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Eventails

Le musée des Beaux-Arts de Rouen présente en ce moment une importante exposition sur Whistler et le whistlérisme. Les éventails y ont la part belle. Ce délicieux regard rêveur a été capté par Jacques-Emile Blanche (1861-1942), portraitiste de la bonne société française et anglaise ; il orne un projet d’éventail, où deux jeunes femmes en robes blanches manient des éventails noirs, en une amusante mise en abîme :

L’éventail était un accessoire de mode indispensable aux élégantes de la Belle Epoque, et, si Monet n’en a jamais peint, d’autres artistes de ses amis s’y intéressaient, par exemple Whistler et Mallarmé.

Voici celui d’Anna Rodenbach, femme de lettres belge et épouse du poète Georges Rodenbach. Il est co-signé par Puvis de Chavannes et Whistler, tandis que Stéphane Mallarmé y a tracé un quatrain de sa belle écriture, déjà rencontrée sur ses enveloppes :
Ce peu d’aile assez pour proscrire
Le souci, nuée ou tabac
Amène contre mon sourire
Quelque vers tu de Rodenbach.

Madeleine Roujon, épouse de l’académicien Henry Roujon, a eu droit elle aussi à son quatrain de Mallarmé :
Simple, tendre, aux prés se mêlant,
Ce que tout buisson a de laine
Quand a passé le troupeau blanc
Semble l’âme de Madeleine.

L’épouse de Mallarmé, Maria, possédait un éventail magnifique, qui figure aussi à l’exposition. Le texte écrit en rouge sur fond foncé est difficile à déchiffrer, et pas plus facile à comprendre :

Avec comme pour langage
Rien qu’un battement aux cieux
Le futur vers se dégage
Du logis très précieux

Aile tout bas la courrière
Cet éventail si c’est lui
Le même par qui derrière
Toi quelque miroir a lui

Limpide (où va redescendre
Pourchassée en chaque grain
Un peu d’invisible cendre
Seule à me rendre chagrin)

Toujours tel il apparaisse
Entre tes mains sans paresse

Mallarmé ne manquait jamais d’adresser ses nouveaux livres à Claude Monet. Dans ses remerciements, le peintre avouait ne pas tout comprendre, mais disait sentir que c’était bien beau.

Berthe Morisot et le XVIIIe siècle

Berthe Morisot, Au bal, 1875, Musée Marmottan-Monet, Paris

L’éventail que cette jeune femme, un modèle, tient grand ouvert a appartenu à Berthe Morisot. En 1875, l’objet est une précieuse antiquité : en ivoire sculpté, gouache et or sur papier, il a été exécuté un siècle plus tôt, vers 1760-1780 et représente Le Bain de Diane par François Boucher. On peut voir actuellement à Marmottan le tableau et l’objet côte à côte, dans l’exposition que le musée consacre à Berthe Morisot et l’art du XVIIIe siècle (jusqu’au 3 mars 2024). Resté dans la famille, l’éventail a été légué au musée par les descendants de Berthe.

En décembre 2004, dans la revue Ironie, Augustin de Butler s’agaçait de l’ombre dans laquelle demeurait l’influence du siècle des Lumières sur les impressionnistes. L’histoire de l’art voulait alors à tout prix que le mouvement puise sa source dans l’art de Turner et de Constable. L’auteur ironisait : « On ne peut pas s’empêcher de se demander : mais alors pourquoi l’impressionnisme n’est-il pas né en Angleterre ? » Et de citer Pissarro : « Le XVIIIe siècle était notre tradition », ou encore Monet, qui se disait fan du Pèlerinage à l’île de Cythère de Watteau exposé au Louvre. Ce texte très intéressant a été réédité par les éditions L’Echoppe sous le titre Lumières sur les impressionnistes.

Augustin de Butler a été entendu, semble-t-il. Il est vrai que la parenté entre le travail de Berthe Morisot et celui de Fragonard, par exemple, était soulignée par la critique dès le début de l’aventure impressionniste. Dans une interview, Marianne Mathieu, co- commissaire de l’exposition, explique qu’une importante vente aux enchères d’oeuvres de Fragonard avait lieu en même temps que la première exposition du groupe chez Nadar, en 1874. Passant d’un lieu à l’autre, les critiques avaient spontanément perçu la parenté entre les styles de Fragonard et de Morisot, au point de déclencher la création d’un mythe sur une filiation entre les deux peintres. Les recherches généalogiques menées pour l’exposition en cours permettent de ranger cette filiation présumée dans le domaine de la fiction.

Pour l’oeil d’aujourd’hui, l’influence du XVIIIe sur les impressionnistes est plus difficile à percevoir. Elle est tout en subtilité : tons clairs, scènes de la vie contemporaine, sujets légers, objets du quotidien, loisirs de personnes fortunées, inachèvement parfois… Chez Morisot, qui a grandi dans un milieu où l’on adorait l’art du siècle des Lumières, on retrouve des postures, des attitudes qui pourraient avoir été inspirées d’oeuvres du siècle précédent. Et des indications directes, comme l’éventail.

Après l’austère fin de règne de Louis XIV, les moeurs et les arts se libèrent. C’est l’époque de Watteau, Fragonard, Boucher… La Révolution mettra fin au marivaudage. Retour de la Vertu, exaltée sous l’Empire. En peinture, c’est l’époque de David. Puis le balancier repart dans l’autre sens, vers le réalisme, l’école de Barbizon et l’impressionnisme, qui puisent leurs sujets dans la vie de tous les jours, avant que le symbolisme ne s’en écarte à nouveau à la fin du siècle.

Massaïda de Steinlen

Théophile-Alexandre Steinlen, Portrait de Massaïda, non daté. Fusain 63,5x48cm Musée de Vernon

Le musée de Vernon s’enorgueillit de posséder dans ses réserves un très grand fonds d’oeuvres graphiques de Steinlen et d’autres dessinateurs du début du XXe siècle. Ces dessins proviennent du legs Lamberty, ami de l’artiste. Au musée de Montmartre, à l’exposition organisée pour le centenaire de la mort de Steinlen, j’ai retrouvé l’une de ces oeuvres vernonnaises : le portrait de Massaïda, (ou Masseïda), gouvernante de l’artiste à partir de 1911. Pendant douze ans, jusqu’au décès de Steinlen en 1923, la jeune femme Bambara originaire d’Afrique de l’Ouest tiendra sa maison et lui servira de modèle.

Steinlen, Massaïda en 1912, Genève, Musée du Petit-Palais

Steinlen exécute de saisissants portraits de la jeune femme, au regard intense et pensif. La toile de 1912 fait chanter les couleurs.

Steinlen, Massaïda étendue sur un divan, 1911, Genève, Association des Amis du Petit-Palais

Le modèle accepte aussi de poser pour des nus. Celui-ci fait penser à l’Olympia de Manet par sa façon de planter ses yeux dans ceux du spectateur.

