Buis

buisLe muguet a son heure de gloire le 1er mai. Le buis, qui n’a pas l’avantage de fleurir opportunément et de façon spectaculaire, est néanmoins à la fête une fois par an.
Le Buxus sempervirens le doit à sa marque distinctive d’être toujours vert.
Pourquoi a-t-il été choisi pour représenter les Rameaux, et pas le lierre ou le houx ? Pour quelque raison mystérieuse qui dépend de la tradition régionale, le laurier, l’olivier ou le saule lui sont préférés ailleurs, mais dans le nord de la France c’est le buis qui a cet honneur.
En Normandie il n’est pas rare de voir dans les maisons des petits brins de buis glissés sous les crucifix. L’usage veut qu’on en place à la tête de chaque lit. On les conserve pendant onze mois jusqu’au mercredi des Cendres, le premier jour du Carême suivant, pour les brûler et en faire les cendres bénites.

Le buis sauvage est abondant dans les sous-bois de la vallée de la Seine. A la Roche-Guyon il forme des taillis, il pousse en arbres de plusieurs mètres de haut.
Tronc grêle, allure dégingandée informe, feuillage peu dense aux feuilles minuscules, ce pas beau à l’état sauvage devient sculptural dans les jardins, grâce à la magie de la taille. Il n’a pas son pareil pour se transformer en cône, en boule ou en martien, quand les sécateurs affûtés le façonnent au gré de l’inspiration.

Annonciation

Annonciation, musée de Vernon Scène de l’Annonciation, poteau cornier du musée de Vernon. 15ème siècle

Regardez la bouche ouverte et les yeux écarquillés de Marie. Rarement les Annonciations mettent à ce point en scène le saisissement.
Qu’était en train de faire la Vierge, contre ce meuble à l’usage indéfinissable que l’on aperçoit à droite ? Était-elle occupée à son ouvrage, comme on aimait la représenter au Moyen-Âge, ou à une pieuse lecture, comme on l’imagine plus tardivement ? Ce qui est certain c’est que Marie ne s’attendait pas à une apparition surnaturelle. Et voici qu’elle entend une voix d’ange…
Le phylactère portant les paroles de l’archange Gabriel est visible au niveau de son oreille. Mais l’ange, elle ne le voit pas.
Ce n’est pas tout à fait conforme aux textes, puisque l’ange, est-il précisé, parut à Marie. Mais quelle habileté dans cette utilisation du poteau cornier ! Marie se trouve sur un côté du poteau, l’ange de l’autre. Ils ne peuvent se voir. L’angle matérialise la frontière entre l’humain et le surnaturel. Ce n’est pas une barrière. Rien qu’un angle, une question de point de vue.
Annonciation, musée de VernonDans les représentations de l’Annonciation on retrouve très souvent un objet pour marquer cette frontière : une colonne, un vase, le bord d’un meuble… Ici l’artiste s’est servi du relief du poteau cornier.
Marie ne peut voir l’ange de l’autre côté du poteau, mais en nous plaçant face à cet angle nous pouvons embrasser d’un coup d’oeil les deux personnages. Nous avons alors un point de vue qu’on pourrait imaginer être celui de Dieu, qui voit aussi bien le rationnel que l’irrationnel. Comme si l’artiste nous donnait à voir qu’il faut dépasser ce que nos sens perçoivent pour entrer dans une dimension divine.

Le moulin de César Franck

portailJ’ai fini par trouver le moulin de César Franck à Vétheuil.
Vétheuil, ce village au bord de la Seine entre Vernon et Mantes-la-Jolie, a abrité un grand nombre de personnes célèbres, même si la gloire de Monet, le plus fameux de ses résidents, fait un peu d’ombre aux autres.
C’est une Vétheuillaise qui m’avait passé l’info : au bout de la rue des fraîches femmes, un moulin avait appartenu à César Franck.
Un moulin ! Je me suis bêtement imaginé que c’était un moulin sur la Seine, et je l’ai cherché au bord du fleuve, avant de revenir sur mes pas et de le découvrir un peu plus haut, sa roue mue par un ruisselet qui dévale la colline.
De mémoire de Vétheuillais, donc, César Franck a résidé dans cette propriété. Il n’est pas fait mention d’un quelconque séjour du célèbre organiste et compositeur du 19ème siècle à Vétheuil dans les biographies que l’on peut trouver sur internet, le fait a dû sembler trop insignifiant. Ce qu’il n’est pas pour les habitants de Vétheuil, cela va de soi.
J’aime à penser que cette retraite s’est révélée aussi féconde pour César que pour Claude, que l’inspiration lui est venue à contempler le flot qui coule, à écouter chanter les oiseaux du ciel.
La propriété a dû être belle, elle conserve des traces de parc à l’ancienne, buis, grands arbres, et ce portail un peu solennel pour un village campagnard, pour un simple moulin. Désertée par son célèbre propriétaire, un peu laissée à l’abandon par ceux d’aujourd’hui elle a un je ne sais quoi qui flotte de mystérieux et de recueilli, tout au bout de ce chemin creux nommé rue des fraîches femmes. Je me demande bien ce que ce nom veut dire.

