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Victor et son chien

Claude Monet, Portrait de Victor Jacquemont au parasol, 1865, Kunsthaus Zürich, Suisse

Quel beau chien ! D’après vous, de quelle race est-il ? Je penche pour un épagneul français, mais je me trompe peut-être.

Victor Jacquemont, dont les coordonnées figurent dans la plus ancienne liste d’adresses de Monet conservée au musée Marmottan-Monet, était un ami d’enfance de Claude, ou plutôt d’Oscar. Le musée de Zurich affirme qu’il a aussi possédé des toiles de Monet, jouant ainsi le rôle de mécène. Ce serait intéressant de savoir lesquelles. Le catalogue raisonné ne fait pas mention de Jacquemont parmi les propriétaires d’oeuvres. La question de savoir si ce portrait est une commande ou non reste ouverte.

Qui, de Monet ou de son ami, a eu l’idée de cette mise en scène ? Sorti se promener en compagnie de son chien, le jeune homme s’arrête, pensif, au milieu du chemin, un parapluie ouvert sur l’épaule alors qu’il ne pleut pas et qu’il est à l’ombre. Dans la main gauche, il tient un objet difficile à identifier, peut-être un journal. A-t-il prévu de s’asseoir quelque part pour lire en laissant son chien vagabonder ? Le toutou, bien obéissant, s’est arrêté lui aussi, les quatre pattes au sol.

Avant de devenir l’impressionniste que l’on connaît, pour qui la fidélité à ce qu’il voit est primordiale, Monet, dans ses oeuvres de jeunesse, ne s’est pas gêné pour bricoler avec la réalité. L’homme debout, le chien et le paysage de sous-bois n’ont peut-être pas été peints le même jour, ni sur le motif.

Je me figure que Monet aimait la façon dont un parapluie ouvert (ou une ombrelle) offre un fond sombre à un visage et le met en valeur. Au Havre, le parapluie noir était un objet du quotidien. Les hommes s’en servaient-ils pour se protéger du soleil ? Ce n’est pas sûr, mais cette possible invraisemblance n’était pas de taille à déranger un Monet absorbé dans un travail pictural.

Wildenstein classe le tableau en 1865, juste avant les vues de Chailly. Les trouées de soleil dans le sous-bois viennent irradier le chemin à l’arrière de Victor Jacquemont et présentent des similitudes avec celles peintes en forêt de Fontainebleau, ce qui justifie cette datation. Pour le musée de Zurich, il est également possible qu’il ait été peint après Chailly, jusqu’en 1867.

L’histoire de ce tableau est assez poignante. Il est pieusement conservé chez les Jacquemont jusqu’à la mort de Victor en 1907. Suite à ce décès, la veuve le propose aux enchères, mais la toile (pas assez impressionniste ?) ne trouve pas d’acquéreur. La veuve confie alors le portrait à un marchand, Bernheim-Jeune, qui le cède à la galerie Paul Cassirer de Berlin pour 3000 francs. Il part ensuite à Breslau, (ville allemande jusqu’en 1945, aujourd’hui en Pologne), où il est exposé. C’est là qu’il entre dans la collection de Carl Sachs. Cet entrepreneur de confession juive a fait fortune dans la production et la vente en gros d’articles de mercerie, lingerie et prêt-à-porter. Il collectionne la peinture et les oeuvres graphiques.

La crise de 1929 et la montée du nazisme vont mettre un terme à ces belles années. Après avoir dû vendre une partie de sa collection, Sachs se voit exclu du conseil d’administration du musée de sa ville, auquel il a pourtant consenti des dons importants. Sentant que ses biens ne sont plus en sécurité à Breslau, il prête plusieurs oeuvres d’art au musée de Zurich, parmi lesquelles notre Monet. Breslau se vide de sa communauté juive, soit un tiers de ses habitants, les lois fiscales antisémites ruinent Sachs, mais ce n’est qu’en février 1939 qu’il parvient à émigrer en Suisse avec son épouse. Il a 80 ans. Il est contraint de vendre des tableaux pour survivre. Il meurt en 1943.

Les toiles vendues en émigration sous la pression des évènements sont désormais considérées à l’égal des oeuvres pillées, comme des biens culturels confisqués en raison des persécutions nazies. Le musée de Zurich s’est rapproché des héritiers de Carl Sachs et recherche avec eux une solution équitable et juste. le tableau quittera-t-il les cimaises du musée ? Affaire à suivre.


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Ariane.

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