Steinlen, Détente, Genève, Association des Amis du Petit-Palais

Celui-là en revanche regarde plutôt du côté de Gauguin.

Monet ébloui par van Gogh

L’exposition sur les derniers mois de van Gogh à Auvers-sur-Oise, à voir au musée d’Orsay jusqu’au 4 février 2024, fait l’objet d’un très intéressant catalogue. Les natures mortes florales occupent tout un chapitre, « Sous le charme des fleurs », tandis que « Les premiers signes de reconnaissance de l’artiste » en constituent un autre.

Nienke Bakker, qui signe l’étude des bouquets, souligne que Vincent, à son arrivée à Auvers, a déjà fait ses preuves dans le domaine et que ses Tournesols ont été exposés début 1890 à Bruxelles et à Paris, suscitant l’admiration d’artistes et de critiques. Parmi les premiers fans de van Gogh : Claude Monet.

Une note de fin d’ouvrage renvoie à une lettre de Théo du 23 avril 1890, alors que Vincent se trouve encore à l’asile de Saint-Rémy. Les lettres écrites et reçues par van Gogh sont disponibles en ligne ; elles sont transcrites dans la langue d’origine et en anglais, le site propose aussi le facsimilé de la lettre. Celle qui nous intéresse fait quatre pages, et la petite remarque sur la réaction de Monet se trouve sur la dernière :

Monet a dit que tes tableaux étaient les meilleurs de l’exposition.

Lettre 862 de Théo à Vincent van Gogh, 23 avril 1890

Voilà, c’est écrit, de la plume même de Théo, il y a 133 ans, et Vincent a lu cette phrase, et il a su que Monet admirait le peintre qu’il était. A-t-il cru son frère ? S’est-il senti fier de l’approbation de ce peintre reconnu qu’il admire lui-même ?

En tout cas je suis heureuse que, par lettres et personnes interposées, il ait pu connaître la réaction si positive de Claude Monet à son travail. Voilà deux génies qui ne se sont pas rencontrés mais se sont frôlés, si l’on peut dire : chacun a vu la peinture de l’autre et ressenti une émotion spéciale, puissante, en la voyant. Ils se savent de la même confrérie, celle des peintres qui sont corps et âme dans la peinture.

Vincent van Gogh, Promenade à Arles ou Souvenir du jardin d’Etten, 1888, musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg

Les meilleurs de l’exposition… De qui étaient donc les autres tableaux ? Le 23 avril 1890, l’exposition de la Société des Artistes indépendants va bientôt se terminer. Elle se tient depuis le 20 mars au pavillon de la ville de Paris, sur les Champs-Elysées, ce qui a laissé le temps à pas mal d’amateurs de peinture d’y aller et d’exprimer leurs réactions, et à celles-ci de parvenir aux oreilles de Théo van Gogh, qui est marchand d’art. Je ne crois pas qu’il ait rencontré Monet en personne : si c’était le cas, il s’étendrait davantage.

Le catalogue de l’exposition des Indépendants de 1890 est en ligne sur gallica : parmi une foule d’artistes dont la postérité n’a pas retenu le nom, apparaissent Pissarro, Seurat, Signac, Luce, Cross, Guillaumin, Angrand… C’est déjà l’époque du post-impressionnisme, du divisionnisme auquel Monet n’adhère pas. Et, presque à la fin, voici VINCENT VAN GOGH. Pas de prénom à la suite du nom, comme les autres. On sait que Vincent avait honte du sens de son nom de famille en français, qu’on ne saurait prononcer, d’après lui. Mais l’argot change, et depuis, plus personne ne fréquente les gogues, il y a d’autres mots pour cela.

Dix tableaux de Provence sont exposés, le maximum. Et, fait curieux, aucun n’est précédé de l’astérisque qui signale les oeuvres à vendre. Ils ne sont pas à vendre !!!

Est-ce une erreur du catalogue ? Ou bien Théo, qui en est propriétaire et qui a vraisemblablement organisé l’envoi pour l’expédition, ne souhaite-t-il pas les vendre mais simplement les montrer ? Si c’est le cas, il spécule.

S’ils avaient clairement été à vendre, certains des visiteurs de l’exposition se seraient-ils laissé tenter ? Je parie que Monet se serait offert une petite toile. « Les meilleurs de l’exposition ! » Il adore les van Gogh ! Je l’imagine s’attardant longuement devant chaque tableau. A côté de ces oeuvres irradiantes, celles des autres devaient paraître un peu ternes.

Deux cycles à l’Orangerie

David Hockney, A Year in Normandy, musée de l’Orangerie, Paris

Le musée de l’Orangerie, à Paris, met en parallèle deux oeuvres monumentales qui rivalisent de longueur : au rez-de-jardin, Les Nymphéas de Claude Monet s’étalent depuis près d’un siècle (1927) sur 91 mètres de long par 2 mètres de haut, tandis que A Year in Normandy de David Hockney est longue de « plus de 90 mètres », mais moins haute, et sera visible jusqu’au 14 février 2022 au sous-sol, près de la collection Walter-Guillaume.

Une scène estivale de ‘A Year in Normandy’ de David Hockney

Les deux oeuvres célèbrent la nature et les cycles. Monet évoque une journée, avec des vues de l’aube, du crépuscule, de la nuit, Hockney s’attache au cycle des saisons. Monet a mis dix ans à peindre ses panneaux, Hockney les a réalisés en une année, sur une tablette tactile. Tous deux ont travaillé sans bouger de chez eux. Il s’agit dans l’un et l’autre cas d’oeuvres d’octogénaires, en pleine possession de leur art. Et d’artistes qui ont connu de leur vivant les sommets de la consécration.

Détail des ‘Nymphéas’ de Monet, musée de l’Orangerie

L’effet produit sur le spectateur est très différent. Les hypnotiques Nymphéas plongent dans une méditation poétique, tandis que Les oeuvres numériques d’A Year in Normandy provoquent une jubilation immédiate. Comment ne pas être happé par ces couleurs vives, cette transcription de la jolie campagne normande en des scènes joyeuses, riantes, quelle que soit la météo ? Elles parlent à l’enfant qui est en nous, on savoure, on déambule tout le long de ces quelque 80 scènes juxtaposées en prenant son temps.

David Hockney, détail de ‘A Year in Normandy’

Choix des motifs et des angles, multiplicité des ressources techniques, tout est fascinant dans cette description patiente des changements de la nature autour de la maison de l’artiste. La maîtrise, l’art consommé se manifestent sous une apparente simplicité. Hockney transfigure son jardin et les collines environnantes et nous transmet sa joie d’être au monde. Monet fait de même, avec plus de gravité profonde. Merci à tous les deux.

