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Vernon vu par Seb Toussaint
A l’occasion d’une promenade à pied sur le quai Jacques Chirac à Vernon, j’ai découvert cette belle fresque à l’arrière d’un garage. Elle a été réalisée en 2022 dans le cadre de l’exposition Courant d’Art, mais je ne l’avais pas encore remarquée. Je me suis demandé quelle devait être la taille d’une ville pour continuer à vous offrir de l’étonnement au fil des ans. Vernon a 25 000 habitants. Et j’ai constaté une fois de plus la routine de nos trajets.
Seb Toussaint est un street artiste engagé, et son message sur ce mur, je suis sûre qu’il le pense vraiment. Les deux mains symbolisent le rôle que l’homme doit jouer pour protéger la nature. En bas, la devise de Vernon, Semper viret, toujours vert. On reconnaît les nénuphars chers à Monet. En vert, des saules pleureurs, en jaune, une évocation de la pierre de Vernon avec ses silex. Et encore les flots de la Seine, et les veines du bois. Des matières.
Seb Toussaint a aussi travaillé à Argenteuil sur le thème des impressionnistes en s’inspirant de tableaux de Claude Monet, Alfred Sisley et Gustave Caillebotte. La petite vidéo sans paroles sur sa fresque explique bien l’hommage rendu à leurs oeuvres. On y trouve même les pots bleus des tableaux du jardin de Monet à Argenteuil.
Mais le plus extraordinaire, c’est son projet Share the word (partagez le mot) qui l’a mené de bidonvilles en camps de réfugiés pour peindre sur leurs murs un mot suggéré par les habitants. C’est une façon de donner la parole à ces oubliés de la Terre. Le street artiste séjourne longuement sur place, il se lie avec les gens, et il crée de la beauté sur les maisons en partageant des mots venus du coeur. De l’humanité avec un grand H.
Après avoir vu son travail en Mauritanie, en Colombie, en Palestine, je suis fière de le voir célébrer aussi ma ville. Nous avons beau être des privilégiés comparés aux personnes que Seb Toussaint rencontre, ces mots, ces valeurs, ces couleurs qu’il peint sont universels, et l’urgence climatique nous rappelle que nous ne sommes qu’une même famille, celle des habitants de la Terre.
Jean-Marie Toulgouat
On peut voit en ce moment à Londres non pas une, mais deux expositions consacrées au peintre givernois Jean-Marie Toulgouat. L’une se tient à la galerie Messum, 12 Bury Street, l’autre au Garden Museum. Au total, près d’une centaine d’oeuvres permettent de se faire une idée du talent de cet artiste assez discret en France mais très apprécié en Grande-Bretagne.
Pendant 40 ans, de 1966 à sa mort en 2006, Jean-Marie Toulgouat a peint dans sa propriété de Giverny, à quelques pas de celle de Monet, qu’il connaissait par coeur : né le 15 septembre 1927, neuf mois après le décès de Claude Monet, il était le petit-fils de Theodore Butler, peintre américain de la colonie givernoise, et de Suzanne Hoschedé, elle-même fille d’Alice, la seconde épouse de Monet. Sa mère, Lilly Butler, avait épousé Roger Toulgouat. Le petit Jean-Marie a donc bénéficié des leçons de peinture de son grand-père Theodore Butler et de sa grand-tante, Blanche Hoschedé-Monet.
Comment trouver sa place comme peintre dans une famille qui en compte déjà plusieurs ? Jean-Marie décide de devenir plutôt architecte. Mais il se spécialise bientôt comme architecte-paysagiste et dessine des parcs et des jardins… En 1966, après sa rencontre avec l’historienne de l’art Claire Joyes, de retour à Giverny il saute enfin le pas et devient peintre. Ses toiles sont d’abord abstraites, inspirées par une arrière-pensée figurative révélée par le titre, comme dans Giverny II ; puis, dans les années 1990, elles deviennent davantage figuratives et leur motif identifiable.
Ce qui enchante, c’est la couleur. Elle capte et captive le regard, qui se perd dans les entrelacs délicats créés par les couches colorées superposées. Dans la fluidité de Couleurs d’automne, il me semble retrouver les jeux des reflets brisés à la surface de l’eau. La galerie Messum propose sur son site internet des fichiers en très grands formats qui permettent d’entrer dans les détails des tableaux.
Par le choix des sujets, la force de la couleur, la puissance des toiles, la filiation entre le travail de Toulgouat et celui de Monet est évidente. Mais Jean-Marie ne s’est pas arrêté là. Dans les années 1970 il a participé directement à la restauration de la propriété de Monet par l’académie des Beaux-Arts en dessinant un plan des jardins d’après ses souvenirs, en ouvrant ses albums photos, en conseillant le conservateur Gérald van der Kemp et même en levant des fonds. La fondation Monet lui doit beaucoup.
Quand Renoir et Monet peignaient côte à côte
L’amitié de Claude Monet et de Pierre-Auguste Renoir a duré toute leur vie, depuis leurs années de jeunesse – ils se rencontrent à l’atelier de Charles Gleyre en 1862 – jusqu’au décès de Renoir en 1919. Claude est né en novembre 1840, Pierre-Auguste quelques semaines plus tard, en février 1841 : ils ont le même âge et s’apprécient mutuellement.
Pendant plusieurs années, les deux compères vont peindre volontiers côte à côte. Quelquefois, la ressemblance entre leurs oeuvres est saisissante, au point qu’il est difficile de savoir au premier coup d’oeil qui a peint laquelle.
Est-ce Renoir ou Monet qui a peint cette ferme avec des canards ?
Et qui a peint celle-là ?
Réponse :
1. Claude Monet, La Mare aux canards, l’automne, 1873
2. Pierre-Auguste Renoir, La Mare aux canards, 1873, Dallas Museum of Art
La baigneuse de Renoir
L’été dernier, on pouvait voir à Giverny ce beau nu que Monet possédait dans sa collection personnelle d’oeuvres de ses amis. La toile était prêtée par le musée Marmottan-Monet dans le cadre de l’exposition Renoir à Guernesey du musée des Impressionnismes Giverny.
