative Common zéro, c’est-à-dire la liberté totale). Je ne me suis intéressée qu’à Monet. Si vous découvrez d’autres musées mettant les images digitales de leurs oeuvres à disposition en grand format pour le public, merci d’avance pour l’info.

Art institute of Chicago : beaucoup de caricatures et 35 tableaux

The Clark Art Institute : 8 tableaux et 3 dessins

Cleveland Museum of Art : 5 tableaux et le buste de Paulin

Dallas Museum of Art : 8 tableaux

Getty Museum : 4 tableaux

National Gallery of Art Washington : 27 tableaux, 1 pastel et 1 dessin

Yale University Art Gallery : 4 tableaux

Barnes Foundation, Philadelphia : 4 tableaux

Brooklyn Museum : 3 tableaux

Los Angeles County Museum of Art (Lacma) : 4 tableaux

Minneapolis Institute of Art : 3 tableaux + 1 en moyenne résolution

Museo Nacional de Buenos Aires : 2 tableaux

National Museum de Norvège : 3 tableaux

Philadelphia Museum of Art : 23 tableaux

Saint Louis Art Museum : 2 tableaux

Staedel Museum Francfort : 2 tableaux et un pastel

The Walters Art Museum, Baltimore : 2 tableaux

La « Japonaise » et la critique

Claude Monet, Madame Monet en costume japonais, 1876, Museum of Fine Arts, Boston (détail)

En 1876, lors de la deuxième exposition impressionniste à Paris, l’accueil réservé au tableau de Claude Monet intitulé alors La Japonaise a été pour le moins contrasté. Le peintre a conservé les articles parus dans la presse et les a remis à son ami Gustave Geffroy lorsque celui-ci a entrepris d’écrire sa biographie, Claude Monet, sa vie, son oeuvre, au début des années 1920. Geffroy, pour bien faire comprendre, un demi-siècle plus tard, l’hostilité à laquelle les impressionnistes se sont heurtés à leurs débuts, a repris ces critiques dans sa biographie. Hostilité qui n’était pourtant pas unanime, comme il le souligne :

Alexandre Pothey, dans la Presse, analysait avec une fine perspicacité les envois de ces artistes indépendants, à qui l’Etat avait refusé un local, deux ans auparavant, pour exposer leurs oeuvres. Au sujet de Monet, il écrivait particulièrement :
« L’envoi de M. Claude Monet se compose d’une série de paysages pris sur nature au Petit-Gennevilliers ou aux environs d’Argenteuil ; ils se distinguent toujours par les qualités d’exécution franche, de sentiment réel et de belle lumière. Mais M. Monet a voulu prouver qu’il savait faire autre chose que du paysage. Il a attaqué une figure grande comme nature, du plus saisissant aspect. C’est une Parisienne à la figure mutine, aux cheveux blonds, vêtue d’un costume japonais d’une richesse inouïe. La robe, de molleton rouge, est couverte de broderies en soie et or avec des figures fantastiques d’un relief étonnant. Par un mouvement gracieux, la femme, qui joue avec un éventail, se retourne vers le spectateur. Le personnage s’enlève sur un fond bleu neutre et sur un tapis de nattes. Les amateurs qui recherchent la couleur solide, les empâtements résolus, trouveront un vrai régal dans ce morceau quelque peu étrange. »

Autre appréciation positive, celle d’Emile Blémont dans Le Rappel, qui a un talent d’observation certain et rebaptise avec justesse le tableau :

« Dans la seconde salle, nous trouvons l’exposition de M. Monet. Son tableau le plus important est une Jeune femme essayant une robe de théâtre japonaise. Elle est debout, l’éventail ouvert à la main et la main à la hauteur du visage, et s’en va, rieuse, jouant gaiement le rôle du costume, et retournant sa jolie figure parisienne pour jouir de l’effet de cette longue robe traînante aux bizarres ornements. Le fond de la robe est d’un ton rouge éclatant et doux, avec lequel s’accordent singulièrement l’épanouissement rieur de la carnation du visage et l’or brun à chauds reflets de la chevelure tordue. »

Le rédacteur de l’Evènement, qui signe Punch, n’a remarqué que les éventails :

« Autre toile bien remarquable : elle représente un grand Japonais (sic) tout de rouge vêtu, tenant à la main un éventail tricolore, ce qui est flatteur pour la France, et entouré d’écrans qui, par un incompréhensible miracle d’équilibre, se tiennent en suspension dans le vide. Cela est signé Claude Monet. »

Claude Monet, Madame Monet en costume japonais, 1876, Museum of Fine Arts, Boston

Le Petit Moniteur universel est mesuré dans son jugement :

« M. Manet a eu presque un homonyme parmi les exposants de la rue Le Peletier, c’est M. Claude Monet, artiste de valeur, qu’on serait désireux de voir entrer dans une voie plus sérieuse où ses rares qualités se déploieraient infailliblement. Entre autres toiles, M. Claude Monet a exposé une jeune femme blonde drapée dans des étoffes japonaise du plus étrange effet. La figure a des ombres cramoisies par trop choquantes, mais les étoffes sont très habilement et très artistement traitées. »

Le Petit Journal est laudatif :

« M. Monet a une Japonaise dont le costume éclatant est merveilleux de couleur et de ton. »

De même Armand Silvestre dans l’Opinion nationale :

 » M. Monet a envoyé une japonerie de grande dimension où se retrouvent toutes les qualités du peintre de la Robe de Camille. « 

Suivent trois articles malveillants, mais où les critiques n’ont pas détaché la Japonaise. Puis le ton est à la blague sous la plume de Louis Enault dans le Constitutionnel :

« Il serait injuste de contester à M. Claude Monet une certaine puissance de coloris dont il fait, du reste, un très regrettable emploi, car il ne semble l’employer que pour se rendre désagréable aux gens. (…) Voyez plutôt cette robe japonaise à fond rouge. Elle est en soie, j’en suis certain ; mais M. Claude Monet – à force d’habileté – est parvenu à lui donner une apparence d’étoffe laine et coton qui réjouirait le coeur d’un gars breton ou d’un paysan normand, si on voulait bien lui permettre d’en prendre un morceau pour se tailler dedans un parapluie du dimanche. Mais je ne leur conseillerais pas de s’en servir le jour où ils iraient voir leurs boeufs. On sait, en effet, que ces animaux réactionnaires n’aiment pas tous les rouges, et je m’étonnerais fort si celui de M. Claude Monet n’avait pas le privilège de les exaspérer singulièrement. »

En écrivant ceci, Louis Enault ne se rend pas compte qu’il se donne à lui même autant de jugement artistique qu’un boeuf, ridicule qu’il a bien cherché.

D’autres ont plus de sens critique, tel ce journaliste dont le nom s’est perdu :

« Le premier qui attire l’attention est M. Claude Monet. Il fait à lui seul plus de bruit que tous les autres réunis. Il est passé maître, d’ailleurs, dans l’art de la mise en scène. Sa Japonaiserie éclate, flamboie et tourne, comme un feu d’artifice, sur l’une des parois du salon d’honneur ; elle représente une magnifique robe de chambre de flanelle rouge, brochée de ramages verts. Du haut de cette robe émergent une tête et une main. La tête, détachée de la vitrine d’un coiffeur parisien, se renverse souriante, et fait des efforts impuissants pour se dégager de la partie inverse de la robe. La main agite un éventail tricolore. D’autres éventails, chargés de dessins bizarres, évoluent sur un fond bleu tout autour du motif principal. Ruggieri n’a jamais créé rien de plus éblouissant et de plus fantastique. »

(Note : la maison Ruggieri est spécialisée dans les feux d’artifices depuis 1739).