David Hockney à l’Orangerie fait un clin d’oeil aux chers nénuphars de Monet.

De l’aube au crépuscule

Claude Monet, La plage à Pourville, soleil couchant, 1882, Musée Marmottan-Monet, Paris

Les impressionnistes affectionnaient les effets de lumière. Ils ont aimé représenter les plus spectaculaires, ceux du début et de la fin du jour. L’exposition proposée par le musée de Louviers dans le cadre du Festival Normandie impressionniste rassemble quelques beaux instants crépusculaires capturés par Monet et les peintres de son temps.

Mais l’expo ne s’arrête pas aux paysages. En prime, une section intimiste nous fait entrer dans les intérieurs bourgeois du 19e siècle, au fil de la vie, de l’aube au crépuscule.

Roger-Joseph Jourdain, Le nuage, 1885 Musée de Louviers

Ce tableau-ci, par exemple, m’a scotchée par sa théâtralité. Nul doute que c’est l’intention de ces rideaux ouverts, de cette femme qui nous fait face. On se croit face à la scène d’un théâtre.

L’oeuvre est signée d’un peintre né à Louviers, Roger-Joseph Jourdain, bien connu des milieux artistiques parisiens de l’époque. Ainsi, Jourdain participe à la souscription pour acheter l’Olympia de Manet à sa veuve et faire entrer le tableau dans les collections de l’Etat. C’est Monet qui se charge de rassembler les fonds.

Jourdain retranscrit une scène du quotidien et fait de nous ses spectateurs indiscrets : les deux protagonistes sont en train de se faire une scène, justement. Pas de doute là-dessus. Le nuage dont il est question dans le titre ombrage leur relation, et non cette lumineuse journée d’été.

Que se sont-ils dit ? Elle s’appuie sur la table, comme si sa tête était devenue trop lourde des mots qu’elle vient d’entendre. Il s’est éloigné pour regarder par la fenêtre, comme s’il préférerait être ailleurs. Il croise les jambes, prêt à faire demi-tour quand une réplique bien sentie lui traversera l’esprit.
Le spectateur cherche des indices. Que faut-il déduire de ce haut-de-forme et de cette paire de gants posé sur le tabouret, de cette table mise pour le thé ? Petit morceau de virtuosité que cette nature morte, où la théière d’argent reflète les tasses de porcelaine et même l’éclat de lumière sur le plateau.

Comme lorsqu’on entre dans l’appartement de quelqu’un d’autre, l’oeil parcourt les détails, les petits bouquets disposés partout, les pages négligemment coincées entre les livres sur l’étagère, les bibelots sur la cheminée, le reflet du jour sur le tapis, la fenêtre qui se dessine sur la cheminée, sans trouver la clé. Peut-être Monsieur a-t-il suggéré une sortie à Madame, et celle-ci aura décliné pour cause de mal de tête ? Il boude à la fenêtre. Il n’a pas touché à son thé.

Mais l’oeil revient encore et encore vers un détail du premier plan un peu agaçant. Le tapis fait une bosse, comme le faisaient les tapis de laine d’autrefois. Il est tout prêt pour qu’on se prenne les pieds dedans.
Pourquoi le peintre a-t-il pris grand soin de décrire ce détail ? Veut-il accentuer le réalisme de la scène ? Rien n’est apprêté. Le couple n’est pas en train de recevoir. Ils sont juste tous les deux, dans leur petit fourbi, tandis que passe leur nuage.
C’est à se demander s’il y a quelque chose de caché. Un non-dit dissimulé sous le tapis.

Claude Monet critique d’art

Titien, Portrait de François Premier, musée du Louvre, en prêt au musée d’Evreux

C’est tout le mérite de Marc Elder d’avoir fait parler Monet à propos de la peinture des maîtres qui l’ont précédé. Dans son livre A Giverny chez Claude Monet, deux pages avant l’épisode Daumier, Monet évoque l’émotion qui l’a saisi face aux chefs-d’oeuvre du musée du Prado à Madrid.

Le Prado ! Quel musée ! Le plus beau de ceux que je connais. Quand je me suis trouvé dans ces salles, au milieu des Titiens, des Rubens, des Velasquez, des Tintorets qu’on dirait faits d’hier, qui éclatent de force, de lumière, de couleur, l’émotion m’a empoigné au coeur, à la gorge, et j’ai pleuré, pleuré sans pouvoir me contenir… (…) Que voulez-vous, c’était plus fort que moi….

Marc Elder est un interlocuteur de choix pour Monet : il est conservateur de musée. Il s’y entend en peinture. C’est ce qui incite Monet à poursuivre, avec une grande modestie :

Quels colosses à côté de nous ces grands peintres !… J’ai vu à Venise, un fragment du Tintoret, par terre, là, sous mes yeux… Etourdissant ! Chaque morceau vous donne le coup dans l’estomac !… Et Titien, ce n’est qu’une gloire !… Croyez-vous qu’il est beau son François Ier du Louvre, avec ce nez prodigieux qui est tout le portrait, tout le tableau… Ah ! comme on l’aurait refusé au Salon celui-là !

Une phrase comme celle-ci intrigue, n’est-ce pas ? Elle donne une irrésistible envie de revoir ce portrait célèbre. Rien de plus facile aujourd’hui par le miracle de l’internet. En effet, quel nez…

J’en étais là, face à cette image reproduite à l’infini sur l’écran de l’ordi, et je n’aurais sans doute pas écrit une ligne sur cette histoire, sur l’émotivité positive de Monet, si une jolie coïncidence n’était venue m’en donner l’élan. Le même jour, un site de tourisme normand m’apprend qu’une exposition vient d’ouvrir à Evreux : « Autour du Portrait de François Ier par Titien » ! La toile du musée du Louvre est exceptionnellement dans la capitale de l’Eure, dans le cadre de l’opération « Catalogue des désirs » pilotée par le ministère de la Culture. L’idée est de « faire circuler au sein des territoires les chefs-d’oeuvre des collections nationales françaises. »

A peine plus tard, me voilà donc en face de l’oeuvre sublime mise en valeur par le musée d’Evreux. Elle rayonne. Le nez s’étale en pleine toile, magnifique. Monet avait raison : dans le jeu des couleurs naturelles du tableau, on ne voit que lui. Cela pourrait suggérer la caricature, mais c’est le contraire qui se produit : il y a de la superbe dans ce nez royal.

L’exposition explique que Titien a travaillé d’après une médaille de Cellini, c’est pourquoi il a exécuté un portrait de profil et non de trois-quart. La médaille originale est là, en vitrine. C’est un tour de force d’avoir su en tirer ce grand tableau plein de vie.