Esther et Rommel

Tapisserie d'Esther, la Roche-Guyon, détailUne magnifique suite de tapisseries des Gobelins orne le grand salon du château de la Roche-Guyon.
Ces tapisseries représentent l’histoire d’Esther, une jeune femme juive dont s’éprit le roi des Perses et qui sauva son peuple d’un génocide grâce à l’influence qu’elle exerça sur son époux.
L’histoire est tirée de la Bible et elle a connu un succès certain depuis le Moyen-Âge, Racine en a même fait une tragédie.
C’est la duchesse d’Enville, femme intelligente et cultivée, qui a fait réaliser ces tapisseries en 1769. Féministe avant l’heure, il n’est pas surprenant qu’elle ait privilégié une histoire qui met en valeur un personnage féminin.
Ce qui est plus étonnant, c’est la suite. En 1944, Rommel occupe le château de la Roche-Guyon. Le maréchal allemand installe son bureau dans le grand salon, juste devant les tapisseries. Que va-t-il faire de ces immenses tentures de plus de trois mètres de côté à la gloire d’une héroïne juive ?
Eh bien justement, il ne fait rien. Les tapisseries d’Esther restent en bonne place tout autour du bureau de Rommel, des photos en témoignent. C’est quasi surréaliste.
Très certainement Rommel savait parfaitement ce que racontaient les tapisseries.

L’usage d’un faux

C’était au départ un beau projet scientifique : le musée Wallraf-Richartz de Cologne a décidé d’étudier soixante-dix de ses oeuvres impressionnistes majeures avec les moyens dont la recherche dispose aujourd’hui, infrarouges et ultraviolets, rayons X, analyses microscopiques… L’objectif était de mieux comprendre ces tableaux et de préparer une exposition sur la technique des impressionnistes.
Mais c’était ouvrir la boîte de Pandore. Les conservatrices ont eu plusieurs surprises au cours de leurs enquêtes. La plus amère a été de s’apercevoir que le musée présentait parmi ses collections un authentique faux Monet.
Bords de la Seine à Port-Villez a fait illusion pendant près de 90 ans, mais c’est un faux, le doute n’est plus permis. Trois preuves viennent confirmer cette triste conclusion : on a découvert sous la peinture un dessin préparatoire, alors que Monet peignait directement sur la toile. La signature a été recommencée deux fois – pas le genre de Monet de rater son nom. Pire, un vernis vieillisseur a été détecté à la surface du tableau.
Et l’on comprend comment s’y est pris le faussaire pour tromper son monde. Il a utilisé à son profit l’habitude de Monet de peindre par série. Il lui a « suffi » de reprendre un cadrage du peintre et d’inventer une nouvelle toile de la même série.
C’est un coup dur pour le musée, c’est clair. Mais les responsables ont pris le parti de faire contre mauvaise fortune bon coeur. Car la découverte de ce faux qui a grugé si longtemps les meilleurs spécialistes – Daniel Wildenstein, l’auteur du catalogue raisonné de Monet, s’y est comme les autres laissé prendre – est la démonstration de l’excellence des méthodes actuelles d’authentification des tableaux.
Le musée a donc mis en scène ce faux, qui a de quoi aiguiser la curiosité des visiteurs. L’exposition Impressionnisme : comment la lumière s’est posée sur l’écran ouverte depuis quelques jours l’a mis en bonne place. Après tout, beaucoup de musées possèdent des Monet, mais des faux Monet dûment dévoilés, voilà qui est plus rare. Il ne serait pas étonnant que celui-ci devienne un des must du musée de Cologne. Car le faussaire, qui travaillait du vivant de Monet, avant 1920, a fait preuve d’un certain talent dans la falsification pour rester indécelé si longtemps.

Bords de Seine

Berges de la Seine aux AndelysSoit un fleuve bordé à intervalles réguliers de petites bourgades de province. Toutes disposent de rues le long de la rivière. Qu’est-ce qui fait que dans certaines de ces petites villes, on a irrésistiblement envie d’aller se promener sur les quais, tandis que dans d’autres les voies le long des berges manquent de charme ?
Je me le demande, alors qu’à Vernon les quais de Seine font l’objet de programmes d’aménagement depuis plusieurs années et qu’en dépit de ces efforts ils peinent toujours à être véritablement attractifs.
Pour trouver ce qui cloche encore, malgré le détournement du trafic ou la plantation de vernes, Vernon oblige, il faut aller voir du côté des villes où les berges ont ce je ne sais quoi qui retient les passants.
C’est le cas aux Andelys. Quelle est la formule magique ?
Circulation quasi inexistante dans la petite rue qui a des airs de route de campagne plutôt que de voie urbaine. Le piéton, sécurisé, a tout loisir d’admirer le cadre naturel magnifique : le fleuve, les falaises de craie, la verdure sur l’autre rive. L’aménagement n’en fait pas des tonnes. Les quais descendent en pente douce par des prairies jusqu’à la Seine, pas de béton ni de grillage.
Surtout, la curiosité est maintenue en éveil par la succession de maisons anciennes qui bordent le fleuve, belles bâtisses parfois vieilles de plusieurs siècles qui donnent du cachet à la berge.
Qu’en est-il à Vernon ? Dans l’enthousiasme de l’après-guerre on a construit de belles barres d’immeubles le long du fleuve. Aujourd’hui elles ont cessé de faire moderne, à peu près tout le monde s’accorde à les trouver, euh, moches.
Difficile de remédier à leur laideur. Il va falloir patienter encore un peu, le temps qu’elles aient fait leur temps.

Tout frais tout neuf

Jardin de MonetLa maison et les jardins de Monet à Giverny rouvriront dans trois semaines, le mardi premier avril. Ce jour-là, le domaine du maître impressionniste va se réveiller après un sommeil hivernal de cinq mois.
Voici l’aspect du jardin auquel on peut s’attendre à l’ouverture. Des coulées de narcisses à travers des pelouses bien vertes, des tapis de pensées et de pâquerettes éclatants de couleurs, des jacinthes parfumées, des fritillaires intrigantes, les premières tulipes qui pointent dans des parterres bêchés de frais…
Les bancs, tout le jardin tout neuf a l’air d’attendre ses premiers visiteurs.