Claude Monet, Madame Monet en costume japonais, 1876, Museum of Fine Arts, Boston (détail)

Parmi toutes ces critiques, on retiendra celle d’Emile Porcheron, dans le Soleil :

La Japonaise de M. Monet paraît jongler avec une quantité d’écrans ; elle est vêtue d’une robe rouge ; et le peintre a peut-être trouvé de bon goût de la draper de telle sorte, qu’une portion du vêtement, sur laquelle est brodée une tête de guerrier, vient s’appliquer justement sur la partie du corps confiée aux soins de M. Purgon. Il est difficile d’être plus déplacé.

(Note : dans le Malade imaginaire de Molière, M. Purgon est le médecin et administre des lavements à Argan).

Pour finir, voici l’opinion de Charles Bigot, de la Revue politique et littéraire, après avoir loué les paysages de Monet :

« Je ne parle pas de certaine femme drapée bizarrement dans un costume rouge, en train de s’éventer, et encadrée dans une trentaine d’éventails japonais. C’est un coup de pistolet qu’il a voulu tirer, sans doute, et rien de plus. On ne regarde pas cette grande machine écarlate sans qu’elle fasse mal aux yeux, et le mieux est de ne pas la regarder. M. Monet s’est bien gardé de modeler le visage de la femme, car il est de ceux qui dédaignent le modelé ; il l’a même gratifiée des teintes les plus cadavéreuses. En revanche, il se trouve sur la robe une manière de monstre japonais tirant de l’épée et brodé. M. Monet s’est si bien appliqué à donner à la broderie du modelé et du relief, qu’au premier abord, on la prend pour un second personnage. Il est trop aisé d’apercevoir là le contraire cherché de ce que l’on fait d’ordinaire. »

On ne peut pas lui donner tout à fait tort. Il est probable que Monet voulait se faire remarquer et qu’il y est arrivé. La perruque blonde qui nous paraît si bizarre s’expliquerait par la volonté d’éviter la comparaison avec la Femme à la robe verte, pour laquelle Camille avait posé également. De fait, aucun des journalistes si observateurs ne l’a reconnue.
On remarque aussi que tous, y compris Monet, parlent de robe pour désigner ce kimono. Les plus fins disent nattes pour désigner le tatami. Et ils emploient le mot écran dans un sens bien différent de celui qu’il a aujourd’hui.


Monet au cap de la Hève

Claude Monet, La Pointe de la Hève, Sainte-Adresse, 1864, National Gallery, Londres 41×74 cm

Les oeuvres de jeunesse de Claude Monet surprennent par leur réalisme, tant l’artiste est connu pour la touche impressionniste centrée sur l’analyse de la lumière qu’il développera par la suite. Voici à nouveau la pointe de la Hève, la même année 1864, mais déserte cette fois, si bien que le regard est irrésistiblement attiré par la barque et ses trois passagers. Cette toile, probablement exécutée sur le motif, est considérée comme une étude pour un tableau de plus grandes dimensions :

Claude Monet, La Pointe de la Hève à marée basse, 1865, Kimbell Art Museum, Fort Worth, Texas, 90 x 150 cm.

Dans cette marine destinée au Salon, Monet a pris quelques libertés avec son esquisse. La ligne d’horizon est la même, la toile se termine à droite par les mêmes cabanes accolées, mais les épis ne correspondent pas, à moins de supposer que celui du premier plan est sous l’eau dans le premier tableau. Les vagues sont plus marquées, leur orientation en oblique par rapport à la plage reflète une réalité que Monet connaît bien : c’est à cause de cette orientation habituelle de la houle que les épis ont été installés afin de retenir les galets.

C’est au moment de la basse mer que l’on pouvait espérer faire le tour du cap en carriole à cheval. Le peintre, qui paraît juché sur quelque chose, un rocher ? note les traces laissées par le passage d’un chariot. Celui qu’il nous montre s’avance dangereusement dans l’eau, sans raison semble-t-il. Au milieu de la composition, Monet a placé deux chevaux dont on se demande ce qu’ils font là. Cela n’a rien d’étonnant, car la scène qui paraît si réaliste sort de l’imagination de l’artiste. En effet, ce couple de chevaux apparaît dans une toile peinte la même année à Chailly-en-Bière, près de Barbizon.

Claude Monet, Cour de ferme à Chailly, 1865, collection particulière, 50 x 80 cm

Claude Monet, qui n’a pas 25 ans, ne rejette pas complètement les méthodes préconisées par l’Académie des Beaux-Arts. Nous avons ici la preuve qu’il bidouille encore dans ses tableaux, si je peux me permettre. Quand va-t-il cesser de le faire, pour se focaliser sur l’objectif de rendre ce qu’il a sous les yeux ? Ce serait présomptueux de croire pouvoir fixer une date, car l’étude attentive de tableaux bien plus tardifs laisse quelques doutes quant à l’absolue fidélité à ce qu’il voit. Derrière le mythe, se dessine la liberté de l’artiste. Et comme le disait Monet lui-même à propos de ses tableaux de Londres, la question de savoir comment ils étaient faits ne regardait que lui.

Les Monet à l’exposition de Giverny

Claude Monet, Sainte-Adresse, 1867, National Gallery of Art, Washington

Monet a 26 ans quand il peint cette scène de bord de mer près du Havre, à Sainte-Adresse, où sa famille possède une résidence d’été. Influencé par Eugène Boudin, le jeune peintre donne une large place au ciel tourmenté. La belle saison touche à sa fin, estivants et promeneurs sont partis, ne restent que les pêcheurs près de leurs bateaux sur le front de mer.

Claude Monet, Sainte-Adresse, (détail) 1867, National Gallery of Art, Washington

Dans ses jeunes années, Monet anime encore ses oeuvres de petits personnages, qui invitent à se pencher de plus près sur le tableau. Qui sont-ils ? que font-ils ? Un homme porte la blouse bleue des Normands et parle avec une femme à la coiffe blanche qui tient un enfant dans ses bras. D’autres sont assis, sans qu’on comprenne à quoi ils sont occupés. A droite, un cabestan pour remonter les bateaux sur la plage montre qu’Etretat n’avait pas l’exclusivité de cette technique. Mais quels sont tous ces objets qui jonchent le sol ? Des barres de cabestan, des mats, des rames ? Pour un spectateur de l’époque, il est probable qu’ils étaient faciles à reconnaître, alors que notre oeil d’aujourd’hui peine à les décrypter.

Claude Monet, Les Rochers à Pourville, marée basse, 1882, Rochester, Memorial Art Gallery

Quinze ans plus tard, l’attention du peintre à la lumière s’est affinée. Les flots écumants observés à Pourville, près de Dieppe, font penser à ceux qu’il captera bientôt à Belle-Île. Le ciel occupe un tiers de la surface du tableau.

Claude Monet, Falaises à Pourville, 1882, Washington, National Gallery of Art

Il arrive toutes sortes de choses aux peintures. Selon le commissaire de l’exposition Cyrille Sciama, celle-ci présenterait un repeint à droite. Toute cette côte vert épinard ne serait pas de la main de Monet. Peut-être la mer s’étendait-elle à l’origine de ce côté du tableau ? A gauche, on a bien la touche de Monet qui croque vivement deux dames admirant le paysage. Ses belles-filles ?

Claude Monet, Falaises à Pourville, (détail) 1882, Washington, National Gallery of Art

Regardez la virtuosité. Avec une grande économie de moyen, quasiment des gravures de mode, et pleines de vie.