Devant l’oeuvre, je me laisse prendre par le mystère de la peinture. J’essaie de voir le portrait avec les yeux de Monet, de ressentir ce qu’il ressentait. Je ne pleure pas, mais la force de la toile me saisit. Je pense au clin d’oeil de là-haut qui m’a conduite devant. C’est comme une leçon de peinture, une voix dans l’ombre qui dirait « Tu vois ».

Exposition « Par quatre chemins – Autour du Portrait de François Ier par Titien (1539) » Musée d’Art, Histoire et Archéologie d’Evreux du mardi au dimanche jusqu’au 5 mai 2019. Entrée libre.

Claude Monet dans la collection Chtchoukine

Le Parlement, les mouettes, Claude Monet 1901

Le Parlement, les mouettes, Claude Monet 1901 huile sur toile 81 x92 cm. Musée Pouchkine, Moscou.

Commencer une collection de tableaux par un Monet, c'est un bon début. La scène se passe en 1898. Le très riche Sergueï Chtchoukine, magnat russe de l'industrie textile et de la finance, fait l'acquisition des Rochers à Belle-Ile auprès du marchand d'art parisien Durand-Ruel. La marine de Monet ouvre la voie à douze autres toiles du maître de Giverny.  

On peut découvrir l'ensemble de ces toiles en ligne, et même des photos de la salle Monet du palais Troubetskoy qui montrent comment les oeuvres étaient accrochées. Tous les tableaux se touchaient, cadre contre cadre, sur deux rangées. Rien que des chefs d'oeuvre : le Déjeuner sur l'herbe, Femme au jardin, Lilas au soleil, une vue d'Etretat, de Dieppe, le Parlement de Londres, deux Cathédrales de Rouen, un Pont japonais, une Prairie à Giverny… Des toiles envoûtantes, magiques. 

Presque tous ces Monet sont encore pour quelques jours à Paris à la Fondation Vuitton, en compagnie des très nombreuses autres pépites de la collection Chtchoukine. Juste avant la révolution russe et l'exil, le collectionneur se passionnait pour l'art de Picasso et de Matisse. Il avait même acquis un tableau de Braque inspiré du château de la Roche-Guyon. Voir sa collection rassemblée dans la capitale française, voilà un projet qui lui aurait certainement beaucoup plu. 

Frédéric Bazille au musée d’Orsay

Exposition Bazille musée d'Orsay Paris

Il était l'ami intime de Claude Monet : le musée d'Orsay consacre jusqu'au 5 mars 2017 une exposition à Frédéric Bazille, (prononcer Basile) l'un des tous premiers impressionnistes.

C'est une gageure. Les oeuvres de Bazille sont très peu nombreuses – on en connaît 52 seulement, réparties un peu partout sur la planète.

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Mes photos s’exposent à Montgeron

Affiche-montgeron-expo

Vous aimez l'affiche ? Je la trouve très réussie avec cette couleur violette qui reprend celle des tulipes. Cette photo reste l'une de mes toutes préférées de Giverny, l'une de celles qui me donne envie de me précipiter dans les jardins de Monet.

La ville de Montgeron l'a choisie pour illustrer son évènement "Passion Jardin" qui comprend, parmi de nombreuses animations, une exposition de mes photos de Giverny. Vernissage demain soir…  J'y serai ! Montgeron est à environ deux heures de route de Giverny, en banlieue sud de Paris. 

Pourquoi Montgeron ?

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Les visites qui vont bien ensemble

Serre du jardin des plantes, ParisIl y a des visites qui se font écho et s'enrichissent mutuellement. Leur association peut être évidente, comme celle de Giverny et de l'Orangerie, ou plus inattendue, presque fortuite.

Il y a quinze jours je suis allée à Paris pour voir la très jolie exposition du musée Jacquemart-André intitulée "l'Atelier en plein air – Les impressionnistes en Normandie" (jusqu'au 25 juillet 2016). Et puis, juste pour le plaisir, j'ai fait un tour dans les serres du Jardin des Plantes, histoire de comparer avec celles de Kew.

Ce n'était pas délibéré, mais cette visite a pris tout son sens un peu plus tard, face aux jungles du Douanier Rousseau exposées à Orsay.

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Expo Caillebotte à Yerres

Caillebotte, Yerres, effet de pluieHier j’étais à Yerres, et c’était bon d’être ailleurs. Jusqu’au 20 juillet, on peut voir dans cette ville du sud-est de Paris une exposition consacrée à Gustave Caillebotte, peintre impressionniste et proche ami de Claude Monet.
La famille Caillebotte possédait à Yerres une belle résidence entourée d’un vaste parc, que le jeune peintre a prise pour modèle à de nombreuses reprises. C’est dans cette propriété même que l’expo est présentée, dans un rapprochement grisant.
Comme à Giverny, on déambule dans le motif resté intact. On marche le long de la rivière où les périssoires glissaient, et l’eau a toujours exactement la couleur verte qu’elle a sur les tableaux. YerresLes massifs, les pelouses, les bâtiments sont toujours là, les orangers poussent dans les mêmes bacs, les mêmes chaises de jardin invitent au repos, si bien que la réalité et la peinture, le passé et le présent se percutent. Jusqu’au potager si bien entretenu qu’on le dirait arrosé de la veille par les jardiniers des Caillebotte.
L’expo, même si elle ne propose que 43 oeuvres, parmi lesquelles bon nombre de petits formats, est tout de même un enchantement. Parce que Caillebotte a l’art de nous conter les plaisirs du bord de l’eau : canotage, pêche à la ligne, plongeon…, dans des toiles où souffle la chaleur de l’été et la fraîcheur de l’eau. Parce qu’il est d’une audace incroyable dans ses angles de vue, ses cadrages, qui bouscule et séduit. Et parce qu’à l’imaginer en train de peindre, en train d’élaborer ces toiles si innovantes, où l’humour n’est pas absent, on croit percevoir de la bonté chez lui, de l’humanité, de l’empathie pour les personnes qu’il figure. Quel dommage que la mort l’ait privé d’une longue carrière en l’emportant à 45 ans. Mais Caillebotte sentait qu’il mourrait jeune, lui qui a rédigé son testament à 28 ans…

Cathédrales à Rouen

Expo Cathédrales à RouenLa nouvelle exposition du musée des Beaux-Arts de Rouen a ouvert hier et va durer tout l’été. Intitulée « Cathédrales, un mythe moderne », elle décline le thème du monument gothique à travers les époques, de 1789 à 1914, du romantisme à la modernité.
L’exposition était déjà annoncée en janvier dernier, quand j’ai fait cette photo, avec comme tableau emblématique une cathédrale de Monet. Ce choix pourrait prêter à confusion, car la fameuse série a déjà été vue à Rouen où onze Cathédrales de Monet ont été réunies en 2010. Mais il s’agit de tout autre chose.
Le premier nom dans la liste des peintres exposés met sur la piste de l’intention de l’expo : Goethe !
Oui, le génie de la littérature allemande, celui que des générations de germanistes ont étudié en long et en large, du jeune Werther à Iphigénie, de Faust et Marguerite au Roi des aulnes. Goethe, tout comme Hugo, dessinait. Je grille de voir ce que cela donnait. Même si sur le plan artistique, il est probable qu’il soit surpassé par nombre des soixante artistes représentés.
L’expo 2014 du musée des Beaux-Arts de Rouen est le fruit d’une collaboration avec le Wallraf-Richartz Museum de Cologne. Elle s’inscrit dans le cadre du centenaire de la Première Guerre mondiale.
De chaque côté du Rhin, la cathédrale a pris au 19e siècle une valeur de symbole national, avec l’intérêt nouveau suscité par l’art monumental gothique, et elle est devenue une puissante source d’inspiration qui dure toujours.