Ceux qui viendront dès le premier jour aiment les commencements, la plage au mois de juin, l’aurore plutôt que le crépuscule, la neige vierge, les cahiers neufs… Ils aiment se lever à l’heure où tout le monde dort encore, sauf les oiseaux.
Ils seront les premiers cette année à marcher dans les allées bien ratissées, à passer sous la tonnelle du pont japonais où la glycine sera tout en bourgeons.
Le saule, toujours précurseur des autres arbres, balancera ses longues branches emplumées de vert tendre.
A la surface du bassin les nénuphars n’auront pas encore réagi à la nouvelle douceur de l’air.
En avance de quelques jours sur les hirondelles qui laboureront bientôt le ciel normand de leurs socs pointus, les premiers visiteurs allongeront leurs reflets à la surface de l’eau, comme un signal à l’attention des nymphéas.
A Giverny, ce sont les promeneurs qui font le printemps.

Giverny

GivernyLa maison de Claude Monet à Giverny est une leçon de perspective.
Comme deux arbres sont plantés à quelques mètres du perron principal, il n’est pas facile d’avoir une vue d’ensemble de l’édifice. La masse sombre des ifs tronçonne la maison dans sa partie médiane, empêchant de saisir d’un coup d’oeil la silhouette du bâtiment.
Si on veut photographier la maison de Monet ou la peindre en gros plan, on est obligé de se placer de côté. Les lignes parallèles de l’arête du toit, de la gouttière, du rosier grimpant et du sol convergent alors vers un même point. L’impression de lignes de fuite est renforcée par la longueur importante du bâtiment et la nécessité de se tenir à proximité. En effet, il faut rester dans l’allée, pas question d’aller prendre un peu de recul dans les plates-bandes amoureusement entretenues par les jardiniers.
Tout porte à croire que cet effet a été recherché par Monet. L’installation de la pergola, la plantation de la vigne vierge, les couleurs mêmes qu’il a choisies pour la façade et les volets montrent qu’il souhaitait que le bâtiment se fonde dans le jardin. Imaginons qu’on supprime les ifs, la maison se dresserait à l’arrière-plan, barrant l’horizon de toute sa raideur géométrique.

Ville verte

Vernon et la forêt de Vernon vues depuis la tour des archivesLa ville de Vernon est plus étendue que celle de Rouen ! J’ai découvert cette information assez surprenante sous la plume de son ancien maire, Georges Azémia, sans doute bien placé pour être au fait des chiffres : Vernon a une superficie de 3206 hectares, contre seulement 2138 hectares pour Rouen.
Bien sûr, c’est triché. Car on a inclus dans le calcul de la superficie de Vernon deux des forêts qui la bordent, la forêt de Bizy et la forêt de Vernon.
Vous voyez la colline couverte d’arbres à l’arrière-plan de la photo ? Prétendre que c’est la ville de Vernon, évidemment, c’est un peu excessif.
Mais en même temps, englober ces espaces verts dans le total de la superficie de la ville, c’est affirmer le vert présent dans son Vert-Nom et dans sa devise, Vernon toujours vert.
Les exclure, cela aurait été un peu faux aussi, non ?

Maire de la Reconstruction

Immeubles de la Reconstruction, Vernon, Normandie
Sans vouloir minimiser les responsabilités et les enjeux auxquels sont confrontés les maires d’aujourd’hui et ceux qui prendront leurs fonctions dans quelques jours, il est des premiers magistrats qui ont dû faire face à une tâche colossale, une oeuvre dictée par des circonstances qui, souhaitons-le, ne se reproduiront pas : ce sont les maires de la Reconstruction.
En Normandie de nombreuses villes ont été en grande partie détruites par les bombes et l’incendie pendant la seconde Guerre Mondiale. Vernon est de celles-ci.
Après la Libération est venu le temps de la Reconstruction. Elle était pilotée par l’Etat, mais les élus avaient leur mot à dire.
Une ville à rebâtir, pas moins. Comment s’y prend-on ? De quels facteurs faut-il tenir compte ? Comment construire pour l’avenir, prévoir les besoins futurs ?
La société savante de Vernon, le Cercle d’Etudes Vernonnais, a publié dans son dernier bulletin un document exceptionnel, une pépite : un long article daté de 1966 écrit par Georges Azémia, maire de Vernon de 1946 à 1983, et paru à l’époque dans la revue Réalisations du bâtiment et des travaux publics.
Malgré le titre assez rébarbatif de cette publication, il a la plume chaleureuse, Azémia, le ton amical de quelqu’un qui écrit à un ami, genre la Reconstruction expliquée à ma fille.

« Quel serait l’avenir de la ville ? L’optique du moment n’était pas favorable aux larges visions. Une évolution démographique se dessinait. En haut lieu et partout, on la considérait comme passagère, séquelle de la guerre, des retrouvailles… alors qu’elle allait être un phénomène constant. »

Depuis 1946 la population de Vernon a plus que doublé. A force de lire l’Histoire après coup on oublie qu’elle n’allait pas de soi pour ceux qui la vivaient.
On oublie aussi la somme de décisions qu’il a fallu prendre pour donner à la ville son visage actuel. Créer un quartier ici, ouvrir des voies, penser aux équipements, aux commerces… Le récit d’Azémia a tout de Sim City, ce jeu de simulation où vous devez bâtir une ville… sans rien oublier. Mais pour le maire de la Reconstruction il s’agit d’urbanisme grandeur réelle qui conditionne l’avenir de toute une population. Des concitoyens impatients de quitter les baraquements pour de vrais logements, d’avoir l’eau courante et l’électricité, des écoles pour y envoyer les enfants, un lycée, un hôpital, une piscine…

Ce fut vraiment une époque exaltante où la décision s’imposait rapide afin de concilier la vie quotidienne et assurer l’avenir.