Claude Monet, Marée basse aux Petites-Dalles, 1884, collection Hasso Plattner

Invité par son frère Léon aux Petites-Dalles, Claude Monet y peint les très hautes falaises dans des couleurs vibrantes et lumineuses. La composition est coupée en son milieu pour faire ressortir le jeu du reflet. Les baigneurs et les personnages qui escaladent la pente donnent l’échelle. Voyez-vous en bas à droite une image anticipée des nymphéas, comme le suggère le commissaire de l’exposition ?

Claude Monet, Les Rochers de Belle-Île, la Côte sauvage, 1886, Paris, Musée d’Orsay

A Belle-Île-en-Mer, deux ans plus tard, Monet n’est plus distrait par les baigneurs, il n’y en a pas. Le ciel, pourtant si vaste, est réduit à une mince bande, tant l’artiste est fasciné par le combat de la terre et des flots.

Claude Monet, La Pointe du Petit Ailly, 1897, collection particulière

Ma photo ne rend pas la somptuosité de coloris de cette oeuvre peinte à l’époque où Monet revisite des lieux qui lui sont familiers pour en tirer des séries. La touche est devenue caressante, subtile, déclinant des camaïeux tendres tout à fait époustouflants.
En bas du tableau, on aperçoit la cabane du douanier, ou cabane des pêcheurs, si souvent représentée par l’artiste. Les personnages ont déserté la toile. Si l’exposition de Giverny présente ces oeuvres de façon thématique, en fonction des sujets, ports, falaises, tempêtes, etc., les replacer par ordre chronologique montre tout le chemin stylistique parcouru par Monet en trente ans de peinture.

Le Monet du musée de Tours

Claude Monet, Bras de Seine près de Vétheuil, 1878, Musée des Beaux-Arts de Tours

Ma pauvre photo ne rend hélas pas justice à la très belle oeuvre de Monet que l’on peut admirer au musée des Beaux-Arts de Tours. C’est une symphonie de subtils tons de verts et de roses que le portable n’a pas su capter. Monet l’a conservée toute sa vie, en dépit de deux déménagements, preuve qu’il l’aimait beaucoup.

Le motif est pris tout près de sa maison de Vétheuil. C’est l’été encore, les feuillages sont verts, voilà peu de temps que les familles Monet et Hoschedé se sont installées dans la petite maison jaune au bout du bourg. Monet explore les environs, souvent depuis son bateau atelier. La Seine est alors parsemée d’îles couvertes de végétation dont Monet se plaît à faire des études.

Ce coin de nature qui montre si peu de choses, est-ce vraiment un paysage ? Quelques arbres et leurs reflets, un bout de ciel : ce n’est pas ce que raconte le tableau qui nous épate, mais la touche déliée et comme fluide, la brosse qui virevolte avec rapidité, l’exécution aussi précise qu’enlevée.

Claude Monet, Détail de Bras de Seine près de Vétheuil, 1878, Musée des Beaux-Arts de Tours

Monet a 37 ans et beaucoup de soucis domestiques, mais la peinture coule de source. Il faut travailler vite pour vendre de nombreuses toiles afin de nourrir la famille, car les prix sont bas et le bénéfice faible. Plus tard, quand il se sortira des difficultés matérielles, Monet se mettra à retoucher interminablement ses toiles, avec une insatisfaction croissante et une exigence toujours plus grande.

En 1927, après la mort de Monet, son fils Michel offre la toile à Camille Lefèvre, l’architecte qui a conçu les salles de l’Orangerie pour y accueillir les Grandes Décorations. Il se pourrait que ce soit Clemenceau qui lui ait soufflé l’idée de ce geste. Pourquoi cette vue de Vétheuil et non un Nymphéas, qui semblerait plus approprié ? Mystère. Camille Lefèvre était né à Tours et c’est sa veuve qui a légué l’oeuvre au musée des Beaux-Arts de la ville. Avec un tel parcours, l’authenticité du tableau est établie, même si la signature, si c’en est une, n’est guère visible.

La méthode Monet

Claude Monet, Marine près d’Etretat, 1882, Philadelphia Museum of Art

Les campagnes de peinture de Claude Monet obéissent à un programme immuable, qui nous est connu par ses lettres à Alice et, dans une moindre mesure, par les observations de personnes qui l’ont vu à l’oeuvre.

En général Monet se rend à une destination où il est déjà allé (Etretat, Bordighera, Antibes, Fresselines, Londres…) ou dont il pressent le potentiel pictural (Belle-Île-en-Mer, la Norvège…). Les premiers jours sont consacrés au repérage de motifs à peindre avec leur lot d’hésitations et de doutes. Monet recherche un endroit « qui l’empoigne ». S’il se décide pour un lieu, il ne peut s’empêcher de se persuader que ce serait mieux ailleurs, un peu plus loin. Quand il est à Fresselines, il rêve d’aller à Crozant. Il pense ne passer que quinze jours au premier endroit avant de rejoindre le second… où il n’ira finalement jamais.

Une fois les sites bien repérés, un porteur trouvé, le travail proprement dit commence, et toujours dès le matin. Pour capter l’effet, le peintre couvre toute sa toile de traits assez larges et espacés d’un à deux centimètres grâce auxquels il note les valeurs des tons. Puis, au cours des séances suivantes, il repeint sur ce premier canevas, apportant de plus en plus de précision à ses notations chromatiques.

Quand sait-il qu’un toile est finie ? C’est l’expérience qui lui dit s’il peut encore apporter de la force à une peinture en ajoutant des touches. Décision très subjective et où il doute souvent de lui. Un jour il est content de son travail, le lendemain rien ne va plus. Les périodes d’exaltation dans la création sont suivies de lourdes journées de découragement. Et toujours ce leitmotiv : que c’est difficile de peindre…

La toile en devenir est une gestation fragile. Monet lutte pour restituer dans la matière ce que ces yeux captent de la beauté du monde et de la lumière. Il se trouve souvent bien en deçà, d’où des mouvements de rage, des cris d’impuissance. Certaines études sont abandonnées après 15 ou 20 séances, parce qu’il les a « gâchées » ou qu’il les trouve « tout simplement mauvaises ».

Mais quand tout va bien, Monet se surmène, dans un état second. Il est porté par la création, ne sentant ni la fatigue, ni la pluie ni le froid. Ses études « le passionnent. » Il le sait, c’est quand il est dans cette fièvre de travail qu’il réalise ses plus belles toiles.

Les semaines succèdent aux semaines. A mesure qu’il a découvert les différentes facettes d’un paysage par tous les temps, le peintre a mis en chantier des toiles nouvelles : jusqu’à une trentaine. Rentrer, c’est condamner celles qui sont encore trop peu avancées : il ne pourra pas « en venir à bout » à l’atelier. Mais pour les « sauver » il lui faut la météo correspondante, et elle ne se commande pas.

Peu nombreuses sont les toiles qu’il termine véritablement sur place. Mais il arrive qu’il décide d’en mettre certaines en caisse et de ne plus les revoir avant de rentrer à Giverny, de peur de risquer de les abîmer. La saturation fausse le jugement et porte à déconsidérer son ouvrage.

Et puis un beau jour, quand il est totalement à bout, abruti de fatigue et de peinture, Monet rentre. Il range ses toiles dans des caisses en bois qu’il expédie par le train jusqu’à Vernon. Ordre est donné d’aller les chercher à la gare, mais interdiction de les ouvrir avant son retour. Une fois reposé, après quelques jours ou quelques semaines, Monet ouvre lui-même les caisses, regarde ses toiles les unes à côté des autres, et apporte les finitions nécessaires en les harmonisant entre elles. Faire aboutir toute la série lui prend encore un mois ou deux pendant lesquels il ne se sépare d’aucune oeuvre. Ce n’est qu’une fois l’ensemble des toiles de la série terminées qu’il consentira à les vendre. Elles seront signées et datées juste avant d’être envoyées au marchand.