Louviers : Paysages d’eau

Stanislas Lépine, Paysage (détail), 1869, huile sur toile, Paris, musée d'Orsay Stanislas Lépine, Paysage (détail), 1869, huile sur toile, Paris, musée d’Orsay

A l’origine du mouvement impressionniste figurent huit expositions parisiennes, qui s’échelonnent de 1874 à 1886. Monet, dont le tableau « Impression, soleil levant » va involontairement donner son nom au mouvement, a participé aux quatre premières et à la septième de ces expositions.
L’histoire a retenu les noms des plus grands peintres qui ont présenté leurs oeuvres au jugement du public : Claude Monet bien sûr, Pissarro, Renoir, Caillebotte, Sisley, Degas, Morisot, Cézanne, Cassatt, Gauguin, et enfin Seurat et Signac.
Mais ces peintres ne sont pas les seuls à avoir osé braver les moqueries en adhérant à la « Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs, graveurs, etc. » Au total, 56 artistes ont présenté plus de 1700 oeuvres lors de ces huit expositions impressionnistes.

Le musée de Louviers propose actuellement une intéressante exposition dans le cadre du festival Normandie Impressionniste. A côté de quelques oeuvres de peintres majeurs, l’entrée gratuite permet d’admirer de bien belles choses signées par des artistes tels que Bracquemond, Lebourg, Lépine, Béliard, Bureau, Cals, Colin, Guillaumin… qui tous ont participé aux expos impressionnistes fondatrices.
A travers leurs tableaux et gravures, on respire l’air du 19e siècle, on perçoit leur audace et leur retenue, et le côté avant-gardiste de Monet, au sein même de ce groupe novateur.
C’est une savoureuse découverte, et l’on en vient à rêver d’une exposition, disons en 2024, pour les 150 ans du mouvement, qui reconstituerait la réunion d’oeuvres d’origine…

L’impressionnisme et la mode

Madame GaudibertL’impressionnisme est à la mode, et les impressionnistes ont aimé la mode immodérément. Moralité, le musée d’Orsay, alias M’O, se moquant des mauvais coucheurs maussades qui maugréent, a mitonné une expo qui mêle mode et tableaux. Et l’émotion est là.
Oui, c’est grand public, la prise de risque est nulle, mais quel est ce snobisme qui voudrait réserver les expos à une élite ? Ce beau thème méritait d’être traité, et l’Impressionnisme et la mode fait lumineusement comprendre que qui dit mode dit modernité.
Pour avoir une idée de cette expo, je vous recommande le billet de Tania.
Je résume le propos : la rupture apportée par le courant impressionniste, c’est de s’attacher à capter des instantanés de la vie contemporaine, et non plus de représenter des histoires. Quand les impressionnistes peignent des personnes, elles sont habillées avec ce qu’elles portent tous les jours, à la dernière mode.
Enfin, probablement avec ce qu’elles ont de mieux, des vêtements qui les flattent, qui marquent leur bon goût, qui témoignent de leur rang. Pour se faire peindre, on n’allait pas mettre n’importe quoi non plus.
La force de l’expo, c’est de faire sentir la place que tient l’habillement dans la société du 19e siècle, une place de premier plan, écrasante, contraignante, ruineuse.
Mais surtout, l’idée de génie a été de rapprocher robes et tableaux. En regard des oeuvres, on admire, dans des vitrines, des vêtements provenant du musée de la mode et du costume.
C’est une belle leçon de peinture, et c’est bien plus. On aurait envie de toucher ces étoffes, comme dans un magasin. Comme pour s’assurer de leur réalité. Elles nous font sentir soudain le passage du temps.
L’impressionnisme est à la mode, on peut sans problème accrocher une repro de Monet chez soi, mais on ne pourrait en aucun cas porter ces vêtements. S’étouffer dans ces corsets, entrer dans ces robes de 32 centimètres de tour de taille, déambuler en traînant derrière soi ces mètres de tissu. Cette mode-là appartient définitivement à un lointain passé.
L’émotion est dans ce dialogue entre l’autrefois et le présent, car le virtuel de l’image figurée sur le tableau devient réel, trivial presque. Par leurs vêtements les personnages descendent des cadres et deviennent des personnes qui font irruption dans notre 21e siècle.
On avait beau avoir lu Zola et connaître la condition féminine à l’époque, le concret des objets montrés touche. C’était donc cela, être une femme au dix-neuvième ? Et aujourd’hui, à quels diktats de l’apparence obéissons-nous sans même nous en rendre compte ?
J’ai gardé pour la fin, parmi les questionnements suscités par l’Impressionnisme et la mode, celui qui provoque le plus de commentaires dans les médias : la mise en place d’une scénographie un peu (trop ?) présente de l’expo. Ambiance défilé de mode, évocation d’un jardin public, l’idée qu’il faille un décor à une expo ne va pas de soi, il semble même qu’elle fasse l’unanimité contre elle. Kitsch, inutile, lourde, que sais-je… Mais peut-être n’est-ce qu’une question de temps. Qui sait, d’ici quelques années, nous nous serons peut-être habitués à la mise en scène des expos comme aux décors de théâtre.
Affaire de convention sans doute. De mode. Dans le fond, la prise de risque d’Orsay, l’idée novatrice qui bouscule, c’est celle-ci.

Portrait de Madame Gaudibert, Claude Monet, 1868, huile sur toile 216x138cm, Musée d’Orsay, Paris.