Si la scène a l’air de se passer en plein air, il y a peu de chance qu’elle y ait été peinte. La pose compliquée, le flou de l’arrière-plan font penser à un travail en atelier. Mais Renoir s’est souvenu des baigneuses qui se changeaient sans faire d’embarras entre les rochers de Guernesey quand il a placé son modèle dans un décor de bord de mer.
Monet a possédé trois nus de son cher ami Renoir, un des seuls (le seul ?) peintre.s qu’il tutoyait. Mais il semble bien que c’est ce tableau-ci que Marc Elder a vu dans la chambre de Claude Monet :
Un nu de Renoir occupe le chevet du lit, un nu déjà ancien, corps de jeune femme long, gracile, nacré, et tout environné d’une transparence bleutée comme un joyau de ses reflets.
Marc Elder, A Giverny chez Claude Monet, 1924.
Monet avait aussi le nu ci-dessus, merveilleux de couleurs. Je crois que c’est celui-ci que René Gimpel, invité à visiter la chambre de Monet, remarque :
Pour la première fois, je vais au premier, dans la chambre à coucher dont les murs sont couverts de toiles des amis géniaux du maître. (…) A la tête de son lit, une femme nue par Renoir, la tête est celle d’une fillette, mais le corps est d’une belle femme.
René Gimpel, Journal d’un collectionneur marchand de tableaux, à la date du 1er février 1920.
Et voici la troisième baigneuse collectionnée par Monet. Il semble qu’il l’avait fait encadrer dans le même cadre que la première. L’encadrement que j’ai photographié ne serait donc pas le choix de Monet.
Julie Manet et sa levrette Laërte
Les visiteurs de la Fondation Monet à Giverny peuvent voir, accrochée dans la chambre à coucher du peintre, une copie de Julie Manet et sa levrette Laërte dont l’original se trouve au musée Marmottan-Monet. C’est une oeuvre de Berthe Morisot, une amie artiste de Claude Monet qu’il affectionnait profondément et dont il admirait beaucoup le talent.
Berthe, après son mariage avec Eugène Manet, (frère d’Edouard, le peintre) était devenue officiellement Madame Manet, mais elle préférait continuer à signer de son nom de jeune fille – quand elle signait.
De ce mariage est née Julie, fille unique du couple, dont l’anniversaire tombait le même jour que celui de Monet, le 14 novembre.
En 1895, Berthe se savait assez malade pour laisser des instructions testamentaires à sa fille, notamment de donner en souvenir une toile d’elle à des amis chers, dont Monet. Celui-ci a donc été invité à se choisir une oeuvre, et il a retenu celle-ci.
Pourquoi ce tableau plutôt qu’un autre ? Monet n’est plus là pour s’en expliquer, nous pouvons juste essayer de deviner les raisons de ce choix. On imagine sa tristesse, son coeur lourd. Peut-être la toile lui a-t-elle paru appropriée parce que Julie, quatorze ans, est en noir : elle porte le deuil de son père, décédé quelques mois plus tôt. Eugène n’apparaît pas dans la composition, mais on peut percevoir sa présence symbolique à travers le vêtement de sa fille, de même qu’on peut sentir la présence de Berthe dans chacun des coups de pinceaux. Julie, qui regarde d’un air absent sa mère en train de la peindre, est assise entre deux places vides, et il est possible que cette solitude ait ému Monet, qui la sait désormais orpheline.
Mais Julie n’est pas tout à fait seule. Elle a l’air de caresser le cou de sa levrette Laërte, un cadeau reçu de son tuteur Stéphane Mallarmé à la mort de son papa. C’est le poète qui a choisi le nom de la chienne, d’après un personnage du Hamlet de Shakespeare dont Mallarmé valorise le dévouement aux siens et qui, lui aussi, a perdu son père. La présence de Mallarmé s’inscrit donc elle aussi en filigrane dans le tableau, et il est possible que Monet, ami du poète, en ait été touché.
Et bien sûr, on peut être certain que le maître de Giverny a aussi pris en compte l’aspect artistique de l’oeuvre, qu’il souhaitait certainement bien typique du style de son amie. Touche rapide et transparente, spontanéité, fraîcheur d’exécution, sensibilité, tout est là, jusqu’à cette réserve à gauche, cette partie de toile non peinte sur laquelle le fauteuil paraît flotter : sans doute Berthe Morisot ne se souciait-elle pas de « terminer » ce portrait de sa fille qui n’était pas destiné à la vente, puisqu’elle avait capté l’essentiel de la scène. Après la mort de la peintre, cette incomplétude de la toile prend un sens nouveau. C’est comme si la mort s’invitait elle aussi dans ce tableau que Berthe ne pourra plus jamais achever. On comprend donc que cette oeuvre pleine du deuil et de l’absence ait paru résumer le mieux la situation aux yeux de son ami Monet.
Léon Bonvin
Léon Bonvin est l’un de ces personnages qui ont frôlé la vie de Claude Monet, sans qu’on sache vraiment à quel point les deux artistes se connaissaient. La biographie Wildenstein consacrée à Monet ne mentionne le nom de Bonvin qu’une seule fois, citant l’article de Thiébault-Sisson paru dans Le Temps en 1900, où Monet se rappelle avoir retrouvé « Bonvin, Pissarro » en arrivant à Londres en 1870. Encore s’agit-il ici du demi-frère aîné de Léon, le peintre académique François Bonvin, car à cette date Léon était mort depuis 4 ans.
Monet a donc tout juste 25 ans quand Léon Bonvin se donne la mort à 31 ans à la fin janvier 1866. Et pourtant, il était suffisamment lié à l’un des deux frères au moins pour participer à la vente organisée afin de venir en aide à la veuve et aux trois jeunes enfants du peintre de Vaugirard. Le catalogue de la vente aux enchères cite le nom de Monet parmi les donateurs d’une œuvre, sans préciser s’il s’agit d’une toile ou d’un pastel. Ce détail a pour une fois échappé à l’équipe d’enquêteurs de l’Institut Wildenstein, et aucune oeuvre de Monet n’est indiquée avec cette provenance, soit que l’information ait été ignorée par le propriétaire, soit que le pastel ou la toile ait disparu, tout comme la probable correspondance entre Monet et Bonvin.