Dolceacqua

Le château des Doria à Dolceacqua, Italie

La ville de Bordighera et le village de Dolceacqua, en Italie, s’apprêtent à vivre un évènement culturel : deux toiles de Claude Monet peintes en 1884 vont revenir sur les lieux où elles ont été exécutées. A en juger par la publicité faite autour de cette exposition, il s’agirait d’une vue du pont de Dolceacqua qui sera présentée dans le château qui domine le village, et d’une toile peinte dans la vallée du Sasso, à découvrir à Bordighera dans la villa Regina Margherita. La double exposition s’intitule ‘Claude Monet Ritorno in Riviera’ (30 avril – 31 juillet 2019).

Le plus remarquable, c’est que les lieux ont très peu changé. On peut tout à fait éprouver la même admiration que Monet en découvrant le site de Dolceacqua.

Claude Monet, Le château de Dolceacqua, 1884 Musée Marmottan-Monet, Paris
Le village de Dolceacqua, Ligurie, en 2019

Claude Monet, Dolceacqua, 1884 Sterling and Francine Clark Institute, Williamstown, USA

La différence, c’est que Monet se demandait où se mettre pour avoir le meilleur point de vue, tandis que maintenant, le passant cherche l’angle précis sous lequel le tableau est peint.

Plage et falaise à Pourville

Claude Monet 1882 Plage et falaise à Pourville, huile sur toile, collection particulière

Cela fait toujours plaisir d’admirer un Monet peu connu, que ce soit en vrai ou en reproduction. Celui-ci figure en noir et blanc dans le catalogue raisonné. Il est sorti de l’ombre en 2017 à l’occasion de sa vente publique. Estimé entre 2 et 3 millions d’euros, il a été adjugé à 4,2 millions à un collectionneur français.

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Monet à Zaandam

 

Zaandam par Monet

"Zaandam est particulièrement remarquable et il y a à peindre pour la vie ; des maisons de toutes les couleurs, des centaines de moulins et de ravissants bateaux."

C'est en ces termes que Claude Monet, tout juste arrivé dans la ville hollandaise de Zaandam, à quelques kilomètres au nord d'Amsterdam, décrit le paysage qui l'enthousiasme à Pissarro. C'est le mois de juin 1871. La France vient de perdre la guerre avec la Prusse. La Commune de Paris vient d'être réprimée dans le sang.

Monet, qui avec sa femme et son fils s'était réfugié en Angleterre tout comme Pissarro, songe à rentrer en France, mais peut-être avec une certaine

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Claude Monet, La Grande Allée, Giverny

C’est l’un des points de vue préférés des visiteurs de Giverny : du bas de la grande allée qui traverse le jardin de fleurs de Claude Monet, deux lignes de fuite dirigent le regard vers la maison tapie au pied de la colline. Partout, des fleurs.

Lorsque Monet peint cette vue de son jardin en 1900, l’aspect de l’allée principale est toutefois un peu différent. Elle est encore bordée de ces épicéas auxquels Alice tient tant. Ils étaient déjà là à l’arrivée de la famille Hoschedé-Monet en 1883, avec leurs troncs rouges et leurs masses sombres. Monet considérait qu’ils « faisaient du tort à ses plantations. » C’est en jardinier qu’il juge, et non en peintre. Ils veut les faire abatttre. Entre Monet amoureux des fleurs et de la lumière et Alice éprise des arbres, les discussions furent « épiques » selon Jean-Pierre Hoschedé.

Claude Monet, la Grande allée, Giverny

Pourtant, quand on voit l’opulence de ses massifs d’iris plantés sur une butte d’un bon mètre de large, on n’a pas l’impression que les sapins aient été si dommageables aux cultures de Monet. Cette vue avait de quoi lui réjouir l’oeil et lui donner envie de prendre les pinceaux. Les iris étaient l’une de ses fleurs préférées, gracieuse et majestueuse à la fois. La brièveté de leur floraison était certainement une incitation à les peindre. Claude Monet, la Grande allée, Giverny, Orsay

Cette composition en oblique avec les massifs au premier plan est celle qui les met le plus en valeur. Selon le catalogue raisonné, Monet a peint cet angle trois fois, mais l’une des toiles est perdue. Celle ci-dessus se trouve au musée d’Orsay à Paris, la précédente est dans une collection privée américaine. Elles varient un peu, mais sur chacune d’elles on peut observer les taches de fleurs claires que Monet aimait à cultiver au pied des arbres « pour éclairer l’ombre » selon le chef-jardinier Gilbert Vahé.

Deux ans plus tard, Monet récidive, un peu plus tard en saison. Sur cette toile conservée à l’Österreichische Galerie de Vienne, en Autriche, les fleurs sont plus hautes et s’étagent sur trois rangées. Au sol, les capucines rampantes festonnent le gravier, derrière elles des fleurs violettes qui évoquent des asters forment une masse colorée continue, tandis qu’émergent par derrière les fleurs les plus grandes, probablement des dahlias. Ces trois lignes florales de couleurs différentes s’observent toujours dans la restitution actuelle du jardin.

Aux moins trois autres tableaux datés de l’été 1902 par Wildenstein ont été exécutés par Monet. Sur l’un (collection particulière) la grande allée apparaît un peu plus en oblique, Monet se plaçant au pied du massif de gauche. Sur l’autre (collection particulière), il pose son chevalet devant la maison sous l’if de droite et peint en direction du portail. Une troisième, où Monet s’est mis sous l’if de gauche pour représenter l’allée, a été photographiée dans l’atelier de Monet. Elle a malheureusement disparu et n’est connue que par la photo.

Le triomphe des Meules

Claude Monet, Meule, soleil couchant 1890-91Claude Monet, Meule, soleil couchant 1890-91, Museum of Fine Arts, Boston

La série des Meules revêt une importance particulière dans la vie de Monet, car elle est, de l’avis même du peintre, sa première série à proprement parler. Et c’est elle qui a fait de lui, enfin, un peintre reconnu.
Auparavant, Monet avait déjà exécuté des tableaux aux thèmes identiques, mais si l’on ose dire, sans savoir qu’il faisait une série. Selon ses souvenirs confiés au soir de sa vie au duc de Trévise, c’est en observant la lumière changer à la surface des meules que lui serait venue l’idée de répéter exactement le même motif et le même cadrage, en faisant varier uniquement l’éclairage, c’est-à-dire les couleurs.

L’exposition de cette série de Meules a lieu dans la galerie Durand-Ruel en 1891. En quelques jours, tout est vendu. Le succès qui a si longtemps boudé Monet ne le quittera plus.

Voilà les faits sur lesquels les sources s’accordent. Les faits un peu bruts, sans fioritures. Pour faire passer le message, les guides comme les journalistes ont besoin de donner de la chair à ces faits. Il faut trouver le détail qui accroche l’attention et facilite la compréhension.
Je crois que c’est à l’expo de Louviers dans le film de Philippe Piguet, descendant d’Alice Hoschedé et historien de l’art, que j’ai entendu cette petite anecdote : le public faisait la queue pour entrer dans la galerie où les Meules étaient exposées. N’est-ce pas une image très parlante du succès ? Le signe que Monet et ses Meules faisaient le buzz, pour parler contemporain ?
A propos de l’expo de 1891, je n’ai pas pu trouver confirmation de l’anecdote dans mes ouvrages de références. Daniel Wildenstein révèle que peu de journaux se sont fait l’écho de cette petite expo d’une vingtaine de toiles, ce qui a tendance à infirmer l’hypothèse d’un buzz médiatique. Pierre Assouline, dans son livre sur Paul Durand-Ruel, le marchand des impressionnistes, zappe carrément l’expo pour se focaliser sur le marché américain. Gordon résume l’impact de l’exposition en un « succès spectaculaire ». Marianne Alphant cite quelques-uns des critiques, surtout pour regretter qu’ils n’aient pas compris l’importance de l’évènement, derrière leurs éloges à courte vue. Mais Philippe Piguet dispose de sources non publiées encore, notamment de très nombreuses lettres d’Alice. C’est peut-être là qu’il a puisé cette image.