Giverny version glam-punk

Kembra Pfahler photographiée par E.V. Day à Giverny

Il faut un peu de temps pour s’habituer. Pour faire cohabiter l’harmonie sereine de Giverny et le look flashy et provocateur de cette beauté sculpturale. Mais une fois le choc visuel passé, les images de cette exposition qui s’ouvre à New-York déploient tout leur pouvoir de fascination.
L’artiste plasticienne new-yorkaise E.V. Day a séjourné en résidence à Giverny pendant l’été 2010. Le travail de Day tourne autour des thèmes de la force féminine et de la culture populaire. En découvrant le jardin estival de Monet, paisible icône de cette fameuse culture populaire, elle a imaginé ce que donnerait la confrontation avec une autre icône, une star du glam-punk, la volcanique chanteuse Kembra Pfahler.
Day qualifie cette confrontation de dissonante et discordante, mais c’est précisément ce qui l’a attirée, puisqu’elle aime explorer « l’énergie propulsive qui résulte de la rencontre de deux entités fortes. » Elle a photographié Kembra dans sa tenue de scène un soir de canicule à Giverny, et dit-elle, tandis qu’elle marchait dans les allées sinueuses perchée sur les talons de ses longues bottes, « elle possédait le jardin comme si elle venait de retrouver son habitat naturel. »
Le plus étonnant, selon ses observations, est qu’une sorte d’harmonie se créait. Alors que la plupart des corps plongés dans le jardin de Monet semblent absorbés par lui, la présence imposante de Kembra et son impact symbolique établissaient un équilibre visuel.
Pourtant, si les images créées par E.V. Day n’ont pas l’air vraies, cela ne tient pas seulement au look de Kembra. C’est aussi parce qu’elles sortent tout droit de Photoshop. Day, inspirée par les reflets dans le bassin, a eu l’idée de symétriser ses images en les dédoublant comme dans un miroir, ce qui leur donne un air un peu artificiel et mystérieux.

Kim En Joong

Exposition Kim En Joong, centre du vitrail de Chartres Après Chartres, Rouen : le père Kim En Joong exposait au centre du vitrail de Chartres cet hiver, ses oeuvres seront à voir à la cathédrale de Rouen du 26 mars au 26 septembre 2010 dans le cadre du festival Courant d’Art.
D’origine coréenne, Kim En Joong s’est converti au catholicisme, a émigré en Suisse puis en France, et il est devenu dominicain.
Artiste de grand talent, il crée des peintures et des vitraux. Son travail, fortement inspiré de spiritualité, reflète l’influence de la calligraphie, mais c’est surtout la couleur, vibrante, fulgurante, qui frappe. Elle jaillit, magnifiée par la lumière quand les vitraux sont en place.
L’exposition au centre du vitrail de Chartres se tenait en sous-sol, on ne pouvait donc pas apprécier les oeuvres à la lumière naturelle. En revanche, elle permettait de découvrir le splendide cellier de la grange dîmière de Loëns, qui date paraît-il de Philippe-Auguste, c’est-à-dire du début du 13e siècle, comme la tour des Archives ou le château des Tourelles à Vernon.
En ce temps-là, le clergé percevait une redevance en nature sur les récoltes, la dîme. La Beauce était déjà couverte de céréales, mais aussi de petits vignobles aujourd’hui disparus. Le blé et l’avoine collectés étaient stockés dans la grange dîmière à l’étage, tandis que les caves de celles-ci recevaient le vin.
La magnificence de ces celliers étonne, avec leurs trois nefs à voûtes en ogives dont les nervures retombent sur des chapiteaux ouvragés. Rien n’était trop beau pour conserver le vin des hommes d’église…

Expo d’orchidées à Vascoeuil

Orchidée Zygopetalum Titanic

Si comme Monet vous êtes passionné d’orchidées, vous allez vous régaler à Vascoeuil ce week-end. Dès vendredi après-midi commence la 11e « Magie des Orchidées », une exposition florale qui présentera des centaines de variétés différentes dans des mises en scènes spectaculaires, à travers les salles du château. Emerveillement en perspective !
Le matin, on peut s’initier au rempotage, et même venir avec sa propre orchidée. Mais c’est surtout l’occasion d’en adopter de nouvelles, étranges et originales, jamais rencontrées en jardinerie.
Celle-ci par exemple se nomme Zygopetalum Titanic, une obtention de Vacherot et Lecoufle, des orchidéïstes français.
A la voir, il y a bien de quoi se détendre les zygomatiques : un déguisement de clown entoure une bouche qui rit aux éclats, entre un mignon petit nez rose et une barbe de nain de jardin.

Henri Martin

Henri Martin, Les Champs-Elysées, 1939 Musée des Beaux-Arts de BordeauxHenri Martin, Les Champs-Elysées, 1939 Musée des Beaux-Arts de Bordeaux

Je viens d’avoir la solution d’une énigme qui m’intriguait : pourquoi le musée de Vernon est-il aller chercher celui de Douai pour organiser la grande exposition impressionniste en cours ? Au vernissage, chacun remerciait de façon appuyée l’ancienne conservatrice du musée de Vernon, Anne Labourdette. C’est qu’elle est la nouvelle conservatrice du musée de la Chartreuse de Douai !
Pendant qu’un bon peu des trésors de Douai font les délices des visiteurs vernonnais, les cimaises libérées dans la cité du Nord accueillent une grande exposition consacrée au peintre Henri Martin.
Ce nom vous dit forcément quelque chose. Mais si, voyons, l’avenue Henri-Martin, les cases rouges du Monopoly ! Né vingt ans après Monet, Henri Martin a été le chouchou des commandes officielles pendant la Troisième République. A lui les grandes décorations dans sa ville natale de Toulouse avec la salle Henri-Martin et la salle des Illustres de l’hôtel de ville, un bien bel endroit pour se marier !
Du Capitole à la capitale, il enchaîne avec le Palais de Justice et l’Hôtel de Ville de Paris, la Sorbonne, le Conseil d’Etat, qui mérite une visite, ou encore le palais de l’Elysée. Ses pinceaux n’ont pas le temps de refroidir tant son style plaît aux officiels.
Faire le plein d’honneurs de son vivant, il n’en faut pas plus pour se faire placardiser par la postérité, qui a un faible pour les artistes maudits. C’est probablement aussi injuste que le contraire.
L’eau a coulé sous les ponts depuis le décès d’Henri Martin en 1943. On peut le redécouvrir sereinement aujourd’hui, et faire le tri entre ce qu’il a de très : très beaux coloris, très bonne technique, très belle inspiration poétique… et de trop : trop sage ? chantre d’un monde trop idéalisé ? Trop symboliste ? A chacun d’en juger à travers les quelque cent toiles présentées à Douai jusqu’au 15 juin 2009.

P.S. du 22 avril : Hélas, le Henri-Martin du Monopoly en est un autre ! voir billet du 22 avril.