Mettez-vous un instant à sa place. Vous devez, par exemple, décider si vous voulez des rues larges ou étroites dans le centre ville.

Les concevoir larges était une erreur, disait-on. Des villages, reconstruits après 1914, étaient cités en exemple. Le commerce avait diminué, il n’y avait plus d’intensité de vie. Là encore il faut se plonger dans le climat du temps. Les problèmes de circulation et de stationnement ne se posaient pas car le parc automobile était assez restreint et l’essence était attribuée contre remise de bons délivrés avec parcimonie. (…) Les plus audacieux ne prévoyaient pas un pareil développement de la circulation.

Et Azémia écrit il y a plus de quarante ans ! Avec le recul, il a des regrets, comme celui de n’avoir pas fait les rues tout à fait assez larges. Mais il est le premier à s’en dédouaner :

Tout cela appartient au passé et les hommes ont droit à l’erreur.

L’oeuvre sans doute est imparfaite mais le pari est gagné. Comme un enfant qui se révèle différent de ce qu’on a rêvé Vernon est renée de ses cendres et s’est développée. Elle a ses défauts, bien sûr, mais j’aime en me promenant dans ses rues sentir derrière tout ce qui paraît si évident aujourd’hui, dans la disposition des pâtés de maison, le choix des matériaux pour les façades, toute la chaleur de ces hommes de la Reconstruction qui ont donné de leur temps et de leur énergie jusqu’au surmenage pour recréer leur ville.

Musée d’Art Américain Giverny : expos 2008

Musée d'Art Américain GivernyLe Musée d’Art Américain rouvrira ses portes le 1er avril prochain avec deux belles expositions : « le temps des loisirs », déjà présente l’année dernière, qui restera à l’affiche pendant toute la saison et « portrait of a lady » à voir jusqu’au 14 juillet 2008.
Le temps des loisirs propose un parcours à travers l’histoire de l’art américain à partir d’oeuvres de la Terra Foundation for American Art. Le thème retenu, les loisirs, est décliné depuis le 18ème siècle, lorsque le loisir se résumait à une brève interruption dans le travail, à la faveur du passage d’un musicien ambulant par exemple, jusqu’au 20ème siècle et à l’invention des loisirs de masse caractérisés par l’image de plages bondées. Dans l’intervalle, au 19ème siècle, les loisirs sont devenus l’apanage d’une bourgeoisie aisée qui marque par son oisiveté l’accession à un rang social élevé.
Cette évolution sociologique se révèle dans les sujets des tableaux sélectionnés, le parcours chronologique faisant apparaître en parallèle l’évolution de l’art pictural aux Etats-Unis sur une période de deux siècles.

Portrait grisL’exposition Portrait of a lady (portrait de dame) proposée en même temps ce printemps au MAAG se focalise sur une période de temps beaucoup plus courte : des années 1870 à la Première Guerre Mondiale, c’est-à-dire à peu de choses près la période où Giverny était une colonie d’artistes américains.
Les 35 peintres et photographes qui ont été sélectionnés pour cette exposition ont tous plusieurs points communs : ils sont Américains, leurs oeuvres appartiennent à des collections françaises, elles ont pour sujet principal une femme.
Il est assez étonnant de voir à quel point les musées français regorgent d’oeuvres d’artistes américains, achetées par l’Etat, données par les artistes eux-mêmes pour leur promotion ou léguées par des particuliers. Une étude financée par la Terra Foundation a permis de les recenser tous. Les portraits féminins y figurent en bonne place.
Sous les pinceaux américains, devant l’objectif, c’est une femme élégante et idéalisée qui apparaît, une beauté sublime et gracieuse qui contraste avec l’image plus sensuelle de la femme offerte à la même époque par les peintres français.

Ci-dessus : John White Alexander Portrait gris dit aussi La Femme en gris, vers 1893. Huile sur toile, 190 x 90 cm Paris, musée d’Orsay ©Photo RMN / Hervé Lewandowski

Bardeau

toit de bardeauAu château de la Roche-Guyon, le petit bâtiment qui abrite l’escalier d’honneur ressemble à une chapelle. L’escalier qui mène au donjon permet de l’observer depuis le dessus.
Un joli toit un peu rustique, n’est-ce pas ? Il est composé de petites planchettes de bois, des bardeaux.
Pourquoi ne pas l’avoir fait en tuiles ou en ardoises, matériaux plus « nobles » qui paraîtraient mieux convenir à un château ?
Parce qu’on n’en finirait pas d’avoir des tuiles ou des ardoises cassées. Placée au pied de la falaise, le bâtiment est exposé aux chutes de petits bouts de pierres. Avec son toit en bois, il ne risque rien. Les cailloux rebondissent sur le bardeau et finissent leur chute en roulant tranquillement dans la cour.
A la Roche-Guyon toutes les maisons construites à proximité de la falaise ont des toits de bardeaux.