Monet était en bonne compagnie parmi les donateurs : la vente proposait aussi des œuvres de Courbet, Daubigny, Bracquemond, Boudin, Fantin-Latour, Whistler…
J’espère que Monet a pu voir le travail de Léon Bonvin, et pas seulement les scènes de genre et les natures mortes appréciées du Salon de son frère François. S’il a vu les aquarelles époustouflantes de délicatesse de Léon, de véritables miniatures, Monet n’a pu qu’en être touché. Elles démontrent un profond amour pour la nature dans ses moindres manifestations, et un goût pour les atmosphères brumeuses dont Monet se ferait plus tard une spécialité.
Ces œuvres d’une beauté surréelle, incroyables de précision, d’une virtuosité impressionnante, viennent de faire l’objet d’une exposition à la fondation Custodia à Paris. Léon Bonvin se place au plus près des herbes sauvages pour nous en faire admirer la finesse. Mais il ne manque jamais d’intégrer discrètement un personnage à ses dessins.
Chaque petite scène est un hymne à la beauté du monde, baigné d’intériorité et peut-être, oui, d’une certaine tristesse. A l’heure où l’espèce humaine est en train d’organiser son propre suicide en détruisant la flore et la faune, la poésie naturaliste et désespérée de Léon Bonvin prend une résonance tout particulière.
Feux d’artifice au pont de Vernon
En 2022, c’est toujours de la rive droite de la Seine, près du pont de Vernon, que sont tirés les feux d’artifice du 14 juillet ! La colline à l’arrière-plan, dite côte de la Justice car au Moyen Âge le gibet se trouvait au sommet, n’a pas changé, et des peupliers ornaient récemment encore la berge, au même endroit. Mais le beau pont de pierre du 19e siècle a fait place à un ouvrage d’art moderne aux piles de béton et au tablier de métal.
Ce soir, nombreux seront ceux dans le public qui essaieront d’immortaliser le spectacle avec leur téléphone. Y aura-t-il des peintres ? C’est tout le mérite de Theodore Butler, le beau-gendre de Monet, d’avoir capté une impression fugitive dans cette étude de feux d’artifice datée de 1908.
L’harmonie chromatique évoque la tombée du jour, dans une plaisante gamme de bleus, de mauves et de verts. En plein centre de la composition, des tourbillons de lumière vive attirent le regard. La fumée qui s’étire vers la droite du tableau apporte du mouvement à la scène. Au premier plan, un personnage dans une barque ornée de deux lumières roses paraît ramer.
Tout étonne dans ce tableau : pourquoi les réverbères sont-ils restés allumés ? Que fait là ce rameur ? De quel engin pyrotechnique s’agit-il ? Où sont passés les spectateurs ? Reste le plaisir de l’oeil de cette scène aquatique animée de reflets, où l’ombre épaisse contraste avec l’éclat des feux et des lumières.
Monet fan de Cézanne
Monet possédait une belle collection de tableaux impressionnistes exécutés par ses amis : Morisot, Caillebotte, Pissarro, Renoir figurent en bonne place, mais l’artiste le plus représenté est Paul Cézanne.
Monet admirait tellement Cézanne qu’il achetait ou faisait acheter des oeuvres du maître d’Aix auprès de son marchand Ambroise Vollard ou en vente aux enchères. Il a fini par posséder une quinzaine de toiles.
« Le Nègre Scipion » peint par Cézanne vers 1867 est l’une de ses acquisitions que Monet aimait le plus. Selon Marianne Mathieu et Dominique Lobstein, commissaires de l’exposition « Monet collectionneur » au Musée Marmottan en 2017-18 et auteurs du catalogue, Monet achète la toile à Vollard le 7 décembre 1895 pour 400 francs.
A supposer que rien n’ait changé pendant les quarante ans qui ont suivi le décès de Monet, l’oeuvre était accrochée dans le cabinet de toilette du peintre. C’est en tout cas là que Durand-Ruel l’a vue lors de l’inventaire établi après la mort de Michel Monet en 1966.
Il est vrai que placer une figure d’homme torse nu était approprié dans une pièce où Monet devait se trouver lui aussi plus ou moins dénudé. Pièce intime par excellence, le cabinet de toilette était tout de même montré aux visiteurs qui avaient le privilège de découvrir la collection privée de Monet. C’est ainsi que Clemenceau s’est laissé convaincre par Monet du talent de Cézanne en voyant « le nègre Scipion ».
Ce chef-d’oeuvre fait partie maintenant de la collection du Museu de Arte de Sao Paulo au Brésil. On a pu l’admirer cet été à Paris au musée d’Orsay dans le cadre de l’exposition « le modèle noir de Géricault à Matisse ».
Claude Monet peint par Sisley
“Le peintre Monet dans la Forêt de Fontainebleau”, Alfred Sisley, vers 1865. Huile sur toile 36 x 59 cm, Saarland Museum, Saarbrücken, Allemagne.
Cet homme au chapeau de paille qui nous tourne le dos, occupé à peindre sur le motif dans la forêt de Fontainebleau, c'est Claude Monet. La toile signée Alfred Sisley est conservée au Saarland Museum de Saarbrück, en Allemagne. Sur la droite, à l'ombre d'un énorme rocher caractéristique de la forêt de Fontainebleau, on devine un autre chapeau de paille. Impossible de savoir qui se cache dessous. Est-ce Renoir, qui peint la Clairière en 1865 ?
Monet a séjourné à trois reprises à Chailly-en-Bière, juste à côté de Barbizon, en 1863, 64 et 65. C'est là que naît son ambitieux projet de Déjeuner sur l'herbe pour lequel Frédéric Bazille posera. D'autres personnes figurent sur la toile préparatoire au grand tableau de Monet, peut-être même Sisley assis à côté d'une jeune femme. Les quatre peintres s'étaient connus à l'atelier Gleyre, à Paris, et aimaient également la peinture en plein air.