Musée Flaubert, les enfants du secret

Musée Flaubert, expo les enfants du secretPour sa dernière exposition le musée Flaubert de Rouen s’est penché sur le drame des bébés abandonnés au 19ème siècle.
Pas forcément très réjouissant comme expo, mais c’était la triste réalité d’il n’y a pas si longtemps, à l’époque de Monet et Camille.
Quel rapport, me direz-vous, entre l’illustre écrivain rouennais Gustave Flaubert et les enfants trouvés ? C’est que papa Flaubert, qui répondait au doux prénom d’Achille-Cléophas, était le chirurgien chef de l’Hôtel-Dieu. Il habitait dans le pavillon où est installé le musée, qui est à la fois maison natale de Gustave Flaubert et musée de l’histoire de la médecine.
Les concepteurs de l’exposition qui se tient jusqu’au 14 juin 2008, Les enfants du secret, ont puisé dans les archives de l’hôpital pour faire revivre le destin tragique de ces petits êtres qui ont eu le tort de naître d’une mère qui ne pouvait les élever. A cause d’une étreinte souvent illégitime, à cause aussi de la trop grande pauvreté, ces malheureuses étaient obligées d’abandonner leur enfant.
On a conservé soigneusement les lettres qu’on trouvait souvent dans les langes des nouveaux-nés. Les mères ou parfois les pères qui les écrivaient avaient l’espoir de venir bientôt reprendre leur bébé, sitôt qu’ils auraient retrouvé du travail.
Certains de ces billets sont découpés de crans aux ciseaux de façon à s’emboîter dans l’autre bout du papier que la mère conservait. Ailleurs ce sont des rubans, des médailles qui servent de signes de reconnaissance. On appelle ces objets des remarques. Pour ces coeurs plein d’amour, c’était un moyen de croire que la séparation n’était pas définitive.
Le déchirement d’avoir à abandonner son enfant, c’est juste inimaginable. Comment se mettre à leur place ? Pour les comprendre il faudrait avoir connu la misère, le dénuement complet décrit par Zola.
En vérité ces retrouvailles chimériques se produisaient bien rarement. La plupart des enfants mouraient dans la première année.
A Rouen l’abandon d’enfant était une réalité tristement banale, jusqu’à plusieurs centaines par an. Une sorte de tambour était installée dans le mur de l’hôpital, la mère y déposait le bébé, faisait pivoter le tour et sonnait une cloche pour qu’on vienne rapidement chercher son enfant.
Plus tard on a eu l’idée de proposer du secours aux jeunes mamans sans ressources, ce qui a fait chuter le nombre d’abandons.

Il y a une logique qui m’échappe

exposition ange étrange Quelquefois la vie a l’air de vous envoyer des signaux. Il suffit d’une coïncidence et vous voilà parti à chercher ce que cela peut bien vouloir dire. Pourquoi ceci, maintenant ? Quel est le lien secret qui relie des évènements distincts, ce lien qui passe par vous ?

C’est étrange, dit l’ange.

Aussitôt informée j’ai couru à Rosny sur Seine voir la nouvelle exposition à l’Hospice Saint-Charles. Le thème de l’ange décliné par un collectif de peintres qui se disent Réalistes Magiques, il y avait de quoi piquer la curiosité.
L’exposition s’intitule L’ange exquis, être ange, étrange. 33 artistes réunis autour du Français Lukas Kandl ont travaillé sur de grandes toiles de même format sur le principe des cadavres exquis. Vous vous rappelez ce jeu imaginé par les surréalistes, où chacun inventait un bout de phrase sans savoir ce que les autres avaient écrit avant ? Là les peintres participent à une oeuvre collective, une sorte de série autour de l’ange, en ignorant ce que font les autres artistes du collectif.
Le résultat est spectaculaire. Ca explose de couleurs. Ca fourmille de détails, dans une virtuosité picturale qui épate les signataires du livre d’or.
Et en même temps c’est une peinture qui dérange, dans sa façon de recycler des éléments connus pour en faire, quoi ? On ne comprend pas très bien en général. Est-ce qu’il faut chercher du sens dans la toile d’Ugo Levita ci-dessus ? Y a-t-il des clés, un message, comme dans les rêves, qu’il faudrait savoir décoder ?
Ce qu’il ne faut certainement pas chercher dans les tableaux présentés, c’est la vision religieuse de l’ange. Il est ici plus magique que sacré, prétexte au surnaturel, et voisine avec des licornes, des lions et des chiens ailés, tout un bestiaire de monstres qui transporte l’imaginaire hors du référentiel habituel.
Rien d’étonnant à cette disparition du religieux pour qui s’inscrit dans la logique de Jacques Prévert l’athée. Prévert fut l’un des premiers surréalistes à jouer aux cadavres exquis. L’exposition a placé son poème en exergue :

Être ange
c’est étrange
dit l’ange
Être âne
c’est étrâne
dit l’âne
Cela ne veut rien dire
dit l’ange en haussant les ailes
Pourtant
si étrange veut dire quelque chose
étrâne est plus étrange qu’étrange
dit l’âne
Étrange est
dit l’ange en tapant des pieds
Étranger vous-même
dit l’âne
Et il s’envole.

Un petit bijou, n’est-ce pas ? On ne se lasse pas de le relire, emporté par ce délicat humour de l’absurde. Je ne sais pas si comme moi vous êtes tombé dans la marmite de Prévert étant petit, mais j’ai l’impression d’en avoir lu tant et tant que je suis surprise quand je découvre un de ses poèmes que je ne connaissais pas. C’est ce qui s’est passé cette semaine grâce à mon écolier. Et voilà que le même poème que j’ai ignoré pendant des années se manifeste deux fois en deux jours !
C’est étrâne, peut-être…

Hommage à Monet

Cave d'arts Saviez-vous que Monet était un « Serial Painter » ? L’artiste haut-normand Gérard Crépel l’a représenté debout devant la cathédrale de Rouen, un monument que Monet a immortalisé dans une série célèbre. Dans son poing serré, il tient un couteau de peintre qui dégouline de peinture rouge. Sur son ventre bedonnant, un maillot blanc porte l’inscription M THE SERIAL PAINTER. « C’est un maître… raison de plus pour le traiter légèrement », commente l’artiste.
Une exposition d’art contemporain en hommage à Claude Monet se tient jusqu’au 28 octobre à la Cave d’Arts de Louviers (rue du Quai, tout près de l’église) : occasion unique de découvrir quel regard les plasticiens d’aujourd’hui portent sur leur illustre prédécesseur.
Ils ont été 25 à se prêter au jeu à travers leurs dessins, peintures, sculptures, gravures, photos et vidéos.
L’intérêt de l’art contemporain est qu’il ne se résume pas à quelque chose d’agréable à contempler (ce qu’il peut être aussi, évidemment) mais qu’il induit une réflexion. C’est le spectateur qui finit l’oeuvre par le regard qu’il lui consacre.
Chaque artiste a choisi un angle, une approche. Pour l’un c’est le jeu des couleurs, pour l’autre la solitude de l’artiste incompris, pour le troisième c’est son jardin… On navigue d’une toile à l’autre en cherchant le lien avec Monet, la réflexion sur le métier de peintre. Quelquefois il se dérobe au premier abord pour mieux se livrer ensuite.
Quand nous avons changé de monnaie pour passer à l’euro, les billets en francs ont été détruits par la Banque de France. Ils étaient pleins de couleurs, vous rappelez-vous ? Bernadette Delrieu a demandé l’autorisation de récupérer les minuscules fragments qui sont sortis des déchiqueteuses. Elle les a patiemment collés en petits tableaux, les utilisant comme des traits de crayon. La série qui en est résultée évoque les reflets du bassin, les herbes, les saules… Elle interroge sur la valeur de l’art. Les billets démonétisés ont perdu leur valeur pour redevenir du papier coloré. L’artiste leur rend de la valeur en les transformant en oeuvre d’art. Derrière chaque coup de pinceau de Monet se cache aussi une valeur liée à la cote du peintre. Monet, monnaie, money…
Impossible d’évoquer toutes les interprétations, tous les détournements opérés par les 25 artistes. C’est décapant, émouvant, interpellant… Un grand souffle de jeunesse et de nouveauté inspiré par le maître de la lumière.