Humour noir

porte blindée avec judas Un visiteur du château de la Roche-Guyon a remarqué la ressemblance entre les portes blindées munies de judas qui protègent l’accès du donjon et… les entrées bien gardées des boîtes de nuit ! Il lui a suffit de ramasser un bout de craie détaché de la falaise pour écrire sur la porte la précision qui manquait :

BOITE DE NUIT
TENUE CORRECTE EXIGEE

Concentrée sur l’aspect médiéval du château, je n’ai rien remarqué quand j’ai fait la visite et pris la photo. Ce n’est que face à l’écran que j’ai découvert cette légende au savoureux humour noir.
Après être passée à côté en gravissant puis en redescendant les quelque 250 marches qui mènent à la tour, c’était vraiment avoir l’esprit de l’escalier.

Sourire

Photo AFPÇa s’est passé hier à Zurich. Deux des tableaux volés la semaine dernière ont été retrouvés : le van Gogh et le Monet.
Il manque encore le Cézanne et le Degas, mais tout de même, quelle joie de récupérer ces deux-là.
Regardez le sourire radieux du porte-parole de la police de Zurich, M. Cortesi, pendant la conférence de presse. Il y a des jours qui comptent dans la vie d’un représentant des forces de l’ordre.
Et derrière lui, les deux oeuvres magiques aux formats identiques se répondent, le gros plan et le paysage.
Il se chuchote qu’ils ne seraient réapparus que contre compensation… Si c’est vrai, le secret est bien gardé dans un coffre suisse. C’est peut-être mieux de ne pas savoir.
Souhaitons un prochain épilogue aussi heureux pour les deux autres tableaux.

Passage secret

passage secretOn croirait se trouver dans les entrailles d’un monstre.
A la Roche-Guyon, le château situé au bord de la Seine est relié à son donjon en haut de la falaise par un passage secret. Un incroyable escalier s’enfonce dans l’épaisseur du roc.
Les bâtisseurs ont réalisé un exploit, mais un exploit relatif : la pierre est assez tendre à la Roche-Guyon, c’est un genre de craie entrecoupée de rangées de silex. Depuis toujours on a exploité cette possibilité de la creuser facilement. Le village était à l’origine entièrement troglodytique, il compte encore beaucoup de cavités, qu’on nomme ici des boves.
La visite du château de la Roche-Guyon est passionnante, il y a tant à voir qu’on ne peut tout parcourir en une fois. Pourtant, il faut garder un peu de place pour le dessert.
La montée au donjon, c’est vraiment quelque chose d’extraordinaire. Elle demande un peu de condition physique : plus de 150 marches très hautes, 40 cm pour certaines. Mais quelle sensation étonnante de se trouver dans ce boyau tout blanc de craie, bouché au 18ème siècle et redécouvert au 20ème ! Et quelle récompense au sommet, avec la vue qui se déploie sur le village, la boucle de la Seine et se perd à l’horizon dans la brume…
Il n’y a plus de guetteurs au château de la Roche-Guyon. Mais un gardien surveille le donjon et les visiteurs qui s’y trouvent. Autant dire qu’il s’avale quelques milliers de marches toutes les semaines, à la montée et pire, à la descente.
Ce métier, ça vous fait des mollets de cycliste et un coeur d’alpiniste.

Tour Saint-Martin

La Tour Saint-Martin à Mantes-la-Jolie, FranceIl y a des tours d’enceintes moyenâgeuses qui font les faraudes sous les feux de la rampe tous les soirs, enfilées comme des perles le long d’un rempart caressé par les projecteurs. Des monuments choyés, bichonnés et pomponnés, habilement restaurés par des entreprises hautement qualifiées.
Et puis il y a les tours oubliées au fond des cours, toutes monuments historiques qu’elles soient.
C’est une surprise délicate pour le promeneur de découvrir par hasard l’une de ces vieilles dames endormie dans son coin. Elle a l’air de s’être trompée d’époque. Elle se demande peut-être ce qu’elle fait là, dans ce parking réservé à la clientèle. Pour le passant, c’est l’irruption d’un témoin d’un autre âge dans notre monde actuel, une impression qui peut être plus forte que devant un monument soigneusement mis en valeur qui a toujours un petit côté déco.

A Mantes-la-Jolie, la tour Saint-Martin défie le temps dans une arrière-cour à l’écart des flux touristiques. Elle semble à l’abandon, mais elle n’est pas ignorée pour autant, un panneau explicatif renseigne le promeneur qui aurait l’idée de diriger ses pas de ce côté, peut-être en suivant l’itinéraire de la promenade Saint-Maclou proposée par la ville.
Autrefois la tour faisait partie des remparts qui protégeaient les habitants de Mantes, elle gardait la Porte aux Saints voisine et le prieuré Saint-Martin qui lui a donné son nom. Elle date du 15ème siècle.
Pourquoi, quand on a démantelé l’enceinte, a-t-on conservé cette tour ? Mystère !
Le palimpseste n’a pas été tout à fait gratté, il reste des traces déchiffrables qui nous rappellent que nous ne sommes pas les premiers à marcher à cet endroit.
Si cela pouvait nous aider à nous souvenir que nous ne serons pas les derniers non plus…

Vol de tableau

Coquelicots près de Vétheuil, Claude MonetLa fondation Bührle l’appelle les Coquelicots près de Vétheuil. Ce tableau de Claude Monet a été volé dimanche.
J’avais déjà parlé de Champ de Coquelicots près de Vétheuil, et la nouvelle de sa disparition me choque et me peine.

Il y avait paraît-il quinze personnes encore présentes dans les salles du musée au moment où les gangsters ont fait irruption avec leurs visages masqués et leurs armes braquées. Cela a dû être un moment épouvantable à vivre. Un cauchemar éveillé.
Prenons-nous des risques à visiter les musées, comme nous en prenons tous les jours sans y penser en allant à la banque ou à la station service ? Toute l’année j’ai répété aux visiteurs qui regrettaient de ne voir que des reproductions chez Monet que cela valait mieux pour notre sécurité à tous. Pour le grand banditisme, nos vies ne valent pas cher face à une concentration de chefs d’oeuvre.

