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L’une des motivations au départ des Monet pour l’Espagne en octobre 1904 est sans aucun doute l’envie de faire un grand voyage en automobile. Depuis que le peintre s’est acheté une Panhard-Levassor en décembre 1900 et qu’il a embauché un chauffeur, Silvain Besnard, jamais il n’a effectué un long trajet en voiture. Il faut dire que l’entreprise est assez hasardeuse, dans ce véhicule où les passagers sont fouettés par le vent de la course et où la mécanique menace à tout instant de lâcher.
Difficile de savoir qui en a lancé l’idée. Je penche pour Monet, car il n’était pas du genre à se laisser dicter son emploi du temps par quelqu’un d’autre. Mais Alice qui adore l’automobile a pu tendre une perche. En tout cas, ce n’est pas Michel qui, selon les lettres d’Alice, voudrait déjà être de retour trois jours après leur départ.
Aussitôt la décision prise, les préparatifs sont aussi rapides que possible car la saison avance. Le 4 octobre, Monet écrit à son marchand Paul Durand-Ruel :
Cher Monsieur Durand,
Me voici au repos depuis quelques temps et je me proposais de vous prier de venir déjeuner un de ces jours, et voilà que je viens de décider de mettre à exécution un projet que j’ai depuis longtemps, aller à Madrid voir les Vélasquez. Nous partons vendredi matin en auto pour trois semaines environ, et dès mon retour, si vous le pouvez, je vous demanderai de venir jusqu’ici. Si vous êtes à même de me faciliter la vue de quelques chefs-d’oeuvre à Madrid, vous seriez bien aimable de m’écrire un mot de suite, étant donné notre départ qui peut se faire jeudi après déjeuner.
Mes meilleurs compliments ainsi qu’à tous les vôtres et à bientôt, j’espère.
Votre tout dévoué
Claude Monet
On sent que pour Monet, ce voyage est une parenthèse rendue possible par son oisiveté provisoire et que le travail, ou plutôt les affaires, reprendront dès son retour. On voit aussi que sa préoccupation est la peinture. Comment accéder aux toiles des collectionneurs privés ? Mais il prend peu à peu conscience des aspects pratiques de l’aventure, et Durand-Ruel est à nouveau mis à contribution :
Giverny, vendredi 7 octobre 1904
Cher Monsieur Durand,
Je suis très content de pouvoir vous rencontrer à Madrid, où vous serez certainement avant nous, puisque nous ne devons partir que demain et que nous ferons le voyage en plusieurs étapes, et qu’en auto il y a toujours de l’imprévu.
Je viens à propos vous demander de me rendre le service suivant, de vouloir bien envoyer, dès le reçu de ces lignes, au siège du Touring Club, 65 avenue de la Grande-Armée, acheter pour moi la carte de France au 500 000e par le colonel Prudent, qui s’étend jusqu’à Madrid. Elle coûte 1 franc 50 et de me l’adresser dès demain sans faute à Bordeaux, Grand hôtel de France et de Nantes réunis. Nous y serons dimanche soir pour repartir lundi.
Si au Touring Club cette carte n’était pas disponible, s’informer de l’éditeur et se la procurer et envoyer dès demain, car elle nous est indispensable pour notre route, les cartes routières espagnoles étant introuvables en France.
Je compte donc sur votre obligeance et vous dis à bientôt là-bas.
Votre tout dévoué,
Claude Monet
Monet dit vrai concernant la carte du lieutenant-colonel Ferdinand Prudent, comme nous l’apprend la nécrologie de ce dernier. Toutefois, la carte ne lui sera pas d’un grand secours pour sa partie espagnole, puisque l’auto sera abandonnée à Biarritz au profit du train.
Parmi les autres documents dont il dispose figurent les guides de voyage Joanne. Sa bibliothèque conserve le guide Espagne et Portugal paru en 1900 et les deux volumes sur les Pyrénées de l’Itinéraire général de la France, parus en 1893 et 94. Ces guides ont pu l’aider à définir ses étapes et choisir ce qu’il souhaitait voir pendant son voyage.
Faire un si long voyage dans ce genre de véhicule ouvert aux quatre vents.. et en octobre…une autre époque!!
On reconnait dans le courrier adressé par Monet « son autorité »…
Heureusement la poste à cette époque fonctionnait parfaitement,pas de distribution à jour plus 1,plus 2 ou 3 ou jamais!!!
Toujours bien agréable de lire ses anecdotes,un « régal »!!!
Son autorité est assez insupportable, en effet ! Durand-Ruel a-t-il obéi ? Aucune lettre de remerciement ne nous est parvenue, pas plus que de lettre de reproche.