La nouveauté des Meules, c’est qu’elles s’entendent comme un tout, et qu’il faut les voir ensemble pour les comprendre. La nouveauté, ce sont ces couleurs outrées, irradiantes, dans cet effet de contre-jour voulu par Monet. La nouveauté, c’est l’absence d’intérêt du motif en tant que tel, ni un monument, ni un paysage, juste un tas de gerbes, qui laisse toute sa place au sujet réel du tableau, la lumière changeante.

Si Monet a fait le buzz, ce n’est sans doute pas seulement à cause des médias. C’est peut-être l’effet du bouche à oreille, du bruit qui court qu’il va y avoir du neuf, du sensationnel.
Une lettre de Pissarro à son fils antérieure au vernissage laisse entendre que « tous les amateurs ne demandent que des Meules ». Trois jours après l’inauguration, il confirme un peu amer, lui qui ne vend rien : « tout est vendu, dans les trois à quatre mille chaque ». La cote de Monet ne fera que s’envoler.

La gare Saint-Lazare

La gare Saint-Lazare
Quand on se trouve dans la gare Saint-Lazare, les tableaux que Monet en a fait reviennent en mémoire. Mais il n’est pas facile de dire où il s’est placé exactement pour peindre ses célèbres toiles.
L’un de mes collègues parisiens s’est forgé une conviction en enquêtant sur le passé de la gare, la toute première gare de Paris, inaugurée en 1837.
Les deux premières gares provisoires, situées près du pont de l’Europe, ont disparu. Mais ensuite, explique-t-il, le passé s’est comme fossilisé. La troisième gare a été bâtie à l’emplacement actuel entre 1842 et 1853. De taille modeste, elle a été élargie plusieurs fois par des nefs qui se sont ajoutées à gauche et à droite, sans qu’on détruise la tranche précédente.
En plein milieu, entre les voies 15 et 16, un bout de quai plus court et plus bas que les autres est inaccessible au public. Si on compare avec le tableau, il semble bien que les immeubles du fond viennent se placer au même endroit.
On peut imaginer Claude Monet en 1877, âgé de 33 ans, venant s’installer avec brosses et chevalet tout au bout de ce petit quai.

Les Monet du Louvre

Monet au Louvre Normalement on ne va pas au Louvre pour voir des tableaux impressionnistes, puisque les collections nationales des oeuvres de la deuxième moitié du 19e siècle se trouvent de l’autre côté de la Seine, à Orsay. Néanmoins, il faut bien que quelques exceptions viennent confirmer la règle. C’est ainsi qu’au deuxième étage du pavillon Sully, le département des peintures françaises du Louvre présente un bel ensemble de Renoir, Sisley, Degas, Jongkind, Boudin, Cézanne, Pissarro, Toulouse-Lautrec, et trois Monet.
Il s’agit de la donation Hélène et Victor Lyon, entrée dans les collections du Louvre en 1977. Comme souvent, une condition requise était de ne pas séparer les tableaux de la donation. C’est ainsi que les Canaletto et les Guardi se retrouvent parmi les peintures françaises, et que les impressionnistes rigolent sous cape, en se demandant un peu ce qu’ils font là.

un Monet du Louvre L’intégralité de cette donation, et d’ailleurs l’intégralité des oeuvres exposées au Louvre peut être visualisée en ligne, grâce à la base Atlas, qui présente 30.000 oeuvres. C’est colossal, si bien qu’il est compréhensible que les fiches laissent un peu l’internaute sur sa faim.
J’aurais aimé en savoir plus, par exemple, sur les raisons des pérégrinations des Monet, qui sont allés faire un tour à Orsay en 1986 avant de revenir dans le giron du Louvre. Avoir des précisions sur les techniques employées – quels sont les trois pastels qui imposent la pénombre ? Et pourquoi cet accrochage à deux niveaux, qui rend les toiles reléguées au-dessus bien difficiles à admirer ?
Les Monet ne souffrent pas de ce traitement. Ils sont exposés à hauteur des yeux. Trois paysages de neige, et rien d’autre, c’est assez étonnant.
Le premier chronologiquement est celui du milieu, peint début 1867 à Honfleur, la Route devant la ferme Saint-Siméon. C’est aussi le plus grand. De chaque côté, deux vues de la Seine charriant des glaçons font pendant. A gauche, une vue prise à Bougival à la fin de cette même année 1867, Glaçons sur la Seine à Bougival. A droite, la Débâcle près de Vétheuil en 1880.

les Monet du Louvre
Une lumière assez proche baigne les trois tableaux, une lumière grise de ciel couvert. Mais l’évolution de la manière de Monet en treize ans est stupéfiante. En 1867, c’est une jeune homme de vingt-six ans qui peint des tableaux où un certain calme règne. A Vétheuil en 1880, Monet est devenu un peintre accompli, riche d’années de recherche et d’expérience impressionniste. La toile vibre sous les coups de brosse, dégageant une incroyable énergie, celle du fleuve en crue et celle de Monet électrisé par le spectacle.

Pastel de Monet

P095 Pont de Waterloo, Claude Monet 1901, pastel sur papier, collection particulière Pont de Waterloo, Claude Monet, 1901, pastel sur papier, collection particulière

Les oeuvres sur papier de Claude Monet, ce qu’il est convenu d’appeler des dessins, ne sont pas aussi connues que ses huiles sur toile. Elles n’en sont pas moins fascinantes, comme celle-ci, issue de la collection Dyke, qu’on peut voir jusqu’au 31 octobre 2012 au musée des impressionnismes de Giverny.
Le pastel permet un travail rapide propre à saisir la lumière d’un instant. Il offre des possibilités de fondus, d’estompe idéales pour les effets de brouillard que Monet aimait. C’est aussi un matériel léger, facile à emporter partout.
A son arrivée à Londres en janvier 1901, Monet doit patienter jusqu’à l’acheminement de ses toiles inachevées expédiées depuis Vernon dans des caisses. Pour tromper l’attente et réapprivoiser les motifs qui s’offrent à lui, le peintre a pris soin d’emballer dans ses bagages à main de quoi dessiner au pastel.
Cet extraordinaire Pont de Waterloo saisi depuis sa chambre au sixième étage de l’hôtel Savoy magnifie la silhouette du pont sur la Tamise enfoui dans le fog. Du rose au bleu, les teintes se fondent en ombres fluides, laiteuses, liquides, où se devinent les arches du pont et les véhicules éclairés qui circulent dessus.
Monet écrit à son épouse Alice que cela l’amuse beaucoup de reprendre les pastels. Il considère ces dessins comme des exercices préparatoires. Une fois les caisses arrivées, le travail est d’autant plus rapide : il a, dit-il,

bien travaillé aujourd’hui, ce qui te fera plaisir. C’est grâce à mes pastels faits promptement qui me font voir comment il faut faire.