Si je suis peinée, c’est que voici une oeuvre soustraite à l’admiration du public. Elle vient de basculer de l’autre côté du miroir, seules quelques personnes peuvent la voir. Les toiles de maître dont la cote grimpe trop haut attisent les convoitises. Que va devenir celle-ci ? Les voleurs sauront-ils en prendre soin ? La reverra-t-on ? Finira-t-elle par être relâchée moyennant rançon, à la façon d’un otage ?
En attendant et jusqu’à nouvel ordre, le musée zurichois est fermé. Le site de la fondation Bührle reste néanmoins ouvert, avec sa visite virtuelle des salles.
Je me suis promenée de pièce en pièce à la recherche des Coquelicots de Monet. La toile se trouvait dans le salon de musique de cette villa du 19ème siècle, avec à ses côtés les trois autres oeuvres volées.
Ce n’est pas très étonnant que les voleurs se soient servis dans la même pièce. Mais voir « revivre » ces oeuvres dans leur accrochage d’avant le vol a quelque chose d’émouvant et navrant. Le panoramique permet de faire le tour de la salle, photographiée alors qu’elle était intacte. On voit le Monet, le Degas, le van Gogh, le Cézanne, tous côte à côte ou presque dans cette petite pièce.
On admire, on déplore, et tout à coup une pensée insidieuse, odieuse, fait surface. Les braqueurs ont-ils surfé sur ces mêmes images pour préparer leur coup ? Cette affaire relancera-t-elle le débat autour de l’opportunité de proposer des visites virtuelles ?

Le prix du beurre

La tour de Beurre, cathédrale de Rouen On avait eu la fracture sociale, puis l’insécurité, voici maintenant que le pouvoir d’achat est le préoccupation essentielle des Français. C’est du moins l’avis des médias qui excellent dans l’art de faire du neuf avec du vieux.
Le coût de la vie, n’est-ce pas une vieille rengaine ? Il y a déjà quelques années, je me souviens que la question du prix du beurre animait les repas de famille. C’était devenu un jeu de lancer le sujet et de voir combien de temps le débat allait durer.
Aujourd’hui leur porte-monnaie raplapla contraint les Français à se serrer la ceinture, et voyez comme les choses sont bien faites, on vient d’entrer en Carême mercredi dernier.
On n’a plus qu’une très vague idée de ce que ce mot recouvrait de privations pour les chrétiens d’avant le concile de Vatican II, jusque dans les années 1960, et de l’habileté qu’il fallait pour préparer un repas sans viande ni graisse animale ni oeuf ni lait.
Il y avait pourtant un moyen jadis, c’était de faire un don important à l’église, ce qui vous valait l’indulgence du clergé et vous autorisait à consommer des aliments interdits pendant le Carême. A Rouen on dit que c’est grâce à la gourmandise des bourgeois que la tour sud de la cathédrale a pu être bâtie. Ils désiraient tant continuer à savourer le bon beurre normand qu’ils payaient sans sourciller. La tour, en pierre un peu plus jaune que le reste de l’édifice, a gardé le nom de tour de Beurre.
Je me demande à combien pouvait bien leur revenir la plaquette de beurre alourdie de cette « taxe ». Cela devait en faire un produit affreusement luxueux pendant 40 jours.
Il faut croire que leur pouvoir d’achat ne devait pas trop préoccuper les riches Rouennais…

La rose du Paradis

Rosace cathédrale d'Evreux Une rose à chaque porte, c’est le raffinement des plus belles églises du Moyen-Age. A la cathédrale d’Evreux, le portail ouest et chaque bras du transept est orné de sa rosace.
La règle veut que les églises soient pointées vers l’Est, comme de grandes boussoles qui désigneraient la Terre Sainte. Elles ont la forme d’une croix. La partie la plus sacrée, le choeur, se trouve à l’Est. La plus profane, celle par où entrent les fidèles, à l’ouest.
Le transept, la branche « horizontale » de la croix formée par le plan de l’église, se retrouve orienté Nord-Sud, le Nord à gauche et le sud à droite quand on se place au pied de la croix, face à la porte ouest de l’église. (Il va de soi que cette règle d’orientation des églises souffre de nombreuses exceptions, c’est ce qui fait leur charme.)
Les bâtisseurs ont aimé représenter le Jugement dernier du côté où le soleil se couche, comme un symbole de la fin du monde. C’est une scène que l’on retrouve souvent au dessus de l’entrée, au tympan, ou alors dans la rose qui orne la façade ouest. A Evreux le Jugement dernier avec ses damnés et ses démons est carrément au Nord, c’est le thème de la rose Nord du transept.
En face de l’Enfer, la rosace qui lui fait pendant côté Sud a reçu le nom de rose du Paradis. Elle date de la fin du 15ème siècle, elle a été construite sous le règne de Louis XI. Il y a un quart de siècle, on pouvait encore admirer les couleurs pastels de ses magnifiques vitraux qui représentaient le couronnement de la Vierge. Malheureusement, les verrières ont été détruites en 1983 par un orage de grêle. Il ne reste que le réseau de pierre, d’une élégance parfaite.

