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De quoi est mort Jean Monet ?

Jean Monet, fils du peintre Claude Monet
Photo collection Géraldine Lefèbvre

Comme toujours, l’état-civil de Giverny est bien discret sur les causes de la mort prématurée de Jean Monet, le fils aîné du peintre, à l’âge de 46 ans, le 9 février 1914. Rien que nous ne sachions déjà grâce aux lettres de Monet qui nous sont parvenues, sinon que ce sont Jean-Pierre Hoschedé et Michel Monet qui sont allés déclarer la mort de leur frère et beau-frère, nous donnant ainsi l’occasion de voir leurs signatures.

Pour Géraldine Lefèbvre, commissaire de l’exposition Léon Monet qui se tient en ce moment à Paris au musée du Luxembourg, l’explication à la mort de Jean est d’une triste simplicité : de 1891 à 1909, Jean a travaillé pendant de longues années comme chimiste dans l’entreprise dirigée par son oncle Léon à Maromme, près de Rouen, une fabrique de colorants pour textiles. Le jeune homme respirait un air chargé de composés volatils des plus toxiques. A cela s’ajoutait la pollution de l’air de la vallée du Cailly, où se concentraient de nombreuses fabriques brûlant des quantités de charbon. Jean Monet serait donc décédé d’avoir été exposé à une pollution aérienne excessive. D’une maladie professionnelle.

Adrienne Blis

Une autre personne semble être morte de la pollution de l’air : la cousine de Jean et Michel, la jeune Adrienne Blis. Quand je dis cousine, je m’avance un peu. Adrienne est la fille d’Aurélie Blis, cuisinière de Léon qui deviendra sa femme et lui donnera une (deuxième ?) fille, Louise, née en 1901. Léon Monet n’a jamais reconnu Adrienne comme sa fille, mais il la considérait comme telle.

La belle Adrienne décède en 1911, le 18 décembre, à l’âge de 25 ans (elle est née le 12 août 1886 au Havre). Léon en est désespéré et ne peut admettre qu’il s’est rendu responsable de cette disparition en faisant vivre sa famille dans un environnement aussi agressif pour les voies respiratoires. Il cherche d’autres causes, et trouve un bouc émissaire en la personne de Jean. Celui-ci, qui a quitté l’entreprise depuis deux ans, aurait transmis sa maladie à Adrienne. On peut imaginer qu’il tousse de façon chronique, en effet. De telles allégations vont sceller la rupture entre Léon et Claude Monet, qui soutient son fils.

Une chose est certaine : l’état de santé de Jean donnait des inquiétudes depuis longtemps déjà. Dès 1890, il est hospitalisé au Havre pour une fluxion de poitrine. Monet se rend à son chevet. En 1892, Jean revient très malade d’un séjour à Bâle au siège de Geigy, dont l’entreprise de son oncle est une filiale. En février 1900, Jean ne peut se libérer pour aller voir Monet à Londres car il est souffrant. En 1901, il fait une série de malaises. En juin 1907, il part avec Blanche faire une cure à Lamalou-les-Bains.

On ne sait pas trop où il a mal, justement. A Lamalou, on traite les rhumatismes et les affections neurologiques. De quoi souffre-t-il ?

De retour de cure, son état de santé continue de se dégrader. La relation avec son oncle aussi, au point qu’en 1909, la rupture est consommée. Jean quitte la chimie et la pollution et part réaliser son rêve : monter un élevage de truites.

Depuis l’enfance, il aime la pêche et les poissons. Il se voit certainement très bien vivre au grand air et au bord de l’eau. Ce sera à Beaumont-le-Roger, au Moulin de la Fontaine.

Mais l’entreprise tourne court. Est-ce la faute de son associé ou la sienne ? Dès 1913, Monet installe Blanche et Jean à Giverny dans une maison qu’il achète au nom de son fils : la villa des Pinsons. Ce n’est pourtant pas là que Jean décède mais dans la maison de son père, dans le premier atelier, où il agonise pendant plusieurs jours sous les yeux impuissants de Monet. Il semble qu’en visite chez son père, il ait été pris d’une attaque qui l’a rendu intransportable. La délivrance, pour douloureuse qu’elle soit, est un soulagement pour Monet « car c’était un vrai martyr ».