Au total le peintre réalise en quelques jours 26 pastels de Londres, qui constituent la série la plus complète et la plus précisément datée des oeuvres au pastel de Claude Monet.

Démeulonner

W1247Claude Monet, huile sur toile 1890 Prairie à Giverny, Fukushima Prefectural Museum of Art, Japon

Ce paysage de Giverny peint par Claude Monet au printemps 1890 est l’un des chefs-d’oeuvre du musée de Fukushima, au Japon. Le monde entier, hélas, a appris le nom de cette préfecture japonaise ; pour une fois, plutôt que de le faire rimer avec une catastrophe majeure, associons-le avec celui de Monet.
Au beau milieu de la toile, en plein dans les verts et les bleus, une tache brune, presque orange, accroche le regard. C’est une meule.
Jusque-là, on ne peut pas beaucoup se tromper. Mais s’agit-il d’une meule de foin ou d’une meule de blé ? Je penche pour la première : on est dans une prairie, ce doit être de l’herbe coupée, séchée et mise en tas. Juin peut-être.
En juin, il était bien trop tard pour démeulonner. C’est l’une de mes collègues, née dans une ferme de Haute-Normandie, qui m’a appris ce joli mot qu’elle a retenu comme un souvenir d’enfance. Démeulonner, c’est défaire la meule pour passer les gerbes de blé au tarare afin d’en extraire les grains, dans des nuages de poussière.
Remontons le calendrier agricole. Avant de démeulonner, il faut meulonner. Le temps de la moisson s’annonce quand l’épi de blé bascule. Tant qu’il n’est pas mûr, il est dressé vers le ciel. A maturité, l’épi se recourbe vers le sol. Il est temps de le couper et de le lier en bottes.
Celles-ci sont mises à sécher trois par trois, appuyées en faisceaux les unes aux autres. On appelle ces formations des viottes ou des demoiselles. Quand tout le champ est moissonné, on ramasse les gerbes avec une charrette tirée par un cheval et on les assemble en meules ou meulons : on meulonne.
Un toit de paille protège la récolte jusqu’à l’hiver, où l’on aura le temps, enfin, de s’occuper du battage.
Toutes ces étapes laborieuses ont disparu avec la mécanisation. Celle-ci a apporté son lot de mots nouveaux, et en a avalé quelques autres, qui sont allés rouler dans la poussière comme de vieux chapeaux melons.

Le mont Kolsås

Claude Monet, Le Mont Kolsaas, effet de soleil, 1895, 65x100cm, collection particulière Claude Monet, Le Mont Kolsaas, effet de soleil, 1895, 65×100 cm, collection particulière

Ce tableau de Claude Monet fait partie d’une série de 13 toiles exécutées en 1895 lors du séjour du peintre en Norvège. Il représente un joli site naturel situé à une quinzaine de kilomètres à l’ouest d’Oslo, au dessus de la commune de Sandvika.
Le catalogue raisonné de l’oeuvre de Monet a retenu comme titre du tableau celui donné par Monet, « le mont Kolsaas, effet de soleil ».
Un mont ! Vu de France, il n’en faut pas plus pour s’imaginer un sommet tel que les Scandes en ont le secret, cousin de ceux des Alpes et des Andes.
Les Norvégiens que j’ai guidés cette semaine ont esquissé un sourire en m’entendant parler de la « montagne » peinte par Monet en Norvège.

– Le Kolsås dépasse à peine 300 mètres d’altitude ! Le sås à la fin du nom signifie colline.

Glorieuse colline qui faisait penser Monet au Mont Fuji, bien nommé cette fois puisque le volcan mythique, avec ses 3776 m, est le plus haut sommet du Japon.
Si Monet s’est laissé impressionné par le Kolsaas, c’est sans doute que, pour un Normand plus habitué aux coteaux de la Seine et aux falaises de la Manche, qui ne s’élèvent guère à plus de 80 mètres, la colline norvégienne devait présenter un volume considérable.
Ses pentes, faites d’un étonnant et rare porphyre sombre, sont toujours fort escarpées, et l’ascension demande un certain effort, récompensé par une vue magnifique sur le fjord d’Oslo.
Si près de la capitale, les alentours de Sandvika sont aujourd’hui urbanisés en banlieue résidentielle chic. Le mont lui-même a été aménagé pour l’escalade et pour le ski.
Devant tant d’obligeance à me parler de chez eux, je n’ai pas résisté, j’ai demandé un cours de prononciation aux visiteurs norvégiens de Giverny. On pouvait s’y attendre, il n’y a pas que la taille du Kolsås qui est déformée vue de France. Le nom aussi.
Alors qu’on parle en France du « mont colza », pour les Norvégiens, c’est le « kohl sauce ». Du moins c’est ce qu’il m’a semblé entendre, et cette recette improbable de sauce au chou m’aidera peut-être à mémoriser les deux o fermés. On se demande un peu pourquoi la graphie de l’époque de Monet, en remplacement du å, (qui se dit a rond en chef) doublait un a.

L’entrée de Giverny en hiver

L'entrée de Giverny en hiver, Claude Monet, 1885, huile sur toile, 65.5 x 85.5cm. Collection particulièreL’entrée de Giverny en hiver, Claude Monet, 1885, huile sur toile, 65.5 x 85.5cm. Collection particulière.

Les ventes de paysages de neige sont réputées difficiles… surtout à la belle saison. Sotheby’s a opportunément programmé en pleine vague de froid la vente de ce beau Monet enneigé, ce qui a sans doute contribué à enflammer les enchères.
Le marteau est tombé à 9,8 millions d’euros, nettement au-dessus de la fourchette haute de l’estimation.
L’heureux acheteur emporte une petite merveille. (Vous pouvez voir un très grand agrandissement de cette toile en cliquant trois fois sur l’image.) Une petite merveille qui était jusqu’ici jalousement conservée loin des yeux du public par la famille Canonne, héritière du pharmacien parisien du même nom, grand collectionneur des impressionnistes et post-impressionnistes à partir des années 20. L‘Entrée de Giverny en hiver n’a été exposée que deux fois, à Paris, en 1930 et en 1969.
Rien ne dit que les chances de le voir sont plus grandes dorénavant. L’acheteur a conservé l’anonymat, le tableau passe d’une collection particulière à une autre.

Monet habite depuis dix-huit mois à Giverny quand il peint une courte série de quatre vues de ce paysage, l’entrée de Giverny en venant de l’Est, de Sainte-Geneviève-les-Gasny. L’endroit n’a presque pas changé. On voit toujours la courbe de la route, et la rangée de maisons à droite, précédées d’un talus où prospèrent les buddleias sauvages.
Sur cette toile, Monet a saisi les tonalités mauves et roses du coucher de soleil sur la neige. Les traces dans la neige, sur la route, figurées à grands coups de brosse, donnent beaucoup de dynamisme à la composition.

360°

Les Nymphéas de l'OrangerieClaude Monet – Les Grandes Décorations des Nymphéas au musée de l’Orangerie, Paris. 

Pour tous ceux qui sont loin de Paris, le musée de l’Orangerie propose une visite virtuelle à 360° des célèbres Grandes Décorations de Claude Monet. Évidemment, elle ne remplace pas l’émotion de voir en vrai, mais l’effet est bien plus réaliste qu’une photo.
On peut faire défiler tout le panorama des Nymphéas, et retrouver cette sensation de continuité et d’infini coloré, rêveur, qui saisit face au testament pictural du maître de Giverny.
Pour parfaire l’illusion, le 360° permet aussi d’observer le plafond nouvellement refait, avec sa verrière qui fournit un éclairage naturel très doux, et le sol comme si on y était.
Cette prouesse technique du 360° est maintenant accessible non seulement aux institutions comme les musées ou les parcs d’attractions, mais aussi à tout un chacun, par exemple les hôtels et les chambres d’hôtes pour des visites virtuelles de leur établissement, ou encore les agences immobilières ou les particuliers qui souhaitent vendre leur maison.
Pour en revenir aux Nymphéas de l’Orangerie, un regret, la difficulté d’imaginer l’échelle de l’oeuvre dans une salle idéalement vide. On aimerait aussi avoir le détail de chaque panneau. Cela viendra peut-être ?