Rempart

Rempart gallo-romain d'EvreuxAu musée d’Evreux, dans la salle consacrée à l’Antiquité, le mur lui-même est une pièce d’archéologie. C’est un morceau parfaitement conservé du rempart gallo-romain qui entourait le castrum, la partie fortifiée de la ville au 3ème siècle.
La ville d’Evreux a conscience de posséder là quelque chose d’unique en Normandie. Elle chérit son rempart gallo-romain, mis en valeur chaque fois que c’était possible, et qui a fait l’objet d’une publication qu’on peut se procurer au musée, le « Guide du rempart gallo-romain » d’Eric Follain.

Nous nous trouvons là de l’autre côté du mur qui borde le miroir d’eau, dont les deux faces nous sont ainsi données à voir de façon spectaculaire.
Ici, c’est l’intérieur de l’enceinte. Alors que la paroi extérieure est verticale, l’intérieur présente des retraits à mesure que l’on monte, le haut de la muraille étant moins large que le bas.
Le plus curieux ce sont ces énormes blocs de réemploi provenant de bâtiments détruits. On devine des tronçons de colonnes, des chapiteaux… Ils ont l’air posés un peu n’importe comment mais ce n’est qu’une apparence. « Le massif de fondation est installé avec le plus grand soin », note Eric Follain. Les blocs sont retaillés quand c’est nécessaire. L’aspect esthétique importe peu, car on ne les verra pas.
En effet les gallo-romains ont l’habitude d’appuyer un énorme talus de terre au mur d’enceinte, côté interne. Le sommet du talus sert de chemin de ronde à la garde, sa masse renforce la solidité du rempart.
Les blocs de pierre, les moellons de calcaires, les rangées de tuiles se sont bien conservés sous toute cette terre. On a même retrouvé les trous qui correspondaient aux boulins, ces pieux fichés dans la muraille qui servaient à supporter les échafaudages.
Les archéologues qui ont étudié le mur du musée d’Evreux ont pu observer les dépôts de poussières laissés par le piétinement des maçons et se convaincre que le travail avançait au rythme d’une hauteur de moellon par jour. Arriver à cette précision, pouvoir se rapprocher si près des gens qui ont bâti ce mur, voilà qui fait ressentir le frisson de l’Histoire…

Ebroïcien

Fresque gallo-romaine, EvreuxIl a le visage un peu penché de quelqu’un d’attentif, un regard plein d’intelligence, la bouche sur le point de parler. Cet homme aux cheveux gris vivait il y a dix-huit siècles, vers 250 ou 275 après J.C. dans une ville qui ne s’appelait pas encore Evreux mais Mediolanum.
Cet émouvant fragment de fresque gallo-romaine a été retrouvé en 1989 en plein centre ville, dans la très commerçante rue de la Harpe. C’est en dégageant une descente de cave que F. Gerber a découvert ces éléments de visage.
Ce « premier portrait d’un Ebroïcien » comme dit le cartel est entré au musée d’Evreux trois ans plus tard.
Quand ils ont envahi la Gaule les Romains ont amené avec eux toute leur civilisation : leurs dieux, leurs monuments, leurs routes, etc, mais aussi leurs techniques et leurs arts. C’est ainsi que les villas de Mediolanum se trouvaient décorées d’enduits peints à la mode de Rome, et les sols recouverts de mosaïques.
Ce raffinement n’a pas résisté aux vagues successives d’invasions qui ont ravagé la région. Les Barbares brûlaient tout sur leur passage. Pour s’en défendre les habitants de Mediolanum ont édifié le rempart gallo-romain dont il subsiste d’importants vestiges. Ils ont aussi pris la précaution d’enterrer leurs richesses, emportant parfois leur secret dans la tombe. Un énorme trésor datant du 4ème siècle ne devait refaire surface qu’en 1890.

Musée Flaubert, les enfants du secret

Musée Flaubert, expo les enfants du secretPour sa dernière exposition le musée Flaubert de Rouen s’est penché sur le drame des bébés abandonnés au 19ème siècle.
Pas forcément très réjouissant comme expo, mais c’était la triste réalité d’il n’y a pas si longtemps, à l’époque de Monet et Camille.
Quel rapport, me direz-vous, entre l’illustre écrivain rouennais Gustave Flaubert et les enfants trouvés ? C’est que papa Flaubert, qui répondait au doux prénom d’Achille-Cléophas, était le chirurgien chef de l’Hôtel-Dieu. Il habitait dans le pavillon où est installé le musée, qui est à la fois maison natale de Gustave Flaubert et musée de l’histoire de la médecine.
Les concepteurs de l’exposition qui se tient jusqu’au 14 juin 2008, Les enfants du secret, ont puisé dans les archives de l’hôpital pour faire revivre le destin tragique de ces petits êtres qui ont eu le tort de naître d’une mère qui ne pouvait les élever. A cause d’une étreinte souvent illégitime, à cause aussi de la trop grande pauvreté, ces malheureuses étaient obligées d’abandonner leur enfant.
On a conservé soigneusement les lettres qu’on trouvait souvent dans les langes des nouveaux-nés. Les mères ou parfois les pères qui les écrivaient avaient l’espoir de venir bientôt reprendre leur bébé, sitôt qu’ils auraient retrouvé du travail.
Certains de ces billets sont découpés de crans aux ciseaux de façon à s’emboîter dans l’autre bout du papier que la mère conservait. Ailleurs ce sont des rubans, des médailles qui servent de signes de reconnaissance. On appelle ces objets des remarques. Pour ces coeurs plein d’amour, c’était un moyen de croire que la séparation n’était pas définitive.
Le déchirement d’avoir à abandonner son enfant, c’est juste inimaginable. Comment se mettre à leur place ? Pour les comprendre il faudrait avoir connu la misère, le dénuement complet décrit par Zola.
En vérité ces retrouvailles chimériques se produisaient bien rarement. La plupart des enfants mouraient dans la première année.
A Rouen l’abandon d’enfant était une réalité tristement banale, jusqu’à plusieurs centaines par an. Une sorte de tambour était installée dans le mur de l’hôpital, la mère y déposait le bébé, faisait pivoter le tour et sonnait une cloche pour qu’on vienne rapidement chercher son enfant.
Plus tard on a eu l’idée de proposer du secours aux jeunes mamans sans ressources, ce qui a fait chuter le nombre d’abandons.