Détail de la fiche de matricule militaire de Jean Monet

Mais les mauvaises langues de Giverny, jamais en peine d’une médisance, n’ont pas manqué de proposer une autre explication au décès de Jean Monet. Selon elles il serait mort des suites de la syphilis qu’il aurait contractée lors de son séjour en Suisse.

Cette hypothèse a été recueillie et reprise par le Vernonnais Michel de Decker dans sa biographie Claude Monet (1992, Perrin), ainsi que par Sophie Fourny-Dargère, autrice elle aussi d’un Monet et ancienne conservatrice du musée de Vernon. Dans son ouvrage consacré à Blanche Hoschedé-Monet, catalogue d’une exposition du musée au printemps 1991, elle indique p 23 dans une note :

La tradition orale de Giverny s’accorde sur le fait que Jean Monet aurait contracté, en Suisse, une maladie vénérienne alors qu’il était en mission pour le compte de son oncle. Cette maladie « honteuse » compte pour une bonne part dans le différend qui aboutira à la rupture entre Léon Monet et Jean Monet et par là même avec tout le clan de Giverny. Léon Monet perdra sa fille Adrienne, âgée de 15 ans, en 1911. Ce décès brutal aurait été imputé à la maladie jugée incurable de Jean.

La première édition de la biographie Wildenstein évoque elle-même avec prudence cette hypothèse et les soupçons de contamination par Jean de sa cousine, « à tort ou à raison ». La photo ci-dessous est accompagnée d’une légende peu flatteuse :

Léon Monet, avec, à sa droite, sa fille Adrienne, accueille dans le cercle de famille Jean et sa femme Blanche Hoschedé-Monet. En 1911, le décès d’Adrienne à l’âge de 15 ans, dont on rendra responsable, à tort ou à raison, l’état de santé de Jean Monet atteint de son côté d’un mal incurable, mettra fin à la carrière du pitoyable aide-chimiste que la mort viendra délivrer à Giverny trois ans plus tard.

Catalogue raisonné, Tome 4, p 71. (1985, Bibliothèque des Arts)

Outre l’erreur de 10 ans sur l’âge d’Adrienne, il est inexact de penser que c’est le décès de la jeune femme qui provoque le départ de Jean. Selon les renseignements révélés par l’exposition Léon Monet, Jean a démissionné le 22 avril 1909 de l’entreprise de son oncle.

Si l’on ne peut pas l’exclure formellement, je suis d’avis qu’il n’est pas la peine d’aller chercher des explications aussi scabreuses et pense comme Géraldine Lefèbvre que le contexte industriel de la région rouennaise au tournant du siècle suffit amplement à expliquer des morts prématurées en série.

Mais il n’est pas impossible que Jean Monet ait souffert tout à la fois de problèmes respiratoires et des suites de la syphilis. D’après ce qu’on peut lire sur le net, celle-ci peut entraîner une impuissance (ce qui expliquerait que Jean soit mort sans enfant) et des troubles neurologiques type AVC.

Alors, de quoi Jean Monet est-il mort ? Son père, en annonçant la triste nouvelle à ses correspondants et amis, parle de congestion cérébrale. Ce n’est peut-être qu’un symptôme d’un autre mal, mais si l’on veut éviter de parler au conditionnel, il vaut mieux s’en tenir là.


3 commentaires

  1. La cause réelle du décès de Jean restera un mystère…il est parti bien jeune et sa « cousine  » aussi!!
    La pollution de l’air en est certainement la responsable en grande partie …
    Je remarque sur l’acte que Michel est déclaré rentier ,une « profession » de plus en plus rare!

    • Rentier, c’était le terme pour quelqu’un qui n’a pas besoin de travailler. Je ne pense pas que du vivant de Monet il possédait quoi que ce soit. Il vivait à la charge de son père. Monet ne devait pas détester cette dépendance qui lui permettait de garder son fils près de lui.

  2. A very interesting article again.
    Both Camille and Jean died too young, but they will be for ever immortalised in Claude’s paintings from the 1860s and 70s.

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Ariane.

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