Monet, cathédrale de Rouen

Cathédrale de Rouen, effet de soleil, Claude Monet, Museum of Fine Arts, Boston C’est la série par excellence, le monument immuable qui ne change que par l’éclairage, alors que les sujets pris dans la nature sont soumis aux variations des saisons.
Monet a peint la cathédrale de Rouen avec acharnement, après les séries des meules et des peupliers. Il séjourne à Rouen deux années de suite, les hivers 1892 et 1893, et peint 28 vues du massif occidental du monument, et deux vues d’une cour sur le côté, la cour d’Albane.
Monet lutte, cauchemarde, reprend et retouche interminablement ses toiles. ll en résulte (c’est très remarquable sur les toiles du musée d’Orsay en particulier) une étrange matière épaisse, une pâte de couleurs mélangées de plusieurs milimètres d’épaisseur, comme si Monet avait voulu recréer le relief du portail en le modelant à la peinture à l’huile.

La paroisse de Rouen centre, qui s’attache à faire connaître son patrimoine exceptionnel, propose une exposition virtuelle de toutes les vues « de face » des cathédrales de Monet sur son site internet. La présentation synoptique est saisissante, et on peut agrandir pour plus de détail. Du très beau travail.
Et voici une vingt-neuvième cathédrale, une des deux « cour d’Albane », sujet de plein air peint en février. On conçoit que Monet ait préféré par la suite les vues depuis différentes fenêtres face au monument. Claude Monet, Cathédrale de Rouen, cour d'Albane

Record, encore

Claude Monet, Bassin aux Nymphéas, 200 x 100 cm, 1919, collection particulièreClaude Monet, Bassin aux Nymphéas, 200 x 100 cm, 1919, collection particulière

Le dernier record de vente d’un Monet en enchères publiques datait du mois de mai. Il n’aura pas tenu longtemps. La convoitise suscitée par un très beau Bassin aux Nymphéas de deux mètres carrés mis en vente le 24 juin dernier a permis à la cote de Monet d’être réévaluée à la hausse.
41 millions de livres, 80,5 millions de dollars, le montant en euros se situe quelque part entre les deux, à 51,7 millions d’euros exactement.
200 % de mieux directement, si l’on compare avec le record établi en mai par le Pont de chemin de fer à Argenteuil, une oeuvre de jeunesse pleine de lumière datée de 1873.
Claude Monet, le Pont de chemin de fer à Argenteuil, 1873, collection particulière On lit partout que l’acheteur des Nymphéas serait un Russe. J’imagine quelque nouveau magnat du pétrole ou du gaz ou du sucre en poudre, avide de s’approprier les signes extérieurs de notabilité occidentale.
J’ai beau avoir une immense admiration pour Monet, des sommes pareilles, je trouve ça indécent. A l’heure où chacun se demande comment il va faire pour remplir son chariot au supermarché, il en est qui exhibent sans pudeur leurs millions dans les ventes aux enchères.
C’est le moyen qu’ils ont trouvé pour savoir qui a la plus grosse, de bourse.

Claude Monet, le Pont de chemin de fer à Argenteuil, 1873, collection particulière

Carnets de croquis

Croquis de la Gare Saint Lazare, Claude MonetCroquis de la Gare Saint Lazare, Claude Monet

Merveille de l’internet ! Les carnets de croquis de Claude Monet conservés au musée Marmottan-Monet à Paris peuvent être consultés en ligne. Le Sterling and Francine Clark Art Institute de Williamstown, dans le Massachusetts, a mis l’accent l’année dernière sur la production de dessins et de pastels de Monet, à travers une grande exposition sur le Monet inconnu. C’est dans le cadre de ce projet que s’est effectuée la mise en ligne des carnets.
Tout au long de sa vie Monet a utilisé des carnets pour griffonner des dessins comme on prend des notes. Il y en a huit que l’on peut visualiser page à page.
C’est l’artiste à l’oeuvre, le tout début du processus de création qui se dévoile à mesure qu’on feuillette ses brouillons.
Beaucoup de dessins sont tête-bêche. On imagine Monet en train d’ouvrir le carnet et de le tourner de façon à avoir la couture du milieu à sa gauche, car il est droitier. Il ne s’applique pas, il ne cherche pas à faire un beau dessin. Ce sont des notations de travail, pour lui seul.
Il veut se souvenir de cadrages, il tâtonne. Il délimite un format différent du rectangle de la page en la coupant d’un trait.
Le crayon qui dessine les radeaux de nymphéas ou les bords de l’eau est flou. Celui, plus jeune, qui s’est arrêté à la Gare Saint-Lazare ne manque pas de puissance. Monet noircit la locomotive, raidit la charpente métallique de la verrière, comme pour mieux enregistrer la structure de son dessin.
Et puis viennent les membres de sa famille, les enfants saisis en train de faire leurs devoirs à la lumière de la lampe… Moment d’intimité qui fait l’objet d’un dessin plus précis, plus soigné, mais ne deviendra pas un tableau.
Car c’est cela, dans le fond, qui frappe le plus : découvrir les ébauches premières de tant de chefs-d’oeuvres, les meules, les jeunes filles dans la barque, les palmiers de Bordighera… Tout cela évoqué d’un crayon rapide et négligent comme autant de pistes que l’on suivra peut-être. Ce qui frappe c’est la distance entre ce dessin qui paraît à la portée de quiconque et la merveille que l’on sait de la toile achevée. Pour parcourir cette distance, pour métamorphoser l’ébauche en éclats de lumière, pour cela il faut être Monet.

L’usage d’un faux

C’était au départ un beau projet scientifique : le musée Wallraf-Richartz de Cologne a décidé d’étudier soixante-dix de ses oeuvres impressionnistes majeures avec les moyens dont la recherche dispose aujourd’hui, infrarouges et ultraviolets, rayons X, analyses microscopiques… L’objectif était de mieux comprendre ces tableaux et de préparer une exposition sur la technique des impressionnistes.
Mais c’était ouvrir la boîte de Pandore. Les conservatrices ont eu plusieurs surprises au cours de leurs enquêtes. La plus amère a été de s’apercevoir que le musée présentait parmi ses collections un authentique faux Monet.
Bords de la Seine à Port-Villez a fait illusion pendant près de 90 ans, mais c’est un faux, le doute n’est plus permis. Trois preuves viennent confirmer cette triste conclusion : on a découvert sous la peinture un dessin préparatoire, alors que Monet peignait directement sur la toile. La signature a été recommencée deux fois – pas le genre de Monet de rater son nom. Pire, un vernis vieillisseur a été détecté à la surface du tableau.
Et l’on comprend comment s’y est pris le faussaire pour tromper son monde. Il a utilisé à son profit l’habitude de Monet de peindre par série. Il lui a « suffi » de reprendre un cadrage du peintre et d’inventer une nouvelle toile de la même série.
C’est un coup dur pour le musée, c’est clair. Mais les responsables ont pris le parti de faire contre mauvaise fortune bon coeur. Car la découverte de ce faux qui a grugé si longtemps les meilleurs spécialistes – Daniel Wildenstein, l’auteur du catalogue raisonné de Monet, s’y est comme les autres laissé prendre – est la démonstration de l’excellence des méthodes actuelles d’authentification des tableaux.
Le musée a donc mis en scène ce faux, qui a de quoi aiguiser la curiosité des visiteurs. L’exposition Impressionnisme : comment la lumière s’est posée sur l’écran ouverte depuis quelques jours l’a mis en bonne place. Après tout, beaucoup de musées possèdent des Monet, mais des faux Monet dûment dévoilés, voilà qui est plus rare. Il ne serait pas étonnant que celui-ci devienne un des must du musée de Cologne. Car le faussaire, qui travaillait du vivant de Monet, avant 1920, a fait preuve d’un certain talent dans la falsification pour rester indécelé si longtemps.