L'oeuvre de Sisley souligne les liens d'amitié qui existaient entre ces jeunes peintres, fréquemment modèles les uns des autres. La palette aux tons très naturels, la touche vigoureuse et large, l'exécution rapide sont déjà celles d'un impressionniste, même si le terme ne sera forgé que près de dix ans plus tard.
Rue de Paris, temps de pluie
Gustave Caillebotte, Rue de Paris, temps de pluie, étude. 1877 Musée Marmottan-Monet, Paris
Cette toile est accrochée au-dessus du lit de Claude Monet, dans sa chambre de Giverny. C'est la réplique de l'oeuvre que possédait Monet, léguée ensuite par son fils Michel à l'Académie des Beaux-Arts. C'est donc au musée Marmottan-Monet de Paris que l'on peut en admirer l'original.
Gustave Caillebotte aimait bien exécuter des études préparatoires avant de se lancer dans une oeuvre d'envergure. Cette toile de moyen format (54 x 65 cm) préfigure un très grand tableau de 2,12 m par 2,76 m qui se trouve à l'Art Institute of Chicago.
Les femmes impressionnistes
Berthe Morisot, Psychée, 1876, Musée Thyssen Bornemisza de Madrid
Les impressionnistes n’étaient pas tous des hommes. Au moins quatre femmes contemporaines de Monet et Renoir ont fait partie de la même avant-garde, manifestant un immense talent et un grand sens de l’innovation. Ces grandes dames sont Berthe Morisot, Mary Cassatt, Eva Gonzalès, Marie Bracquemond.
Plus je découvre leur oeuvre, plus je suis émerveillée. Tenue par une main féminine, la brosse impressionniste se pare d’une grâce inégalée. Les toiles de Berthe Morisot irradient, avec une économie de moyens qui laisse bouche bée. Pourquoi ces femmes impressionnistes ne sont-elles pas plus connues ? L’avenir finira-t-il par rendre justice à ces immenses artistes qui vivaient dans un monde où la gent féminine était reléguée au second plan ?
Nos voisins allemands paraissent intéressés par la place des femmes dans l’impressionnisme. Après l’exposition de Brême (2006) qui s’intéressait à Camille, épouse et modèle de Claude Monet, c’est le musée Schirn de Francfort qui, en 2008, a mis en avant les femmes peintres, avec une exposition entièrement consacrée à mesdames Cassatt, Morisot, Gonzalès et Bracquemond qui est partie ensuite à San Francisco. Au passage, le Schirn a forgé un féminin à impressionnistes : ‘Impressionistinnen’, bien joli en allemand où l’on n’a pas peur des mots qui sont longs, mais impossible à transposer en français ni en anglais.
Il fallait une sacrée détermination pour oser, à la fin du 19e siècle, braver tous les interdits inhérents à la condition féminine pour devenir peintre. Et le soutien d’un milieu familial artistique n’était pas gagné d’avance.
Si les choses ne semblent pas avoir été trop difficiles pour l’Américaine Mary Cassatt, amie de Degas, qui a fait de longs séjours en Europe, il n’en a pas été de même pour Marie Bracquemond. Son époux le graveur Félix Bracquemond, moins doué qu’elle, n’a cessé de la railler, si bien qu’elle a fini par dire adieu à la peinture. Avec nos yeux du 21e siècle, on aurait préféré que ce soit à lui qu’elle dise adieu.
Berthe Morisot quant à elle intègre le clan Manet en épousant Eugène, le frère d’Edouard. Cette fois c’est Eugène, qui peignait lui aussi, qui va renoncer à son art, écrasé par les deux génies qui l’entouraient. Edma Morisot, la soeur de Berthe, abandonne elle-aussi la peinture après s’être mariée. On dirait qu’une bizarre compétition s’installe dans les familles, comme lorsque deux arbres plantés trop près se font de l’ombre.
On ne sait pas trop comment le mari d’Eva Gonzalès, le peintre Henri Guérard, considérait le travail de sa femme. La mort prématurée d’Eva à 34 ans a coupé court à toute compétition.
Chez Mary Cassatt, c’est la maladie qui a mis un terme à une longue et fructueuse carrière. Dépression, diabète, et surtout la perte de la vue lui font lâcher les pinceaux. De quatre ans plus jeune que Monet, elle est atteinte de la cataracte à peu près en même temps que lui : elle est aveugle en 1921, il se fait opérer en 1923. Ils vont mourir tous deux en 1926 à quelques mois d’écart, elle dans le noir, lui avec la vue recouvrée.
Pour ceux qui lisent l’allemand, un intéressant article du Stern sur l’expo de Francfort.
Porte-bonheur
Leslie Hirst, « Two, Four, Six: Petite Swirl » Trèfles à deux, quatre et six feuilles, émail et résine sur bois, 2005. 20 cm x 20 cm.
Regardez bien : les trèfles ne sont pas peints, ce sont de vrais trèfles à deux, quatre ou six feuilles pressés et séchés qui composent ce tableau de Leslie Hirst.
Tout le charme, le magnétisme des oeuvres de cette artiste américaine tient à cette subtile alchimie entre un fond émaillé plutôt géométrique et son dialogue avec ces éléments naturels pas comme les autres, les trèfles. Parmi tous les végétaux, ce sont sans doute eux qui symbolisent le plus les chiffres.
Depuis longtemps, Leslie a un flair spécial pour découvrir les trèfles qui sortent de l’ordinaire. « C’est comme si je les attirais ! » s’amuse-t-elle. Elle n’a pas de méthode particulière, elle ne se met pas à quatre pattes. Elle regarde attentivement la pelouse et elle les trouve, c’est tout. « Mon record, c’est 333 en une journée ! C’était dans le Wyoming, » se souvient-elle. « Pourquoi y aurait-il particulièrement des trèfles à quatre feuilles dans le Wyoming ? Il n’ y a même pas d’herbe ! C’est un désert ! »
Sa collection de trèfles avait déjà une certaine importance quand on lui a proposé de participer à une exposition sur le thème de l’art et la flore sauvage. Elle accepte, et la voilà en train d’essayer de composer un tableau avec ses trèfles séchés. « J’ai essayé de dessiner avec, c’était ridicule. J’ai fait des lignes avec, c’était ridicule. Et puis j’ai eu l’idée d’en faire des cercles. » Sa première oeuvre compte trois cercles de 1024 trèfles à quatre feuilles chacun. Beaucoup d’autres suivront, en forme de tourbillon, d’éventail, de ruban, et bien sûr de carré.
