18/18
Que faut-il dire et que vaut-il mieux taire dans les lettres que l’on adresse aux siens ? Rien de ce qui touche la santé ne doit être passé sous silence, telle est la doctrine des Monet. Aussi Germaine est-elle tenue au courant par sa mère des aléas de digestion de son beau-père :
Monet est mieux ce matin heureusement car hier, pris de douleurs intestinales, il était bien découragé et n’a pas voulu bouger de l’hôtel. Il est vrai que le dimanche, c’est une cohue à ne pas se risquer. […] Quelle chaleur ici, c’est effrayant.
Alice Monet à sa fille Germaine, Madrid, 17 octobre 1904
Pourtant Monet n’est pas totalement remis, car sa turista se poursuit à Tolède :
Mon pauvre Monet est bien indisposé, il a encore été bien souffrant cette nuit.
Alice Monet à sa fille Germaine, Tolède, 19 octobre 1904
Monet ne s’habitue pas à la nourriture espagnole, lui qui a pourtant la réputation d’avoir un estomac à toute épreuve, lui qui aime les salades couvertes de poivre et la viande bien faisandée ! Enfin, le 20 octobre, Alice veut croire que c’est passé :
Monet est arrivé ici très fatigué, énervé et s’est couché de suite. Grâce à des potions, du bon thé et une bonne nuit, il était ressuscité ce matin et dès 9h nous étions au musée jusqu’à midi.
Alice Monet à sa fille Germaine, Madrid, 20 octobre 1904
On sent percer une pointe de satisfaction, celle d’avoir su s’y prendre pour remettre son mari d’aplomb. Alice a une grande habitude de soigner des malades et l’expérience de ce qu’il faut faire. Dommage qu’elle ne nous dise pas ce qu’il y avait dans ses potions et son bon thé (ou tisane ?).
Mais déjà le retour se profile. Probablement moins difficile que l’aller, car ils ont dû prendre la précaution de louer leurs couchettes, ils embarquent le lendemain, un vendredi, pour la France et sont à Biarritz le samedi. Le dimanche et le lundi les voient à Bordeaux, à l’hôtel du Chapon fin, où ils retrouvent une délicieuse table gastronomique : « On est très bien au Chapon fin, quel dîner ! » Ils font ensuite une étape près d’Angoulême avant de gagner Tours le mercredi. De là, cap sur Blois, et enfin Giverny rallié le vendredi soir.
Monet n’a jamais vraiment cessé de penser à son jardin, dont il a laissé les rênes à Félix Breuil, le chef-jardinier :
Monet est désolé que tu ne lui donnes pas de détails sur le jardin, il espère que tout va bien et que tout ce que Félix attendait est bien arrivé.
Alice Monet à sa fille Germaine, Madrid, 20 octobre 1904
Et tandis qu’ils tressautent sur les routes de France, où « la voiture marche bien mal » et ne dépasse pas le 30 à l’heure, l’esprit de Monet s’évade. Il songe aux prochaines courses de côte à Gaillon, à une vingtaine de kilomètres de Giverny, ce qui se traduit par une nouvelle recommandation à Germaine :
Comme Monet pense aux courses de Gaillon, il me charge de te dire de donner commande de prendre samedi chez B. un pâté de 12 fr. volailles et jambon afin que nous puissions le prendre dimanche en allant aux courses.
Alice Monet à sa fille Germaine, 23 octobre 1904, Bordeaux
On appréciera la chaîne Monet – Alice – Germaine – employé des Monet – charcutier B, ainsi que la façon dont le peintre se préoccupe de faire bonne chère, même en pique-nique. Enfin, le 27 octobre, ils pensent être à l’heure pour dîner en famille à Giverny, mais la voiture n’est pas très fiable :
Monet qui prévoit tout veut que je vous dise de vous mettre à table, si nous ne sommes pas là à 7h 1/2, car nous aurons quelques montées qui seront pénibles. Ne vous inquiétez pas, s’il y avait la moindre panne, je télégraphie.
Alice Monet à sa fille Germaine, 27 octobre 1904, Blois
Délicate prévenance… Avec un tel sens de la tribu, Alice aurait adoré les réseaux sociaux et le portable, j’en suis sûre. Et avec un tel goût pour la table, toute la famille aurait été fan de Top chef.
Je n’avais jamais vu la photo de la course de côte de Gaillon. Monet pensait à tout visiblement ! sauf les aléas bien sûr.
Jolie comme tout cette petite boîte aux lettres,bien conservée je ne crois pas qu’elle ait encore son utilité…
Grâce aux bons soins d’Alice,Monet est totalement rétabli pour savourer au retour le délicieux repas du « chapon fin »!!
Je remarque qu’Alice déjà à cette époque parle de grosse chaleur et nous sommes en octobre,il y a plus de cent ans!
Merci, merci pour ce récit de voyage sur les traces de Monet.
Bravo & merci pour cette série sur les traces de Monet voyageur… Plus d’un siècle plus tard, les conditions des voyageurs ont bien changé, même si cela reste harassant de faire de longues étapes en voiture – en ce qui me concerne. Le voyage semble avoir été à la hauteur de votre défi !