
Claude Monet, Les quatre arbres, 1891, Metropolitan museum of Art, New York
Lilla Cabot Perry a été l’amie de Claude Monet, une amitié qui l’a conduite à passer une dizaine d’étés à Giverny. Le peintre lui rendait volontiers visite après déjeuner, le temps d’une cigarette fumée dans son jardin de la maison du Hameau.
Dans ses souvenirs sur son illustre voisin publiés au lendemain de la mort de Monet, Lilla Cabot Perry donne certains détails qu’elle est la seule à avoir recueillis. C’est ainsi que Monet, alors qu’il travaillait à la série des Peupliers, lui aurait confié qu’un de ses effets ne durait que sept minutes, le temps que le soleil atteigne une certaine feuille d’un arbre.

Il ne faudrait pas en conclure à tort que la lumière change toutes les sept minutes à Giverny. Certains des effets captés par Monet duraient jusqu’à une demi-heure, selon des précisions confiées à Marc Elder. Mais celui-ci était particulièrement court.
Je regrette que nous n’ayons pas de renseignements sur l’identité de la toile dont il s’agit. On peut toutefois supposer qu’elle n’est pas surchargée de peinture.

A la réflexion, ce n’est pas tant l’oeil exacerbé de Monet, son perfectionnisme dans la recherche de la pureté de l’effet qui m’impressionnent dans cette anecdote, ni même le fait qu’il ait crû bon de se vanter de la brièveté du moment auprès de sa voisine, peintre elle-même. C’est, très prosaïquement, le fait que Monet était en possession de ce renseignement. Comment savait-il que son effet ne durait que sept minutes ?
J’imagine la scène. Le premier jour où Monet est interpelé par cette luminosité particulière de l’instant, il se hâte de peindre sur une toile neuve, pour s’apercevoir à peine plus tard que c’est déjà fini ; il ne lui reste plus qu’à espérer retrouver cet éclairage-là le lendemain puis les jours suivants pour poursuivre son étude. Bigre ! se dit-il, c’était rudement court ! Peut-être raconte-t-il cela à la table familiale, peut-être lui suggère-t-on de chronométrer l’effet pour avoir une estimation objective de sa durée. Il est aussi possible qu’il ait eu envie de le savoir par lui-même. Toujours est-il qu’il pense, par la suite, à tirer sa montre de sa poche au moment où il constate le début de l’effet, à noter l’heure, puis à vérifier combien de minutes se sont écoulées quand il se voit contraint de poser ses pinceaux.
C’est Monet qui s’observe en train de se confronter à la nature. Il veut quantifier le défi qu’elle lui lance, et le relever.

Ce geste que nous avons perdu aujourd’hui de sortir sa montre de son gousset, Marc Elder en fait l’incipit de son livre A Giverny, chez Claude Monet paru en 1924 :
Le maître tire sa montre :
– Dix heures et demi, dit-il, allons les voir : ils sont ouverts.
Ils, ce sont les nymphéas, visités à l’époque des roses.
Que de précision et de perfectionnisme en effet pour observer les arbres et les fleurs!!!
Ces toiles représentant les peupliers sont vraiment belles!!!