
Papa Monet lit le journal. Au XIXe siècle, c’est ce que l’on faisait quand on craignait de s’ennuyer, comme nous cherchons de la distraction avec notre téléphone aujourd’hui. Coiffé d’un panama, Adolphe s’est mis à l’ombre dans le jardin de la villa familiale Le Coteau. Sur quoi est-il assis, au mépris des taches sur son élégant pantalon gris et sa veste sombre, un rocher couvert de mousse ? Les détails de sa chemise blanche dépassent, le col, les poignets, peut-être un jabot dans l’entrebâillement du vêtement. Du blanc encore pour les chaussettes, et je ne sais pourquoi, cela me fait penser que cet homme est né en 1800.
Et puis, les chaussures. Noires, luisantes, lustrées par d’autres mains que les siennes. Elles dansent, elles s’exhibent, l’une en l’air, l’autre au sol. De belles chaussures de bourgeois.
J’aime ce que ce tableau dit du lien entre Claude Monet et son père. Ils se sont mis d’accord : Vous voudrez bien poser pour moi ? Je voudrais faire un tableau avec vous dans le jardin. Bien sûr, mon fils ! Mais il faudra qu’il fasse beau.
Et puis, ce matin, le soleil brillait. Aujourd’hui alors ? Entendu ! Mais si tu permets, je vais prendre un journal. C’était bien long, la séance de pose quand tu as fait mon portrait.
C’est une transcription somme toute chaleureuse que fait le jeune peintre de la figure paternelle. Tout n’est pas au beau fixe entre les deux hommes. Mais je crois qu’Adolphe est foncièrement un bon père. Il aime son fils et il veut le meilleur pour lui. Il s’est beaucoup inquiété pour son avenir. Il faut qu’Oscar (il refuse de l’appeler Claude) devienne quelque chose, qu’il exerce une activité qui le satisfasse et lui permette d’en vivre. Il se souvient du temps des caricatures, qui peut-être l’amusaient tout en le mettant mal à l’aise. Est-il permis de se moquer des gens de la sorte ? Il est soulagé que son cadet se soit mis à quelque chose de plus sérieux. Huile sur toile. Paysages. Portraits. Natures mortes. Il l’encourage autant qu’il peut au travail, car le talent n’est pas tout. « On admire chaque coup de brosse », racontera Claude, amusé, dans une lettre à Bazille.
Adolphe le sait, lui-même n’y connaît pas grand chose en peinture. Il se fie à l’opinion de sa soeur, passionnée d’art, et a été totalement convaincu du talent de son fils après le succès incroyable de La Femme à la robe verte, très remarquée au Salon de ce printemps 1866. Les journaux l’ont portée aux nues.

Et revoici Adolphe Monet, l’année suivante, assis sur la fameuse Terrasse à Sainte-Adresse. Au costume précédent s’ajoute une très fine canne. les souliers sont toujours aussi bien cirés. Toute sa personne respire la respectabilité. Mais il tourne le dos à son fils : celui-ci vient de lui apprendre que Camille, le modèle de La Femme à la robe verte, attend un enfant de lui. Et cette nouvelle n’est pas du goût d’Adolphe Monet.