Les Glaçons

Claude Monet, les Glaçons, 1880, Shelburne Museum, Vermont, w568C’est quand il fait vraiment froid comme ces jours-ci qu’on réalise l’exploit de Monet d’aller peindre en plein air. Ça vous dirait de rester debout immobile pendant quelques heures ? Et pourtant la Seine n’est pas sur le point de geler !
La lumière de ces Glaçons rappelle celle que nous avons en ce moment. Le froid enveloppe le paysage d’un voile laiteux, d’une lumière vaporeuse et glacée.
Monet se trouve à Vétheuil en décembre 1879 quand plusieurs jours de gel très intense provoquent l’embâcle de la Seine.
Fasciné par ce spectacle exceptionnel, Monet peint sans relâche malgré les températures polaires. Puis vient la débâcle, début janvier. Le fleuve charrie d’énormes blocs de glace. Et Monet peint toujours.
Pourtant Monet s’est permis une entorse à sa règle de peindre d’après nature. Ce tableau, les Glaçons, conservé au musée de Shelburne dans le Vermont est un grand format (97x150cm) qu’il réalise en mars d’après une étude plus petite faite en janvier, également nommée les Glaçons, qui se trouve aujourd’hui au musée d’Orsay à Paris. Il veut exposer les grands Glaçons au Salon de 1880. Hélas, la toile est refusée.
Si elle ne plaît pas au jury du Salon, elle fait pourtant beaucoup d’effet à l’un des amateurs de Monet, M. Georges Charpentier. C’est son épouse, Madame Charpentier qui va lui acheter la toile.
En juin, elle écrit au peintre :

Monsieur,
Je sais que mon mari désire beaucoup votre grand tableau de la Débâcle. Je voudrais lui en faire cadeau sur mes économies et, quoique je déteste marchander surtout un homme de votre talent, il n’entre pas dans mes moyens de le payer 2000 francs. Comme vous ne l’avez pas encore vendu, peut-être voudrez-vous bien accepter mes conditions : 1500 francs payables en trois fois.

Tout laisse à penser que Monet a trouvé les conditions acceptables. Et que Monsieur Charpentier a dû être bien heureux en déballant son cadeau.

Le Bassin aux Nymphéas

Le Bassin aux Nymphéas, Claude Monet, London Tate Gallery ref w1978Il y a des toiles qui vous estomaquent. « Cela vous fait de l’effet », disait Monet. C’est le but recherché par les artistes dans les grands formats, mais les dimensions monumentales ne suffisent pas. Il faut aussi une présence de l’oeuvre, quelque chose qui ne peut se dire, une vibration qui vient résonner en vous.
A la Tate Gallery de Londres, cette peinture immense (2m x 4,25m) est de celles qui vous cueillent par surprise. Elle a l’air presque anodine réduite à un petit format.
Avez-vous remarqué ? Quand on vient de visiter un musée et qu’on regarde les cartes postales tirées des oeuvres, on est presque toujours déçu. La reproduction fait pâle figure quand on a encore en tête l’émerveillement produit par l’original.

Monet peint la surface de son bassin de Giverny, captivé par les jeux de la lumière et des reflets. Quel moment de la journée est-ce, quelle saison ? On a du mal à le dire. Le peintre surfe à la limite du figuratif et de l’abstraction. En communion avec la nature, il essaie de provoquer chez le spectateur la même impression d’immersion dans le motif.
Toute référence directe à la berge écartée, nous flottons entre ciel et eau dans des harmonies de pure couleur, des teintes subtiles de mauve et vieux rose auxquelles répondent des verts tilleul et moutarde, des éclats d’or fondu.
La forme est dissoute, à peine devine-t-on quelques nénuphars en suspension, quelques branches de saule reflétées, simples prétextes à des déclinaisons colorées.
On ignore à quelle date Monet a peint ce Bassin aux Nymphéas, certainement après 1916 quand il dispose de son troisième atelier. Monet l’a-t-il peint sans savoir ce qu’il allait en faire, comme les autres toiles monumentales exécutées pendant la guerre, ou après la victoire dans le but de l’intégrer à son don à l’Etat ?
Quoi qu’il en soit, il ne retiendra pas ce panneau dans la composition finale pour le musée de l’Orangerie à Paris.
La National Gallery de Londres en fait l’acquisition en 1963.

Le Pont d’Argenteuil

Monet, Le Pont d'Argenteuil Claude Monet, Le Pont d’Argenteuil, 1874

Voilà ce tableau de Monet soudainement propulsé dans l’actualité internationale. Un geste de vandalisme lui a fait défrayer la chronique pendant huit jours. Heureusement un clou chasse l’autre, et si l’actualité est une grande dévoreuse d’évènements, elle les oublie presque aussitôt. Cela devient déjà difficile de retrouver dans les moteurs l’info relative à l’intrusion au musée d’Orsay dans la nuit du 6 au 7 octobre dernier.
Pourquoi s’en prendre à un tableau ? Sans doute parce que les oeuvres de Monet sont devenues des icônes, et que leur prix vertigineux les rend follement attractives pour qui veut s’offrir un geste iconoclaste. Des actes de cette nature restent heureusement très rares. Ce n’est pas tellement cela que les chefs-d’oeuvres ont à craindre, mais le contact ordinaire du public, hélas ! qui, totalement inconscient des dommages qu’il cause, met les doigts dessus, leur donne des coups de stylo ou de feutre, les accroche de l’épaule ou du sac…

Monet peint le Pont d’Argenteuil en 1874, l’année qui voit Impression Soleil Levant faire scandale. Il représente le pont routier, pourvu d’arches et de piles oblongues (tandis que le pont de chemin de fer qui figure sur d’autres toiles est fait de piles rondes comme des colonnes et sans arches).
Le pont routier a été détruit pendant la guerre de 1870 et vient d’être refait. La reconstruction du pont est le motif de la première toile de Monet à Argenteuil.
Monet choisit un angle en direction de la promenade, vue depuis la berge du Petit-Genevilliers. Au milieu des arbres apparaît l’ancienne maison du passeur. A l’époque de Monet elle est devenue une guinguette. Argenteuil est une destination prisée le dimanche et aux beaux jours, les Parisiens viennent s’y détendre au bord de l’eau : il leur suffit de faire une demi-heure de train au départ de la gare Saint-Lazare. L’attraction principale, ce sont les régates que se livrent des voiliers semblables à ceux du tableau.
Monet a loué une maison à Argenteuil pour être au plus près de ses motifs, attiré par les jeux de l’eau et de la lumière, et par ces ponts modernes qui structurent le paysage.
Le Pont d’Argenteuil frappe par la lumière dorée qui l’inonde, l’aspect paisible de ce paysage péri-urbain vide de tout personnage, l’équilibre des masses sombres et des masses claires, et le jeu des lignes de fuite diagonales rythmées par les verticales du pont et des mâts.

Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

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