Le jardin de Claude Monet

Le jardin de Claude MonetQue c’est long, l’hiver. La douceur du printemps nous manque, la lumière plus vive, les jours plus longs, et les fleurs.
Pour tromper l’attente, comme d’autres feuillettent leurs photos de vacances, je regarde celles prises l’année dernière dans le jardin de Claude Monet, cet endroit merveilleux où je travaille, et qui est fermé pour deux mois encore, jusqu’au 31 mars.
Les groupes les plus prévoyants font déjà leurs réservations pour venir visiter Giverny à la prochaine saison. Pendant que nous prenons rendez-vous je me transpose mentalement à la date qu’ils m’indiquent, et c’est par anticipation une joie d’imaginer avril ou juin, la beauté du jardin, le bonheur de le faire découvrir, de se promener à nouveau dans la plus belle oeuvre de Monet…
Ceux qui me téléphonent doivent me trouver bien enthousiaste. Me manque aussi tout simplement de faire ce travail que j’aime, ces rencontres autour d’un sujet qui me tient à coeur.

Tour lanterne

Tour lanterne cathédrale d'Evreux Cathédrale d’Evreux, transept sud

Vous avez sous les yeux une merveilleuse invention des bâtisseurs de cathédrales normands, une trouvaille architecturale qui s’est répandue dans toute la Normandie. Evreux en offre un bel exemple mais ce n’est pas là qu’on l’a imaginée, elle existait depuis trois cents ans déjà.
Repérons-nous : à gauche on aperçoit le toit de la nef, à droite celui du choeur. Face à nous la rose rayonnante du transept, bras sud.
Juste au-dessus, soutenant la flèche, la voici, l’idée géniale : la tour lanterne, bâtie en 1465. Elle s’élève à la croisée du transept, à l’endroit où se rejoignent les deux branches de la croix que dessine l’église.
Les maîtres-maçons du Moyen-Âge ont imaginé d’ouvrir un puits de lumière à cet endroit plus sombre qu’ailleurs. Ils ont couronné la croisée d’un transept d’une tour percée de fenêtres qui vont chercher le jour très très haut, à 45 mètres du sol, et donnent un éclairage doux à l’entrée du choeur.
C’était une belle idée, et qui ne manquait pas d’audace : monter une tour au-dessus du vide, tout son poids soutenu par les quatre piliers des angles ! Mais les architectes connaissaient leur affaire. A Evreux, Rouen et ailleurs ils n’ont pas hésité à ajouter une flèche bien pesante au sommet de la tour lanterne, histoire de voir si on pouvait toucher les nuages.

Cocherel et Aristide Briand

Aristide BriandC’était une époque où les hommes politiques aimaient disposer d’une maison de campagne en Normandie, pas trop loin de Paris.
Clemenceau avait son château de Bernouville, près de Gisors. Aristide Briand a jeté son dévolu sur Cocherel.
On ne sait plus trop bien aujourd’hui qui était Aristide Briand. Pourtant il a fait preuve d’une grande longévité politique : de 1906, où il est ministre de Clemenceau, jusqu’en 1931 sous Laval, il a été, c’est un record, 20 fois ministre et 11 fois chef du gouvernement.
Accessoirement il a aussi assuré sept mandats de député. Mais ce n’est pas pour cela qu’il y a tant d’avenues qui portent son nom, c’est à cause de son engagement pacifiste dans l’entre-deux guerres qui lui a valu le prix Nobel de la Paix.
Il y croyait, à la paix, il a beaucoup oeuvré à rapprocher l’Allemagne et la France, appuyé par son homologue allemand Stresemann qui a partagé le Nobel avec lui. Briand pensait que la diplomatie devait régler les conflits. Il rêvait des États-Unis d’Europe.
On lui a beaucoup reproché ses positions, en ce temps-là. Aujourd’hui peut-on en vouloir à ce visionnaire d’être arrivé trop tôt ? De n’avoir pas su prendre la mesure d’Hitler ?

Mais revenons à Cocherel : Briand découvre le village en 1908. Il séjourne d’abord à l’auberge, puis achète une première maison normande au toit de chaume, puis une ferme, puis deux, puis trois… A sa mort en 1932 il était propriétaire de 700 hectares à Cocherel et aux environs ! Il venait se ressourcer, retrouver ses maîtresses, pêcher et jouer à l’agriculteur. C’est à Cocherel qu’il repose, à côté de la chapelle qui date dit-on du 7ème siècle.

A la sortie de Cocherel en direction d’Hardencourt, on peut voir la statue en bronze de l’habitant le plus célèbre du village, exécutée par Émile Guillaume en 1934. Une belle patine recouvre l’oeuvre, mais elle a disparu du dessus des doigts, preuve que l’apôtre de la paix ne manque pas de visiteurs qui viennent lui serrer la main.
Aristide Briand est assis « en méditation » non loin de l’Eure. Dans ce lieu rendu célèbre par une bataille sanglante, il est juste qu’une colombe se soit posée.

Cher lecteur, ces textes et ces photos ne sont pas libres de droits.
Merci de respecter mon travail en ne les copiant pas sans mon accord.
Ariane.

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