Si vous agrandissez la photo, vous verrez que les trèfles projettent leur ombre sur le fond. Ils sont inclus dans des couches de résine successives qui leur confèrent cet air de flotter sur l’eau.
La contrepartie de cette merveille de précision et de poésie, c’est un travail long et minutieux. Une fois les trèfles trouvés et séchés, Leslie les dispose sur son support, puis elle les décalque un par un et les numérote. Ensuite elle peint le fond à l’émail, elle le couvre de résine et repositionne les trèfles, par couches successives.
Il y a, dans cette célébration des rythmes de la nature et de l’univers, de l’humble et de l’extraordinaire, quelque chose qui me parle et qui me semble moins loin de Monet qu’il n’y paraît à première vue. Peut-être est-ce pour cela que Leslie était tellement radieuse de venir à Giverny ? Ou est-ce la fréquentation de ces masses de trèfles quadrifoliés qui lui donne cette énergie lumineuse ?
Leslie m’a offert un trèfle à quatre feuilles cueilli ici. Je l’ai glissé dans un livre, à la page du poème d’Emily Dickinson :
« Pour faire une prairie il faut un trèfle et une abeille,
un trèfle et une abeille,
et de la rêverie.
La rêverie seule y suffirait,
si les abeilles manquaient. »
Bonne rêverie à vous…
Photo : La récolte de Leslie en dix minutes.
Les vues de Venise
Canaletto (Antonio Canal, dit), vue du bassin de San Marco depuis la pointe de la Douane. Huile sur toile. Milan, Pinacoteca di Brera.
Hasard du calendrier, deux musées parisiens proposent en même temps presque la même expo : « Canaletto – Guardi, les deux maîtres de Venise » au musée Jacquemart-André, « Canaletto à Venise » au musée Maillol.
Aller voir les deux, c’est se confronter à un exercice de style. Comment traiter le même sujet, trouver un angle un peu différent, apporter sa patte ? Boulevard Haussmann, les toiles de Canaletto dialoguent avec celles des autres védutistes de son temps. Rue de Grenelle, on revendique des pièces exceptionnelles : le carnet de croquis de Canaletto, sa chambre optique reconstituée.
Dans les deux musées, le plaisir des oeuvres est le même, cette subtile lumière idéale, ces monuments minutieusement décrits qui baignent dans la transparence de l’air, et tout ce monde de petits personnages qui animent la scène. On se penche sur les oeuvres pour mieux observer les détails, un petit chien qui jappe, un couple dans la gondole, un Turc portant turban. (Comme en écho à ce monde en réduction, le musée Maillol présente une autre expo, dédiée aux miniatures de Pixi. Le nez collé aux vitrines, le visiteur s’absorbe dans des univers issus de la bande dessinée ou de la vie réelle, recréés à une échelle minuscule.)
Dans les deux musées on comprend bien le parcours de Canaletto, et le succès de son travail. Il a donné ses lettres de noblesse à la peinture de paysage, à une époque où celle-ci était considérée comme un genre mineur. Les impressionnistes, un siècle et demi plus tard, creuseront ce sillon.
Ses toiles sont pleines de charme, et le marché est demandeur. Canaletto est écrasé de commandes qui émanent des premiers touristes. Au 18e siècle, il est de bon ton pour les aristocrates européens de faire un ‘tour’ d’Europe et surtout d’Italie. Les oeuvres de Canaletto, qui décrivent si bien Venise, font office de souvenirs. Comment se contenter d’une seule vue ? On a envie de les collectionner.
Aujourd’hui où la qualité de touriste est accessible à beaucoup plus de personnes, où chacun se compose tout seul ses images souvenirs, la place du peintre aussi a changé. Venise, à peine. Bien des visiteurs des expos y retrouvent la mémoire de leurs séjours dans la cité italienne.
Pour les fans de Monet, c’est émouvant de reconnaître sur les Canaletto les vues choisies par lui en 1908 (il avait peut-être les Canaletto en tête après ses séjours à Londres ?) comme ce Palais des Doges.
Mais chez Monet, les personnages ne comptent pas, l’architecture non plus.
C’est l’eau qui donne sa vie au tableau.
Bande dessinée
Les fresques de façades en trompe l’oeil jouent à proposer une vision magnifiée de la réalité, comme cette maison qui aligne ses fenêtres virtuelles au-dessus d’une fausse échoppe de bottier, à Mantes-la-Jolie. On se croirait dans une bande dessinée, dans ces scènes paisibles d’introduction à l’histoire où la vie va son petit bonhomme de chemin.
Fort logiquement, Angoulême, qui s’est spécialisé dans la BD, multiplie les façades en trompe-l’oeil. Le rêve fait irruption dans le quotidien. Pour rester dans le ton, les noms des rues sont inscrits dans des bulles, et plusieurs portent le nom de grands auteurs disparus tels qu’Hergé ou Goscinny.
Le week-end dernier, à l’occasion du festival de la bande dessinée, les auteurs vivants étaient là et bien là, crayon en main pour dédicacer leurs ouvrages d’un dessin personnalisé.
Quand on ne sait pas dessiner, il y a quelque chose de fascinant à observer des artistes à l’oeuvre, fascination encore accrue de voir les personnages familiers des auteurs de BD surgir du bout du feutre ou du pinceau, convoqués pour la circonstance. Quelle que soit l’idée qu’il illustre, chaque auteur reste si singulièrement dans son trait propre, identifiable au premier coup d’oeil.