Le Musée nationale de la Céramique de Sèvres

Vase monumental, Musée nationale de la Céramique de SèvresDe quelle couleur est ce vase ? Il vous paraît rose, n’est-ce pas ? Mais peut-être que, si vous allez le voir au musée national de la céramique à Sèvres, vous aurez l’impression qu’il tire plutôt sur le vert.
Cet énorme objet de plus d’un mètre de haut a été fabriqué dans la manufacture de Sèvres en 1883, en porcelaine dure dite « pâte changeante » : quand on le regarde à la lumière électrique, le vase est rose, tandis qu’il est vert céladon en éclairage naturel.
Ce fleuron de la manufacture accueille les visiteurs du musée à l’entrée des collections de porcelaine, et c’est un festival étourdissant de tout ce qui s’est fait de plus raffiné en la matière depuis plusieurs siècles, dans une débauche de décors minutieux et de dorures.
On doit à Louis XIV d’avoir imposé la faïence sur les tables des nobles, qui ne juraient auparavant que par la vaisselle d’orfèvrerie. Le métal précieux a trouvé un meilleur usage dans les coffres royaux… pour le plus grand bonheur des manufactures de faïences, qui connaissent dès le début du 18e siècle un essor sans précédent. De Marseille à Rouen et à Strasbourg, la vaisselle se pare de délicats motifs de fleurs, surtout des roses et des tulipes.
Sèvres est une manufacture de porcelaine créée plus tardivement, par Louis XV : vers 1770, on perce enfin le secret des porcelaines chinoises si fines et translucides, composées de kaolin, de quartz et de feldspath.

La manufacture de Sèvres fonctionne toujours, mais sa production est réservée à une élite capable de s’offrir des pièces de vaisselle dont les prix s’expriment avec trois ou quatre chiffres.
Beaucoup plus abordable, l’entrée au musée voisin permet de découvrir les différentes productions de céramiques à travers le globe, des grès japonais aux carreaux islamiques, des pavés de terre cuite aux statues religieuses.
Il faut moins d’une heure pour se rendre de Giverny à Sèvres. Le musée est situé tout près de la sortie du tunnel de Saint-Cloud au bout de l’autoroute de Normandie, l’A13. Il suffit de prendre la sortie Boulogne-Billancourt et de longer la Seine vers la droite sans la traverser.

Sur les traces Vikings

Expo Viking au musée de la Tapisserie de BayeuxTout le monde sait ce que veut dire tarabiscoté, mais savez-vous ce qu’est un tarabiscot ?
Je l’ai appris hier en visitant l’exposition que le musée de la Tapisserie de Bayeux consacre aux Vikings, jusqu’au 2 mai 2007.
C’est un outil de menuiserie qui sert à creuser des tarabiscots ! Car les tarabiscots désignent aussi les rainures que l’on fait avec l’outil du même nom, de petites rainures qui séparent deux éléments d’une moulure. Autant dire que lorsqu’on les multiplie, ces rainures et ces moulures, on obtient un style très tarabiscoté !
Ce n’était pas l’objectif des Vikings, mais ils utilisaient l’outil pour fabriquer leurs bateaux à clins, les langskips (drakkar vient de dragon et ne désigne que la figure de proue, qui était amovible et que les guerriers venus du Nord mettaient en place au moment d’accoster seulement).
La Tapisserie de Bayeux présente de nombreux objets en usage vers 1066, date de l’évènement qu’elle relate, la Conquête de l’Angleterre par Guillaume, duc de Normandie. L’idée de cette expo est de montrer un certain nombre de ces objets « en vrai », en les rapprochant des scènes où ils figurent. L’effet est saisissant, surtout quand il ne s’agit pas de reproductions mais d’authentiques pièces du 11e siècle en provenance du Danemark.
On voit ainsi un gouvernail de bois, grand comme un homme, de la forme exacte de sa réplique sur la Tapisserie, miraculeusement préservé dans une tourbière depuis mille ans. Un reliquaire d’or, semblable à celui sur lequel Harold prête serment. Des outils, des vêtements, des parures… Et deux fibules qui servaient à fixer le vêtement des femmes, trouvées lors de fouilles à Pîtres, dans l’Eure. Elles sont ornées d’entrelacs typiquement Vikings. Un style, comment dirai-je ? Oui, un peu tarabiscoté…

Correspondance d’artiste

Correspondance d ArtisteC’est un véritable trésor : plus de mille lettres, adressées à Monet entre 1879 et 1925 vont être dispersées dans une vente aux enchères après-demain. La vente aura lieu aux Champs Elysées à Paris, elle est organisée par Artcurial. Jusqu’à demain soir, on peut voir cette fabuleuse collection d’autographes à l’hôtel Dassault.
C’est comme si on lisait par dessus l’épaule de Monet.
Beaucoup de ses amis sont là : les critiques Geoffroy (260 lettres) et Mirbeau (145 lettres), les peintres impressionnistes Caillebotte, Cézanne, Renoir, Manet, Morisot, Sisley, Degas.
On retrouve aussi des amateurs, des médecins, des écrivains tels que Maupassant ou Guitry.
Mais le plus émouvant peut-être, c’est l’extraordinaire soutien que manifeste le marchand de Monet, Paul Durand-Ruel (250 lettres). Inlassablement, il l’encourage au travail, lui envoie de l’argent, sauf quand il n’a plus rien lui-même. « Je suis absolument sans argent comme vous. Je vous envoie donc ce soir seulement 50 Francs pour partager avec vous ce qui me reste. »
Voilà qui tombe mal : Monet est en train de s’installer à Giverny. Les lettres signées de Monet à son marchand sont absentes, mais elles sont publiées depuis longtemps. C’est donc un dialogue en filigrane que l’on entend. Année après année, Durand-Ruel croit en Monet envers et contre tout, avec une détermination admirable.

Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

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