L’autre Henri Martin
Un Henri Martin peut en cacher un autre ! Voilà ce que c’est de porter le nom le plus répandu de France, assorti d’un prénom royal. Bref, un rectificatif s’impose : un aimable internaute me fait savoir que le Henri-Martin de l’avenue parisienne, et par conséquent du Monopoly, n’est pas du tout celui que je croyais. C’est, précise-t-il, « son homonyme parfait, l’historien (1810-1883), fameux sous le Second Empire et sous la IIIème République. Il a été en outre maire du XVIème. »
Maire du 16e arrondissement ! Voilà qui explique tout. Quel que soit son mérite comme historien, et je ne doute pas qu’il ait été grand, la voie politique est le meilleur moyen de finir en plaques de rue, comme chacun sait. Les exemples ne manquent pas d’obscurs conseillers municipaux promus à cette dignité. Normal, puisque la décision de nommer les voies appartient au conseil municipal, à qui il arrive de déplorer des décès dans ses rangs. A fortiori un maire : le nom de rue s’impose !
Donc, notre Henri-Martin à l’accent toulousain devra compter sur ses toiles pour assurer sa renommée post-mortem. A moins qu’il ait malgré tout sa rue quelque part, dites-moi ? Avec, souhaitons-le, un brin d’explication pour permettre de situer le personnage.
Et pourquoi une gare Saint-Lazare de Monet en guise d’illustration ? Parce que dans Martin il y a train, (!) et que les gares parisiennes sont aussi dans le Monopoly. Dans le jeu elles sont toutes cotées pareil, mais celle qui ouvre les portes de la Normandie tient une place spéciale dans le coeur des amoureux de Giverny.
Bassin
Surprise à la vitrine d’une des nombreuses galeries d’art de Honfleur, un grand tableau d’un étang familier…
Quel est le rapport entre Honfleur et Giverny ? Tous les deux ont un bassin, et tous les deux ont été peints par Monet !
Pétales de soie
Tulipe perroquet, peinture sur soie, création et photo Tessa Spanton.
J’ai eu un coup de coeur pour cette splendide tulipe découverte sur le site de Tessa Spanton.
Si vous avez déjà tenu une pipette à gutta vous apprécierez la maîtrise technique, et surtout cet admirable travail aquarellé dans les pétales, qui rend si bien le relief et le raffinement de la tulipe perroquet.
Je suis sûre que la soie doit faire vibrer les couleurs aussi intensément que la texture naturelle des pétales.
Voilà qui donne la nostalgie du printemps, de toutes ces têtes colorées qui se balancent dans le vent… On voudrait toujours ce que l’on n’a pas. Combien de fois pendant la saison j’ai souhaité voir arriver novembre et les vacances, et maintenant il me tarde que l’hiver soit passé !
Les jardiniers confient leurs rêves de printemps à la terre en automne quand, agenouillés devant les parterres nus, ils y escamotent de pleins paniers de bulbes.
Christian Avril
Il s’appelle Christian Avril, c’est son vrai nom. Comme les hirondelles, chaque printemps ramène monsieur Avril à Giverny.
Depuis quinze ans qu’il plante son chevalet près de la Fondation Claude Monet, il a fini par faire partie du décor, le seul peintre de Giverny à exercer ses talents dans la rue, sous le regard des passants.
Christian Avril peint comme il respire, avec naturel. Tout autour de lui sont accrochées ses toiles, surtout des petits formats, et l’on y reconnaît avec amusement chaque détail de la rue, les roses trémières devant le portail d’en face, le panneau indicateur, la boîte aux lettres jaune au milieu des roses, jusqu’aux touristes qui flânent.
C’est comme un jeu, l’oeil regarde la toile et cherche aussitôt le motif aux alentours, puis revient à la toile. La rue Claude Monet qui pouvait paraître banale devient poétique quand elle est transfigurée par la peinture.
C’est une chose précieuse d’avoir un peintre pour animer la rue du village. On ne se lasse pas de regarder comment un tableautin se fait, touche après touche. Pour les enfants, pour tous ceux qui ne savent pas peindre, la naissance de l’image a quelque chose de magique.
Les instituteurs nomment le chevalet, la palette. Les étrangers se prennent en photo à côté du peintre et de son petit chien.
Après avoir admiré toutes les fleurs du jardin de Monet, vu au musée d’art américain des oeuvres d’artistes qui ne sont plus, poussé la porte de galeries aux toiles abouties, dont le format et le prix peuvent sembler intimidants, cela fait plaisir d’assister en direct à la naissance d’une oeuvre qui tiendra facilement dans les bagages, dont l’achat ne mettra pas en péril le budget des vacances, et qui fera un bien joli souvenir de Giverny.
Peindre le ciel
Eugène Boudin, Coup de vent à Frascatti, Le Havre, huile sur toile, Le Petit Palais musée des Beaux-Arts de la ville de Paris.
Pas moyen d’y échapper quand on représente un paysage : tôt ou tard, il faut peindre le ciel dans son tableau.
Pour les enfants il est toujours bleu, agrémenté d’un grand soleil et de petits nuages joufflus. Dans la réalité… cela dépend sous quel climat on se trouve.
En Normandie, si le ciel n’est pas aussi invariablement radieux que dans l’imaginaire enfantin, il compense en présentant une infinité de variations qui le rendent intéressant à peindre. Rien de moins pittoresque qu’un ciel d’azur. Dans un puzzle, la hantise c’est le petit coin de bleu tout lisse, on se le garde pour la fin.
C’est sans doute parce qu’il est né au bord de la Manche, à Honfleur, que le peintre Eugène Boudin est devenu « le roi des ciels », selon le bel éloge de Camille Corot.
Au bord de la mer le ciel prend toute sa majesté. Il déploie son immensité devant le regard, sans rien qui vienne l’arrêter.
Boudin aime lui consacrer les deux tiers de la toile. Regardez comme c’est beau, ce qui se trame là-haut ! semble-t-il dire.
Vingt ans avant les impressionnistes, les variations infinies du ciel le fascinent. Quand la tempête approche il peint, comme ici, les masses gigantesques et menaçantes des nuages porteurs de pluie, leurs nuances de gris, d’ardoise, de violet. On croit sentir la force énorme du vent aux prises avec les gigantesques masses d’eau qu’il pousse, propulse, bouscule.
D’autres jours, quand le temps est plus clément Boudin s’attarde à représenter la légèreté vaporeuse des nuages, la façon dont ils cueillent les rayons dorés du couchant.
Boudin a été un artiste très productif : plus de 4000 peintures et autant de pastels et de dessins. Tous les ciels de Normandie sont passés devant ses pinceaux, aussi changeants que le temps est variable. Au fil des saisons il a peint les petits nuages pommelés, les stratus, les cumulus, toutes les bizarreries ordinaires du ciel. Et cela sans tricher : les Normands retrouvent exactement rendue l’atmosphère de leur région dans les toiles de Boudin.
Mais on s’ennuierait devant un tableau qui ne représenterait que le ciel. Le spectateur aime se sentir ancré sur du solide quand il regarde un tableau. Boudin, c’est aussi le peintre des « plages à crinoline », où les personnages donnent l’échelle de l’immense en petites taches verticales qui se découpent sur l’horizon.
Ci-dessus : Eugène Boudin, La plage de Trouville – Impératrice Eugénie – 1863, 34,5 cm x 57 cm, Collection Burrell Musée de Glasgow
Peintre en bâtiment
Chez les Monet on est peintre de père en fils depuis plusieurs générations.
Je veux parler des Monet qui ont une entreprise de peinture à Mantes-la-Jolie, parce que, comme vous le savez, dans la famille de Claude papa était commerçant (avitailleur pour les bateaux qui prenaient la mer au Havre), et les fils de Claude se sont bien gardés de manifester un penchant quelconque pour la peinture.
Le Monet qui est à la tête de l’entreprise de ravalement mantaise se prénomme Michel. Oui, comme le fils de Claude. Je me demande quel était le prénom de son papa.
Je me demande aussi, étant donné que l’entreprise existe depuis 1892, si notre Monet était au courant de son existence. Si, plus probablement, les Monet de Mantes connaissaient ses toiles et sa réputation. Et si c’est un pur hasard que leur ancêtre du 19ème siècle se soit mis à la peinture en bâtiment.
Détail de vitrail
Le lavement des pieds (détail), Peter Hemmel d’Andlau, vers 1478-1481 Musée de l’oeuvre Notre-Dame, Strasbourg
Si l’on pouvait admirer les vitraux du Moyen-Âge de près, que de détails on y verrait ! Celui-ci était à l’origine placé bien haut sur une verrière d’église. Il se trouve aujourd’hui au musée de l’oeuvre Notre-Dame de Strasbourg, idéalement situé à hauteur des yeux, ce qui permet de découvrir l’étonnante précision de son dessin.
C’est encore plus net sur l’image agrandie : voyez les rides d’expression des apôtres, les boucles de la barbe et des cheveux, les reliefs du bonnet, les coutures du tissu, les veines du bois… Et ces bouches sur le point de parler, ces regards…
L’artiste s’est habilement servi de la grisaille pour marquer les ombres, donner du relief au dessin. C’est tout un psychodrame qui est en train de se jouer pendant que les douze disciples attendent leur tour de se faire laver les pieds par Jésus. Chacun a une expression différente, Judas se cache derrière les autres.
Pourquoi tout ce luxe de détails alors que personne ne les verrait, à plusieurs mètres de distance ? Adrien Goetz, dans son roman « Intrigue à l’anglaise », a cette belle phrase :
On ne sait pas comment on regardait vraiment les cathédrales et les églises au Moyen-Âge, entourées de maisons, de constructions de bois. Ceux qui les peignaient travaillaient pour le regard de Dieu.
Fresque cachée
Au manoir de Bellou, dans le Calvados, les propriétaires ont eu la bonne fortune de découvrir des peintures anciennes aux poutres et aux murs d’une chambre, à l’occasion d’une restauration. Des feuillages, une scène de chasse, une sainte Suzanne, etc, qui dateraient peut-être de la Contre-Réforme.
C’est le genre de surprise dont on rêve quand on entreprend la réfection d’une maison ancienne. Y aura-t-il une merveille oubliée cachée sous un enduit ou un apprêt quelconque ?
Des découvertes comme celle de Bellou, on en faisait déjà au dix-neuvième siècle. Dans les Misérables, voici ce que Victor Hugo fait raconter à la soeur de l’évêque Myriel dans une lettre :
Madame Magloire a découvert, sous au moins dix papiers collés dessus, des peintures, sans être bonnes, qui peuvent se supporter. C’est Télémaque reçu chevalier par Minerve, c’est lui encore dans les jardins. Le nom m’échappe. Enfin où les dames romaines se rendaient une seule nuit. Que vous dirai-je? j’ai des romains, des romaines (ici un mot illisible), et toute la suite. Madame Magloire a débarbouillé tout cela, et cet été elle va réparer quelques petites avaries, revenir le tout, et ma chambre sera un vrai musée.
Il y a de quoi être tenté de jouer de la décolleuse, n’est-ce pas ?
Étude de nu masculin
Nu masculin, Frédéric Bazille, 1863, crayon et fusain sur papier, musée Fabre, Montpellier
Dieu qu'il est beau ! Beau comme un dieu ! Le dessin exécuté au crayon et fusain sur une feuille volante par Frédéric Bazille, un ami de Monet, est conservé au musée Fabre de Montpellier. Un homme nu à la plastique sculpturale se tient debout, aux trois quarts tourné vers la gauche. Ses bras tendus reposent sur une sellette d'atelier.
C'est l'indice qui permet de comprendre la scène. Pas de mythologie ici. Le dessin ne raconte pas une histoire. Ce qu'il se propose de montrer, c'est tout simplement un modèle qui pose dans une école de peinture.
L'auteur ne considère pas son travail comme une oeuvre achevée mais comme un exercice préparatoire, une étape en vue peut-être d'une oeuvre plus élaborée.
Étude de nu masculin. A regarder attentivement on devine des repentirs, des traces de gommage au pied gauche et le long du dos et de l'épaule. Le modèle était plus redressé au départ. A-t-il bougé ? Ou l'artiste a-t-il jugé que cette pose était meilleure ?
Pas facile d'être modèle. A première vue il semble qu'on soit payé à ne rien faire, mais telle est justement la difficulté. Ne pas bouger du tout. Longtemps, très longtemps. De l'avis des modèles, c'est douloureux et épuisant.
Il se trouve pourtant au 19ème siècle des hommes et des femmes pour venir poser, qui plus est poser nus. Par quel ressort psychologique acceptent-ils en cette époque si prude de se dévêtir et de se livrer aux regards d'un ou plusieurs artistes ? Mystère.
Concernant l'homme qui pose pour Frédéric Bazille le 7 mars 1863, on serait tenté de croire qu'il y a une part de narcissisme dans sa démarche : le modèle se trouve beau et veut célébrer la beauté de son corps.
Sauf que. La scène se passe dans l'atelier du maître Gleyre devant un groupe d'élèves. Monet, qui en faisait partie en début d'année est sans doute déjà parti, alarmé dès les premiers jours par le manque de sincérité que prône le maître. "Quand on dessine d'après modèle, il faut toujours penser à l'antique," tel est le credo de Gleyre. C'est-à-dire qu'il faut arranger les défauts du modèle pour se rapprocher d'un idéal imaginaire.
On ne saurait faire reproche à Gleyre d'enseigner l'académisme, pas plus qu'on ne peut en vouloir à Monet de l'avoir rejeté ou à Bazille d'y avoir souscrit pour un temps.
En mars, le jeune camarade de Monet exécute donc studieusement cette académie, et il n'est pas impossible qu'il ait embelli son modèle en mettant à profit ses connaissances en anatomie. Bazille étudie parallèlement la médecine, bien qu'il soit de plus en plus attiré par les beaux-arts. Il a un bon coup de crayon, n'est-ce pas ?
Ce jour-là son nu est très admiré par tout le monde dans l'atelier, ce qu'il rapporte non sans fierté à ses parents. Pour prolonger ce succès il projette même de refaire le personnage grandeur nature.
Pendant ce temps, Monet a pris ses cliques et ses claques et il a filé peindre à la campagne, d'où il presse son ami de venir le rejoindre, le travail avec la nature pour modèle étant selon lui la meilleure des formations.
Les arbres en posant ne prennent pas de crampes, mais ils ont d'autres tours dans leurs branches pour en jouer aux peintres, Monet l'apprendra à ses dépens.
La Maison du Pendu de Cézanne
C’est compliqué d’être riche. On se pose des problèmes dont les pas-riches n’ont même pas idée.
Imaginez par exemple que vous appartenez à une famille de banquiers du nom de Camondo, vous vous prénommez Isaac, vous vivez à Paris et vous aimez l’art. Vous avez envie de vous constituer une collection, cela va de soi.
Comment vous y prendre ? Certes vous vous fiez à vos goûts qui épousent ceux de votre époque. Vous aimez les laques et les estampes japonaises, par exemple. Mais, dans le milieu cultivé dans lequel vous gravitez, on vous conseille aussi d’autres achats : des arts décoratifs du siècle passé, des sculptures du Moyen-Âge ou de la Renaissance…
La difficulté est de faire preuve de goût tout en réalisant de bons placements. Si vous vous montrez trop audacieux, vous en connaissez qui vont rire de vous. Que dira votre cousin Nissim, passionné du 18e siècle, devant vos dernières acquisitions, ces pastels, ces toiles, ces sculptures impressionnistes ? Vous soutenez avec constance ces jeunes artistes pleins de talent, mais dans la famille tout le monde ne partage pas votre goût pour leurs oeuvres dérangeantes.
Ce 1er juillet 1899, vous participez à la vente aux enchères de la collection Chocquet, un amateur ami de Renoir. On disperse des Delacroix, des Manet, des Renoir bien sûr, des Cézanne…
Vous avez une idée en tête : repartir avec la Maison du pendu de Paul Cézanne. C’est votre ami Monet qui vous en a parlé. Cette toile, c’est une vieille connaissance, une oeuvre de jeunesse de Cézanne peinte à Auvers sur Oise quand il y travaillait aux côtés de Pissarro, exposée dès 1874, revue il y a dix ans à l’exposition centennale de 1889. Monet est persuadé que ce tableau fera date dans l’histoire de l’art.
Adjugé à 6200 francs ! Vous avez bataillé ferme face à Vollard, mais vous avez fini par l’emporter sur le marchand. Vous voilà propriétaire de cette étonnante Maison du pendu. Est-ce qu’elle vous portera chance, comme la corde d’un pendu ? C’est un pari sur l’avenir. Mais vous avez toute confiance dans le jugement de Claude Monet.
Pour faire taire les moqueurs, vous avez une parade, ce que vous confiez à Renoir :
La Maison du pendu de Cézanne ? Eh bien oui, là, j’ai acheté un tableau qui n’est pas accepté par tout le monde ! Mais je suis couvert : j’ai une lettre autographe de Claude Monet, qui me donne sa parole d’honneur que cette toile est destinée à devenir célèbre. Si, un jour, vous venez chez moi, je vous ferai voir cette lettre. Je la conserve dans une petite pochette clouée derrière la toile, à la disposition des malintentionnés qui voudraient me chercher des poux dans la tête avec ma Maison du pendu.
On n’est jamais trop prudent.
Aquarelle
L’aquarelliste et le vieux moulin, Patrice Levoin
Patrice Levoin, un artiste peintre installé dans la région bordelaise, est originaire de Vernon.
C’est ainsi qu’il s’est promené sur givernews.com et qu’il m’envoie aujourd’hui deux de ses vues du vieux moulin.
C’est vraiment extraordinaire, la peinture. Voilà le même site peint par le même artiste dans le même médium, et pourtant on a peine à croire à la parenté de ces deux aquarelles : quel écart entre ces deux Vieux Moulins !
Sensibilité, humeur et technique façonnent l’oeuvre au même titre que la lumière du jour.
Vernon le vieux moulin, Patrice Levoin
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